QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE GRAVINA c. ITALIE
(Requête no 60124/00)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
27 juillet 2010
DÉFINITIF
27/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gravina c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
Päivi Hirvelä,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 60124/00) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, Mario Gravina (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 2 juillet 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 15 novembre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que la perte de toute disponibilité du terrain, combinée avec l'impossibilité de remédier à la situation incriminée a engendré des conséquences assez graves pour que le requérant ait subi une expropriation de fait incompatible avec son droit au respect de ses biens et non conforme au principe de prééminence du droit (Gravina c. Italie, no 60124/00, § 85, 15 novembre 2005).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 88 572, 36 EUR à indexer à partir de 2001, une somme de 950 000,00 EUR à titre de la plus value apportée à son terrain par la construction de l'hôpital plus une somme de 661 974, 83 EUR à titre de gain manqué et pertes subies. Il sollicitait en outre une indemnité pour dommage moral et demandait le remboursement des frais et dépens pour la procédure devant les juridictions nationales et pour celles devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 98, et point 3 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n'aboutissent à un tel accord.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
EN FAIT
8. Les faits survenus après l'arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.
9. Le 3 janvier 2005, l'administration exécuta le jugement du tribunal de Tarante (paragraphe 20 de l'arrêt au principal) et paya au requérant 117 352,47 EUR.
10. Par un arrêt du 9 mai 2007, la cour d'appel de Lecce rejeta l'appel introduit par l'administration de Mottola
A. Dommage
11. Le requérant sollicite une somme qui correspond à la valeur marché de son terrain, plus une somme à titre de la plus value apportée à son terrain par la construction de l'hôpital et plus une somme à titre de gain manqué et pertes subies.
12. Le Gouvernement s'y oppose et considère que la Cour ne doit accorder que la somme correspondant à la valeur du terrain litigieux au moment de l'occupation matérielle.
13. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
14. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'État sur les terrains.
15. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonné par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il faut aussi l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
16. La Cour observe que le requérant a reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale de son terrain, réévaluée et assortie d'intérêts à compter de la date de la perte de la propriété, (voir paragraphe 20 de l'arrêt au principal). Selon elle, l'intéressé a ainsi déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d'indemnisation suscités.
17. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 22 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
18. Le requérant demandent le versement d'une indemnité de 250 000 EUR au titre de préjudice moral.
19. Le Gouvernement souligne que la somme demandée est manifestement exorbitante et que le requérant n'apporte aucun élément utile pour la justifier.
20. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé au requérant un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
21. Statuant en équité, la Cour accorde au requérant la somme de 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
22. Le requérant demande 42 921,96 EUR au titre de remboursement des frais encourus devant la Cour. Il rappelle que la jurisprudence de la cour prévoit la liquidation des honoraires également pour les avocats qui ne sont pas inscrit au barreau et il rappelle que son représentant a été inscrit au barreau de Tarente et qu'il est habilité à la représentation et à l'assistance en matière tributaire.
23. Le Gouvernement demande à la Cour de tenir en considération le fait que le représentant du requérant n'est pas membre du barreau et n'exerce pas la profession légale. A cet égard, le Gouvernement note qu'il n'a pas émis une facture régulière.
24. En tout état de cause, le Gouvernement affirme que la somme réclamée au titre des frais de procédure est absolument excessive et dépourvue de tout rapport avec la réalité.
25. La Cour rappelle que, dans la phase consécutive à la décision sur la recevabilité de la requête, un requérant ne peut en principe être représenté devant elle que par un conseil habilité à exercer dans l'une des Parties contractantes (article 36 §§ 3 et 4 du règlement). La Cour en a déduit que, lorsque son représentant ne remplit pas cette condition (comme en l'espèce), un requérant peut obtenir le remboursement des frais de représentation engagés antérieurement à la décision sur la recevabilité mais pas de ceux engagés postérieurement (Marie-Louise Loyen et autre c. France, no 55929/00, § 73, 5 juillet 2005 ; Barillon c. France, no 22897/02, § 38, 9 février 2006). Au titre des frais engagés avant la recevabilité de la requête, la Cour décide, statuant en équité, d'allouer la somme de 2000 euros.
D. Intérêts moratoires
26. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. 22 000 EUR (vingt-deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt au requérant, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président