Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération du 11 juillet 2019 par laquelle le conseil de Paris a attribué à l'association " SOS Méditerranée France " une subvention d'un montant de 100 000 euros.
Par une ordonnance n° 1919726 du 26 août 2021, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Par un arrêt n° 21PA05576 du 18 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif de Paris.
Par un jugement n° 1919726 du
12 septembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B... E....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2022, M. B... E..., représenté par Me Lambert, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette délibération ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la délibération attaquée est dépourvue de base légale et entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle ne peut trouver son fondement légal dans l'article
L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne peut s'appliquer qu'à une action internationale à caractère humanitaire à destination d'une autorité ou collectivité territoriale étrangère ou, à tout le moins, une population locale étrangère identifiée, ni dans l'article
L. 1115-1-1 du même code, qui concerne la coopération avec les collectivités territoriales étrangères ou les actions de solidarité internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement et de la distribution publique d'électricité et de gaz, ni dans l'article
L. 2512-11 de ce code, qui ne peut concerner que des personnes étrangères ;
- elle n'est pas justifiée par un intérêt public local ;
- elle méconnaît le principe de neutralité du service public dès lors que l'action de l'association bénéficiaire de la subvention litigieuse, qui a pris position contre les politiques de l'Union européenne et des Etats membres en matière de sauvetage en mer Méditerranée, d'immigration, d'asile et d'accueil des ressortissants de pays tiers, s'oppose à ces politiques et suscite régulièrement des conflits politiques et diplomatiques et que la délibération attaquée a été prise pour des motifs politiques, en s'immisçant dans les politiques migratoires et d'accueil des migrants qui relèvent exclusivement de la compétence des Etats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2023, la ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de M. B... E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens tirés par M. B... E... de ce que la délibération attaquée n'est pas justifiée par un intérêt public local et a été prise en méconnaissance du principe de neutralité du service public sont inopérants ;
- l'autre moyen qu'il soulève n'est pas fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2023, l'association
" SOS Méditerranée France ", représentée par Me Mabile et Me de Cambiaire, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de M. B... E... la somme de 7 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens tirés par M. B... E... de ce que la délibération attaquée n'est pas justifiée par un intérêt public local et a été prise en méconnaissance du principe de neutralité du service public sont inopérants ;
- l'autre moyen qu'il soulève n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gorse, avocat de la Ville de Paris, et Me Philippe avocat de l'association " SOS Méditerranée France ".
Considérant ce qui suit
:
1. Par une délibération du 11 juillet 2019, le conseil de Paris a attribué, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, à l'association " SOS Méditerranée France ", une subvention d'un montant de 100 000 euros pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre de l'aide d'urgence et a autorisé la maire à signer une convention avec cette association. M. B... E... fait appel du jugement du 12 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette délibération.
2. Aux termes de l'article
L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire. / A cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. Ces conventions précisent l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'Etat (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'une collectivité territoriale peut légalement accorder une subvention à une association, même française, dès lors que cette subvention a pour objet de mettre en œuvre ou soutenir une action internationale de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire, sans avoir à justifier que cette action répond à un intérêt public local. Une collectivité territoriale ne saurait toutefois méconnaître les engagements internationaux de la France ni, en attribuant une subvention, prendre parti dans un conflit ou un différend international de nature politique ou interférer dans la conduite de la politique extérieure de la France constitutionnellement réservée à l'Etat.
4. L'objet statutaire de l'association " SOS Méditerranée France " est, notamment,
" de sauver la vie des personnes en détresse en mer et d'assurer leur accompagnement et leur protection ", " de témoigner de la réalité de ces sauvetages et de leur contexte " et
" de promouvoir et de soutenir la création de structures similaires à SOS Méditerranée en Europe et ailleurs ". Il ressort des pièces du dossier, en particulier des observations produites par cette association, que son activité s'inscrit dans un réseau international dénommé
" SOS Méditerranée " initié au mois de mai 2015, et a consisté en particulier, après l'arrêt, en novembre 2014, de l'opération Mare Nostrum par les autorités italiennes, à affréter un navire, d'abord l'Aquarius jusqu'au mois de décembre 2018, puis, à partir de l'année 2019, l'Ocean Viking, afin de secourir en mer, principalement au large des côtes libyennes, des ressortissants de pays tiers, transitant par la Libye et souhaitant se rendre de manière irrégulière sur le territoire de l'Union européenne, en traversant la Méditerranée, le plus souvent sur des embarcations de fortune et par l'entremise de réseaux de passeurs. Son action a également consisté à acheminer ces personnes ainsi secourues à destination de l'un des ports d'un Etat membre de l'Union européenne, action qui a concerné, entre 2016 et 2018, près de 30 000 personnes. Si cette action revêt une dimension humanitaire, les responsables de l'association ont, aussi, publiquement critiqué, et déclaré vouloir contrecarrer par leur action, les politiques définies et mises en œuvre par l'Union européenne et les Etats membres en matière d'immigration et d'asile, de franchissement des frontières extérieures de l'Union et de maîtrise des flux migratoires, en particulier s'agissant des arrivées irrégulières le long de la route de la Méditerranée centrale, et d'accueil en Europe des ressortissants de pays tiers. Cette action a, en outre, eu pour effet d'engendrer de manière régulière des tensions et des différends diplomatiques entre Etats membres de l'Union, notamment entre la France et l'Italie. Enfin, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la transcription des débats qui ont précédé l'adoption de la délibération contestée, que le conseil de Paris a entendu s'approprier les critiques de cette association à l'encontre de ces politiques migratoires. Dans ces conditions, en attribuant la subvention litigieuse par la délibération du 11 juillet 2019, alors même qu'elle est accordée au titre des aides d'urgence, le conseil de Paris doit être regardé comme ayant entendu prendre parti et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence des institutions de l'Union européenne, ainsi que dans des différends, de nature politique, entre Etats membres. Dès lors, M. B... E... est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de cette délibération.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du conseil de Paris en date du 11 juillet 2019.
6. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de M. B... E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par la ville de Paris et l'association " SOS Méditerranée France " au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris le versement à
M. B... E... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1919726 du tribunal administratif de Paris en date du 12 septembre 2022 et la délibération du 11 juillet 2019 du conseil de Paris attribuant une subvention d'un montant de 100 000 euros à l'association " SOS Méditerranée France " sont annulés.
Article 2 : La ville de Paris versera à M. B... E... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la ville de Paris et par l'association " SOS Méditerranée France " sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... E..., à la ville de Paris et à l'association " SOS Méditerranée France ".
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- M. d'Haëm, président-assesseur,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 mars 2023.
Le rapporteur,
R. d'HAËMLa présidente,
M. A...La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04811