CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini, 29 janvier 1985, 183/83

Mots clés société · rabais · commission · inspecteurs · procès-verbal · amende · infraction · sanction · règlement · inspection · comptabilité · documents · produits · recours

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : 183/83
Date de dépôt : 26 août 1983
Titre : Traité CECA - Annulation d'amende.
Rapporteur : Kakouris
Avocat général : Mancini
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1985:27

Texte

CONCLUSIONS DE M. L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 29 janvier 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

Cette affaire a pour objet la décision du 13 juillet 1983 par laquelle la Commission des Communautés européennes a infligé, en vertu de l'article 47 du traité CECA, une amende de plus de trois millions et demi de marks allemands à la société Krupp Stahl AG. Dans son recours déposé le 26 août 1983, cette société vous demande à titre principal d'annuler la décision et, à titre subsidiaire, de réduire l'amende.

Afin d'assurer le respect des règles CECA en matière de prix, la Commission a ordonné le 23 janvier 1981 une inspection comptable à Bochum, au siège de la société Krupp Stahl AG et de l'entreprise de distribution Krupp Stahl Vertriebsgesellschaft mbH. L'opération s'est déroulée en deux phases. Durant la première (9-11 février 1981), les responsables des deux sociétés ont contesté aux agents de la Commission le droit d'assister au retrait des documents comptables des archives dans lesquelles ils étaient conservés. La vérification a été interrompue et, après un échange de lettres, la Commission a clarifié la portée de ses pouvoirs d'inspection en adoptant, le 22 juin 1981, une décision spéciale, dans laquelle elle enjoint aux deux sociétés de: a) permettre que les inspecteurs communautaires aient accès aux locaux commerciaux; b) produire, sur leur demande, même dans les locaux où ils étaient gardés, les écritures et documents relatifs aux transactions concernant les produits mentionnés dans l'annexe I du traité CECA; c) fournir les explications verbales et écrites demandées sur place.

Au cours de la seconde phase de l'inspection (24 juin-30 juillet 1981), ces instructions ont été exécutées, quoique avec de nombreuses difficultés. Après avoir ainsi pris connaissance des données qui l'intéressaient, la Commission, par une note du 30 septembre 1982, a reproché à la société Krupp Stahl AG d'avoir violé les articles 47 et 60 du traité CECA et les règles respectives d'exécution. Elle l'a donc invitée à présenter ses arguments dans un délai de 14 jours qui a été ensuite tacitement prorogé jusqu'au 30 novembre 1982. A cette date, la requérante s'est prononcée sur chacun des griefs et, sur sa demande, elle a encore été entendue à Bruxelles le 19 janvier 1983. Conformément à la pratique, les services de la Commission ont rédigé un projet de procès-verbal de cette audition. La société Krupp a également obtenu d'en entendre un enregistrement sur bande et, par lettre du 16 avril 1983, elle a communiqué à la Commission les remarques qui s'y rapportent.

Enfin, le 13 juillet 1983, la Commission a adopté la décision sur la validité de laquelle vous êtes appelés à statuer. Les vérifications et l'audition de Bruxelles — y est-il affirmé — ont fait apparaître que la société Krupp a accordé en 1980 et au cours du premier semestre de 1981 des rabais qui n'ont été ni publiés ni notifiés comme le prescrivent les règles qui régissent la matière (articles 2 et 5 de la décision no 31/53, du 2 mai 1953, JO 1953, p. 111, relative aux conditions de publicité des barèmes de prix et conditions de vente pratiqués dans les entreprises des industries de l'acier; dispositions de la décision no 14/64 du 8 juillet 1964, JO 1964, p. 1967, relative aux documents commerciaux et comptables à soumettre par les entreprises aux agents et mandataires de la Haute Autorité chargés de missions de vérification ou de contrôle en matière de prix). En outre, il est apparu que la société Krupp: a) a refusé aux inspecteurs l'accès aux locaux où les documents commerciaux étaient conservés, obligeant la Commission à prendre une décision spéciale; b) a pratiqué un système de comptabilité secrète qui vise à camoufler les rabais confidentiels; c) a tenté d'éluder les contrôles des inspecteurs communautaires.

Telle est la motivation de la décision. Son dispositif inflige à la requérante une amende de 3505414 DM, soit 0,1 % du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé en 1981. La sanction se réfère aux accusations d'avoir tenu « une comptabilité secrète » et opposé des « entraves aux investigations ».

2.

Dans la demande introductive, la société Krupp a soulevé trois moyens de recours: violation des formes substantielles; violation du traité et des règles qui concernent son application; abus de pouvoir dans la détermination de l'amende. Disons tout de suite que, à notre avis, le premier grief est dénué de fondement tandis que les deux autres sont partiellement fondés. Voici, dans l'ordre, les raisons de la thèse que nous soumettons.

Le vice reproché à la décision par le premier moyen est que la requérante n'a pas approuvé le procès-verbal de l'audition du 19 janvier 1983 dont la Commission a tiré des éléments importants pour agir comme elle l'a fait. Selon la société Krupp, le fait d'être entendu oralement avant que la sanction soit infligée est un « élément indispensable du droit de défense ». Une audition est donc nécessaire; et cela entraîne que le procès-verbal dans lequel sont recueillies les déclarations des personnes entendues au cours de cette audition soit formellement approuvé par elles. C'est du reste ce qu'établit l'article 9, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 99/63, adopté par la Commission le 25 juillet 1963 pour réglementer les auditions prévues par l'article 19 du règlement (CEE) no 17/62 que le Conseil a adopté le 6 février 1962 en application des articles 85 et 86 du traité CEE. Que l'on n'objecte pas que notre affaire tombe dans le cadre CECA: en effet, la disposition citée fixe des principes de portée générale qui lui sont donc applicables directement ou tout au moins par analogie.

La défenderesse soutient la thèse opposée. La réglementation CECA — affirme-t-elle — ne lui impose pas du tout, lorsqu'elle estime devoir infliger une sanction pécuniaire, d'accorder à l'entreprise intéressée un droit de parole pour soutenir son point de vue. Dans la pratique, cette possibilité est donnée; mais cela ne fait certainement pas de l'audition un « élément indispensable du droit de défense ». Il s'ensuit que l'absence de rédaction définitive du procès-verbal contenant le compte rendu de l'audition (et, par conséquent, le fait que la requérante ne l'a pas approuvé) ne peut pas avoir de conséquences sur la validité de la mesure.

Comme nous l'avons déjà dit, le moyen doit être repoussé. Nous relevons tout d'abord que la requérante elle-même n'a pas cru devoir le développer au cours de la procédure orale. En tout cas, sa fragilité est évidente. En effet, selon l'article 36 du traité CECA, le principe du contradictoire dans la procédure administrative qui précède le prononcé de l'amende ou de la pénalité de retard exige uniquement que « l'intéressé soit mis en mesure de présenter ses observations ». Or, il nous semble que la Commission a amplement satisfait à cette exigence et par la note du 30 septembre 1982 et par le délai bimestriel accordé à la société Krupp pour formuler ses remarques sur les contestations qu'elle contenait. Les actes qui ont suivi (audition, possibilité offerte à la société Krupp d'en entendre l'enregistrement, projet de procès-verbal, etc.) ont été, certes, conformes à la pratique; mais — et c'est cela qui est important — ils n'ont eu aucun caractère obligatoire. En effet, cette pratique est uniquement un quid pluris que la Commission a spontanément développé au fil des années en vue d'accorder une plus grande garantie aux entreprises à l'égard desquelles elle formule des griefs.

Enfin, nous ne croyons pas que la référence faite par la requérante à l'article 9, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 99/63 soit pertinente. Les obligations de la Commission dans le cadre de la procédure administrative sont précisées de manière exhaustive par l'article 36 du traité CECA lui-même; il est donc évident que des dispositions appartenant à un système différent comme celui du traité CEE ne peuvent pas s'appliquer, même par analogie, à cette procédure. Ajoutons que la disposition à laquelle la société Krupp se réfère est contenue dans une source de troisième degré, c'est-à-dire de rang trop modeste pour qu'il soit permis d'en tirer des « principes de portée générale », comme le fait la requérante.

3.

Par le second moyen — violation du traité et des règles concernant son application —, la requérante formule de nombreux griefs que, par souci de clarté, nous pouvons rassembler en trois groupes: 1) les erreurs qui concernent la base juridique de la décision; 2) les erreurs qui se rapportent à l'accusation d'avoir tenu une comptabilité secrète visant à camoufler les rabais; 3) les erreurs relatives au reproche d'avoir fait obstacle à l'activité de la Commission.

Commençons par le troisième groupe. Les erreurs qui s'y rapportent consistent: a) dans le fait que la mesure n'indique pas de manière spécifique les dispositions de la décision no 14/64 que la société Krupp aurait violées, alors que l'article 1er de cette source contient une longue liste détaillée des documents dont la non-production constitue une infraction; b) dans le fait que, à la différence de ce que dispose l'article 47 du traité CECA, les violations de ladite source n'entraînent pas la condamnation à des peines pécuniaires.

A notre avis, les deux griefs ne sont pas fondés. En ce qui concerne le premier, nous observons que la Commission n'était pas tenue d'indiquer ponctuellement la violation d'une disposition spécifique. Les documents énumérés sous les lettres a) à g) de l'article 1er de la décision no 14/64 se limitent, en effet, à citer des exemples des documents qui doivent être mis à la disposition des inspecteurs. Une seule chose intéresse le législateur: que la documentation fournie aux agents de la Commission comprenne « toutes pièces justificatives » (huitième considérant) et renferme « les indications indispensables à un contrôle efficace » du respect des règles des prix (quatrième considérant); en d'autres termes, qu'elle soit exhaustive et sincère. Le second grief est explicitement contredit par l'article 3 de la décision qui dispose que « les sanctions prévues à l'article 47, alinéa 3, du traité sont applicables aux entreprises qui se soustrairaient aux obligations résultant pour elles de la présente décision ».

Comme nous l'avons déjà dit, les erreurs du second groupe concernent le grief d'avoir tenu une comptabilité secrète pour camoufler des rabais confidentiels. Selon la société Krupp, la Commission avait connaissance de ces rabais; elle les avait même approuvés dans le cadre d'un accord précis. Il n'y avait donc aucune raison que l'entreprise les lui cache en tenant une comptabilité parallèle.

La société Krupp, estimons-nous, a raison dans une large mesure. En répondant à une question de la Cour, la Commission a admis qu'au cours de la période du 1er janvier 1980 au 30 juin 1981, elle a autorisé les entreprises sidérurgiques frappées par la crise à pratiquer des rabais d'un montant identique pour chaque groupe de consommateurs comparables. L'accord prévoyait que, par dérogation aux prescriptions de l'article 60 du traité, les rabais n'étaient pas publiés ou notifiés, toutefois, les entreprises devaient les faire connaître aux inspecteurs de la Commission pour que ceux-ci puissent vérifier le respect des règles qui interdisent les pratiques discriminatoires.

Au cours de la période durant laquelle l'inspection a été effectuée, les rabais étaient donc légitimes; on ne peut pas dire qu'ils avaient une nature discriminatoire comme le prouve le fait que la Commission n'a pas estimé devoir prendre une décision ad hoc à l'égard de la société Krupp. Pourquoi alors accuser la requérante d'avoir tenu une comptabilité secrète? En effet, il est apparu que peut-être par un excès de compartimentation des services de la Commission, les inspecteurs n'avaient pas connaissance de l'accord sur les rabais; ils les ont donc estimés illégitimes et en ont conclu que le système de comptabilisation employé par la société Krupp était destiné à les cacher. Dans ces conditions, les motifs pour lesquels la société Krupp a adopté ce système pourront susciter l'intérêt des autorités allemandes. Mais pour le juge communautaire, l'argument qu'elle avance atteint son but.

Enfin les erreurs du troisième groupe. Elles consisteraient: a) dans le fait que la Commission a considéré comme une « entrave » aux investigations de ses agents ce qui, durant la première phase de la vérification, n'a été qu'une divergence quant à la portée de ses pouvoirs d'inspection. Le refus d'admettre les inspecteurs dans le local des archives où les documents étaient conservés se fondait sur des dispositions de la loi allemande; la société Krupp avait donc le droit de demander à la Commission une décision clarificatrice sur ce point — et l'exercice d'un droit ne peut apparaître comme « une entrave »; b) dans le fait que la société Krupp n'a en aucune manière entravé les opérations de vérification durant la seconde phase de l'inspection. La preuve en est que, quoique au terme d'une « discussion serrée », les inspecteurs ont pu contrôler toute la documentation.

Le grief formulé sous a) est fondé. Nous n'approfondirons pas la question qui a pour objet le droit des inspecteurs d'accéder au local des archives. En effet, elle a été résolue par la décision du 22 juin 1981 à laquelle la société Krupp s'est pliée, quoique avec réticence. En revanche, nous soulignons les admissions de la défenderesse au cours de l'affaire. Elle reconnaît aux entreprises le droit de demander une décision qui définisse le contenu et les limites de ses pouvoirs d'inspection (droit que vous avez du reste vous-mêmes considéré comme existant dans l'arrêt du 4 avril 1960 (affaire 31/59, Acciaierie e Tubificio di Brescia/Haute Autorité, Rec. VI, partie 1, p. 151). Elle déclare également que les événements qui l'ont incitée à adopter la décision du 22 juin 1981 ne constituent pas l'objet de la décision du 13 juillet 1983. Cela suffit, nous semble-t-il, pour conclure que cette dernière doit être annulée dans la mesure où elle reproche à la société Krupp d'avoir entravé les investigations (article 1er) en interdisant aux inspecteurs l'« accès aux locaux où étaient conservés les documents » et en obligeant la Commission à « prendre une décision individuelle ».

En revanche, le grief formulé sous b) est dénué de fondement. Selon la société Krupp, dans la seconde phase de l'inspection, tout s'est passé normalement, tant il est vrai que la Commission a pu constater l'existence d'une comptabilité parallèle. Mais cette affirmation ne correspond pas à la réalité. Comme nous l'avons appris au cours de l'audience, les inspecteurs qui devaient entrer en possession de la documentation relative aux rabais ont rencontré des difficultés; ne serait-ce que parce qu'elle était gardée dans des locaux particuliers et, dans le cas de certaines écritures, même dans les lieux différents du siège de l'entreprise. Or, c'est un principe général que les accords doivent être exécutés de bonne foi: il s'ensuit que l'obligation de produire la comptabilité relative aux rabais ne peut être considérée comme remplie que par la remise immédiate et spontanée des documents entre les mains des inspecteurs; et puisqu'il n'en pas été ainsi dans notre cas, on doit estimer que la société Krupp a transgressé l'accord qui a établi cette obligation. D'ailleurs, la requérante elle-même a affirmé que les inspecteurs n'ont été en possession des documents qu'après une « discussion serrée » et cette reconnaissance accrédite l'accusation qui lui est adressée d'avoir entravé l'activité de contrôle en violation de l'article 47 du traité CECA et de la décision no 14/64.

4.

Par le dernier moyen (abus de pouvoir dans la détermination de l'amende), la requérante dénonce quatre défauts: 1) le caractère erroné du critère choisi pour déterminer la sanction; 2) l'absence d'appréciation ou la fausse appréciation de la gravité des infractions; 3) le défaut d'indication du critère de répartition de l'amende; 4) le montant disproportionné de cette dernière.

Dans le présent paragraphe, nous nous occuperons du premier et du troisième manquement, tandis que nous traiterons des deux autres griefs à propos de la demande de réduction de l'amende.

Le premier grief concerne donc la méthode que la défenderesse a suivie dans la détermination de l'amende. Nous rappelons que la mesure fixe cette dernière à 0,1 % du chiffre d'affaires que la société Krupp a réalisé durant l'année 1981 avec les produits soumis au traité CECA. De l'avis de la requérante, cette méthode est erronée parce que: a) en général, le chiffre d'affaires est un critère impropre pour constater la situation financière d'une entreprise; b) en particulier, et compte tenu des fluctuations auxquelles est soumis le marché de l'acier, le chiffre de 1981 n'est pas de nature à représenter la situation de la société Krupp; c) même en considérant comme satisfaisante la méthode employée par la Commission, le calcul devait être effectué sur la base du chiffre relatif à la valeur des transactions qui ont fait l'objet du contrôle; d) le pourcentage de 0,1 % est arbitraire.

Mais aucune de ces remarques ne résiste à un examen quelque peu approfondi. Quant à a), nous constatons que le critère du volume d'affaires annuel est adopté par l'article 47 du traité. Sous b), nous relevons que, pour apprécier la situation financière de la société Krupp aux fins de l'amende, la référence au volume d'affaires de 1981 semble correcte: en effet, c'est au cours de cette année-là que l'inspection a eu lieu et la première moitié de cette année fait partie de la période sur laquelle a porté le contrôle des inspecteurs. En ce qui concerne c), nous estimons que, en parlant du « volume d'affaire annuel », l'article 47 se réfère à l'ensemble des produits auxquels s'applique le traité; en effet, comme on le sait, lorsque ce dernier veut que l'on adopte une autre méthode de calcul, pour la détermination d'une amende, il le dit expressément (voir les articles 54, alinéa 6, 58, paragraphe 4, 59, paragraphe 7, 64 et 65, paragraphe 5). Enfin, quant à d), nous nous limitons à observer que le choix d'une valeur en pourcentage n'est pas du tout arbitraire. Le même article 47 se sert de ce critère pour indiquer le montant maximal de la sanction.

Le troisième grief accuse la mesure attaquée de ne pas avoir dûment tenu compte de la pluralité des infractions reprochées à la société Krupp. En d'autres termes, la Commission aurait dû, pour chaque infraction, indiquer la part de l'amende qui s'y réfère; et puisqu'elle ne l'a pas fait, elle s'est soustraite au contrôle de la Cour sur le pouvoir discrétionnaire que le traité lui confie. Mais ce grief également ne tient pas. L'article 47 ne fait aucune obligation à la Commission de rapporter une peine spécifique à chaque infraction. Dire ensuite qu'elle s'est soustraite au contrôle de la Cour n'a pas de sens. En effet, comme nous le savons tous, en matière de sanctions pécuniaires, la Cour jouit d'une pleine juridiction.

5.

Nous avons rappelé, au début, que la requérante demande à titre subsidiaire la réduction de l'amende qui lui a été infligée. A l'appui de cette demande, elle avance deux arguments. Par le premier, elle soutient que la décision ne précise pas la gravité des griefs, surtout quant à leurs conséquences économiques; par le second, elle critique la disproportion de l'amende par rapport aux infractions qui lui sont reprochées. La Commission réplique: a) que pour infliger les amendes visées à l'article 47 du traité, il n'est pas nécessaire d'apprécier les conséquences économiques des infractions; b) que l'amende est proportionnée. En effet, dans la mesure où elle rend illusoires les contrôles comptables, la tenue d'une comptabilité secrète constitue une infraction d'une extrême gravité. Elle mérite donc une condamnation exemplaire. Cette dernière est justifiée également par l'effet de dissuasion qui en découlera pour des entreprises sidérurgiques dans la phase actuelle de la crise de ce secteur.

A la lumière des considérations que nous avons développées dans le paragraphe 3, cette argumentation ne nous semble pas acceptable. Parmi les deux griefs que la Commission adresse à la société Krupp — avoir tenu une comptabilité secrète visant à camoufler des rabais confidentiels et avoir fait obstacle à l'activité de ses inspecteurs dans les deux phases où elle s'est exercée — nous estimons que le premier n'est pas fondé et que le second est lui aussi dépourvu de fondement pour ce qui a trait à la phase initiale de l'inspection. Dans ces circonstances, une réduction de l'amende nous paraît justifiée. Nous estimons toutefois que son montant doit rester substantiel. En effet, ne pas avoir remis immédiatement et spontanément aux inspecteurs la documentation comptable constitue une infraction sérieuse; surtout si l'on tient compte du fait que l'obligation qui s'y rapporte s'insère dans un accord dont l'effet le plus important est largement favorable aux entreprises, puisqu'il s'agit d'une dérogation importante (quoique transitoire) à la réglementation des prix prévue par le traité.

6.

Pour toutes les raisons exposées jusqu'ici, nous proposons que, en déclarant partiellement recevable le recours présenté le 26 août 1983 par la société Krupp Stahl AG contre la Commission des Communautés européennes, la Cour: a) annule la décision du 13 juillet 1983 uniquement dans la mesure où elle reproche à la requérante d'avoir tenu une comptabilité secrète pour camoufler des rabais confidentiels et d'avoir entravé les opérations de contrôle dans la première phase de l'inspection: b) réduise l'amende à la moitié de son montant.

Quant aux dépens, nous suggérons qu'ils soient compensés entre les parties, en vertu de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure.


( *1 ) Traduit de l'italien.