Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 janvier et 4 mai 2023,
Mme A B demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'Union des Groupements d'Achats Publics (UGAP) a refusé de lui communiquer l'ensemble des documents relatifs aux marchés de prestations intellectuelles hors informatiques et informatiques commercialisées sous forme d'unités d'œuvre ;
2°) d'enjoindre à l'UGAP de lui communiquer l'ensemble des documents sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard.
Mme B soutient que :
- les documents demandés sont communicables ; la position de l'UGAP ne rend pas impossible la communication des documents restants ; le prix unitaire des unités d'œuvre n'a jamais été demandé ;
- la demande de communication n'est pas abusive ; elle est restreinte à un nombre limité de documents liés à deux accords-cadres de conseil ; l'UGAP peut produire des extractions avec les informations supplémentaires demandées portant sur l'attributaire des marchés, le nom des clients et le montant global de la prestation, ainsi que les noms des clients et attributaires quant aux évaluations.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 avril et 28 septembre 2023, l'Union des Groupements d'Achats Publics (UGAP), représentée par la SELARL Symchowicz-Weissberg et Associés, conclut au rejet de la requête.
L'UGAP fait valoir que :
- plusieurs séries de documents ont déjà été communiquées à la requérante ; les seules demandes auxquelles elle s'est opposée portent sur la communication des noms des clients publics bénéficiaires des prestations, sur la communication d'informations relatives aux évaluations des prestations qui permettraient de faire le lien entre la prestation, le bénéficiaire et le prestataire, et sur le prix des commandes passées (prix par unité d'œuvre et prix global de la commande) ; notamment le nombre global des bons de commande émis sur la période de janvier 2019 à
août 2022 lui a été communiqué ; enfin, concernant la demande de communication de ses échanges avec les prestataires, ces derniers se limitent à l'échange d'informations et documents via la plateforme prévue à cet effet ;
- l'identité des acheteurs publics et le lien avec les commandes passées sont couverts par le secret des affaires :
* d'une part, elle exerce une activité économique et commerciale sur un marché concurrentiel et en tant que telles, les informations relatives à sa clientèle sont couvertes par le secret des affaires ; la communication de son fichier client aboutirait à rendre publics des choix stratégiques ainsi que des informations sur son positionnement sur le marché de plus en plus concurrentiel de la mutualisation des achats sur lequel elle intervient ;
* d'autre part, les titulaires des accords-cadres sont des opérateurs économiques qui interviennent sur un marché économique très concurrentiel ; la communication de l'identité des acheteurs publics reviendrait à rendre publiques des informations sur la stratégie commerciale et les forces de ces opérateurs économiques ;
* enfin, d'autres secrets protégés par la loi font obstacle à ce qu'il lui soit enjoint de communiquer ces informations ; elle ne peut pas divulguer l'identité des bénéficiaires ni même aucun document qui permettrait d'établir le lien entre le bénéficiaire et la prestation commandée qui constituent des informations sur les pratiques de ses propres clients ; seules les personnes publiques concernées peuvent prendre cette responsabilité ;
- l'identité des prestataires associés aux évaluations est également couverte par le secret des affaires ; une telle communication reviendrait à rendre publiques les évaluations portées sur les prestations réalisées par les titulaires des deux accords-cadres, soit des informations qui sont susceptibles d'intéresser tous les opérateurs concurrents ;
- le secret des affaires s'oppose enfin à la communication des prix unitaires et du prix global figurant sur les bons de commande qui constituent des informations relatives à la stratégie commerciale des opérateurs économiques, de nature à perturber le fonctionnement normal du marché voire des futures mises en concurrence qui seraient organisées par elle pour ce même type de prestations ; par ailleurs, certaines commandes portent sur une seule unité d'œuvre de sorte que communiquer le prix de la commande reviendrait à communiquer le prix de l'unité d'œuvre ; en tout état de cause, même la communication du prix de chaque commande permettrait aux concurrents sur la base du prix global, de la nature et du nombre d'unités d'œuvre commandées, de reconstituer les prix pratiqués par les titulaires des accords-cadres ;
- la qualité de journaliste de la requérante doit être prise en considération et la finalité naturelle de la demande formulée par celle-ci lorsqu'il s'agit de se prononcer sur le caractère communicable d'informations détenues, en masse, et qui pour une grande partie ne la concernent pas ;
- le volume des documents demandés, soit 10 290 bons de commande, est très important et nécessite un travail lourd de ses services, notamment en termes d'occultation des mentions couvertes par le secret des affaires, incompatible avec le fonctionnement du service, rendant la demande abusive.
Les parties ont été informées, par un courrier du 20 juin 2024, en application des dispositions de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre le refus de communication du nombre global des bons de commande dès lors, d'une part, qu'il s'agit d'une demande de communication d'information et non d'une demande de communication de document administratif, d'autre part, qu'une telle demande n'entrait pas dans le champ de la saisine de la CADA, et qu'enfin, Mme B a reçu communication du nombre global des bons de commandes émis en exécution de deux accords-cadres en litige.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Avirvarei, conseillère ;
- les conclusions de Mme Leboeuf, rapporteure publique ;
- les observations de Me Rosso, représentant de l'Union des Groupements d'Achats Publics.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B, journaliste au journal " Le Monde ", a demandé à l'Union des Groupements d'Achats Publics (UGAP ci-après) la communication de l'ensemble des documents liés à deux accords-cadres multi-attributaires portant sur des prestations intellectuelles commercialisées sous forme d'unités d'œuvre relatifs aux missions de conseil exercées par des cabinets privés pour le compte des institutions publiques, qu'elle a transmis entre le
25 novembre 2021 et le 2 février 2022 à la commission d'enquête sénatoriale. Le 21 février 2022, l'UGAP lui a communiqué les cahiers des clauses particulières des deux accords-cadres, les CV anonymes des chargés d'affaires, les échanges avec les candidats, les annexes à l'acte d'engagement pour chacune des deux procédures ainsi que les réponses aux questions de la commission d'enquête sénatoriale - soit l'état récapitulatif des commandes et montants, les recours à la sous-traitance, le code de conduite anticorruption, le dispositif de conformité et déontologie, les garanties de confidentialité, la procédure pour évaluer les prestations de conseil et le formulaire type d'évaluation des prestations.
2. Par un courrier électronique du même jour, Mme B a demandé à l'UGAP la communication des documents relatifs à l'appel d'offres, la correspondance entre l'UGAP et les candidats relative à l'appel d'offres, les documents relatifs à l'attribution des marchés, notamment l'accord-cadre, l'offre d'engagement ou l'acte d'engagement, les bons de commande et tout autre document contractuel établi entre les cabinets attributaires et l'UGAP, la fiche d'évaluation ou tout autre document assimilé, les " livrables " produits par les cabinets attributaires et la correspondance entre chaque institution et les cabinets attributaires relative à l'évaluation des missions de conseil. En l'absence de réponse à cette demande, Mme B a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 3 mai 2022, laquelle a émis, le 12 mai suivant, un avis favorable à la communication des documents sollicités sous diverses réserves tenant au secret des affaires. Le 12 juin 2022, l'UGAP a communiqué à Mme B une partie des documents concernés à savoir plus précisément le rapport de présentation, les actes d'engagement, les avis de publicité et d'attribution des marchés, les questions et réponses avec les candidats lors de la procédure de passation, le nombre global de bons de commande et un bon de commande type et a renvoyé pour le reste aux documents déjà communiqués le 21 février 2022.
3. Par un courrier électronique du 19 août 2022, Mme B a sollicité la communication des documents manquants à savoir le nombre global de bons de commande par marché dès lors qu'il ne lui avait pas été communiqué le 12 juin 2022, les bons de commande avec l'identité du client ou une liste des bons de commande avec les informations principales - date, client, attributaire, intitulé de la mission et unités d'œuvre utilisées, les fiches d'évaluation complétées par les clients, la compilation des résultats des prestations commandées à la commission d'enquête du Sénat qui n'était pas parmi les documents transmis le 21 février 2022 et enfin les correspondances entre l'UGAP et les cabinets attributaires relatives à l'évaluation des missions. Le 15 septembre 2022, l'UGAP lui a communiqué le nombre global de bons de commande des marchés au titre de l'année 2020 mais a refusé de lui communiquer les autres documents et informations. Mme B a alors saisi une deuxième fois la CADA le
20 septembre 2022, laquelle a émis, le 3 novembre 2022, un nouvel avis favorable à la communication des documents manquants sous la même réserve tenant au secret des affaires, sauf en ce qui concerne les documents transmis à la commission d'enquête sénatoriale dont elle a précisé qu'ils étaient exclus du champ des documents communicables en vertu des dispositions du code des relations entre le public et l'administration.
4. Le silence gardé par l'UGAP pendant le délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la demande de Mme B par la CADA a fait naître une décision implicite de refus le 20 novembre 2022. Cependant par un courrier du 16 décembre 2022, l'UGAP a communiqué à Mme B les demandes de complément des attributaires, les demandes de régularisation de l'ensemble des offres, la liste des bons de commande comportant notamment les unités d'œuvre commandées et les formulaires d'évaluation. Par un courriel du 23 décembre 2022, l'UGAP lui a également communiqué des tableaux récapitulatifs relatifs aux bons de commande et aux évaluations. Par la présente requête, Mme B doit être regardée comme demandant au tribunal l'annulation de la décision de refus de communication des documents, révélée par le courrier du 16 décembre 2022, complété par le courriel du 23 décembre 2022, à savoir plus précisément le nombre global des bons de commande pour les années 2018, 2019, 2021 et 2022, les bons de commande comportant la date, le nom des clients, des bénéficiaires et le prix global des prestations ou la liste des bons de commande avec les informations principales (date, client, attributaire, intitulé de la mission, unités d'œuvres utilisées), les fiches d'évaluation complétées par les clients de l'UGAP et les communications entre l'UGAP et les prestataires relatives à l'évaluation de leurs missions.
Sur la recevabilité des conclusions tendant à la communication du nombre global des bons de commande :
5. Mme B sollicite, ainsi qu'il a été dit précédemment, la communication du nombre global des bons de commande passés au titre des deux accords-cadres portant sur des prestations intellectuelles commercialisées sous forme d'unités d'œuvre relatifs aux missions de conseil exercées par des cabinets privés dès lors que le nombre global ne lui a été transmis que pour l'année 2020.
6. Aux termes de l'article
L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles
L. 311-5 et
L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article
L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article
L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Aux termes de l'article
L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article
L. 300-2 est soumise à la concurrence () ".
7. D'une part, les articles
L. 311-1 à
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration consacrent un droit à la communication des documents administratifs qui ne se confond pas avec un droit d'accès aux informations contenues dans ces documents. Par ailleurs, constituent des documents administratifs au sens des mêmes dispositions les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l'administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable.
8. En l'espèce, si la liste des bons de commande demandée par Mme B constitue bien un document administratif, le nombre de bons de commande est, quant à lui, une simple donnée qui n'est pas communicable en application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration.
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis de la CADA du 3 novembre 2022, que si l'intéressée a demandé la communication des bons de commande relatifs aux missions des cabinets privés ou une liste des bons de commande, tel n'est pas le cas du nombre des bons de commande.
10. Enfin, et à supposer même que le nombre des bons de commande constituerait, en tant que tel, un document administratif, il ressort des pièces du dossier que le 23 décembre 2022, soit antérieurement à l'introduction de la requête, l'UGAP a transmis à Mme B un tableau récapitulatif comportant les unités d'œuvre commandées de janvier 2019 à août 2022 pour chaque marché avec le numéro de commande, soit un total de 10 290 numéros uniques. L'UGAP soutient sans être contredite que la liste communiquée avec les 10 290 unités correspond au nombre global des bons de commande émis au titre des accords-cadres concernés par le présent litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par Mme B tendant à l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elles portent refus de communiquer le nombre global des bons de commande sont irrecevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
12. Mme B sollicite la communication des bons de commande comportant la date, le nom des clients, des bénéficiaires et le prix global des prestations, ou la liste des bons de commande comportant les principales informations à savoir : date, nom du client, nom de l'attributaire, intitulé de mission et unité d'œuvre, les fiches d'évaluation ainsi que les communications entre l'UGAP et les prestataires relatives à l'évaluation de leurs missions. Elle soutient que ces documents constituent des documents communicables au sens des dispositions du code des relations entre le public et l'administration. Mme B doit donc être regardée comme critiquant le motif de refus partiel de communication opposé par l'UGAP tenant à la protection du secret des affaires.
En ce qui concerne la communication des bons de commande :
Quant au secret des affaires :
13. D'une part, aux termes de l'article L. 151-1 du code du commerce : " Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; / 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ".
14. Un document ne relève du secret des affaires qu'à la condition de répondre à la définition prévue à l'article
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 6 du présent jugement et de satisfaire aux conditions posées à l'article L. 151-1 du code du commerce.
15. D'autre part, les marchés et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions du code des relations entre le public et l'administration. Saisi d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient au juge du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
16. Si l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et qu'il est susceptible, ainsi, de porter atteinte au secret commercial, n'est quant à lui, en principe, pas communicable.
17. Enfin, lorsque l'administration exerce une activité de service public soumise à la concurrence, les documents produits ou reçus par celle-ci dans le cadre de ses missions sont communicables sous réserve du respect du secret des affaires. La circonstance qu'une entreprise exerce son activité sur un marché en situation de monopole ou de quasi-monopole n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce que le secret des affaires soit opposé à une demande de communication de documents administratifs relatifs à cette activité.
18. En premier lieu, l'UGAP invoque la protection du secret de ses affaires en ce qui concerne l'identité des clients publics, d'une part, en tant qu'opérateur économique sur le marché des centrales d'achat. Elle soutient qu'en tant qu'établissement public industriel et commercial, elle exerce une activité économique dans un secteur de plus en plus concurrentiel et qu'à ce titre les informations relatives à son fonctionnement, à ses pratiques commerciales et à sa clientèle sont couvertes par le secret des affaires.
19. Aux termes de l'article
L. 2113-2 du code de la commande publique : " Une centrale d'achat est un acheteur qui a pour objet d'exercer de façon permanente, au bénéfice des acheteurs, l'une au moins des activités d'achat centralisées suivantes : / 1° L'acquisition de fournitures ou de services ; / 2° La passation des marchés de travaux, de fournitures ou de service ". La centrale d'achat est elle-même soumise au code de la commande publique. Aux termes de l'article
L. 2113-4 de ce code : " L'acheteur qui recourt à une centrale d'achat pour la réalisation de travaux ou l'acquisition de fournitures ou de services est considéré comme ayant respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence pour les seules opérations de passation et d'exécution qu'il lui a confiées ".
20. Il résulte de ces dispositions qu'une centrale d'achat est elle-même un acheteur, soit un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice en vertu de l'article
L. 1210-1 du code de la commande publique. En application des articles
L. 1211-1 et
L. 1212-1 du code de la commande publique, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sont soit des personnes morales de droit public, soit des personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, soit des organismes de droit privé constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun, soit des entreprises publiques exerçant des activités d'opérateur de réseaux.
21. L'UGAP est une centrale d'achat au sens du code de la commande publique qui remplit une mission de service public consistant à centraliser les achats et commandes des personnes publiques et des personnes privées investies d'une mission de service public dans les meilleures conditions de coût et de qualité, à prodiguer à ces personnes et organismes l'assistance technique dont ils peuvent avoir besoin en matière d'équipement et d'approvisionnement et à apporter son concours à des exportations d'intérêt général.
22. Si, ainsi que l'UGAP le soutient, un fichier client relève de la stratégie commerciale d'un opérateur économique, ayant une valeur marchande par lui-même, et en admettant même que la mission de service public exercée par l'UGAP en tant que centrale d'achat puisse être regardée comme soumise à la concurrence au sens de l'article
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, cette concurrence s'exerce exclusivement entre des centrales d'achat qui
sont-elles mêmes des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices au sens du même code, constituées dans le but d'intérêt général de la mutualisation de l'achat public et non en vue de la réalisation et le partage de bénéfices. Dans ces conditions, la communication des bons de commande comportant notamment l'identité des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices au bénéfice desquels ils ont été émis et des titulaires des accords-cadres destinataires n'affecte pas la concurrence entre les opérateurs économiques, quand bien même lesdits pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices correspondraient à une part importante de l'ensemble de ceux ayant recours à l'UGAP.
23. D'autre part, l'UGAP invoque la protection du secret des affaires de ses prestataires qui s'opposerait à la divulgation du nom de leurs clients publics. Toutefois d'une part, le client des cabinets privés est l'UGAP elle-même et non les personnes publiques ayant recourt à cette dernière, d'autre part, les bénéficiaires ne représentent que la part des clients publics qui y ont recourt effectivement, enfin, et ainsi qu'il a été dit au point 16 du présent jugement, l'identité des bénéficiaires des prestations fournies par les opérateurs économiques ayant passé des marchés avec l'UGAP s'apparente à une information contenue dans un acte d'engagement qui est en principe communicable.
24. Il résulte de ce qui précède que l'occultation des noms des clients publics sur les bons de commande n'est pas justifiée par la protection du secret des affaires.
25. En second lieu, s'agissant du prix des bons de commande, l'UGAP soutient que le secret des affaires s'oppose tant à la communication des prix unitaires que du prix global y figurant dès lors que ces informations permettraient, directement ou indirectement, de reconstituer les prix pratiqués par les titulaires des accords-cadres, de divulguer des informations relatives à leur stratégie commerciale et de perturber le fonctionnement normal du marché voire des futures mises en concurrence qui seraient organisées pour ce même type de prestation.
26. Or, ainsi qu'il a été dit précédemment, si le prix global de l'offre est en principe communicable, l'offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif ne sont pas communicables aux tiers. Ainsi les bons de commande et autres pièces établies dans le cadre de l'exécution d'un marché public ne sont communicables qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi de refléter la stratégie commerciale d'une entreprise opérant dans un secteur d'activité déterminé.
27. Il s'ensuit qu'en l'espèce seul le prix global des prestations sans décomposition du prix forfaitaire et sans indication du nombre d'unités d'œuvre commandées est communicable. Dans ces conditions, le refus de l'UGAP de transmettre les bons de commande après occultation des seuls prix unitaires et du nombre d'unités d'œuvre n'est pas davantage justifié par la protection du secret des affaires.
28. Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle refuse la communication des bons de commande comportant l'identité des clients publics et le prix global des prestations ne comportant pas une seule unité d'œuvre pour le motif tiré de la violation du secret des affaires. Il y a donc lieu d'examiner les autres motifs avancés par l'UGAP dans la présente instance qui seraient susceptibles, selon cette dernière, de justifier la décision attaquée.
Quant aux autres secrets protégés par la loi :
29. L'UGAP soutient ensuite dans la présente instance que d'autres secrets protégés par la loi, notamment la défense nationale, sont susceptibles de faire obstacle à la communication des informations relatives aux clients publics sur les bons de commande dès lors qu'elle ignore la destination des commandes et que ses clients publics seuls doivent décider ou non de les divulguer.
30. Toutefois, en l'espèce, l'UGAP se borne à une contestation de pur principe sans développer d'argumentaire précis sur ce point, alors même qu'elle produit un avis de la CADA du 11 mai 2023 ayant retenu qu'il lui incombait, si elle se considérait insuffisamment informée, de solliciter les auteurs des bons de commande concernés pour s'assurer d'éventuels secrets auxquels leur communication était susceptible de porter atteinte.
31. Par ailleurs, en ce qui concerne tout particulièrement le secret de la défense nationale, aux termes de l'article
R. 2311-4 du code de la défense : " Les informations et supports classifiés portent la mention de leur niveau de classification ainsi que, le cas échéant, de la classification spéciale dont ils font l'objet () ". De même aux termes de l'article
R. 2311-7 du même code : " Sauf exceptions prévues par la loi, nul n'est qualifié pour connaître d'informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation () ". En application de ces dispositions, les éventuels documents litigieux concernés par cette protection sont facilement identifiables par l'UGAP qui a dû en réserver l'accès à des agents habilités et donc par principe non communicables.
32. Il s'ensuit que le motif invoqué par l'UGAP tiré de ce que d'autres secrets protégés par la loi feraient obstacle à la communication des bons de commande ne peut pas justifier légalement la décision attaquée.
Quant au caractère abusif de la demande :
33. L'UGAP soutient ensuite que le traitement de la demande de Mme B ferait peser sur ses services une charge disproportionnée eu égard aux moyens dont elle dispose.
34. Aux termes du dernier alinéa de l'article
L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration : " () / L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ".
35. Il résulte de cette disposition que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le fonctionnement du service public ou qui aurait pour effet de faire peser sur lui une charge disproportionnée au regard des moyens dont il dispose. Lorsque les documents demandés comportent de nombreuses mentions couvertes par un secret protégé par la loi, l'administration peut légalement refuser d'y procéder et de transmettre ces documents dès lors que leur occultation entraînerait pour elle une charge excessive eu égard aux moyens dont elle dispose et à l'intérêt que présenterait cette opération pour le demandeur et pour le public.
36. La personne qui demande la communication de documents administratifs sur le fondement des dispositions du code des relations entre le public et l'administration n'a pas à justifier de son intérêt à ce que ceux-ci lui soient communiqués. En revanche, lorsque l'administration fait valoir que la communication des documents sollicités, en raison notamment des opérations matérielles qu'elle impliquerait, ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si cette charge est effectivement excessive, l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.
37. En l'espèce l'UGAP relève que pour permettre la communication de 10 290 bons de commande émis pour un total de 22 841 unités d'œuvres commandées dans le respect du secret des affaires, il faudrait, sur chacun des bons de commande, occulter au moins trois informations correspondant à 515 heures soit, pour un même agent, 15 semaines de travail. Si, ainsi qu'il a été dit précédemment, seuls les prix unitaires et le nombre d'unités d'œuvre doivent être occultés, le travail d'occultation reste important au regard du nombre de bons de commande concernés et donc de nature à perturber le bon fonctionnement des services de l'UGAP ou faire peser sur eux une charge disproportionnée au regard des moyens dont celle-ci dispose.
38. Il s'ensuit que le motif tiré de ce que la demande de Mme B tendant à la communication de l'ensemble des bons de commande présentait un caractère abusif est susceptible de fonder légalement le refus de communication qui lui a été opposé à cet égard. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'UGAP aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à cette substitution de motif qui ne prive Mme B d'aucune garantie procédurale.
39. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte refus de lui communiquer les bons de commandes.
En ce qui concerne la communication de la liste des bons de commande :
Quant au secret des affaires :
40. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 13 à 27 du présent jugement, la décision attaquée est également entachée d'erreur de droit en ce qu'elle refuse la communication d'une liste des bons de commande comportant l'identité des clients publics. Il y a donc lieu d'examiner les autres motifs avancés par l'UGAP, dans la présente instance, qui pourraient justifier la décision attaquée.
Quant aux autres secrets protégés par la loi :
41. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 29 à 31 du présent jugement, le motif invoqué par l'UGAP tiré de ce que d'autres secrets protégés par la loi feraient obstacle à la communication du même document administratif ne peut pas justifier davantage légalement la décision attaquée.
Quant au caractère abusif de la demande :
42. Si, ainsi qu'il a été dit au point 37 du présent jugement, la demande de Mme B tendant à la communication des 10 290 bons de commande revêt un caractère abusif, tel n'est pas le cas pour la communication, par extraction d'une base de données, de la liste des bons de commande comportant les mêmes informations que celles figurant sur les bons de commande, à l'exception, du prix global des prestations qui n'a pas été demandé par l'intéressée en ce qui concerne ce document.
43. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte refus de lui communiquer la liste des bons de commande.
En ce qui concerne la communication des fiches d'évaluation :
Quant au secret des affaires :
44. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 13 à 27 du présent jugement, les fiches d'évaluation comportant les noms des bénéficiaires et des prestataires concernés ne sont pas couvertes par le secret des affaires. Par ailleurs, si la communication des fiches reviendrait à rendre publiques les évaluations des prestations réalisées par les entreprises titulaires des deux accords-cadres concernés, cette information n'est pas davantage couverte par le secret des affaires dès lors qu'elle ne révèle pas en soi la stratégie commerciale de l'opérateur économique ni ne revêt une valeur commerciale.
45. Il s'ensuit que la décision attaquée est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle refuse la communication des fiches d'évaluation comportant l'identité des prestataires et des bénéficiaires. Ainsi, il y a lieu d'examiner les autres motifs invoqués par l'UGAP, dans la présente instance, de nature à justifier la décision attaquée.
Quant aux autres secrets protégés par la loi :
46. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 29 à 31 du présent jugement, le motif invoqué par l'UGAP tiré de ce que d'autres secrets protégés par la loi feraient obstacle à la communication des fiches d'évaluation ne peut pas justifier la décision attaquée.
Quant au caractère abusif de la demande :
47. Contrairement à ce que l'UGAP fait valoir, la demande de Mme B tendant à la communication des fiches d'évaluation ne fait pas peser sur elle une charge disproportionnée au regard de ses moyens dès lors que seulement 244 prestations ont fait l'objet d'une évaluation sur 10 290 commandes et que cette communication ne nécessite aucun travail d'occultation. Par ailleurs, quelle que soit l'utilité ou leur caractère représentatif, l'UGAP n'établit ni n'allègue d'ailleurs, que les fiches d'évaluation mentionnent les prix unitaires et le nombre d'unités d'œuvre commandées, informations couvertes quant à elles par le secret des affaires. Dans ces conditions, la demande de communication des fiches d'évaluation comportant l'identité des prestataires et des bénéficiaires ne revêt pas un caractère abusif.
48. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte refus de lui communiquer les fiches d'évaluation.
En ce qui concerne la communication des correspondances entre l'UGAP et les prestataires relatives à l'évaluation de leurs missions :
49. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas contesté par Mme B, que les échanges entre l'UGAP et les prestataires portent sur d'autres documents que les bons de commande. Dans ces conditions, Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte refus de lui communiquer les correspondances entre l'UGAP et les différents prestataires relatives à l'évaluation de leurs missions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
50. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que l'UGAP communique à Mme B la liste des bons de commande comportant les dates, nom du client, nom de l'attributaire, intitulé de mission et unité d'œuvre, et les fiches d'évaluation comportant l'identité des prestataires et des bénéficiaires. Par suite et en application de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à cette communication dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision révélée par le courrier du 16 décembre 2022 et le courriel du
23 décembre 2022 en tant qu'elle porte refus de communication de la liste des bons de commande comportant les dates, nom du client, nom de l'attributaire, intitulé de mission et unité d'œuvre et refus de communication des fiches d'évaluation comportant l'identité des prestataires et des bénéficiaires, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à l'Union des Groupements d'Achats Publics de communiquer à Mme B ces documents administratifs dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et à l'Union des Groupements d'Achats Publics.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Stéphanie Ghaleh-Marzban, présidente,
Mme Andreea Avirvarei, conseillère,
Mme Jeanne Darracq-Ghitalla-Ciock, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La rapporteure,
A. Avirvarei
La présidente,
S. Ghaleh-MarzbanLa greffière,
A. Starzynski
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,