COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT
DU 24 MAI 2018
N° 2018/ 209
Rôle N° N° RG 17/14130 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BA6MV
Emmanuelle X... épouse Y...
Stéphane Y...
C/
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DÉVELOPPEMENT - CIFD
Grosse délivrée
le :
à : Me Sandra Z...
Me Agnès B...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 29 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 14/06774.
APPELANTS
Madame Emmanuelle X... épouse Y...,
Demeurant [...]
représentée par, Me Sandra Z... de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD Z..., avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et assistée de
Me Cécile A... de la SCP GOBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE avocat au barreau de MARSEILLE.
Monsieur Stéphane Y...,
Demeurant [...]
représenté par Me Sandra Z... de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD Z..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assisté de
Me Cécile A... de la SCP GOBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE avocat au barreau de MARSEILLE.
INTIMEE
SA Crédit Immobilier de France Développement - CIFD venant aux droits de la S.A. Banque Patrimoine et Immobilier - B.P.I., prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est [...]
représentée par Me Agnès B... de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 27 Mars 2018 en audience publique. Conformément à l'article
785 du code de procédure civile, Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Monsieur Dominique PONSOT, Président
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller
Madame Isabelle DEMARBAIX, Vice-président placé auprès du Premier Président
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2018,
Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
Vu l'ordonnance du tribunal de grande instance de Marseille du 29 juin 2017 ayant, notamment :
- déclaré recevable l'intervention volontaire de la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits et obligations de la SA Banque Patrimoine et Immobilier,
- prononcé la jonction des instances n° 10/7295 et n° 14/6774,
- rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y...,
- rejeté la demande de provision formée par la SA Crédit Immobilier de France Développement,
- rejeté la demande de communication de pièces formée par la SA Crédit Immobilier de France Développement,
- condamné in solidum M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y... à verser à la SA Crédit Immobilier de France Développement la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande formée par M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y... sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- renvoyé la cause et les parties à l'audience du jeudi 21 décembre 2017 à 9h00,
- enjoint à M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y... de conclure au fond pour cette date,
- condamné in solidum M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y... aux dépens de l'incident ;
Vu la déclaration du 21 juillet 2017, par laquelle M. Stéphane Y... et MmeEmmanuelle X... épouse Y... ont relevé appel de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 19 février 2018, aux termes desquelles M.Stéphane Y... et Mme Emmanuelle X... épouse Y... demandent à la cour de:
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle rejette la demande de sursis à statuer sur l'assignation de la banque,
Vu les articles
101,
105,
775 du code de procédure civile,
Vu les articles
30 alinéa
2 du code de procédure civile et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
Vu l'article
4 du code de procédure pénale, l'article
30 du code civil,
Vu les articles
4 du code civil et
L 141-1 du code de l'organisation judiciaire,
- ordonner le sursis à statuer sur l'assignation du Crédit Immobilier de France Développement, venant aux droits de la Banque Patrimoine et Immobilier, jusqu'à ce qu'une décision définitive et irrévocable soit rendue sur leur plainte actuellement en cours d'instruction devant le tribunal de grande instance de Marseille,
Vu l'article
771 du code de procédure civile,
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle déboute le Crédit Immobilier de France Développement de sa demande de provision,
- débouter le Crédit Immobilier de France Développement de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner le Crédit Immobilier de France Développement à leur payer une somme de 2.000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner le Crédit Immobilier de France Développement aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 6 mars 2018, aux termes desquelles la SA Crédit Immobilier de France Développement, venant aux droits de la SA Banque Patrimoine et Immobilier, demande à la cour de :
Vu les articles 4 et suivants du code de procédure pénale,
Vu les articles 101 et suivants,
367,
700 et
771 du code de procédure civile,
Vu les pièces produites au débat,
Vu la jurisprudence,
- confirmer l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a rejeté la condamnation des époux Y... au paiement d'une provision entre ses mains,
- débouter les époux Y... de leur demande de sursis à statuer,
- condamner les époux Y... au paiement provisionnel de la somme de 948,08 euros tous les 10 de chaque mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- débouter les époux Y... de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
- condamner les époux Y... au paiement de la somme de 3.000 euros par application de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner les époux Y... aux entiers dépens ;
SUR CE, LA COUR,
Attendu que les époux Y... ont acquis par l'intermédiaire de la SAS Apollonia ou de personnes en lien avec elle des biens immobiliers financés par des prêts souscrits auprès de différentes banques ; que ces ventes et prêts ont fait l'objet d'actes notariés;
Que contestant les conditions dans lesquelles les différents contrats ont été souscrits et matérialisés, ils ont introduit, selon acte d'huissier en date du 26 mai 2010, une action en responsabilité des différents intervenants devant le tribunal de grande instance de Marseille;
Que par ordonnance du 16 juin 2011, le juge de la mise en état de ce tribunal a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours ;
Que par acte d'huissier en date du 29 novembre 2011, la SA Banque Patrimoine et Immobilier (la BPI) aux droits de laquelle vient la SA Crédit Immobilier de France Développement (le CIFD) a fait assigner les emprunteurs devant le tribunal de grande instance de Meaux à l'effet qu'ils soient condamnés, à titre principal, à payer les sommes dues au titre des différents prêts ;
Que par ordonnance en date du 15 mars 2013, le juge de la mise en état de ce tribunal s'est dessaisi au profit de celui de Marseille;
Que statuant sur incident, le juge de la mise en état au tribunal de grande instance de Marseille a prononcé l'ordonnance entreprise dans les termes ci-dessus rappelés ;
SUR CE
Sur le sursis à statuer
Attendu qu'au soutien de leur demande de sursis à statuer, les époux Y... font valoir notammentque :
- la connexité impose d'instruire et juger les affaires ensemble au regard des articles
101 et
105 du code de procédure civile, sans qu'il y ait lieu à faire application de l'article
367 du code de procédure civile ;
- l'ordonnance du 15 mars 2013, qui a constaté la connexité, a autorité la chose jugée et doit être respectée par le juge de Marseille;
- les deux affaires sont jointes ;
- le droit à un procès équitable et le principe d'égalité des armes au regard de l'article 6 de la CEDH imposent le sursis à statuer;
- les prêts sont le fruit d'une escroquerie en bande organisée en cours d'instruction devant le tribunal de grande instance de Marseille ;
- la défaillance de la BPI a créé une situation dangereuse sans laquelle l'escroquerie n'aurait pas prospéré;
- le fait que la banque ne soit pas mise en examen n'est pas un critère d'appréciation du sursis; la formation des prêts résulte de l'intervention indivisible de la société Apollonia, des banques et des notaires;
- leur consentement a été vicié par des manoeuvres dolosiveset la nullité des prêts a été sollicitée ; il existe un risque de contrariété des décisions civiles et pénales ;
- la durée de la procédure pénale n'est pas de leur fait et doit s'apprécier au regard de la complexité du litige; de plus, le parquet de Marseille a pris un réquisitoire supplétif le 29 novembre 2017 du chef de recel d'escroqueries en bande organisée;
- le risque de contrariété de décisions existe et il y a lieu d'éviter un déni de justice et un dysfonctionnement grave de la justice ;
Attendu que pour s'opposer à la demande, le Crédit Immobilier de France Développement relève notamment que:
- l'action pénale n'a pas d'incidence sur l'action en paiement de la banque d'autant que cette dernière ne fonde pas sa demande sur les actes authentiques de prêt et qu'elle n'est plus mise en examen;
- le sursis à statuer, qui est facultatif, est incompatible avec une bonne administration de la justice à un double titre, d'une part, parce que l'obligation faite au juge de statuer dans un délai raisonnable ne pourrait pas être respectée, et d'autre part, parce que la demande en paiement de la banque ne présente aucune difficulté sérieuse ;
- le risque de contrariété entre les décisions est inexistant, étant observé le mécanisme de la compensation de créance s'appliquera s'il doit l'être;
Attendu que c'est de manière inopérante que les époux Y... arguent des motifs selon lesquels le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Meaux a fondé la décision de renvoi pour cause de connexité dès lors que l'autorité de la chose jugée n'est attachée qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision et a été tranché dans son dispositif;
Attendu que le sursis à statuer précédemment ordonné dans l'une des instances ayant fait l'objet de la jonction ne saurait, du seul fait de la jonction, emporter l'obligation d'ordonner le sursis à statuer pour le tout, le juge devant examiner au regard de chaque demande dont il est saisi s'il se trouve dans un cas de sursis obligatoire ou facultatif ;
Que l'article
4 du code de procédure pénale n'impose le sursis à statuer que sur le seul jugement de l'action civile exercée devant une juridiction civile en réparation du dommage causé par l'infraction ; qu'en dehors de cette hypothèse, l'opportunité du sursis à statuer est appréciée discrétionnairement par le juge, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice;
Qu'en l'espèce, il est constant que la demande formée par le CIFD ne tend pas à la réparation du dommage causé par les infractions, de sorte que le prononcé du sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale présente un caractère facultatif ;
Que, toutefois, les époux Y... poursuivant, en défense à l'action en paiement initiée par le CIFD, la nullité pour dol des prêts consentis, il apparaît d'une bonne administration de la justice et afin d'éviter tout risque de contrariété de décisions, de ne statuer sur l'existence de manoeuvres dolosives susceptibles d'avoir vicié leur consentement qu'au vu des résultat de l'information judiciaire suivie, notamment, du chef d'escroquerie en bande organisée ; que la circonstance que le CIFD n'est pas mis en examen est sans portée, dès lors que les agissements de tiers, qu'ils soient eux-mêmes mis en examen ou non, pourront, le cas échéant, caractériser l'existence de manoeuvres dolosives, en présence d'une collusion frauduleuse ;
Que l'ordonnance sera, en conséquence, infirmée de chef et le sursis à statuer ordonné, dans les termes énoncés au dispositif du présent arrêt ;
Sur la provision
Attendu que le Crédit Immobilier de France Développement sollicite l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de provision, en faisant valoir que la contestation de l'emprunteur ne peut être considérée comme sérieuse puisque ce dernier ne conteste ni l'existence ni le principe de la créance, et qu'il ne démontre pas la réalité de ses difficultés financières ou une situation de surendettement ;
Mais attendu que la demande de provision présentée par le CIFD se heurte à une contestation sérieuse au sens de l'article 771, paragraphe
3 du code de procédure civile, les époux Y... demandant notamment la nullité des contrats de prêt ; que l'ordonnance sera confirmée de ce
chef ;
Sur l'article
700 du code de procédure civile
Attendu que l'équité justifie d'allouer aux époux Y... une indemnité au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté les époux Y... de leur demande de sursis à statuer et les a condamnés au frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens;
STATUANT à nouveau des chefs d'infirmation,
ORDONNE le sursis à statuer de l'action en paiement engagée par la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Banque Patrimoine et Immobilier, dans l'attente de l'issue de l'information judiciaire suivie devant le tribunal de grande instance de Marseille sous le numéro d'instruction G08/00012 du chef, notamment, d'escroquerie en bande organisée;
CONDAMNE la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Banque Patrimoine et Immobilier solidairement à verser à la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
REJETTE toute autre demande des parties,
CONDAMNE la SA Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la SA Banque Patrimoine et Immobilier aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article
699 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT