Avis juridique important
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62001C0018
Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 11 juillet 2002. - Arkkitehtuuritoimisto Riitta Korhonen Oy, Arkkitehtitoimisto Pentti Toivanen Oy et Rakennuttajatoimisto Vilho Tervomaa contre Varkauden Taitotalo Oy. - Demande de décision préjudicielle: Kilpailuneuvosto - Finlande. - Directive 92/50/CEE - Marchés publics de services - Notion de 'pouvoir adjudicateur' - Organisme de droit public - Société créée par une collectivité territoriale en vue de promouvoir le développement d'activités industrielles ou commerciales sur le territoire de ladite collectivité. - Affaire C-18/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-05321
Conclusions de l'avocat général
I - Introduction
1 Dans la présente demande préjudicielle, le kilpailuneuvosto (1) (conseil de la concurrence (Finlande)) a saisi la Cour de justice de plusieurs questions ayant trait à l'interprétation de la notion de pouvoir adjudicateur (dans le cas d'un organisme de droit public) au sens de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de service (2).
2 Sont concernées notamment la définition des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et la question de savoir si l'activité d'une société anonyme qui a pour propriétaire une commune et qui construit des bâtiments commerciaux destinés à des entreprises privées, afin de faciliter les conditions d'exercice d'activités économiques dans la commune, répond à de tels besoins.
II - Cadre juridique
1. La directive 92/50
3 Les dispositions pertinentes de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50 sont les suivantes:
«Aux fins de la présente directive:
[...]
b) sont considérés comme «pouvoirs adjudicateurs», l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public. Par «organisme de droit public», on entend tout organisme:
- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial
et
- ayant la personnalité juridique
et
- dont, soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.
Les listes des organismes et des catégories d'organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa du présent point figurent à l'annexe I de la directive 71/305/CEE. Ces listes sont aussi complètes que possible et peuvent être révisées selon la procédure prévue à l'article 30 ter de ladite directive;
[...]».
2. La loi finlandaise de transposition
4 La directive 92/50 a été transposée en droit finlandais par la julkisista hankinnoista annettu laki (loi sur les marchés publics) du 23 décembre 1992. La notion de pouvoir adjudicateur y est fixée à l'article 2, dans des termes qui s'inspirent de ceux de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50.
5 Le «pouvoir adjudicateur» y est défini comme étant une personne morale qui «fait partie de l'administration publique». Cette condition est censée être remplie lorsque la personne morale
1) a été créée en vue d'effectuer des tâches d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et dont
2) soit l'activité est financée majoritairement par les pouvoirs publics, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par les pouvoirs publics.
III - Les faits de l'affaire au principal
6 Le litige au principal porte sur la passation, par la défenderesse, Varkauden Taitotalo Oy (ci-après «Taitotalo»), d'un marché de prestations de planification et de construction pour un projet immobilier. Le complexe commercial à édifier est destiné à être loué ensuite à des entreprises de pointe.
7 Taitotalo est une société dont le capital est détenu à 100 % par la ville de Varkaus (Finlande). D'après ses statuts, son activité consiste à administrer, à acheter ou à louer des biens immobiliers ou des actions de sociétés immobilières, ainsi qu'à organiser et à exécuter l'entretien de ces biens et à fournir d'autres services nécessaires de gestion immobilière. Le conseil d'administration de la société comprend trois membres titulaires nommés par l'assemblée de la société, dans laquelle la ville de Varkaus détient 100 % des droits de vote. Tous les membres du conseil d'administration sont des fonctionnaires de la ville de Varkaus. L'acte fondateur de la société a été signé le 21 janvier 2000 et elle a été immatriculée au registre du commerce le 6 avril 2000.
8 Taitotalo fait construire le projet immobilier dénommé «Tyyskän osaamiskeskus» dans le 1er arrondissement de Varkaus. La société envisage d'acheter le terrain à la ville une fois le lotissement effectué. Le marché de construction comprend deux ou trois immeubles de bureaux et un immeuble de stationnement couvert, destinés à être loués à des entreprises de pointe. Pour la construction, la commercialisation et la coordination du projet, Taitotalo fait appel aux services de la société Keski-Savon Teollisuuskylä Oy (ci-après «Teollisuuskylä»).
9 Teollisuuskylä a été créée pour construire des locaux destinés à des entreprises. Selon ses statuts, cette société a pour objet de construire, d'acquérir et de gérer, en vertu du droit de la propriété et du droit des baux, des locaux et des terrains à usage industriel ou commercial afin de céder ensuite ces biens immobiliers, essentiellement à des entrepreneurs, à prix coûtant. Teollisuuskylä est une filiale de Keski-Savon Kehittämisyhtiö Oy (société de développement du Savo central, ci-après «Kehittämisyhtiö»), qui a pour objet de promouvoir l'activité économique dans cette région et dont la ville de Varkaus détient près de la moitié du capital. Le reste des actions de Kehittämisyhtiö est détenu pour l'essentiel par d'autres communes de la région.
10 À l'origine, Teollisuuskylä a sollicité des offres pour la planification du projet Tyyskän osaamiskeskus par lettre du 6 juillet 1999. La première phase du marché devait concerner la construction des bâtiments Tyyskä 1, destiné à l'usage de la société Honeywell-Measurex Oy, et Tyyskä 2, destiné à plusieurs petites entreprises. Or, à l'expiration du délai fixé pour soumissionner, fin août 1999, Teollisuuskylä a fait savoir aux candidats que, en raison d'un changement dans le capital de la société immobilière à créer, les travaux de planification et de construction du projet devaient faire l'objet d'une adjudication ouverte, à publier au Journal officiel des Communautés européennes.
11 Par appel d'offres du 4 septembre 1999, Teollisuuskylä a donc sollicité de nouvelles offres pour la planification et la construction du complexe Tyyskän osaamiskeskus. Le cahier des charges désignait comme pouvoirs adjudicateurs la ville de Varkaus et Teollisuuskyllä. D'après la demande préjudicielle, un avis d'appel d'offres a paru en outre au Journal officiel série S n_ 35 du 2 septembre 1999 sous le titre «suunnittelukilpailu» (concours relatif à une planification). Il y était indiqué que le pouvoir adjudicateur était la ville de Varkaus, au nom d'une société immobilière à créer.
12 Enfin, Taitotalo a fait savoir aux soumissionnaires, par lettre du 6 avril 2000 - le jour même où elle a été immatriculée au registre du commerce, que la société JP-Terasto Oy et un groupement dirigé par l'Arkkitehtitoimisto (cabinet d'architecte) Pekka Paavola Oy avaient été choisis comme constructeurs-développeurs respectivement du bâtiment d'Honeywell-Measurex Oy et de Tyyskä 2.
13 Le 17 avril 2000, la partie demanderesse dans l'affaire au principal, l'Arkkitehtuuritoimisto (cabinet d'architecture) Riitta Korhonen Oy, a saisi la juridiction de renvoi, le kilpailuneuvosto. Riita Korhonen demande l'annulation de la décision d'attribution prise par Taitotalo ou, à titre subsidiaire, une indemnité. D'autres parties, l'Arkkitehtitoimisto Pentti Toivanen Oy ainsi que Vilho Tervomaa, entreprise de construction, se sont jointes au recours le 26 avril 2000. Elles réclament une indemnité à Taitotalo.
14 Les demandeurs considèrent que Taitotalo n'a pas respecté la réglementation des marchés publics.
15 Le 15 mai 2000, Taitotalo a demandé au kilpailuneuvosto de déclarer le recours irrecevable, arguant qu'elle n'est pas un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 2 de la julkisista hankinnoista annettu laki. Elle fait valoir que, bien que les conditions posées par l'article 2, paragraphe 2, points 2 et 3, soient remplies, la société n'a pas été créée pour satisfaire des besoins d'intérêt général, n'ayant pas de caractère industriel ou commercial, de sorte qu'elle n'est pas une personne morale de droit public. Elle objecte aussi que le montant des ressources publiques accordées pour l'opération n'atteint pas la moitié du coût de celle-ci. Taitotalo se réfère à la décision du Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) du 1er décembre 1999.
IV - Les questions préjudicielles
16 Le kilpailuneuvosto constate dans son ordonnance de renvoi qu'il est devenu de pratique courante en Finlande, ces dernières années, que les collectivités publiques fassent construire des infrastructures par des sociétés anonymes, qui, tout en étant elles-mêmes détenues et gérées par ces collectivités, agissent en tant que propriétaires de terrains et pouvoirs adjudicateurs.
17 Le kilpailuneuvosto juge très important, en raison de l'intérêt de cette affaire, et de la généralisation de la pratique concernée, de disposer de l'interprétation par la Cour de justice des dispositions pertinentes de la directive 92/50. C'est pourquoi il lui pose les questions suivantes:
«Une société anonyme, qui est la propriété d'une municipalité et dans laquelle celle-ci détient le pouvoir de direction, peut-elle être considérée comme un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50/CEE relative à la coordination des procédures de passation des marchés de service, dès lors que cette société acquiert des services de planification et de construction dans le but de construire des locaux destinés à être loués à des entreprises?
À titre de question supplémentaire, le fait que le projet de construction vise à créer dans une ville les conditions favorables à l'exercice d'activités lucratives influe-t-il sur l'appréciation?
À titre de deuxième question supplémentaire, le fait que les locaux à construire ne soient loués qu'à une seule entreprise influe-t-il sur l'appréciation?»
V - Observations des parties et appréciation juridique
18 La défenderesse, la république de Finlande, la République française et la république d'Autriche ainsi que la Commission ont pris part à la procédure écrite. La Cour a invité la république de Finlande, en vue de l'audience, à préciser les conditions d'exercice de ces sociétés dites «de développement» et en particulier à indiquer si elles ont un but lucratif et si elles supportent elles-mêmes le risque économique inhérent à leurs activités. La république de Finlande et la Commission ont pris part à l'audience.
1. Recevabilité de la demande préjudicielle
19 La République française et la Commission ont exprimé dans leurs observations écrites des doutes sur la recevabilité de la demande préjudicielle, l'exposé des faits dans l'ordonnance de renvoi étant, d'après elles, contradictoire, lacunaire et obscur à certains endroits.
20 La Commission estime que l'ordonnance de renvoi ne permet pas de discerner les bases juridiques des appels d'offres émis dans l'affaire au principal, ni de savoir qui est apparu formellement comme étant le pouvoir adjudicateur. L'ordonnance n'indique pas si l'activité de Taitotalo se limite aux opérations décrites ou si la défenderesse intervient dans des domaines plus vastes. Par ailleurs, il est plus difficile de répondre à des questions formulées en termes abstraits du fait qu'il n'est apparemment pas question de la position d'une personne morale déterminée au regard du champ d'application de la directive 92/50 mais de celle d'un agrégat de personnes morales. La Commission se demande donc si le kilpailuneuvosto a exposé avec suffisamment de clarté, au sens de la jurisprudence de la Cour, le cadre factuel et juridique dans lequel s'inscrivent ses questions.
21 La République française souligne qu'une entité ne peut être qualifiée d'organisme de droit public au sens de la directive 92/50 que si elle possède la personnalité juridique au moment de la publication de l'appel d'offres et qu'elle la garde tout au long de la procédure. Il est bien possible que Taitotalo n'ait pas eu de personnalité juridique au moment de la publication de l'appel d'offres en septembre 1999 puisqu'elle n'a été immatriculée au registre du commerce que le 6 avril 2000. Il est manifeste que la commune de Varkaus a été simultanément donneur d'ordres et pouvoir adjudicateur. Partant, la République française a suggéré à la Cour de demander des éclaircissements à la juridiction de renvoi en vertu de l'article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure.
22 La position constante de la Cour est qu'il appartient à la seule juridiction nationale, qui est saisie du litige et doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement (3). Ce principe se justifie par le fait que le juge national dispose d'une connaissance directe et précise des faits et qu'il est ainsi le mieux placé pour en décider (4). Dès lors que les questions posées par un juge national portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est en principe tenue d'y répondre (5).
23 Cependant, la Cour souligne aussi dans une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou, à tout le moins, qu'il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (6). L'article 234 CE n'impose pas à la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée par cette dernière n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (7).
24 Ainsi la Cour se refuse-t-elle à répondre à des questions préjudicielles lorsqu'elle constate que les dispositions du droit communautaire ne sont pas applicables au litige (8). Elle refuse aussi de statuer lorsque sa réponse ne peut avoir aucune incidence sur l'affaire au principal (9) ou que l'interprétation demandée est sans pertinence pour la solution du litige (10).
25 Il est incontestable que, dans son ordonnance de renvoi (11), le conseil de la concurrence finlandais indique qu'il juge important de disposer d'une interprétation de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50, parce que cette législation communautaire est en rapport avec l'affaire de marché public dont il est saisi. Il y a en effet litige entre les parties sur le point de savoir si, au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la loi finlandaise qui a transposé la directive, la julkisista hankinnoista annettu laki, Taitotalo est une personne morale créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. Dans la mesure où cette société doit être considérée comme faisant partie de l'administration publique, les marchés qu'elle passe sont soumis, d'après le kilpailuneuvosto, aux dispositions applicables à la passation des marchés publics.
26 Même si l'exposé des faits qui sous-tendent l'interprétation à entreprendre aurait pu être plus développé, les activités de la défenderesse et ses liens avec la ville de Varkaus n'en sont pas moins décrits d'une manière compréhensible, ce qui permet de procéder à une analyse juridique.
27 Il n'est donc nullement exclu de répondre utilement aux questions posées. Partant, la demande préjudicielle est recevable.
2. Interprétation de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50
28 Dans la question principale, le kilpailuneuvosto souhaite savoir si des sociétés anonymes contrôlées par les pouvoirs publics exercent une activité industrielle ou commerciale lorsqu'elles construisent des locaux industriels ou commerciaux destinés à des entreprises privées, de sorte qu'il n'est pas possible de considérer qu'elles ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial.
29 En accord avec les parties de l'affaire au principal, les autres parties qui ont présenté des observations sur la demande préjudicielle considèrent majoritairement que la défenderesse, Taitotalo, remplit la troisième et aussi la deuxième des conditions posées dans l'article 1er, sous b), de la directive 92/50. Pour la République française, ces conditions sont remplies en tout cas à partir du moment où Taitotalo a été immatriculée au registre du commerce.
30 Ainsi qu'il ressort de l'exposé des faits dans l'ordonnance de renvoi, Taitotalo est une société anonyme dotée de la personnalité morale, dont la gestion est soumise à la tutelle de la ville de Varkaus. Celle-ci désigne aussi tous les membres des organes de direction, puisqu'elle détient 100 % des parts sociales.
31 À la demande du juge rapporteur, la représentante de la république de Finlande a expliqué qu'il était licite en droit finlandais, et habituel en pratique, que les fondateurs d'une société agissent pour celle-ci avant qu'elle ne soit immatriculée au registre du commerce. La personne morale nouvelle reprend donc par la suite les obligations créées dans ces conditions, qui sont ainsi traitées comme si elles avaient été d'emblée des obligations de la société. Toutefois, la responsabilité des fondateurs de la société reste illimitée jusqu'à cette date.
32 C'est pourquoi un seul des critères qui définissent l'organisme de droit public demande encore une interprétation en l'occurrence. Il s'agit de savoir si une entreprise telle que la défenderesse a été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial.
a) Positions des parties
33 La République française s'accorde avec la défenderesse, Taitotalo, pour estimer que celle-ci n'est pas un pouvoir adjudicateur au sens de la directive 92/50. D'après elle, Taitotalo n'a pas été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial.
34 À son avis, Taitotalo ne crée pas les conditions générales (infrastructures) de l'exercice d'activités économiques dans la commune, mais réalise plutôt des projets immobiliers destinés à des entreprises privées afin de répondre aux intérêts spécifiques de celles-ci. Elle poursuit un but économique, et ce aux prix habituels du marché.
35 Taitotalo renvoie à l'appui de son argumentation aux arrêts du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (12), et du 10 novembre 1998, BFI Holding (13). Dans le premier, la Cour a dit pour droit qu'une entreprise qui exerce des activités économiques n'est pas à qualifier d'organisme de droit public au seul motif qu'elle a été créée par un pouvoir adjudicateur ou que celui-ci lui transfère des moyens financiers découlant d'activités exercées dans l'intérêt général et ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. La Cour confirme dans cette décision qu'une entreprise publique n'entre pas dans le champ d'application de la directive si elle n'a pas été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. Le lien entre un pouvoir adjudicateur et une entreprise en termes de propriété et de financement ne suffit pas à lui seul pour faire de l'entreprise un organisme de droit public.
36 La République française se réfère elle aussi à l'arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (14). D'après elle, la Cour s'est particulièrement attachée à vérifier si l'activité d'une entité se rattachait à une prérogative essentielle de l'État afin de déterminer si cette entité avait été créée pour satisfaire des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. En l'espèce, la République française constate que l'activité de la défenderesse n'a rien à voir avec l'exercice d'une prérogative essentielle de l'État. Cette activité se distingue clairement de celles d'autres entités sur la qualité de pouvoir adjudicateur desquelles la Cour a déjà été amenée à se prononcer (15).
37 À propos de cette distinction, la République française renvoie aussi en particulier à l'arrêt du 1er février 2001, Commission/France (16), où il a été établi que la construction et la location de logements sociaux répondent à des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. Or, la construction de logements sociaux ne saurait être comparée à la construction et à la location de locaux à usage professionnel.
38 La république de Finlande estime quant à elle qu'une société telle que la défenderesse a été créée pour satisfaire spécifiquement les besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, au sens de la directive 92/50, des personnes résidant dans la commune.
39 Elle se réfère à l'énoncé des motifs de la directive 92/50. D'après ces motifs, la coordination au niveau communautaire des procédures de passation des marchés publics de services vise à supprimer les entraves à la libre prestation des services et donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d'offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre. Un autre objectif est d'exclure tout désordre dans le financement public car, dans les marchés publics, on ne trouve pas le type de contrôle des dépenses habituel dans le secteur privé. La réalisation de l'objectif de la directive risquerait d'être compromise si une société comme celle dont il s'agit en l'espèce n'était pas considérée comme un pouvoir adjudicateur au sens de la directive. Les communes pourraient être tentées de créer dans leur sphère d'activités des entreprises dont les marchés ne seraient pas soumis aux dispositions de la directive.
40 La république de Finlande insiste spécialement dans ses observations sur le statut juridique et les missions des communes en Finlande. La Constitution finlandaise déclare dans son article 121 que la Finlande est divisée en communes, dont l'administration repose sur l'autogestion par les habitants. Cette disposition garantit aux communes un statut de complète autonomie, dont les modalités sont fixées par la loi. C'est sur cette base que les communes se chargent d'une grande partie des services publics. Le domaine d'action de la commune se divise en un domaine «général» et un domaine «particulier». Font partie du domaine particulier les missions que la commune est tenue d'assurer en vertu de dispositions légales spécifiques. Ainsi, l'enseignement primaire et secondaire, la santé et les soins médicaux, mais aussi l'aménagement du territoire ainsi que la réalisation technique des infrastructures. Font partie du domaine général, en revanche, les missions dont la commune peut, en vertu de son autonomie garantie par la Constitution, décider elle-même de se charger. Mais il doit alors s'agir d'«affaires communes». On entend par là des missions qui servent les intérêts et les besoins matériels et moraux des personnes résidant dans la commune et qui sont importantes pour l'ensemble de la commune.
41 D'après la république de Finlande, la politique de soutien à l'économie fait partie des missions essentielles du domaine de compétence générale des communes finlandaises. La création de conditions permettant sur le plan local l'exercice d'activités économiques est conçue comme une affaire commune dans l'intérêt des personnes résidant dans la commune. Des entreprises du type de la défenderesse ont pour objet de créer dans leurs domaines une infrastructure industrielle et commerciale, en aménageant ou en louant des hangars industriels ou des locaux à usage professionnel et en proposant des services y afférents. Les communes finlandaises créent des sociétés dites «de développement», dont la société défenderesse est un exemple, qui ont pour mission d'attirer de nouvelles branches économiques et de stimuler le développement de nouvelles activités. C'est notamment le cas lorsqu'aucun entrepreneur privé n'offre de créer ces infrastructures.
42 Lors de l'audience, la représentante de la république de Finlande a précisé, en réponse à une demande écrite de la Cour, qu'une commune pouvait tirer des profits de sa propre activité économique mais à condition que ce ne soit qu'un résultat incident et non pas l'objectif principal. Les sociétés détenues par les communes doivent se consacrer au bien commun. Du reste, la législation finlandaise interdit aux communes d'entreprendre des activités purement économiques. En principe, les sociétés dites «de développement» supportent elles-mêmes le risque inhérent à leur activité, de sorte qu'il est concevable qu'elles tombent en faillite, mais, normalement, les communes propriétaires veillent à ce que cela ne se produise pas tant que l'existence de la société présente un intérêt pour la commune.
43 Des prestations de services telles que celles offertes par la défenderesse pourraient aussi être proposées à des fins économiques purement privées. C'est pourquoi l'activité de la société ne permet pas de déduire le but dans lequel elle a été créée et, notamment, le domaine d'activité d'une société de développement ne ressort pas non plus clairement du registre du commerce.
44 D'après la république de Finlande, il appartient à la défenderesse de fournir aux personnes résidant dans la commune de Varkaus des prestations de services en rapport avec des activités économiques et, partant, d'agir dans l'intérêt général. C'est dans ce but que la commune l'a créée. Peu importe que la commune offre elle-même ces prestations ou qu'elle ait recours à une société interposée qui lui appartient, ou encore qu'elle fasse appel à un tiers.
45 Pour ce qui est de savoir quand un besoin présente un caractère autre qu'industriel ou commercial, la république de Finlande renvoie à l'arrêt BFI Holding (17). La Cour y a dit pour droit que la circonstance qu'une entité se trouve en concurrence avec des entreprises privées sur le marché en cause peut être un indice de la présence d'un besoin ayant un caractère industriel ou commercial. En l'occurrence, il ne semble pas, d'après la république de Finlande, qu'il existe une concurrence développée dans le domaine d'activité des sociétés en cause.
46 Comme la république de Finlande, la république d'Autriche considère que le champ d'application personnel des directives de marchés publics est à interpréter au regard du texte et de la finalité de leurs dispositions. Pour ce qui est de l'interprétation de la notion d'intérêt général, la république d'Autriche renvoie à ses observations écrites dans l'affaire Adolf Truley (C-373/00) (18). À son avis, la limitation de la catégorie des bénéficiaires directs de l'activité en cause ne signifie pas que cette activité elle-même ne serve pas l'intérêt général. De même, le fait de favoriser l'implantation d'entreprises d'un secteur de pointe contribue à satisfaire les besoins des consommateurs et de la population locale, par exemple en offrant un choix plus large de produits et de services ou en accroissant les recettes fiscales. L'activité de Taitotalo est donc à considérer comme une activité qui a pour but de satisfaire un besoin d'intérêt général.
47 Tenant compte de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Agorà et Excelsior (19), la Commission considère elle aussi que l'activité de Taitotalo peut être perçue comme une activité d'intérêt général, puisqu'il en résulte une «impulsion pour les échanges» qui relève de l'intérêt général. À l'audience, le représentant de la Commission a cependant souligné expressément qu'une autre appréciation était possible et que l'impulsion pouvait être purement hypothétique.
48 Tant la Commission que la république d'Autriche sont d'avis que l'absence de but lucratif est aussi un indice de l'existence d'une mission tendant à satisfaire des besoins d'intérêt général. En effet, une activité économique se caractérise selon elles, en dernière analyse, par le fait que l'entrepreneur supporte le risque de son activité économique, de sorte que, dans les hypothèses les plus défavorables, la société concernée peut aussi devenir insolvable.
49 Le représentant de la Commission a aussi souligné à l'audience que, compte tenu du caractère obscur à certains égards de l'exposé des faits dans l'ordonnance de renvoi, il n'est pas possible d'établir avec certitude si une société anonyme comme Taitotalo est un organisme de droit public au sens de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50. D'un point de vue formel, les statuts de la société Taitotalo ne prévoient pas en tout cas de mécanisme de compensation d'éventuelles pertes financières par les pouvoirs publics. Cela n'exclut cependant pas que ceux-ci apportent en fait leur garantie ou se portent caution pour la défenderesse.
50 Pour la république d'Autriche, le kilpailuneuvosto, juridiction de renvoi, doit procéder à un examen d'ensemble de la situation concurrentielle dans laquelle se trouve Taitotalo. Le fait que les entreprises bénéficiaires du projet immobilier exercent une activité économique ne saurait en tout état de cause impliquer obligatoirement que les activités de la société Taitotalo présentent un caractère industriel ou commercial.
b) Appréciation
51 Il y a lieu tout d'abord d'interpréter la notion de besoin d'intérêt général afin de rechercher si une société telle que Taitotalo satisfait de tels besoins. Afin de parvenir à une interprétation utile, on tiendra compte dans cette analyse des particularités du cas d'espèce. C'est ainsi seulement que la Cour pourra s'acquitter de sa mission, qui est de donner une interprétation fonctionnelle (20) de la notion de «pouvoir adjudicateur».
52 Dans ce contexte, il y a lieu de se demander si une société telle que Taitotalo prend en charge un besoin industriel ou commercial.
i) Besoins d'intérêt général
53 Aucune des directives de marchés publics (21) ne comporte de définition légale de cette notion juridique incertaine. Les notions juridiques incertaines entraînent régulièrement des difficultés d'interprétation parce qu'il n'est pas possible de dire si certains sujets de droit en relèvent ou non.
54 Eu égard au principe général de sécurité juridique, bien ancré dans le droit communautaire, qui exige qu'une règle de droit soit claire et que son application à tous les intéressés soit prévisible (22), cette constatation pose problème. Une interprétation doit donc dégager des critères objectifs et transparents qui permettent de déterminer si un besoin est d'intérêt général. Or, si le législateur avait fixé une définition obligatoire des besoins d'intérêt général, il ne serait possible d'en donner une interprétation fonctionnelle que dans des limites très strictes au vu du texte et de la finalité de la directive. C'est pourtant une notion qu'il convient justement, compte tenu des objectifs des directives de marchés publics, de préciser afin de garantir l'efficacité pratique des principes de libre circulation des produits et des services, ainsi que la Cour l'a déjà dit maintes fois, en étudiant la forme juridique de l'organisme ou les dispositions sous-jacentes (23).
55 La Cour a défini jusqu'ici les besoins d'intérêt général comme des besoins qui sont étroitement liés au fonctionnement institutionnel de l'État (24). Il s'agit de besoins que l'État choisit de satisfaire lui-même ou à l'égard desquels il entend conserver une influence déterminante (25).
56 Ainsi que nous l'avons expliqué dans nos conclusions dans l'affaire Adolf Truley (26), la Cour a reconnu entre-temps le caractère d'intérêt général à toute une série de besoins très variés. Ces exemples tirés de la jurisprudence peuvent fournir des indices pour une interprétation, de même que la liste des organismes de droit public contenue à l'annexe I de la directive 71/305/CEE (27).
57 Dans nos conclusions dans l'affaire Adolf Truley (28), nous avons exposé les raisons pour lesquelles nous estimons qu'il n'est pas compatible avec le texte et la finalité des directives de marchés publics de donner des besoins d'intérêt général une interprétation qui dépende de la définition que l'État membre concerné donne lui-même de sa sphère d'activités. L'autonomie du droit communautaire ainsi que l'objectif consistant à l'appliquer de manière uniforme militent en faveur d'une conception et d'une interprétation autonome des besoins d'intérêt général en droit communautaire. Cette analyse s'appuie sur le texte et la finalité des directives de marchés publics, qui visent à contribuer à ériger et à faire fonctionner le marché intérieur. Nous avons cependant insisté simultanément sur le fait que donner de cette notion une interprétation autonome en droit communautaire ne saurait vouloir dire que le droit national perd toute pertinence.
58 La république de Finlande a souligné que les prestations de services proposées par des sociétés comme Taitotalo, à savoir l'acquisition, la vente et la location de locaux à usage professionnel, visent des besoins dont la satisfaction est perçue en Finlande comme une affaire commune. Du point de vue finlandais, il s'agit de besoins que les communes et aussi l'État souhaitent satisfaire eux-mêmes afin de pouvoir conserver une influence sur l'implantation d'entreprises sur leur territoire.
59 La république de Finlande a aussi désigné les missions que les communes peuvent prendre en charge sur la seule base de leur autonomie garantie par la Constitution, en dehors des besoins dont la satisfaction est prescrite par des dispositions légales spécifiques, comme étant uniquement celles qui servent les intérêts et les besoins des personnes résidant dans la commune et qui sont importantes pour l'ensemble de la commune.
60 C'est pourquoi le droit national prévoit que les activités des communes doivent obligatoirement profiter aux personnes résidant dans la commune. Cela donne à penser que les activités des sociétés communales sont toujours d'intérêt général par définition.
61 Taitotalo a cependant souligné que son activité est orientée d'abord par les besoins des entreprises clientes. La question se pose donc de savoir si le fait qu'une activité soit influencée par des considérations de clientèle est en contradiction avec l'idée d'intérêt général. On tiendra compte à ce propos qu'il se peut que des sociétés comme la défenderesse, notamment, comme c'est le cas ici, lorsqu'elles planifient globalement des centres d'activités, s'efforcent de satisfaire toute entreprise qui cherche des locaux appropriés sur le territoire de la commune.
62 Dans l'arrêt rendu dans les affaires jointes Agorà et Excelsior (29), la Cour a dit pour droit qu'un organisateur de foires n'agit pas seulement dans l'intérêt immédiat des exposants et des clients professionnels mais aussi dans l'intérêt de tiers, par exemple les consommateurs. Cette analyse fournit aussi des indices pour la présente affaire. De même que pour l'organisation d'une foire, il ne semble pas justifié ici non plus de tirer du fait que les entreprises clientes forment une catégorie limitée la conclusion qu'une prestation fournie par une société telle que la défenderesse ne sert pas l'intérêt général.
63 La représentante de la république de Finlande a expliqué à l'audience que les communes créent des sociétés de développement afin de favoriser l'implantation d'entreprises et, partant, de promouvoir l'activité économique sur leur territoire.
64 Parvenu à ce point, il convient de nous intéresser déjà à la première question supplémentaire, qui indique le contexte dans lequel les projets immobiliers doivent être réalisés à Varkaus. Il est, à notre avis, indéniable que, en règle générale, les conditions propices à l'exercice d'activités économiques ne sont pas créées dans le seul but de plaire aux entreprises, mais plutôt parce que la commune, en implantant des activités, escompte entre autres des impulsions positives pour les échanges, l'emploi des habitants et les recettes fiscales. Partant, l'activité d'une société qui crée les conditions de l'implantation d'entreprises industrielles ou commerciales profite aux habitants de la commune et donc à la collectivité.
65 La Commission a fait valoir au contraire à l'audience que ces impulsions pouvaient être hypothétiques et leur effet seulement indirect. On lui objectera que l'implantation d'entreprises dans une commune est bel et bien favorisée par les efforts de ces sociétés dites «de développement».
66 Parvenu à ce point, il convient de conclure que l'on peut considérer que, dès lors qu'elles construisent des locaux professionnels destinés à des entreprises privées dans le but d'améliorer les conditions de l'exercice d'activités économiques dans une commune, les sociétés anonymes contrôlées par les pouvoirs publics ont été créées dans le but spécifique de satisfaire des besoins d'intérêt général. Il reste cependant à se demander si ces besoins présentent un caractère autre qu'industriel ou commercial.
ii) Prise en charge de besoins à caractère autre qu'industriel ou commercial
67 La Cour a souligné dans son arrêt BFI Holding (30) qu'il découle du texte des diverses versions linguistiques de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 que la condition du «caractère autre qu'industriel ou commercial» a pour fin de préciser la notion de besoins d'intérêt général. Elle a également établi dans cet arrêt que l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive distingue entre les besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, d'une part, et les besoins d'intérêt général ayant un caractère industriel ou commercial, d'autre part (31).
68 Ces considérations ne permettent toutefois que de comprendre le lien entre les diverses conditions énoncées à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50. Ces indications ne permettent pas de définir les besoins à caractère industriel ou commercial. Il reste à se demander comment on peut distinguer ces besoins des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et si le besoin que Taitotalo se charge de satisfaire en acquérant et en gérant des bâtiments industriels ou commerciaux afin de les céder ensuite à des entreprises de pointe présente ou non un caractère industriel ou commercial.
69 La Cour a jusqu'à présent donné les indications suivantes pour l'interprétation de cette notion:
70 L'existence d'une concurrence développée et, en particulier, la circonstance que l'entité est en concurrence avec d'autres entreprises sur le marché en cause peuvent constituer un indice de la satisfaction d'un besoin à caractère industriel ou commercial (32). Le fait qu'un certain besoin puisse aussi être satisfait par des entreprises privées n'exclut pas que ce besoin soit susceptible d'être aussi à caractère autre qu'industriel ou commercial au sens de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50 (33). D'après l'analyse de la Cour, on est en général en présence de besoins ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial quand, d'une part, ceux-ci sont satisfaits autrement que par l'offre de produits ou de services sur le marché et que, d'autre part, l'État, pour des raisons d'intérêt général entre autres, entend les satisfaire lui-même ou garder une influence décisive dans ce domaine (34).
71 Ainsi que la république d'Autriche l'a suggéré, c'est à la juridiction nationale qu'il appartient, au vu de l'ensemble de l'activité d'une société telle que Taitotalo, de déterminer si cette société opère dans un environnement concurrentiel (35). D'un point de vue factuel, il convient de définir tant le marché des prestations en cause que son extension géographique (36). La juridiction de renvoi doit entreprendre cette tâche en se fondant sur les faits.
72 Les observations des parties donnent à penser qu'il n'existe pas de concurrence développée dans le domaine d'activité de la société en cause. Il ne s'agit toutefois ici que de suppositions. Étant donné cependant que l'existence d'une concurrence développée ne constitue qu'un indice, il n'est pas indispensable d'éclaircir ce point pour interpréter la notion de besoin industriel ou commercial.
73 Toutes les parties s'accordent à constater que l'activité d'une société comme la défenderesse consiste à proposer des services qu'une entreprise privée pourrait tout aussi bien offrir. Les parties sont en revanche en désaccord sur l'analyse du besoin satisfait.
74 La Cour ne dispose pas des statuts de Taitotalo pour lui permettre de déterminer la base juridique de sa mission. D'après les constatations du kilpailuneuvosto et de la république de Finlande, les sociétés comparables à la défenderesse n'ont pas de but lucratif. La représentante de la république de Finlande a indiqué que le droit communal finlandais interdisait aux communes de fonder des sociétés pour des motifs purement économiques, dans un but lucratif. Cet aspect ne va pas dans le sens d'une activité économique puisqu'une telle activité tend en principe à réaliser des bénéfices. S'il existe des règles qui empêchent les communes de créer des sociétés à but lucratif, il faut en conclure qu'il ne leur est guère, voire pas du tout, possible de fonder des sociétés visant à satisfaire des besoins ayant un caractère industriel ou commercial.
75 Taitotalo souligne au contraire qu'elle réalise, pour des entreprises diverses, des projets immobiliers qui répondent à leurs attentes particulières, et ceci aux prix habituels du marché. On se rangera ici à l'avis de la République française, selon lequel le critère déterminant pour apprécier les besoins que des sociétés comme Taitotalo tentent de satisfaire est l'activité de l'entité elle-même et non l'activité des entreprises qui profitent des travaux immobiliers effectués.
76 On a déjà souligné, en analysant le besoin d'intérêt général, que le fait que les utilisateurs ou les bénéficiaires directs d'une activité forment une catégorie limitée n'exclut pas que l'activité soit proposée dans l'intérêt général. De même, le fait que les utilisateurs ou les bénéficiaires d'une certaine activité ou d'une certaine prestation soient des entreprises qui ont une activité économique ne permet pas de conclure définitivement que l'organisme qui leur propose cette activité ou cette prestation le fait aussi à titre industriel ou commercial. On peut en effet concevoir un certain nombre de besoins ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial que, pour des raisons d'intérêt général, l'État prend en charge lui-même ou par l'intermédiaire d'organismes qui lui sont subordonnés, afin de conserver une influence décisive, et qui ne sont utilisés que par des entreprises industrielles ou commerciales.
77 Nous avons déjà suggéré, dans nos conclusions dans les affaires jointes Agorà et Excelsior, puis dernièrement dans l'affaire Adolf Truley, lorsqu'il s'agit de déterminer si un organisme satisfait des besoins ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, d'asseoir l'analyse entre autres sur le point de savoir si cet organisme supporte le risque financier inhérent à ses décisions. Le fait qu'il doive subir lui-même les conséquences financières de ses décisions pourrait indiquer qu'il exerce une activité industrielle ou commerciale (37).
78 Ce critère permet de tenir compte du texte et de la finalité de la directive 92/50 dans l'interprétation de celle-ci. Il est notoire, d'après ses considérants, que la directive vise à supprimer les obstacles à la libre circulation des services et, partant, à sauvegarder les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre qui souhaitent proposer des biens ou des services à des pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre. Il convient de réduire à néant le risque que les pouvoirs adjudicateurs favorisent les opérateurs locaux ou certains candidats lors des passations de marchés - le cas échéant, sans tenir compte des conséquences économiques et financières. Le législateur communautaire entendait que les directives s'appliquent à des organismes qui échappent, en tout ou en partie, à la logique du marché (38).
79 Ce qui est décisif, aux fins de savoir si une entité remplit les conditions pour être un organisme de droit public, c'est donc de déterminer s'il y a un risque que cette entité se laisse guider dans ses décisions d'attribution de marchés par des considérations autres qu'économiques (39). Si tel est le cas, la réalisation de la libre prestation de services est mise en danger, ce qui justifie l'application des directives sur les marchés publics (40). Dès lors qu'un organisme supporte lui-même le risque économique de son activité, il est en principe tenu de se laisser guider par des considérations économiques et de choisir ses cocontractants en conséquence.
80 Quant aux entreprises qui prennent en charge des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, elles devraient toujours avoir la possibilité, afin de ne pas compromettre la poursuite de leur mission, de faire compenser leurs pertes éventuelles par les pouvoirs publics. Ceux-ci ne renonceront à leur soutien que s'ils n'ont plus d'intérêt à ce que le besoin soit satisfait - ce qui signifie que ce besoin n'est plus d'intérêt général.
81 Si l'on applique ce schéma à la défenderesse, il appartient à la juridiction de renvoi de rechercher d'abord dans quelle mesure le contrat de société de Taitotalo comporte une clause prévoyant que la ville de Varkaus est tenue de compenser les déficits de Taitotalo. Une obligation de ce genre pourrait découler aussi de dispositions du droit national ou de règles coutumières. Il faut se demander ici si non seulement il existe une réglementation expresse concernant le comblement des déficits, mais si c'est aussi l'usage. Si la ville de Varkaus devait effectivement prendre à sa charge les déficits de la défenderesse ou se porter caution pour elle, par exemple, il appartiendrait à la juridiction de renvoi d'en tenir compte.
82 Les observations de la république de Finlande à l'audience donnent à penser que, normalement, les communes évitent que des sociétés qui leur appartiennent ne tombent en faillite.
83 Si toutefois Taitotalo devait effectivement supporter elle-même un risque économique et financier, sans qu'elle puisse s'attendre à ce que les pouvoirs publics lui viennent en aide, elle satisferait un besoin industriel et commercial.
84 En conclusion, il convient donc de répondre à la question du kilpailuneuvosto qu'une société anonyme qui appartient à une municipalité et qui est soumise à la direction de celle-ci, qui passe des marchés en vue de la planification et de la construction d'un lotissement concernant des locaux à usage professionnel qui sont loués dans l'intérêt général à des entreprises, est un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50, dès lors qu'elle n'a pas à supporter à elle seule le risque économique inhérent à son activité puisqu'elle peut obtenir que la ville compense ses pertes éventuelles.
3. La première question supplémentaire
a) Position des parties
85 Toutes les parties qui se sont exprimées sur la première question supplémentaire jugent pertinente pour l'analyse la circonstance que le projet immobilier d'une commune serve à créer sur son territoire les conditions propices à des activités économiques.
86 Taitotalo souligne cependant que cette question n'a rien à voir avec le litige dont le kilpailuneuvosto est saisi concrètement, puisqu'il ne s'agit pas d'un quelconque projet immobilier de la ville, comme la question supplémentaire le donne à penser, mais qu'elle - la défenderesse -, grâce à ce projet, améliore les conditions d'exercice de l'activité de plusieurs entreprises.
b) Appréciation
87 Il a déjà été répondu en substance à la question supplémentaire relative à l'intérêt général lors de l'interprétation de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50.
88 Les implantations d'installations industrielles ou commerciales et la promotion de l'activité économique qui y est liée visent à satisfaire des besoins d'intérêt général et, partant, répondent au critère énoncé à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, premier tiret, de la directive 92/50 pour qu'une entité puisse être qualifiée d'organisme de droit public au sens de cette disposition.
89 Il est donc pertinent, pour l'analyse, qu'un projet immobilier de la commune serve à créer sur le territoire de celle-ci les conditions propices à des activités économiques, parce qu'il permet ainsi de répondre à un besoin d'intérêt général.
4. La deuxième question supplémentaire
a) Position des parties
90 Taitotalo et la Commission soutiennent que la circonstance que les locaux à construire ne soient loués qu'à une seule entreprise signifie que Taitotalo ne satisfait pas de besoins d'intérêt général.
91 La république de Finlande, la République française et la république d'Autriche considèrent au contraire que la circonstance que les locaux à construire ne soient loués qu'à une seule entreprise n'a aucune importance.
b) Appréciation
92 Nous avons déjà expliqué que l'intérêt général à satisfaire un besoin ne se mesure pas au nombre des utilisateurs directs d'une activité ou d'un service.
93 Il convient donc de répondre à la deuxième question supplémentaire que la circonstance que les locaux à construire ne soient loués qu'à une seule entreprise n'a aucune importance.
VI - Conclusions
94 Eu égard aux développements qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre ce qui suit aux questions du kilpailuneuvosto:
«Une société anonyme, qui est la propriété d'une municipalité et dans laquelle celle-ci détient le pouvoir de direction, qui acquiert des services de planification et de construction dans le but de construire des locaux destinés, dans l'intérêt général, à être loués à des entreprises, est à considérer comme un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, dès lors que cette société n'a pas à supporter à elle seule le risque économique inhérent à son activité puisqu'elle peut obtenir que la ville compense ses pertes éventuelles.
Il est donc pertinent, pour l'analyse, qu'un projet immobilier de la commune serve à créer sur son territoire les conditions propices à des activités économiques, parce qu'il permet ainsi de répondre à un besoin d'intérêt général.
La circonstance que les locaux à construire ne soient loués qu'à une seule entreprise n'a aucune importance pour l'analyse.»
(1) - Devenu le Markkinaoikeus au 1er mars 2002.
(2) - JO L 209, p. 1.
(3) - Voir, entre autres, les arrêts du 10 mai 2001, Agorà et Excelsior (C-223/99 et C-260/99, Rec. p. I-3605, point 18), et du 3 mars 1994, Eurico Italia e.a. (C-332/92, C-333/92 et C-335/92, Rec. p. I-711, point 17).
(4) - Voir arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871, point 23).
(5) - Voir, entre autres, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59).
(6) - Voir arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a. (C-320/90 à C-322/90, Rec. p. I-393, point 6).
(7) - Voir arrêts Agorà et Excelsior (précité note 5, point 20), et du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 18).
(8) - Voir arrêts du 23 janvier 1975, Van der Hulst (51/74, Rec. p. 79, points 38 à 42), et du 21 mars 1985, Celestri (172/84, Rec. p. 963, points 12 à 16).
(9) - Arrêt du 9 octobre 1997, Grado et Bashir (C-291/96, Rec. p. I-5531, points 15 et 16).
(10) - Voir arrêt du 13 décembre 1994, Grau-Hupka (C-297/93, Rec. p. I-5535, point 18).
(11) - Pages 8 et 9.
(12) - C-44/96, Rec. p. I-73.
(13) - C-360/96, Rec. p. I-6821.
(14) - Précité note 13.
(15) - Arrêt BFI Holding, précité note 14.
(16) - C-237/99, Rec. p. I-939.
(17) - Précité note 14.
(18) - Voir nos conclusions prononcées le 21 mars 2002 dans cette affaire pendante devant la Cour.
(19) - Précitée note 4.
(20) - Voir arrêt BFI Holding (précité note 14, point 62), comportant un renvoi à l'arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes (31/87, Rec. p. 4635, point 11).
(21) - Directives 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54); 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84); et 92/50.
(22) - Voir à ce sujet l'arrêt du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten (C-143/93, Rec. p. I-431, point 27).
(23) - Voir arrêts BFI Holding (précité note 14, point 62); Beentjes (précité note 21, point 11), et du 17 décembre 1998, Connemara Machine Turf (C-306/97, Rec. p. I-8761, point 31).
(24) - Arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (précité note 13, point 24).
(25) - Arrêt BFI Holding (précité note 14, point 51).
(26) - Précitée note 19, point 64.
(27) - Directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, JO L 185, p. 5.
(28) - Précitée note 19, points 42 à 45.
(29) - Précité note 4, point 34.
(30) - Précité note 14, point 32.
(31) - Ibidem, point 36.
(32) - Ibidem, point 49.
(33) - Ibidem, point 53.
(34) - Voir, entre autres, l'arrêt Agorà et Excelsior (précité note 4, point 37), qui renvoie à la décision BFI Holding (précitée note 14, points 50 et 51).
(35) - Voir, entre autres, arrêt Agorà et Excelsior (précité note 4, point 42).
(36) - Voir arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C-475/99, Rec. p. I-8089, point 31, sur une question concernant le droit de la concurrence).
(37) - Voir nos conclusions du 30 janvier 2001 dans les affaires jointes Agorà et Excelsior (précitées note 4, point 67) ainsi que dans l'affaire Adolf Truley (précitée note 19, point 95).
(38) - Ainsi s'est exprimé l'avocat général Léger dans ses conclusions du 16 septembre 1997 dans l'affaire Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (précitée, point 69).
(39) - Arrêts Commission/France, précité note 17, point 42, et du 3 octobre 2000, University of Cambridge (C-380/98, Rec. p. I-8035, point 17).
(40) - Arrêts Commission/France (précité note 17, point 41, et University of Cambridge (précité note 40, point 16).