DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DRASSICH c. ITALIE
(Requête no 25575/04)
ARRÊT
STRASBOURG
11 décembre 2007
DÉFINITIF
11/03/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Drassich c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,
MM. I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė,
MM. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 25575/04) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mauro Drassich (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 juillet 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me L. Stortoni, avocat à Bologne. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le requérant alléguait l'iniquité de la procédure pénale contre lui en raison de la requalification des faits pour lesquels il était poursuivi et de l'impossibilité de se défendre de la nouvelle accusation.
4. Le 10 novembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1958 et réside à Trieste. Lors de l'introduction de la requête, il était détenu à la prison de Turin.
6. Magistrat auprès du tribunal de Pordenone, il était chargé de la direction de la section du tribunal traitant les affaires de faillite.
7. Par une ordonnance du 20 janvier 1995, il fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Venise pour les délits de corruption, faux et abus de pouvoir.
8. Il était accusé d'avoir nommé personnellement les syndics (curatori) et les juges commissaires (commissari giudiziari) dans cent quatre-vingts procédures de faillite. Pour ce faire, il avait falsifié les décrets de nomination qui, aux sens de la loi, doivent obligatoirement être pris collégialement. En outre, il était inculpé d'avoir calculé les rétributions dues aux professionnels, tels que syndics, experts et conseillers commerciaux, selon les barèmes maximaux fixés par la loi, percevant en retour des avantages patrimoniaux de la part de certains d'entre eux.
9. Le troisième chef d'accusation à la charge du requérant, concernant le délit de corruption, se lisait comme suit :
« Infraction punie et prévue par l'article
319 du code pénal (corruzione per un atto contrario ai doveri d'ufficio) pour avoir, en sa qualité de magistrat prés du tribunal de Pordenone (...), accompli des actes contraires à ses devoirs publics, en choisissant les syndics et les juges commissaires contrairement aux devoirs de transparence, rectitude (correttezza) et bonne gestion de l'administration publique (...) et, en tout état de cause, pour avoir, contrairement aux devoirs de fidélité, impartialité et probité, reçu de l'argent et d'autres bénéfices de la part de syndics, experts et conseillers commerciaux (...) »
10. Le 20 décembre 1996, le parquet de Venise renvoya en jugement le requérant et quatre conseillers commerciaux, ces derniers étant inculpés d'avoir bénéficié des nominations irrégulières et d'avoir remis en retour au requérant des sommes d'argent et des objets de valeur. L'ordonnance de renvoi en jugement faisait référence au troisième chef d'accusation du décret du 20 janvier 1995.
11. La mise en état de l'affaire commença en janvier 1998. A l'audience du 28 janvier 1998, les deux procédures ouvertes contre les requérant furent réunies.
12. Le requérant ne nia pas les faits. Cependant, il affirma s'être conformé à une pratique existant dans plusieurs tribunaux italiens dans le but d'alléger ses collègues magistrats des tâches liées à la nomination des syndics et des juges commissaires, en raison de la charge exorbitante de travail pesant sur le tribunal. Quant à la question des rétributions accordées aux professionnels, il soutint avoir voulu organiser le travail de la section du tribunal dont il était responsable sur un mode d'efficacité et de collaboration avec ceux-ci, accordant de manière indiscriminée des rétributions élevées tout en respectant les critères de calcul fixés par la loi.
13. Par un jugement du 21 octobre 1998, le tribunal de Venise déclara le requérant coupable de faux et de cinq épisodes de corruption, le délit d'abus de pouvoir étant absorbé par ce dernier délit.
Le requérant fut condamné à une peine globale de trois ans d'emprisonnement. Des circonstances atténuantes lui furent reconnues en raison de sa personnalité et de son comportement pendant le procès.
14. Le requérant et le ministère public interjetèrent appel. Par un arrêt du 12 février 2002, la cour d'appel de Venise confirma la condamnation du requérant pour les délits de faux et de corruption. Cependant, déclarant le requérant coupable de huit épisodes de corruption, la cour d'appel éleva la peine à trois ans et huit mois d'emprisonnement.
15. Le requérant se pourvut en cassation. Dans un de ses moyens, il fit valoir que le délit de corruption, compte tenu des circonstances atténuantes dont il avait bénéficié, était prescrit depuis août 2001.
16. Par un arrêt du 4 janvier 2004, dont le texte fut déposé au greffe le 17 mai 2004, la Cour de cassation débouta le requérant. Au sujet de l'exception du requérant concernant la prescription du délit de corruption, la haute juridiction affirma qu'il était nécessaire de requalifier les faits, faisant ainsi usage de son pouvoir institutionnel d'attribuer aux faits délictueux la juste qualification juridique. Elle soutint que l'exclusion d'une cause d'extinction de l'infraction qui pourrait éventuellement découler de la requalification ne pourrait être considérée comme une reformatio in pejus, dans la mesure où la peine infligée n'est pas aggravée.
17. La Cour de cassation estima que, compte tenu de la nature des actes qui avaient fait l'objet de la corruption et du fait qu'ils avaient été accomplis par le requérant dans l'exercice de la fonction judiciaire, les faits de l'espèce devaient être qualifiés de « corruption dans des actes judiciaires » (corruzione in atti giudiziari) au sens de l'article 319ter du code pénal. Cette infraction, punie plus sévèrement que celle, autonome, prévue par l'article 319, trouve à s'appliquer lorsque la corruption a été commise dans le but spécifique de favoriser ou de nuire à l'une des parties du procès. A ce propos, elle affirma que les syndics et les juges commissaires doivent être considérés comme étant « parties du procès », car ils ont un intérêt, direct ou indirect, à l'issue de la procédure de faillite.
Compte tenu du fait que la qualification juridique des faits retenue entraînait, nonobstant la concession des circonstances atténuantes, une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement, la Cour de cassation conclut que le délai légal prescrit par l'article
157 du code de procédure pénale pour la prescription du délit n'était pas encore expiré et rejeta l'exception soulevée par le requérant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code pénal
18. L'article
319 du code pénal se lit ainsi :
« Corruzione per un atto contrario ai doveri d'ufficio. Le fonctionnaire public qui, omettant ou retardant (...) un acte rentrant dans l'exercice de ses fonctions, ou accomplissant un acte contraire à ses devoirs publics, reçoit de l'argent ou d'autres bénéfices, ou en accepte la promesse, est puni d'une peine de deux à cinq ans d'emprisonnement ».
L'article 319bis prévoie les circonstances aggravantes du délit ci-dessus :
« Circostanze aggravanti. La peine est augmentée si l'infraction prévue par l'article 319 concerne l'attribution d'emplois publics, de pensions ou de salaires ou la conclusion de contrats avec l'administration publique dont le fonctionnaire fait partie ».
L'article 319ter du même code dispose :
« Corruzione in atti giudiziari. Si les faits prévus par l'article (...) 319 sont commis afin de favoriser ou de nuire à l'une des parties d'un procès civil, pénal ou administratif, l'infraction est punie d'une peine de trois à huit ans d'emprisonnement.
(...) si de l'infraction découle l'injuste condamnation d'un tiers à une peine de réclusion supérieure à cinq ans ou à la perpétuité, le délit est puni d'une peine de six à vingt ans de réclusion».
Le code de procédure pénale
19. Aux termes de l'article 157 § 1, alinéa 4, du code pénal, le délai de prescription est de cinq ans si le délit est puni d'une peine de réclusion inferieure à cinq ans. Selon le deuxième paragraphe de ce même article, pour déterminer le délai légal de la prescription, il faut tenir compte de la peine maximale prévue.
20. Au sens de l'article 521 §§ 1 et
2 du code de procédure pénale :
« 1. Dans le jugement, le juge peut donner aux faits une qualification juridique différente par rapport à celle qui a été retenue dans le chef d'accusation à condition que l'infraction ne dépasse pas sa compétence.
2. Le juge ordonne (...) la transmission du dossier au parquet s'il s'aperçoit que le fait est différent par rapport à celui qui a été décrit dans l'ordonnance de renvoi en jugement (...) ».
L'article
522 § 1 du code de procédure pénale établit que :
« Le non-respect des dispositions prévues dans la présente section est un motif de nullité ».
La jurisprudence de la Cour de cassation
21. Dans son arrêt no 45275 du 16 novembre 2001, la Cour de cassation affirma que :
« Le délit de corruption dans des actes judiciaires, prévu à l'article 319ter, représente une infraction autonome et non pas une circonstance aggravante des délits de corruption prévus par les articles 318 et
319 du même code. En effet, outre le différent nomen juris du délit et le fait que le second paragraphe de l'article prévoie des circonstances aggravantes, cette infraction comporte l'élément intentionnel spécifique de favoriser ou de préjuger une partie du procès ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 a) et b) DE LA CONVENTION
22. Le requérant se plaint de l'iniquité de la procédure pénale contre lui et allègue la méconnaissance de son droit de défense. Il invoque l'article 6 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
(...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) »
23. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
24. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
25. Le requérant ne conteste pas le droit des autorités nationales de requalifier les faits. Il ne conteste que les conditions dans lesquelles une telle requalification est intervenue et le fait de ne pas en avoir été informé en temps utile.
Contrairement à l'affaire De Salvador Torres c. Espagne (arrêt du 24 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V), cité par le Gouvernement (paragraphe 29 ci-dessous), les faits requalifiés ne lui ont jamais été notifiés et jamais il n'a eu la possibilité de préparer sa défense par rapport à la nouvelle accusation ou de débattre du bien fondé de celle-ci.
26. Le requérant allègue en outre que la requalification de son accusation a eu de graves répercussions sur la peine qui lui a été infligée. Il fait observer que, si le délit de corruption avait été déclaré prescrit, le calcul de la peine globale à son encontre aurait été inférieur à trois ans de réclusion et il aurait pu bénéficier d'une mesure alternative à la détention.
27. Le Gouvernement affirme que la requalification opérée par la Cour de cassation n'a nullement entraîné une modification des faits reprochés au requérant au début de la procédure. Seul le nomen juris de l'infraction délictueuse aurait été modifiée, ce qui rentre parfaitement dans les compétences de la haute juridiction et vise une application uniforme de la loi.
28. De plus, la Cour de cassation aurait appliqué une jurisprudence consolidée qui lui permet de rectifier la qualification juridique des faits lorsque la peine qui en résulte n'est pas aggravée. A ce propos, le Gouvernement fait valoir que la requalification litigieuse a concerné seulement le délit de corruption, tandis que la mesure de la peine aurait été déterminée par le délit de faux.
29. Quoiqu'il en soit, le délit prévu par l'article 319ter ne constitue qu'une circonstance aggravante du délit de corruption simple prévu par l'article 319, qui avait été initialement imputé au requérant. Le Gouvernement souligne les similitudes de la présente requête avec l'affaire De Salvator Torres c. Espagne (précitée) et soutient que le fait que la corruption ait été accomplie dans l'exercice de la fonction judiciaire et dans le but de favoriser une partie du procès constituaient des éléments intrinsèques de l'accusation initiale ressortissant de l'ordonnance de renvoi, contre laquelle le requérant a eu le loisir de se défendre tout au long de son procès.
30. Le Gouvernement attire l'attention de la Cour sur le texte de l'ordonnance de renvoi et maintient que tous les éléments constitutifs du délit pour lequel le requérant a été condamné en dernier ressort y étaient indiqués.
2. Appréciation de la Cour
31. La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3 de l'article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l' « accusation » à l'intéressé. L'acte d'accusation jouant un rôle déterminant dans les poursuites pénales, l'article 6 § 3 a) reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999-II).
32. La portée de cette disposition doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure.
33. Par ailleurs, il n'en va pas autrement en matière civile, la Cour ayant affirmé que le juge doit respecter le principe du contradictoire et donner aux parties la possibilité de connaître et de débattre toute question essentielle pour l'issue de la procédure, notamment lorsqu'il rejette un pourvoi en cassation ou tranche un litige sur la base d'un motif soulevé d'office (Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, § 38, 13 octobre 2005 ; Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 52, 16 février 2006).
34. Les dispositions de l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Il existe par ailleurs un lien entre les alinéas a) et b) de l'article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France précité, §§ 52-54). Si les juridictions du fond disposent, lorsqu'un tel droit leur est reconnu en droit interne, de la possibilité de requalifier les faits dont elles sont régulièrement saisies, elles doivent s'assurer que les accusés ont eu l'opportunité d'exercer leurs droits de défense sur ce point d'une manière concrète et effective. Ceci implique qu'ils soient informés, en temps utile, non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à leur charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée.
35. En l'espèce, le grief du requérant tient au fait d'avoir été condamné pour un délit, la corruption dans des actes judiciaires, qui n'était pas mentionné dans son renvoi en jugement et qui ne lui a été communiqué à aucun stade de la procédure.
36. La Cour observe d'emblée que la requalification litigieuse eut lieu au moment du délibéré de la Cour de cassation. De plus, il n'apparaît pas que le ministère public ou l'un des magistrats composant le collège de la haute juridiction ait évoqué l'opportunité de requalifier les faits de la cause à un stade antérieur de la procédure (Pélissier et Sassi c. France précité, §55 ; a contrario, Backstrom et Andersson c. Suède (déc.), no 67930/01, du 5 septembre 2006). Dans ces conditions, il n'est pas établi que le requérant fût averti de la possibilité d'une requalification de l'accusation portée contre lui et, encore moins, qu'il eut l'occasion de débattre contradictoirement la nouvelle accusation (a contrario, D.C. c. Italie (déc.), no 55990/00, non-publié). D'ailleurs, le Gouvernement n'avance aucun argument à ce propos.
37. Reste à examiner, à la lumière de la notion, en droit italien, du délit de corruption dans des actes judiciaires, s'il était suffisamment prévisible pour le requérant que l'accusation initialement diligentée contre lui soit requalifiée.
38. A ce propos, la Cour ne saurait suivre le raisonnement du Gouvernement selon lequel l'infraction litigieuse ne constitue qu'une simple circonstance aggravante du délit de corruption simple.
En effet, force est de constater que la Cour de cassation affirma dans son arrêt rendu contre le requérant que la corruption dans des actes judiciaires constitue un délit « autonome », puni plus sévèrement que la corruption simple en raison du « but spécifique de favoriser ou de nuire à l'une des parties du procès » (paragraphe 17 ci-dessus). De surcroît, ce même principe avait été déjà affirmé par la haute juridiction dans un arrêt de 2001 (paragraphe 21 ci-dessus).
39. La Cour relève que, s'il est vrai que les articles 319 et 319ter figurent dans la même section du code pénal, ces deux dispositions se distinguent clairement par l'un de leurs éléments constitutifs.
Certes, comme le Gouvernement l'a affirmé, l'élément matériel des deux délits est le même, à savoir la commission d'actes contraires aux devoirs propres à un fonctionnaire public dans le but de percevoir des bénéfices. Cependant, comme la Cour vient de le constater, le délit de corruption dans des actes judiciaires nécessite également la présence d'un élément intentionnel spécifique (Sadak et autres c. Turquie, nos 29900/96, 29901/96, 29902/96 et 29903/96, § 54, CEDH 2001-VIII ; à contrario, De Salvador Torres c. Espagne, précité, § 33).
40. Or, la Cour n'a pas à apprécier le bien-fondé des moyens de défense que le requérant aurait pu invoquer s'il avait eu la possibilité de débattre de la nouvelle accusation contre lui, notamment par rapport à la question de savoir si les actes délictueux avaient été accomplis dans le but de privilégier l'une des parties du procès. Elle relève simplement qu'il est plausible de soutenir que ces moyens auraient été différents de ceux choisis afin de contester l'action principale (Pélissier et Sassi c. France, précitée, § 60 ; Sadak et autres c. Turquie, précité, § 55).
41. Enfin, au sujet des répercussions de la nouvelle accusation sur la détermination de la peine du requérant, la Cour observe que la Cour de cassation procéda à la requalification des faits de la cause dans le cadre de l'examen de l'exception de prescription du délit soulevée par le requérant. La haute juridiction motiva le rejet de ladite exception sur la base de la nouvelle qualification juridique des faits et compte tenu du plafond légal de la peine applicable au délit de corruption dans des actes judiciaires, plus élevée de celle prévue pour le délit de corruption simple.
Dès lors, la Cour ne saurait souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle la modification de l'accusation a été sans incidence sur la détermination de la peine prononcée à l'encontre du requérant.
42. Eu égard à tous ces éléments, la Cour estime qu'une atteinte a été portée au droit du requérant à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ainsi qu'à son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
43. Partant, il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article, qui prescrit une procédure équitable.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
45. Le requérant n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai qui lui avait été imparti à ce fin.
Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme au titre de l'article 41 (Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003).
46. Toutefois, lorsque la Cour conclut qu'un particulier a été condamné à l'issue d'une procédure entachée de manquements aux exigences de l'article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l'intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210 in fine, CEDH 2005-IV ; Ünsal c. Turquie, no 24632/02, § 36, 20 février 2007).
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé F. Tulkens
Greffière Présidente