1) |
L'article 37 du traité CEE doit-il être interprété dans ce sens que les monopoles nationaux entraînant des discriminations entre les ressortissants des États membres en ce qui concerne les conditions d'approvisionnement et de débouchés englobent les centrales laitières auxquelles la République italienne garantit l'exclusivité de l'introduction et de la vente de lait de consommation dans les zones qui leur sont réservées («zone di pertinenza») ? |
2) |
L'article 37 du traité CEE doit-il être interprété dans ce sens que les organismes par lesquels un État membre contrôle ou influence sensiblement les importations entre les États membres englobent les centrales laitières existant en République italienne ? |
3) |
L'expiration du délai à l'article 22, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 804/68, du 27 juin 1968, et prorogé par l'article 2 du règlement (CEE) no 2622/69, du 21 décembre 1969, implique-t-elle l'interdiction de restrictions à l'introduction et à la vente de lait au regard des articles 5 et 37 du traité ? |
4) |
Les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité font-elles obstacle à l'obligation de supprimer les restrictions en question ? |
5) |
A compter du 31 décembre 1969 (ou du moins à compter du 31 juillet 1970) les dispositions énoncées à l'article 37, et spécialement celles de son paragraphe 1, ont-elles engendré directement et immédiatement dans les États membres des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir devant le juge (ou bien cet effet direct résulte-t-il des articles 22 du règlement no 804/68 et 2 du règlement no 2622/69) ? |
1. |
Commençons par une observation de caractère général. Comme nous l'avons vu, le «Pretore» de Bari estime qu'en cas de conflit opposant le droit communautaire au droit national, la solution doit être recherchée en se référant à l'article 15 des dispositions préliminaires du «Codice civile», c'est-à-dire en reconnaissant aux dispositions du droit communautaire la primauté sur les lois internes qui leur sont antérieures. Cette façon de voir les choses a été critiquée par la Commission, qui a fait observer que le droit communautaire devait se voir reconnaître la prééminence en tout état de cause, dans tous les cas où il énonce des règles directement applicables. A vrai dire, le bien-fondé de cette observation ne saurait être contesté. Il nous suffit à cet égard de nous référer à la jurisprudence de la Cour (CJ 15 juillet 1964, 6-64 (Costa contre ENEL), Recueil 1964, p. 1158 et suiv.). Aussi, Messieurs, pourriez-vous envisager de relever une fois de plus cette caractéristique essentielle du droit communautaire. Nous croyons qu'il serait judicieux de la rappeler, nonobstant le fait que la question n'est pas déterminante pour la solution des problèmes qui se posent au juge national, compte tenu de la date à laquelle a été adoptée la loi interne en cause dans l'espèce. |
2. |
Cela dit, et avant d'aborder les problèmes de fond sur lesquels vous êtes interrogés, nous devons encore examiner certaines questions de recevabilité. C'est spécialement le gouvernement italien qui les a soulevées, mais la Commission n'a pas manqué non plus de les évoquer. Et la manière dont ont été libellées certaines des questions qui vous sont soumises, nous oblige à admettre que ce n'est pas entièrement sans raison que ces objections ont été émises. C'est ainsi surtout que, par ses deux premières questions, le juge national semble vouloir inviter la Cour à rattacher une situation interne déterminée au champ d'application de règles du droit communautaire, à appliquer, en d'autres termes, le droit communautaire à un cas d'espèce. Or (vous l'avez déjà souligné à maintes reprises), il est certain que, contrairement à l'hypothèse de la procédure au titre de l'article 169, la procédure de l'article 177 du traité CEE ne permet pas à votre Cour de se prononcer sur la compatibilité d'une disposition du droit interne avec les règles communautaires, car il s'agit là d'une tâche qui incombe au juge national. — Mais observons, d'autre part, qu'il n'y a aucune difficulté à modifier la formulation des questions qui vous ont été posées, en vue d'en dégager les véritables problèmes d'interprétation soulevés dans l'espèce, par exemple de la manière dont la Commission l'a fait à la page 6 de son mémoire. Et (contrairement à ce que pense le gouvernement italien) en procédant ainsi, il est parfaitement possible de maintenir la référence à une situation nationale déterminée. En effet, non seulement cette référence se justifie par le fait que les règlements communautaires dont l'interprétation est ici demandée visent de toute évidence des mesures nationales bien déterminées, mais, d'une manière plus générale, elle permet (comme nous avons déjà eu l'occasion de l'observer dans plusieurs affaires préjudicielles) de bien délimiter la portée de la demande d'interprétation. A condition de procéder comme nous le suggérons, il est à vrai dire impossible de nier en principe la recevabilité des questions posées par le «Pretore» de Bari, et cela d'autant plus que, dans les motifs de l'ordonnance par laquelle celui-ci vous demande de statuer à titre préjudiciel, il a souligné lui-même que, saisis à ce titre, vous ne sauriez évidemment pas vous prononcer sur la compatibilité des règles du droit national avec les dispositions communautaires. Il en est de même (cela va sans dire) pour les troisième et quatrième questions, dont le libellé semble indiquer lui aussi, encore que moins nettement, qu'elles tendent à l'application du droit, c'est-à-dire à l'appréciation d'une situation telle qu'elle se présente concrètement dans un État déterminé. Nous verrons plus loin comment il est néanmoins possible de les examiner dans le cadre de la procédure au titre de l'article 177. A propos de la cinquième question, il faut encore noter que le gouvernement italien la juge irrecevable pour manque de clarté, et cela, semble-t-il, à cause du terme «giustiziabili» utilisé dans le texte italien de l'ordonnance de renvoi (pour désigner les dispositions dont les particuliers pourraient se prévaloir devant le juge national). En outre, le gouvernement italien ne voit pas clairement auxquelles des dispositions énoncées à l'article 37 du traité CEE le juge national se réfère ni de quelle disposition de l'article 22 du règlement no 804/68 il demande l'interprétation. — L'analyse de ces objections démontre toutefois qu'elles sont, elles aussi, sans fondement. Il est clair, en effet, que le juge national désire simplement savoir si, à partir de certaines dates, certaines règles du droit communautaire sont «selfexecuting», si, en d'autres termes, elles peuvent être directement appliquées à l'échelon national et si elles engendrent en faveur des justiciables les droits individuels dont la jurisprudence de la Cour a déjà souvent eu l'occasion de préciser la portée. D'autre part, le contexte dans lequel ce juge a été amené à vous soumettre sa demande d'interprétation ne laisse subsister aucun doute sur les dispositions qu'il avait en vue. Nous le démontrerons plus loin pour chacune d'elles, ce qui fera apparaître que la cinquième question n'est pas moins recevable que les quatre premières. Relevons enfin que la recevabilité de la demande du «Pretore» de Bari ne saurait pas non plus être affectée par le fait que les réponses aux questions qu'il vous soumet peuvent avoir des répercussions dans le domaine du droit pénal national. Comme la Commission le souligne avec raison, la primauté des dispositions de droit communautaire directement applicables doit être entendue dans un sens très large. Si, refusant de l'admettre, on excluait de l'application de ce principe certaines branches du droit national, telles que le droit pénal, on pourrait en arriver facilement à rétrécir le champ d'application du droit communautaire, en camouflant sous des apparences pénales certains secteurs du droit qui ont une incidence dans le domaine économique. Or, il va de soi qu'un tel résultat est incompatible avec l'idée du marché commun et de l'applicabilité uniforme des règles essentielles du droit communautaire. Il apparaît dès lors, Messieurs, qu'en réalité rien ne peut vous empêcher d'examiner au fond les problèmes dont le juge national vous a saisis. |
3. |
Pour ce qui est du fond proprement dit, le «Pretore» de Bari vous demande tout d'abord d'interpréter l'article 37, paragraphe 1, du traité CEE, c'est-à-dire (si nous regroupons ses deux premières questions) de préciser la notion de «monopole national présentant un caractère commercial», de déterminer ce qu'il faut entendre par organisme «par lequel un État membre, de jure ou de facto, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations … entre les États membres» et d'expliquer le membre de phrase de l'alinéa 1 aux termes duquel il faut qu'«à l'expiration de la période de transition soit assurée, dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres». Vous êtes appelés à fournir cette interprétation au regard des centrales laitières italiennes, dont nous avons déjà mentionné les tâches particulières et les privilèges spéciaux, et notamment le droit exclusif qui leur est reconnu de vendre le lait dans une zone déterminée. Et, pour répondre au «Pretore», de la compétence duquel relève l'interprétation du droit national, vous devrez vous en tenir aux éléments qu'il vous a communiqués en vue de caractériser lesdites centrales.
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4. |
Mais cela dit, il importe encore d'examiner si certaines autres dispositions du traité ne pourraient pas faire obstacle à l'application de l'article 37. A cet égard, il s'agit d'examiner en premier lieu l'article 90, paragraphe 2, dont le juge national vous demande l'interprétation par sa quatrième question. Comme vous le savez, ce texte prévoit que «les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général … (ne) sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence», que dans la mesure «où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie». Lorsque nous nous demandons comment il convient d'interpréter cette disposition au regard de la position et des tâches des centrales laitières, telles que le juge national nous les a décrites, nous constatons tout d'abord que (comme la Commission l'a relevé) l'expression «gestion de services d'intérêt économique général» paraît devoir recouvrir un large champ d'application. Il faut qu'il s'agisse de services de nature économique, par exemple de la distribution de biens de consommation, effectuée dans l'intérêt de l'ensemble des citoyens, étant entendu qu'il ne doit pas nécessairement s'agir de la population dans sa totalité, car il suffit que certains groupes de celle-ci bénéficient des services en question. Nous pouvons vraisemblablement admettre que tel est le cas pour les centrales laitières italiennes, en dépit des doutes émis à cet égard par l'entreprise SAIL. Nous pourrons admettre, ensuite, que les centrales laitières se sont vu confier une «mission particulière» par les autorités nationales, et cela notamment en tant que ces centrales doivent garantir les qualités commerciales et hygiéniques du lait qu'elles distribuent, et peut-être aussi compte tenu de leurs obligations en matière d'approvisionnement de la population en lait. Mais une autre observation essentielle est à faire à propos de l'article 90, paragraphe 2: c'est (nous l'avons déjà dit) qu'il n'exclut l'application des règles générales du traité que pour autant que celle-ci fait échec à l'accomplissement en droit ou en fait des tâches particulières qui sont imparties aux entreprises visées par ce texte. A cet égard, la Commission a raison de relever qu'étant donné le caractère dérogatoire de cette disposition, il convient en tout cas de l'interpréter d'une manière stricte. Elle souligne en outre que l'exemption en question ne saurait jouer dans le cas où les échanges commerciaux se trouveraient affectés dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté. Cela étant, il ne fait pas de doute qu'au moment d'évaluer les intérêts en présence, il faille se montrer particulièrement strict lorsqu'il s'agit de l'application des règles relatives à la libre circulation des marchandises. Nous ne voyons guère quels autres critères généraux d'interprétation pourraient être dégagés à propos de l'article 90. Tout au plus pourrions-nous encore faire observer qu'on ne voit pas comment, en mettant en œuvre les exigences énoncées à l'article 37 (c'est-à-dire en éliminant, grâce à la suppression du droit de vente exclusif, la possibilité de discriminations), on pourrait aboutir à faire échec à l'accomplissement en droit des missions imparties aux centrales laitières, car, tout au contraire (du moins en ce qui concerne l'approvisionnement), on peut estimer que cet accomplissement s'en trouvera amélioré. Nous ne croyons pas non plus qu'on puisse dire que cette mesure compromettrait l'accomplissement en fait desdites missions au motif que l'élimination des entraves à la concurrence pourrait mettre en péril l'existence des centrales laitières. Cette hypothèse est, à coup sûr, très peu probable. Ajoutons qu'au surplus, il ne faudrait pas perdre de vue que, pour l'application de l'article 90, il convient en tout cas de faire prévaloir le principe selon lequel le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté. Telles sont les indications qui, croyons-nous, permettront au «Pretore» de Bari de statuer sur l'application de l'article 90 aux faits soumis à son appréciation et de départager correctement, à cette fin, les intérêts en présence. |
5. |
Mais, Messieurs, indépendamment de l'article 90, paragraphe 2, la présente affaire peut encore mettre en jeu l'article 36 du traité. Comme vous le savez, ce texte autorise les «interdictions ou restrictions d'importation» qui sont justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux. Et il est bien permis de penser qu'il ne joue pas seulement à l'égard des dispositions des articles 30 à 34, mais qu'en raison de la connexité de la matière, il doit également être pris en considération lorsqu'il s'agit d'appliquer l'article 37. Aussi convient-il que nous nous demandions comment il faut interpréter l'article 36 au regard d'une situation comme celle de l'espèce soumise au juge national. Sans doute pourrait-on objecter que celui-ci ne vous a pas interrogés sur ce point et qu'on a même l'impression qu'après avoir interprété la loi italienne no 851, c'est intentionnellement qu'il ne l'a pas fait. Cependant, tout comme la Commission, nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher d'ajouter néanmoins, afin d'être complet, quelques indications à ce sujet. Et, à cet égard, il apparaît avant tout que, constituant une disposition dérogatoire, l'article 36 doit être interprété restrictivement. Incontestablement, il ne suffit pas que les termes utilisés par le législateur national indiquent que la mesure en cause a été adoptée dans l'intérêt de la protection de la santé; indépendamment de la façon dont le législateur l'a étiquetée, il faut au contraire examiner si cette mesure est nécessaire et appropriée à l'objectif dont il fait état. Lorsqu'on applique ce critère, il est incontestable que des doutes sérieux surgissent à propos des centrales laitières italiennes et de la nécessité de leur garantir l'exclusivité de la vente du lait entier (c'est d'ailleurs ce qui peut expliquer que le juge national n'ait pas posé la question de l'interprétation de l'article 36). — Il est, en tout cas, intéressant d'observer que d'importantes fractions de la population italienne peuvent être approvisionnées en lait frais sans l'intervention de centrales et que, depuis 1963, même dans les régions qui possèdent une centrale, le lait frais écrémé ou partiellement écrémé peut être vendu sans son intervention. Il est également symptomatique que, dans certains autres États membres (comme la France et la République fédérale), qui ont institué des dispositions extrêmement sévères en vue de garantir la protection de la santé, on ne connaisse pas ou on ne connaisse plus le système du droit de vente exclusif des centrales laitières. Dans ces conditions, il apparaît dès lors que la Commission est fondée à qualifier d'excessif au regard de l'article 36 le maintien du droit de vente exclusif reconnu aux centrales laitières italiennes et à affirmer que, la pratique de la pasteurisation du lait entier étant actuellement généralisée, et compte tenu de la sévérité des autres contrôles exercés en Italie à l'occasion de la production et de l'importation du lait, c'est vainement désormais qu'on invoquerait des raisons de protection de la santé pour justifier ce droit de vente exclusif. Par conséquent, Messieurs, il semble bien que, parmi toutes les observations qui peuvent être faites à propos de l'interprétation de l'article 36, aucune ne soit non plus de nature à exclure l'application de l'article 37 aux centrales laitières italiennes. |
6. |
Par une question suivante, le «Pretore» vous demande s'il faut considérer qu'à partir de l'expiration du délai qui a été fixé à l'article 22, paragraphe 2, du règlement no 804 et prorogé par l'article 2 du règlement no 2622/69, c'est-à-dire à compter du 1er avril 1970, il y avait, au regard des articles 5 et 37 du traité CEE, interdiction des restrictions à l'introduction et à la vente de lait. Parmi les questions posées dans la présente affaire, c'est celle-là qui nous paraît exiger le plus grand effort de réflexion. Nous croyons qu'elle nécessite un examen en plusieurs étapes.
Mais la ou la controverse devient vive, c'est quand il s'agit de déterminer la portée de ladite autorisation temporaire, de savoir si (comme le pensent la Commission et l'entreprise SAIL) cette autorisation implique qu'à l'expiration du délai pour lequel elle a été accordée, il convient d'appliquer les dispositions de l'article 37 du traité, ou bien si (comme le croit le gouvernement italien) il faut considérer que, pour certaines raisons que nous aurons à examiner plus loin, l'expiration de ce délai n'entraîne pas l'obligation d'appliquer les règles générales du traité. Pour l'examen de ce problème, force nous est d'approfondir quelque peu nos recherches. — Comme vous le savez, Messieurs, le 27 juin 1968, pour remplacer le règlement no 13/64 (JO no 34, p. 549), dont l'objectif avait été l'établissement graduel d'une organisation commune des marchés dans le secteur du lait, le Conseil a adopté le réglement no 804/68, qui est destiné à fixer l'organisation définitive des marchés du lait et des produits laitiers. Mais cette organisation des marchés n'était pas parfaite; et c'est précisément en ce qui concerne le lait de consommation, produit en cause dans l'affaire soumise au juge national, qu'elle présentait des lacunes. Certaines difficultés de définition et certains problèmes de protection sanitaire ayant surgi à propos de ce produit, le Conseil a décidé, par l'article 22, paragraphe 2, du règlement no 804, que le régime communautaire concernant des mesures complémentaires relatives aux produits relevant de la position 04.01 du tarif douanier commun serait arrêté avant le 1er avril 1969 et appliqué au plus tard le 1er janvier 1970. Ce paragraphe prévoyait également que le Conseil arrêterait des dispositions transitoires pour la circulation du lait d'une qualité déterminée dans le commerce intérieur de la Communauté et que ces dispositions seraient applicables au plus tard le 1er janvier 1969. «Jusqu'à la mise en application de ces dispositions transitoires (lisons-nous ensuite à l'article 22), les États membres peuvent maintenir pour ces produits les restrictions quantitatives et les mesures d'effet équivalent appliquées au moment de l'entrée en vigueur du présent règlement.» Les difficultés qui sont apparues au cours des phases ultérieures des délibérations ont cependant empêché de respecter le programme ainsi prévu. En réalité, il a fallu attendre le règlement no 1411/71 du 29 juin 1971 (JO no L 148, p. 4) pour assister à la création d'un régime du lait de consommation, et encore l'application de ce régime dépend-elle de l'adoption de règles générales complémentaires. L'article 10 de ce règlement no 1411 prévoit que le régime en question devra être mis en application au plus tard le 31 mars 1972. C'est également au plus tard à cette date que devront être éliminées les restrictions quantitatives dont l'article 22, paragraphe 2, du règlement no 804 permet le maintien. Au regard de cette situation, une mise au point doit être faite avant tout: c'est (comme nous l'avons déjà signalé) qu'en réalité rien n'est à redire au fait que l'organisation du marché du lait n'a été complétée qu'après l'expiration de la période de transition. Vainement objecterait-on que l'article 40 du traité prévoit que la politique agricole commune doit être développée pendant la période de transition et qu'elle doit être établie au plus tard à la fin de cette période. On ne saurait en effet, interprétant strictement les termes de l'article 40, prétendre que les organisations nationales de marché devaient être remplacées immédiatement et au plus tard à la fin de la période de transition, puisqu'à cet égard l'article 43, paragraphe 2, prévoit la fixation des dates et modalités nécessaires, y compris les mesures d'adaptation à arrêter en ce qui concerne les organisations nationales de marché. Et cette thèse trouve encore un appui dans le fait que plusieurs dispositions du titre relatif à l'agriculture (par exemple, les articles 42, 44 et 45) prévoient des dérogations qui peuvent subsister au-delà de la fin de la période de transition. Mais, cela étant admis, la question décisive est alors de savoir s'il n'y a pas lieu de considérer que l'organisation nationale du marché du lait (dont l'existence est reconnue par hypothèse) peut continuer, avec toutes ses modalités et en vertu d'un acte de volonté unilatéral de l'État, à être appliquée aussi longtemps qu'il le faut, c'est-à-dire jusqu'à l'achèvement de l'organisation commune des marchés, et que, dès lors, l'application des dispositions générales du traité, y compris celles de l'article 37, est exclue. Telle est, comme vous le savez, la thèse du gouvernement italien, qui prétend par conséquent ne reconnaître qu'un caractère déclaratoire à l'autorisation accordée par le règlement no 804 et prorogée par le règlement no 2622. Ce à quoi l'entreprise SAIL rétorque que l'existence de certains éléments d'une organisation commune des marchés constitue une condition suffisante et que, même s'il n'existe qu'une organisation incomplète comme, en l'espèce, celle qui est établie par le règlement no 804, cela permet d'exiger l'adaptation des dispositions nationales en matière de monopoles. Quant à la Commission, elle estime qu'à partir du moment où il existe un début d'organisation commune des marchés, ne fût-ce que sous la forme d'une organisation fragmentaire, seule la Communauté conserve des pouvoirs réglementaires et d'appréciation en ce qui concerne le secteur en cause, les mesures étatiques d'organisation du marché ne pouvant plus être mises en application qu'en vertu d'une autorisation de la Communauté. Aussi, conclut la Commission, faut-il considérer que l'autorisation énoncée dans le règlement no 804 et les délais dont elle est assortie ont un caractère constitutif. Sur ce point capital, disons immédiatement que, tout bien pesé, force sera une fois de plus de se rallier à l'opinion de la Commission. Il semble, en effet, qu'on ne puisse qu'approuver la thèse selon laquelle la disposition dérogatoire permettant le maintien provisoire des organisations nationales de marché est d'interprétation stricte, et cela notamment parce qu'elle n'est qu'implicitement contenue à l'article 43 du traité. Au surplus, compte tenu des exigences de la sécurité juridique, il paraît raisonnable d'admettre que les États membres ne sauraient, unilatéralement et sans un acte de droit communautaire, continuer à appliquer leurs règles nationales d'organisation de marché dans le cas où les éléments essentiels d'une organisation commune des marchés existent déjà. C'est qu'en effet, loin qu'il faille, pour sa substitution aux organisations nationales de marché, que l'organisation commune en constitue un décalque fidèle jusque dans les moindres détails, on exige seulement que soient créées «des garanties équivalentes pour l'emploi et le niveau de vie des producteurs intéressés» et que soient assurées «aux échanges à l'intérieur de la Communauté des conditions analogues à celles qui existent dans un marché national». Il va de soi que de tels critères impliquent un pouvoir d'appréciation, qui ne peut évidemment être exercé que par les organes compétents de la Communauté. Si, dès lors, un État membre estime qu'une organisation commune des marchés n'assure pas des garanties équivalant à celles des organisations nationales, il faut qu'il fasse valoir cette objection, soit lors de la création de l'organisation commune, soit éventuellement en saisissant la Cour, dans l'hypothèse où le Conseil aurait passé outre à son opposition. Mais nous ne voyons pas comment, sur la seule base des termes peu précis de l'article 43 du traité, il pourrait lui être permis de maintenir certains éléments de son organisation nationale de marché sans l'accord des institutions communautaires. Par conséquent, Messieurs, la seule conclusion que nous puissions retenir dans le présent contexte, c'est que l'autorisation contenue à l'article 22 du règlement no 804 et le délai, tel qu'il a été fixé par cet article ainsi que par le règlement no 2622, ont un caractère constitutif. Cependant, c'est là une constatation qui, elle non plus, n'est pas encore suffisante pour nous permettre d'inférer définitivement que, l'autorisation ayant cessé d'exister à l'expiration de ces délais, les règles fixées en matière de monopoles à l'article 37 pouvaient dès lors trouver à s'appliquer. Une telle déduction se heurte encore, en effet, à plusieurs autres problèmes. Le premier est un problème d'interprétation, soulevé à propos desdits délais par le gouvernement italien. Celui-ci estime que c'est une erreur de n'avoir égard qu'à la seule expiration des délais, car il importerait de tenir compte de l'économie générale de l'article 22 du règlement no 804, laquelle indiquerait qu'en réalité l'autorisation est subordonnée à la réalisation d'une condition, à savoir l'adoption des mesures complémentaires qui devaient être prises pour le lait de consommation. — Force est de reconnaître qu'à première vue cette argumentation peut faire impression, puisque aussi bien l'article 22, paragraphe 1, prévoit que les mesures complémentaires doivent être adoptées avant le 1er avril 1969 et qu'elles doivent être appliquées au plus tard le 1er janvier 1970, c'est-à-dire exactement à la date prévue pour l'expiration du délai fixé dans l'autorisation. Mais en fin de compte, il apparaît que ce raisonnement n'est pas pertinent, et il est aisé de le démontrer à la lumière de deux argument. En premier lieu, il importe d'observer la façon dont l'article 22 a aménagé le maintien des restrictions quantitatives: celui-ci est permis jusqu'à la mise en application du régime transitoire prévu au 2e alinéa du paragraphe 2. Cela permet, croyons-nous, de déduire sans hésitation que le Conseil aurait certainement adopté une formule similaire pour l'autorisation prévue à l'alinéa 4, si vraiment, comme le gouvernement italien le prétend, il avait eu l'intention de lier son autorisation à l'adoption des dispositions complémentaires. — En second lieu (et voici qui est peut-être encore plus important), alors qu'au moment de la prorogation du délai de validité de l'autorisation, c'est-à-dire lors de l'adoption du règlement no 2622/69 du 21 décembre 1969, on ne pouvait manifestement pas s'attendre que ces dispositions complémentaires soient arrêtées à bref délai, l'autorisation n'a néanmoins été prorogée que pour trois mois. Au surplus, les considérants du règlement no 2622 ne se réfèrent qu'au fait que la campagne laitière était en cours, sans faire aucunement état de l'absence des dispositions complémentaires dans lesquelles le gouvernement italien prétend voir l'élément déterminant. Il apparaît dès lors que, en réalité, l'essai d'interprétation tenté par ce gouvernement ne saurait aboutir à faire admettre qu'à vrai dire les délais en question ne sont pas expirés. Un deuxième problème résulte du fait qu'à son tour, le règlement no 1411/71, comportant des dispositions complémentaires pour le lait de consommation, a autorisé la République italienne «à maintenir jusqu'au 31 mars 1973 les dispositions applicables au 31 mars 1970 aux centrales laitières pour les centrales qui étaient en service au 31 mars 1970 dans le cadre desdites dispositions, pour autant que ces centrales assurent l'approvisionnement de certaines communes en lait de consommation». Cela conduit à se demander si ce texte a eu pour effet d'autoriser rétroactivement le maintien du régime des centrales laitières et s'il faut dès lors considérer, avec le gouvernement italien, que l'article 37 du traité ne pourrait trouver à s'appliquer qu'après l'expiration du délai ainsi fixé dans le règlement no 1411, ou bien si cette conclusion peut être écartée, soit par une interprétation adéquate de l'article 9 dudit règlement no 1411, soit par l'idée que cette disposition est dénuée de validité (et c'est ce que croit en fin de compte la société SAIL). — A vrai dire, c'est là une question que le «Pretore» de Bari ne vous a pas posée. Mais on peut admettre qu'il l'aurait fait s'il avait eu connaissance du règlement no 1411 avant de rendre le jugement par lequel il vous a saisis (comme vous le savez, c'est le jour même de ce jugement que le règlement en question a été publié au Journal officiel des Communautés). Dès lors, rien assurément ne peut s'opposer à ce que nous étendions notre examen à ce règlement no 1411, en vue de répondre correctement et complètement aux questions posées par le juge italien. On voit d'ailleurs d'autant moins de raisons de ne pas le faire que ce problème ne nous place manifestement pas en présence de difficultés excessives. — C'est ainsi, tout d'abord, que nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de mettre en doute la validité du règlement no 1411, du moins en ce qui concerne celles de ses dispositions qui ont trait à notre litige (car nous n'avons pas à nous préoccuper ici de savoir si la dérogation autorisée en faveur de la République italienne peut, pour les motifs invoqués par le Conseil à l'appui de son règlement, rester en vigueur au-delà de la date d'application de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait de consommation). D'autre part, nous croyons qu'une interprétation raisonnable fait apparaître que le Conseil n'a pas eu l'intention de faire rétroagir au 1er avril 1970 la dérogation qu'il autorisait. Si, en effet, telle avait été son intention, il aurait dû l'exprimer formellement (mais, dans ce cas, la validité du règlement pourrait prêter le flanc à la critique, puisque entre temps la possibilité pourrait avoir été ouverte aux intéressés de tirer directement des droits du traité et de les invoquer pour échapper aux poursuites pénales dont ils faisaient l'objet de la part de l'État). En réalité, non seulement le Conseil n'a rien prévu formellement de tel; mais en outre, contrairement à ce que croyait le gouvernement italien, il est impossible de dire que l'article 9 du règlement no 1411 s'est substitué à l'article 22 du règlement no 804, car le nouveau règlement s'est borné à réaffirmer que les dispositions applicables aux centrales laitières italiennes pouvaient être maintenues. Et, à cet égard, compte tenu de l'article 10 du règlement no 1411, on pourrait aller jusqu'à considérer que l'article 9 n'est, lui aussi, applicable qu'à partir de l'adoption des règles générales prévues à l'article 4. Mais si, compte tenu notamment du fait que l'article 9 a trait à des mesures déjà en vigueur, on désire éviter cette conséquence, la seule conclusion qu'on puisse retenir, c'est que l'autorisation prévue à l'article 9 a pris effet à partir de l'entrée en vigueur du règlement, c'est-à-dire le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés. Ce n'est dès lors pas non plus l'examen du règlement no 1411 qui pourrait permettre d'affirmer que l'expiration du délai fixé dans le règlement no 2622 ne joue aucun rôle pour l'appréciation de la situation sur laquelle le «Pretore» de Bari est appelé à se prononcer. Par conséquent, Messieurs, au terme de toutes ces considérations, force est de retenir que, l'autorisation requise par le droit communautaire pour le maintien des mesures nationales en matière d'organisation de marché faisant défaut en avril 1970, il y avait dès lors lieu d'appliquer les dispositions de l'article 37 du traité CEE, avec lesquelles le droit de vente exclusif reconnu par la loi italienne aux centrales laitières est incompatible. |
7. |
Il nous reste une dernière question à examiner dans le cadre de la présente instance: celle de l'applicabilité directe dudit article 37, et c'est un point sur lequel nous pourrons être fort bref. Ce qui facilite, en effet, la solution de ce problème, c'est que, dans l'arrêt 6-64, la Cour a déjà affirmé l'applicabilité directe de l'article 37, paragraphe 2. Et si les difficultés liées à la notion de discrimination n'ont pas empêché la Cour de reconnaître ce caractère au paragraphe 2 dudit article, il est évident qu'il doit en aller de même pour son paragraphe 1, dont la teneur est analogue. Quant à la date à faire intervenir pour l'application de ce paragraphe 1, c'est un point sur lequel la lumière a déjà été faite aussi. Loin qu'il s'agisse (comme c'est le cas en principe pour l'article 37) de prendre en considération la fin de la période de transition, il faut, compte tenu des dispositions spéciales régissant le secteur de l'agriculture, avoir égard au délai fixé dans le règlement no 2622. Puisqu'il s'agit de l'application d'une interdiction pure et simple, rien ne s'oppose dès lors à reconnaître (comme vous l'avez fait précédemment à propos de l'article 95, alinéa 3, du traité CEE) qu'à partir de l'expiration dudit délai, cette interdiction engendre des effets directs au sens précisé par la jurisprudence de la Cour; rien ne peut, en d'autres termes, empêcher les particuliers de se prévaloir directement des dispositions de l'article 37, paragraphe 1, devant les juridictions nationales. Tel est, Messieurs, le sens dans lequel vous devrez répondre à la dernière question qui vous a été posée. |
8. |
Pour récapituler, voici dès lors les termes dans lesquels nous vous proposons de formuler les réponses qu'attend le «Pretore» de Bari :
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