AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que, contestant les conditions d'application dans l'entreprise du "contrat de progrès" relatif aux temps de service des conducteurs grands routiers, signé le 23 novembre 1994 par les partenaires sociaux à la suite d'une grève des salariés des entreprises de transports routiers, des salariés de la société Mazet Aubenas ont participé à un mouvement de grève, du 18 juin au 31 juillet 1995, après avoir donné préavis à l'employeur le 9 juin ; que M. X..., conducteur grand routier et délégué du personnel, qui a pris part au mouvement, a été mis à pied à titre conservatoire le 7 juillet, puis réintégré dans son emploi après le refus de l'inspecteur du travail, le 25 juillet 1995, d'autoriser son licenciement ; qu'il a démissionné le 6 mai 1996 de son emploi en invoquant les atteintes portées par l'employeur à son statut et saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le quatrième moyen
, tel qu'il figure au mémoire en demande annexé au présent arrêt :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts, pour procédés dilatoires et abusifs, pour les motifs exposés dans le mémoire susvisé et qui sont pris d'une violation de l'article
5 du Code civil et d'un défaut de base légale, au regard de l'article
1382 de ce Code ;
Mais attendu que la cour d'appel, devant laquelle il était seulement fait état du déroulement d'une procédure pénale entreprise par l'employeur, a pu retenir que le seul fait d'avoir engagé une telle procédure qui ne s'était pas terminée par une condamnation, ne pouvait suffire à caractériser un abus dans l'exercice du droit d'agir en justice ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen
, tel qu'il figure au mémoire en demande annexé au présent arrêt :
Attendu qu'il est aussi fait grief à l'arrêt d'avoir débouté le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaires, au titre d'heures supplémentaires de travail, pour les motifs exposés dans le mémoire susvisé et qui sont pris d'une violation de l'article
L. 212-1-1 du Code du travail ;
Mais attendu qu'appréciant l'ensemble des éléments de preuve qui étaient versés aux débats, tant par l'employeur que par le salarié, la cour d'appel a constaté qu'il n'était pas établi que celui-ci ait effectué des heures de travail au-delà du forfait mensuel de 182 heures convenu, justifiant ainsi légalement sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le sixième moyen
, tel qu'il figure au mémoire en demande annexé au présent arrêt :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir débouté le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaires, pour les motifs exposés dans le mémoire susvisé et qui sont pris d'une violation de l'article
1134 du Code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation que les termes obscurs et imprécis du procès-verbal du 12 juin 1986 rendaient nécessaire, que la cour d'appel a retenu que l'employeur n'avait pas pris à cette date l'engagement de rémunérer 42 heures de travail hebdomadaire sur une base de 46 heures ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais
sur le premier moyen
:
Vu l'article
L. 425-1 du Code du travail ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que, si l'employeur ne peut modifier unilatéralement le contrat de travail d'un salarié, il peut en revanche, usant de son pouvoir de direction dans l'intérêt de l'entreprise, modifier les conditions d'exécution du contrat ;
qu'il résulte des propres écritures du salarié, reprises oralement, que ce sont les conditions d'exécution du contrat qui ont été modifiées et qu'en conséquence sa démission ne peut être requalifiée en licenciement ;
Attendu, cependant, qu'aucune modification de son contrat de travail ou changement dans ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu'il appartient à l'employeur d'engager la procédure de licenciement, en cas de refus par le salarié de cette modification ou de ce changement, en demandant l'autorisation de l'Inspecteur du travail ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'employeur n'avait pas imposé à M. X... des changements dans ses conditions de travail, que celui-ci avait refusés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard des textes susvisés ;
Sur le deuxième moyen
:
Vu l'article
1134 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité correspondant au montant du salaire des jours de grève, la cour d'appel a retenu que le fait d'invoquer une volonté de négociation des salariés tenant à l'application du contrat de progrès n'est pas de nature à caractériser un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations ayant contraint les salariés à cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels et qu'il ne résulte pas de l'accord du 23 novembre 1994 sur le temps de service des conducteurs longue distance, non signé par la Fédération nationale des conducteurs routiers, que l'employeur était tenu d'engager des négociations avec les représentants syndicaux ou les représentants du personnel dans son entreprise avant la mise en application de celui-ci ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la réduction unilatérale du temps de travail et de la rémunération de neufs salariés, fût-ce au titre d'un test, contrairement aux dispositions du contrat de progrès du 23 novembre 1994, ne constituait pas un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, plaçant les salariés dans une situation contraignante qui les obligeait à cesser le travail pour faire respecter leurs droits, directement lésés par cette mesure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et
sur le troisième moyen
:
Vu les articles
L 425-1 du Code du travail et
1134 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter M. X... de la demande en paiement de dommages et intérêts qu'il formait au titre de manquements de l'employeur à ses obligations, la Cour d'appel a notamment retenu qu'usant de son pouvoir de direction, l'employeur était en droit de modifier les conditions de travail du salarié, dont il n'est pas établi qu'elles aient porté préjudice à ce dernier ;
Attendu cependant qu'aucun changement dans ses conditions de travail ne pouvant être imposé à un salarié protégé, l'employeur commet une faute qui engage sa responsabilité lorsqu'il apporte des changements aux conditions de travail contre la volonté du salarié ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité correspondant au montant des salaires perdus du fait de la grève et de dommages-intérêts au titre d'un manquement de l'employeur à ses obligations, l'arrêt rendu le 11 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Mazet Aubenas aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Mazet Aubenas à payer à M. X... la somme de 610 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille trois.