Tribunal de Grande Instance de Paris, 13 septembre 2006, CT0087

Mots clés société · voiles · aventure · contrefaçon · magazine · propriété intellectuelle · risque · préjudice · nom commercial · produits · publication · revues · astreinte · concurrence déloyale · procédure Civile

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : CT0087

Texte

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 3ème section No RG : 05/13485 No MINUTE : Assignation du : 13 Septembre 2005 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 13 Septembre 2006

DEMANDERESSE S.A.R.L. D'EDITIONS DE REVUES NATIONALES SPECIALISEES ... représentée par Me Sandrine BOUVIER RAVON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E 1219 DÉFENDERESSE Société VOILES AVENTURE ... représentée par Me Pascal GEOFFRION, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L 027 COMPOSITION DU TRIBUNAL Elisabeth X..., Vice-Président , signataire de la décision Agnès Z..., Vice-Président Pascal MATHIS, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier , signataire de la décision DEBATS A l'audience du 12 Juin 2006 tenue publiquement JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoirement en premier ressort FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES La société SERNAS édite et publie le magazine "VOILES et voiliers" consacré à la navigation à voile, depuis plus de trente ans. Le titre fait l'objet de déclinaisons sous forme de hors série. Elle est titulaire de la marque française "VOILES et voiliers" n 1.603.858 déposée le 24 juillet 1990, en renouvellement d'un précédent dépôt et renouvelée le 12 Juillet 2000 pour désigner notamment les produits et services suivants :"imprimés, journaux, périodiques, magazines, revues, livres... toute opération industrielle ou commerciale se rapportant à l'édition, à l'impression publicitaire, à l'édition sonore et visuelle sous toutes ses formes, concernant la mer et la navigation, à la diffusion, à la commercialisation des produits ou prestations ci-dessus mentionnées sous toutes leurs formes...", Elle a découvert qu'au mois de juillet 2005 était paru le premier numéro d'un nouveau magazine bi-mensuel dénommé "VOILES aventure" édité par la société VOILES AVENTURE,

également consacré à la navigation à voile. Par acte d'huissier de Justice en date du 13 septembre 2005, la SARL d'EDITION DE REVUES NATIONALES SPECIALISEES (SERNAS),a assigné la société VOILES AVENTURES, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en contrefaçon de marque et concurrence déloyale. La SARL d'EDITION DE REVUES NATIONALES SPECIALISEES (SERNAS), dans ses dernières écritures communiquées le 17 janvier 2006, a principalement demandé de : au visa des articles L711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, L713-2, L713-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle, L112-4 du code de la propriété intellectuelle et 1382 et suivants du code civil, dire que la société SERNAS a la propriété exclusive de la marque "VOILES et voiliers" n 1.603.858 renouvelée le 12 juillet 2000 pour désigner notamment les produits suivants :"imprimés, journaux, périodiques, magazines, revues, livres... toute opération industrielle ou commerciale se rapportant à l'édition, à l'impression publicitaire, à l'édition sonore et visuelle sous toutes ses fromes, concernant la mer et la navigation, à la diffusion, à la commercialisation des produits ou prestations ci-dessus mentionnées sous toutes leurs formes...", dire qu'en adoptant la dénomination "VOILES aventure" comme titre d'une publication, ou, en tout état de cause, avec le graphisme utilisé, et en adoptant la dénomination sociale et le nom commercial "VOILES AVENTURE", la société VOILES AVENTURE s'est rendue coupable de contrefaçon de marque par imitation au sens des articles L713-3 du code de la propriété intellectuelle, et d'atteinte au titre "VOILES & voiliers" au sens de l'article L112-4 du code de la propriété intellectuelle, dire et juger qu'en publiant un magazine sous le titre "VOILES aventure", dans des conditions propres à créer un risque de confusion avec la revue "VOILES et voiliers", la société VOILES AVENTURE s'est également livrée à des agissements constitutifs de concurrence déloyale au sens

de l'article 1382 du code civil au préjudice de la société SERNAS, dire et juger que la société défenderesse s'est également livrée à des agissements constitutifs de dénigrement, affirmations trompeuses et mensongères, constitutifs de concurrence déloyale à son préjudice, interdire à la défenderesse l'usage de la dénomination "VOILES aventure" pour désigner un magazine dans des conditions susceptibles de créer un risque de confusion avec les revues et marques "VOILES & voiliers", et ce sous astreinte définitive de 1000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, interdire à la défenderesse l'utilisation de la dénomination "VOILES AVENTURE" à titre de nom commercial et de dénomination sociale et ce sous astreinte définitive de 1000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, dire que la société défenderesse devra justifier sous la même astreinte définitive de l'inscription au registre du commerce du changement de sa dénomination sociale, en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, condamner la société VOILES AVENTURE à lui verser 100.000 euros à titre de dommages intérêts, l'autoriser à faire procéder à la publication par extraits du jugement à intervenir, dans trois numéros successifs de la revue "VOILES aventure" publiée par la société VOILES AVENTURE et/ou la revue qui sera publiée sous un titre différent par la défenderesse à ses frais, condamner la société VOILES AVENTURES à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ordonner l'exécution provisoire, condamner la défenderesse aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Sandrine Y..., avocat, en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, Dans ses dernières écritures communiquées le 27 mars 2006, la société VOILES AVENTURE a principalement demandé

de : débouter la société SERNAS de l'intégralité de ses demandes, la condamner à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts, condamner la SARL d'EDITIONS DE REVUES NATIONALES SPECIALISEES (SERNAS) à lui payer 12.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, condamner la société SERNAS aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION Sur la contrefaçon Les signes en causes n'étant pas identiques (VOILES et voiliers et VOILES aventure) c'est au regard de l'article L713-3 b) du code de la propriété intellectuelle qui dispose :"sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement" que doit être examiné le grief de contrefaçon. L'imitation est caractérisée dès lors qu'il résulte de la comparaison des signes en cause un risque de confusion dans l'esprit du public. Ce risque de confusion doit s'apprécier en tenant compte des facteurs pertinents de l'espèce : degré du caractère distinctif de la marque opposée en y incluant une éventuelle notoriété, plus ou moins grande similitude des produits et services visés par les signes en présence. En l'espèce les produits sont identiques, la marque "VOILES et voiliers" visant notamment :"imprimés, journaux, périodiques, magazines, revues, livres..." et le signe "VOILES aventure" désignant un magazine. Les signes sont très ressemblants: le signe argué de contrefaçon reproduit en position d'attaque le mot "VOILES" élément déterminant de la marque première. De plus le tribunal observe que tant dans la marque première que dans le titre du magazine argué de contrefaçon, le mot VOILES est inscrit en majuscules alors que le deuxième terme est

inscrit en minuscules. Par ailleurs, la graphie des lettres "L" et "E", dans les deux signes est très similaire, même si la lettre "L" dans le signe premier est inclinée vers le droite alors qu'elle est droite dans le titre argué de contrefaçon. Le termes "VOILES" a acquis dans la marque déposée un caractère distinctif du fait de son usage prolongé pendant plus de trente ans pour désigner un magazine. Le tribunal observe qu'il est possible d'utiliser d'autres termes pour désigner des magazines relatifs au nautisme puisqu'il existe des revues intitulées : "course au large", "chasse-marée", "yachting classic", "loisirs nautiques", "bateaux"... Les deux magazines s'adressant au même public passionné de navigation à voile, le risque de confusion entre les deux signes est réel, même si le magazine "VOILES aventure" est sous titré "récits de croisières à partager" et contient effectivement ce type de récit, le magazine "VOILES et voiliers" s'il contient des comparatifs et des essais de voiliers comporte également des reportages. Ces deux publications sont destinées à être diffusées dans les mêmes circuits de distribution et le consommateur d'attention moyenne, qui n'a pas sous les yeux simultanément les deux signes, sera amené à penser que les deux publications émanent de la même entreprise, la seconde étant une déclinaison de la première, d'autant que le magazine "VOILES et voiliers" contient différentes rubriques intitulées "VOILES journal", "VOILES salon", "VOILES boutiques". Le tribunal Le tribunal retient également que les deux magazines se présentent de manière semblable la page de couverture reproduisant une photographie en pleine page et les deux titres sont écrits sur la totalité de la partie supérieure de la couverture, le mot "voiles" étant écrit en majuscule sur une ligne et le deuxième terme du titre étant écrit en caractère minuscule au-dessous. Compte tenu de l'identité de produit, de la forte similitude des signes, le risque de confusion est certain et

ainsi la contrefaçon constituée. Pour les mêmes motifs l'adoption des signes "Voiles aventure" comme dénomination sociale et nom commercial de la société défenderesse est également constitutif de contrefaçon par imitation de la marque Première. Dès lors, en faisant usage des signes "VOILES Aventure" comme titre d'un magazine, dénomination sociale et nom commercial, la société VOILE aventure s'est rendue coupable de contrefaçon par imitation de la marque "VOILES et voiliers". Sur la protection du titre au titre du droit d'auteur L'article L112-4 du code de la propriété intellectuelle dispose :" le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même

; Nul ne peut, même si l'oeuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L123-1 à L123-3 utiliser ce titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion." En l'espèce, le titre "VOILES et voiliers" original doit être protégé. Pour autant, le magazine "VOILES aventure" ne reprend pas à l'identique le titre premier, dès lors les conditions de protection de l'article L112-4 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas remplies. Sur la concurrence déloyale La société SERNAS soutient qu'il y a aggravation du risque de confusion entre les revues du fait de leur présentation. Le tribunal observe que si le format des deux revues est identiques, il est banal car standard. Les deux revues sont éditées avec une qualité de papier différente, celle de Voiles aventure étant de qualité supérieure à celle de "VOILES et voiliers". Les reliures des deux magazines sont différentes puisque "VOILES aventure" a une tranche sur laquelle est repris le titre alors que "VOILES et voiliers" n'en possède pas. Les maquettes des deux revues sont enfin différentes : le sommaire du magazine "VOILES et voiliers" figure en première page, sur une page, alors que celui du magazine "VOILES aventure" est sur deux pages en

pages 4 et 5. La présentation des articles dans les deux revues est totalement différente. Dans ces conditions, la concurrence déloyale n'est pas établie. Sur le dénigrement En page 9 du numéro deux du magazine "VOILES aventure" le directeur de la rédaction a fait paraître un encart ainsi rédigé "votre magazine est déjà en danger. Je suis fier de vous annoncer que notre publication doit être sacrement bien faite, elle fait peur au seul titre de presse de "voiles" qui a le droit d'exister. Le magazine "Voiles et voiliers" a déjà tenté de faire interdire notre parution par l'intermédiaire d'une mise en demeure d'avocat. Notre crime direz-Vousä Nous avons utilisé le mot "VOILES"... ce géant de la communication qui est propriétaire du titre agresseur ne le supporte pas. Ne saviez vous pas que ce mot est devenu, par leur seule et unique volonté, la propriété de VOILES et voiliers (...) Notre décision est de continuer, même si dans un nombre croissant de kiosques le titre "Voiles aventure" a mystérieusement quitté le rayon des magazines de voiles pour se cacher dans les hauteurs des étagères. Vous savez celles qui sont inaccessibles, ou qui renferment la revues de passionnés de tout autre chose que la voile! Cette co'ncidence est tout à ait fortuite et certainement sans qu'aucun conseil n'ait été prodigué aux dépositaires de notre publication, j'en suis parfaitement convaincu..." Dans le troisième numéro de "VOILES aventure" un nouvel encart indiquait notamment " (...) une société d'édition, forte de sa position monopolistique et se sachant à court d'arguments juridiques sérieux, tente d'éradiquer toute concurrence dans le secteur de la voile par des tentatives d'intimidation et un recours judiciaire abusif, ayant pour finalité : de mettre suffisamment à mal la santé financière du nouveau venu, de l'empêcher de poursuivre dans sa voie pourtant légitime (...). La société VOILES AVENTURE invoque la liberté de la presse pour justifier la teneur de

ses propos. Ce grand principe ne saurait autoriser la publication de propos portant atteinte à son concurrent et laissant entendre qu'il serait à l'origine par des manoeuvres du retrait du magazine "Voiles aventure" des rayons consacrés à la presse nautique. En publiant ces propos dénigrant la société défenderesse a commis une faute à l'origine d'un préjudice dont elle doit réparation. Sur les mesures réparatrices Il convient de faire droit aux mesures d'interdiction ainsi qu'il sera précisé au dispositif. Le tribunal possède suffisamment d'éléments pour fixer à la somme de 25.000 euros la réparation du préjudice résultant de l'atteinte à la marque. Le préjudice résultant du dénigrement sera réparé par l'octroi d'une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts. La publication de la décision n'apparaît pas nécessaire comme complément de réparation. Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive La société VOILES AVENTURE succombant dans ses prétentions est mal fondée à prétendre que la procédure introduite à son encontre serait abusive. Sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Il parait inéquitable de laisser à la charge de la société demanderesse les frais irrépétibles qu'elle a pu engager et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il convient de condamner la défenderesse à lui payer 10.000 euros à ce titre. Il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de la société défenderesse ses frais irrépétibles. Sur l'exécution provisoire L'exécution provisoire apparaît nécessaire en l'espèce et compatible avec la nature de l'affaire. Sur les dépens La société VOILES aventure succombant dans ses prétentions il y a lieu de la condamner aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Sandrine Y... en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en

premier ressort, Dit qu'en adoptant la dénomination "VOILES aventure" comme titre d'une publication, dénomination sociale et nom commercial, la société VOILES AVENTURE s'est rendue coupable de contrefaçon de marque par imitation au sens des articles L713-3 du code de la propriété intellectuelle, Dit qu'en publiant deux encarts dans les numéros deux et trois du magazine "VOILES aventure", la société VOILES AVENRURE s'est rendue coupable de dénigrement constitutif d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la demanderesse, Interdit à la société VOILE AVENTURE l'usage de la dénomination "VOILES aventure" pour désigner un magazine dans des conditions susceptibles de créer un risque de confusion avec les revues et la marque "VOILES et voiliers" et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, Interdit à la société défenderesse l'utilisation de la dénomination "VOILES AVENTURE" à titre de dénomination sociale et de nom commercial et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de deux mois suivant la signification de la présente décision, Dit que la société défenderesse devra justifier sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification de la présente décision de l'inscription au registre du commerce du changement de dénomination sociale et de nom commercial, Rejette les autres demandes tant principales que reconventionnelle, condamne la société VOILES AVENTURES à payer à la SARL d'EDITIONS DE REVUES NATIONALES SPECIALISEES (SERNAS) : - la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la marque, - la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant des propos dénigrants, - la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Ordonne l'exécution provisoire, Condamne la société VOILES AVENTURE aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Y..., en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, Ainsi jugé et prononcé le 13 septembre 2006

Le Greffier

Le Président