Vu la procédure suivante
:
Par une décision n° 447701 du 8 avril 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour la société éditrice du Monde et Mme B A, a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1822236 du 15 octobre 2020 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dont il était saisi relatives à la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification " conformité européenne " (CE) a été refusée par le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) ou la société GMED mais qui ont été mis sur le marché et a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire devant le même tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2023, le LNE et la société GMED, représentés par Me Olivier de Maison Rouge, demandent au tribunal :
1°) d'annuler partiellement l'article 2 de la décision du Conseil d'Etat en ce qu'il a mis à la charge du LNE et de la société GMED la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification " CE " a été refusée par le LNE ou la société GMED mais qui ont été mises sur le marché ;
2°) de mettre à la charge de la société éditrice du Monde et de Mme A la somme de 9 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que s'ils pourraient obtenir, par extraction de la base de données dans laquelle ils enregistrent les refus de certifications qu'ils ont émis, une liste des dispositifs médicaux dont ils ont refusé la certification " CE ", il ne leur appartient pas de réaliser, ils ne réalisent pas et il leur serait d'ailleurs difficile de réaliser une veille sur les produits non certifiés par leurs soins et par ailleurs mis sur le marché, après certification par un autre organisme notifié, éventuellement sous un autre nom commercial et pour un demandeur différent.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 24 avril 2023, la société éditrice du Monde et Mme B A, représentées par la SCP Spinosi, indiquent persister dans les conclusions de leur requête, par lesquelles elles demandaient au tribunal :
1°) d'annuler les décisions des 16, 22 et 29 mai 2018 prises par le directeur du LNE et la décision confirmative prise par la société GMED refusant de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont délivré le marquage " CE " ainsi que la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de l'accorder ;
2°) d'enjoindre au LNE et à la société GMED de leur communiquer sans délai, et sous astreinte, les listes demandées ;
3°) de mettre à la charge du LNE et de la société GMED la somme de 4 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- si le fait que les informations demandées sont déjà disponibles est un critère important, cela ne signifie pas que la communication d'informations non immédiatement disponibles peut toujours être refusée sans que cela ne viole jamais l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier lorsque les difficultés à les rassembler sont causées par la propre pratique de l'administration ;
- il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de prendre toutes mesures propres à lui procurer les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction ;
- en l'espèce, le LNE et la société GMED ne démontrent pas l'impossibilité de transmettre les données demandées mais procèdent uniquement par affirmation, alors qu'eux seuls sont en mesure de détenir les éléments prouvant cette impossibilité, et n'apportent aucun élément de nature à quantifier précisément la charge de travail nécessaire à cette transmission ; en tout état de cause, l'impossibilité de communiquer les documents demandés trouve sa source dans la propre pratique des défendeurs qui auraient omis de mettre en place la moindre traçabilité des produits qu'ils ont refusés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2016/943/CE du 8 juin 2016 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julinet, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;
- et les observations de Me de Maison Rouge, représentant le LNE et la société GMED.
Considérant ce qui suit
:
1. Par la décision susvisée du 8 avril 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour la société éditrice du Monde et Mme B A, a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1822236 du 15 octobre 2020 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dont il était saisi relatives à la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification " conformité européenne " (CE) a été refusée par le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) ou la société GMED mais qui ont été mis sur le marché et a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire devant le même tribunal. Le LNE et la société GMED doivent être regardés comme concluant au rejet de ces conclusions.
Sur les conclusions à fin d'annulation renvoyées par le Conseil d'Etat :
2. D'une part, aux termes de l'article
L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles
L. 311-5 et
L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article
L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". L'article
L. 300-2 du même code dispose que : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Ces dispositions n'imposent pas à l'administration d'élaborer un document dont elle ne disposerait pas, d'établir un document par extraction de données dont elle dispose si cela fait peser sur elle une charge de travail déraisonnable ni de rechercher auprès d'autres organismes les pièces qui ne sont pas en sa possession pour faire droit à une demande de communication.
3. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier des écritures produites pour le LNE et la société GMED, suffisamment précises et crédibles et d'ailleurs non sérieusement contestées en fait par les requérantes, que s'ils pourraient obtenir, par extraction de la base de données dans laquelle ils enregistrent les refus de certifications qu'ils ont émis, une liste des dispositifs médicaux dont ils ont refusé la certification " CE ", il ne leur appartient pas de réaliser, ils ne réalisent pas et il leur serait d'ailleurs difficile de réaliser une veille sur les produits non certifiés par leurs soins et par ailleurs mis sur le marché, après certification par un autre organisme notifié, éventuellement sous un autre nom commercial et pour un demandeur différent. Dès lors, la liste des dispositifs médicaux dont ils ont refusé la certification " CE " mais qui ont été mis sur le marché n'existe pas et son élaboration, au prix d'une charge de travail déraisonnable, imposerait au LNE et à la société GMED de rechercher auprès d'autres organismes les données qui ne sont pas en leur possession, sans garantie au demeurant de la fiabilité du résultat.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner un supplément d'instruction, les conclusions de la requête de la société éditrice du Monde et de Mme A tendant à l'annulation de la décision de la société GMED en tant que par cette décision, elle leur a refusé la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification " CE " a été refusée par elle-même et le LNE mais qui ont été mis sur le marché doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation renvoyées par le Conseil d'Etat, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte s'y rapportant doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société éditrice du Monde et de Mme A la somme demandée par le LNE et la société GMED dans son mémoire postérieur au renvoi après cassation au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la requête de la société éditrice du Monde et de Mme A tendant à l'annulation de la décision de la société GMED en tant que par cette décision, elle leur a refusé la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification " CE " a été refusée par elle-même et le LNE mais qui ont été mis sur le marché sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la société éditrice du Monde et de Mme A à fin d'injonction sous astreinte sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions du LNE et de la société GMED présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société éditrice du Monde, à Mme B A, au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), à la société GMED, au syndicat national des journalistes, à l'association des journalistes économiques et financiers, première dénommée, pour l'ensemble des auteurs de la deuxième intervention, enregistrée le 26 juin 2019, et à l'association des journalistes de la rédaction Que Choisir, première dénommée, pour l'ensemble des auteurs de la troisième intervention, enregistrée le 3 septembre 2019.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Aubert, présidente,
M. Julinet, premier conseiller,
M. Blusseau, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.
Le rapporteur,
S. JULINET
La présidente,
S. AUBERT
La greffière,
A. LOUART
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.