CEDH, Commission (Deuxième Chambre), KREMER contre la FRANCE, 4 mars 1998, 32677/96
Mots clés
requérant · pensions · affections · requête · commission · estime · prorogation · service · résistance · aide · médicaux · désistement · preuve · rejet · certificats
Synthèse
Juridiction : CEDH
Numéro affaire : 32677/96
Dispositif : Recevable
Date d'introduction : 08 juillet 1996
Importance : Faible
État défendeur : France
Avocat(s) : MEYER, M., avocat, Strasbourg
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0304DEC003267796
Texte
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 32677/96
présentée par Tibère KREMER
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de
MM. J.-C. GEUS, Président
M.A. NOWICKI
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
A. ARABADJIEV
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 8 juillet 1996 par Tibère KREMER
contre la France et enregistrée le 21 août 1996 sous le N° de dossier
32677/96 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le
2 mai 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant
le 19 juin 1997 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité française, né en 1918, est
gestionnaire et réside à Toulouse. Devant la Commission, il est
représenté par Maître Martin Meyer, avocat au barreau de Strasbourg.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.
Par jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du
10 novembre 1972, le requérant se vit reconnaître la qualité de
combattant volontaire de la Résistance pour la période du
1er décembre 1942 au 23 août 1944.
Le 6 octobre 1986, le requérant présenta au ministre des Anciens
Combattants une demande de pension militaire pour six affections
contractées, selon lui, à l'occasion d'actes de Résistance.
Le requérant se fonda sur les dispositions des articles L. 179
et R. 165 du Code des pensions militaires. Il produisit des certificats
médicaux émanant des docteurs E., F. et P., ainsi que des attestations
de huit personnes ayant également été Résistantes durant la guerre.
Le requérant fut examiné par la commission de réforme de Toulouse
qui, le 8 juin 1988, estima que cinq des affections n'étaient pas
imputables au service et que la sixième affection entraînait un taux
d'invalidité inférieure à 10 %.
Par décision en date du 23 juin 1988, le directeur
interdépartemental de Toulouse rejeta sa demande aux motifs que
cinq affections n'étaient pas imputables au service accompli dans la
Résistance et que la sixième ne pouvait être prise en considération
puisqu'inférieure au taux d'invalidité minimum de 10 % prévu par la
loi.
Le 17 septembre 1988, le requérant saisit le tribunal
départemental des pensions de la Haute-Garonne pour faire juger que les
affections étaient imputables à son service dans la Résistance.
Le 27 avril 1989, le commissaire du Gouvernement déposa ses
conclusions.
Par jugement avant dire droit du 6 juin 1989, le tribunal ordonna
une expertise médicale afin de dire s'il y avait une relation directe
et certaine entre les six affections et les services accomplis dans la
Résistance et, dans l'affirmative, de fixer le taux d'invalidité à la
date du 6 octobre 1986.
Dans son rapport du 30 novembre 1989, l'expert examina les
certificats médicaux présentés par le requérant ainsi que de nombreux
autres certificats médicaux et attestations. Selon l'expert, quatre des
affections étaient en relation directe, certaine et déterminante avec
les services accomplis dans la Résistance. Quant aux deux dernières,
il estima que le lien de causalité apparaissait « très vraisemblable ».
Par jugement du 28 mai 1991, après audience du 2 avril 1991, le
tribunal départemental des pensions de la Haute-Garonne accorda un
droit à pension au requérant pour les quatre premières affections, avec
effet rétroactif au 6 octobre 1986. Il rejeta la demande concernant les
deux autres affections, le lien de causalité n'étant que « très
vraisemblable » et non indiscutable.
Le Secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants interjeta appel de
ce jugement le 3 septembre 1991. Il estima notamment que les affections
n'avaient fait l'objet d'aucune constatation contemporaine des
événements survenus durant la guerre, que certains certificats médicaux
étaient imprécis et que le requérant ne rapportait pas la preuve d'une
continuité de soins entre 1943 et 1986.
Audiencée le 22 avril 1993, l'affaire fut renvoyée, à la demande
du requérant, au 13 mai puis, en raison d'une nouvelle demande, au
30 septembre 1993. Le requérant déposa un mémoire le 21 septembre 1993.
Par arrêt du 28 octobre 1993, la cour régionale des pensions
militaires de Toulouse releva que le contenu des certificats médicaux
et attestations produits permettait de confirmer le jugement tant pour
les quatre affections ouvrant droit à pension que pour les
deux affections écartées.
Le 17 mai 1994, le ministre des Anciens Combattants saisit la
commission spéciale de cassation des pensions, établie près le Conseil
d'Etat.
Par lettre du 25 mai 1994, le requérant sollicita une prorogation
de délai pour désigner un avocat aux Conseils, en raison de son
hospitalisation. Le bureau d'aide juridictionnelle interpréta ce
courrier, enregistré le 26 mai 1994, comme une demande d'aide
juridictionnelle et le dossier lui fut transmis.
Par lettre du 6 juin 1994, suite à un entretien téléphonique avec
le requérant, le Secrétaire de la commission de la section spéciale de
cassation des pensions l'informa de la suite favorable à sa demande de
délai pour mandater un avocat et produire un avocat, en accordant un
délai de trois mois. Par lettre du 7 juin 1994, le requérant confirma
sa demande et précisa expressément qu'il ne sollicitait pas l'aide
juridictionnelle. Le requérant reçut néanmoins une décision de rejet
du bureau d'aide juridictionnelle, pour désistement allégué, en date
du 18 octobre 1994, et ledit bureau renvoya le dossier de la procédure
à la formation de jugement le 8 novembre 1994.
Le requérant déposa un mémoire le 20 juin 1995.
Par arrêt du 2 février 1996, après audience du 1er décembre 1995,
la commission spéciale de cassation des pensions rappela le contenu des
dispositions légales et réglementaires applicables. Elle estima que les
attestations produites, notamment celles des docteurs E. et F. qui
furent spécialement invoquées par la cour régionale, ne répondaient pas
aux exigences de l'article R. 165 du Code des pensions militaires
d'invalidité, lequel exigeait une constatation médicale contemporaine
des faits. En conséquence, elle annula l'arrêt de la cour régionale et
le jugement du tribunal.
Décidant ensuite de régler l'affaire au fond, la commission
spéciale de cassation des pensions se prononça dans les termes
suivants :
« Considérant que les attestations des docteurs E. et F.,
qui ne se réfèrent à aucune circonstance précise de date et
de lieu, ne peuvent être retenues comme constituant le
constat exigé par l'article R. 165 du Code susvisé pour
prétendre au bénéfice de la présomption prévue par
l'article L. 179 ; qu'en outre, (le requérant) n'a pas
rapporté la preuve d'imputabilité de ses troubles à ses
activités de résistant ; que par suite, sa demande ne peut
être accueillie ; (...). »
GRIEF
Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque
l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 8 juillet 1996 et enregistrée le
21 août 1996.
Le 15 janvier 1997, la Commission a décidé de porter le grief
tiré de la durée de la procédure à la connaissance du gouvernement mis
en cause, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur sa
recevabilité et son bien-fondé. Elle a déclaré la requête irrecevable
pour le surplus.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 2 mai 1997, après
prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le
19 juin 1997.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, lequel dispose
notamment :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
(...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...). »
Le gouvernement défendeur estime au préalable que la procédure
n'a débuté que le « 27 » septembre 1988, date de saisine du tribunal
départemental des pensions de la Haute-Garonne. Le Gouvernement
considère en effet que c'est seulement le 23 juin 1988, date à laquelle
la demande de pension fut rejetée, qu'est devenu possible l'examen, par
un « tribunal », de la « contestation » des « droits et obligations de
caractère civil » du requérant.
Par ailleurs, le Gouvernement estime que l'affaire était
complexe, puisqu'il s'agissait d'examiner six affections, relatives à
des faits allégués anciens et qui imposaient une expertise approfondie
(Cour eur. D.H., arrêts Cardarelli c. Italie du 27 février 1992,
série A n° 229-G, p. 74, par. 17 ; Scopelliti c. Italie du
23 novembre 1993, série A n° 278, p. 9, par. 23).
Le Gouvernement considère ensuite que le comportement du
requérant a été à l'origine de l'allongement de la procédure : devant
la cour d'appel, le requérant demanda le report de l'affaire du
22 avril 1993 au 30 septembre 1993 ; en cassation, la demande d'aide
juridictionnelle enregistrée le 26 mai 1994 rendit le dossier
indisponible pour l'instruction jusqu'au 8 novembre 1994, date de son
retour du bureau d'aide juridictionnelle à la suite du désistement du
requérant.
Le Gouvernement ne reproche pas au requérant d'avoir effectué ces
démarches, mais il estime que l'Etat ne peut être tenu pour responsable
de l'allongement conséquent de la procédure (Cour eur. D.H., arrêt
H. c. France du 24 octobre 1989, série A n° 162, p. 21, par. 55).
Le requérant estime qu'il ne peut être tenu pour responsable du
délai de presque deux ans qui fut nécessaire pour obtenir une décision
de rejet lui permettant de saisir le tribunal départemental des
pensions. Il considère que la procédure doit être considérée comme
ayant débuté le 6 octobre 1986.
A supposer que la date du 23 juin 1988 soit retenue comme point
de départ, le requérant relève que la procédure, achevée le
2 février 1996, aurait duré presque huit ans, alors que l'affaire
n'était pas complexe, d'autant que l'existence de plusieurs affections
est fréquente en matière de pension militaire.
Enfin, le requérant estime qu'il n'a pas contribué à allonger la
procédure. Il relève notamment qu'il n'a pas sollicité l'aide
juridictionnelle, mais qu'il a formulé une demande de prorogation de
délai pour désigner un avocat aux Conseils compte tenu de son
hospitalisation : un délai de trois mois lui fut accordé le 6 juin 1994
et le requérant confirma, par lettre du 7 juin 1994, qu'il ne
sollicitait pas l'aide juridictionnelle. Il considère que ce délai ne
lui est donc pas imputable, d'autant qu'il s'agit d'une période de
trois mois sur une procédure ayant duré soixante-sept mois.
La Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la
jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai
raisonnable », et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa
possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.
Par ces motifs
, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond
réservés.
M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS
Secrétaire Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre