QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
de la requête no 5201/06
présentée par Dariusz SAKOWSKI et Małgorzata SAKOWSKA
contre la Pologne
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant le 10 juin 2008 en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Ljiljana Mijović,
David Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
Ledi Bianku, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 27 janvier 2006,
Vu la décision de la Cour d'examiner conjointement la recevabilité et le fond de l'affaire comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention,
Vu la déclaration du 6 septembre 2007, par laquelle le gouvernement défendeur invite la Cour à rayer la requête du rôle et la réponse des requérants à cette déclaration,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, M. Dariusz Sakowski et son épouse, Mme Małgorzata Sakowska, sont des ressortissants polonais, nés respectivement en 1963 et 1964. Ils résident à Słupca. Ils sont représentés devant la Cour par Me Eryk Kosiński, avocat à Poznań. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 28 février 1995, les requérants saisirent le tribunal de district de Słupca d'une demande tendant à la dissolution d'une copropriété sur une parcelle de terrain sise dans la ville de leur résidence. Mis à part les requérants, trois autres personnes intéressées participèrent à la procédure.
Par une décision du 16 mars 1998, le tribunal de district prononça la dissolution de la copropriété.
Le 19 mars 1999, le tribunal régional, statuant sur l'appel interjeté par deux participants à la procédure autres que les requérants, annula la décision du tribunal de district et renvoya l'affaire pour réexamen.
Entre le 23 juin et le 13 octobre 1999, le tribunal tint une seule audience. Il semblerait également que durant cette période, l'expert désigné antérieurement par le juge ait présenté ses conclusions.
L'audience suivante eut lieu le 13 octobre 1999.
Entre le 4 octobre 2000 et le 3 juin 2002, le tribunal tint seulement deux audiences.
Entre-temps, le 20 octobre 2000, le tribunal sollicita l'avis d'un expert d'une spécialité inconnue. Ce dernier s'étant récusé, le juge en nomma un autre. Suite à la récusation de celui-ci, en décembre 2000, le juge désigna un troisième expert. Cependant, le 16 août 2001, le juge fut informé de son décès. Enfin, en septembre 2001, le juge désigna un quatrième expert. Le 18 mars 2002, ce dernier présenta ses conclusions.
Le 3 juin 2002 ainsi que les 24 février et 10 juillet 2003, le tribunal tint audience.
Au mois de mars 2003, le tribunal requit l'avis de l'expert géomètre et lui impartit un délai de trois semaines pour présenter les conclusions. Toutefois, l'expert omit de respecter le délai en question et ne présenta l'avis qu'en septembre 2003.
Le 15 septembre 2003, le tribunal de district se prononça sur le fond du litige. Il rendit une décision en vertu de laquelle la copropriété litigieuse avait été dissoute.
Le 16 janvier 2004, statuant sur l'appel interjeté par les requérants, le tribunal régional de Poznań annula la décision du 15 septembre et renvoya l'affaire devant le tribunal de district pour reconsidération.
Le 3 novembre 2004, le requérant introduisit une action critiquant la durée de la procédure. Il invita le tribunal régional à constater le dépassement du délai raisonnable et à lui octroyer de ce chef une indemnité de 10 000 PLN.
Le 9 décembre 2004, le tribunal régional de Konin accueillit l'action du requérant. Il constata la durée excessive de la procédure en relevant que celle-ci, bien que complexe, n'avait pas été conduite par le tribunal de district avec la diligence requise. Le tribunal régional constata également que le requérant n'avait aucunement contribué à la durée de la procédure. Pour ces motifs, il lui octroya une indemnité de 2500 PLN.
Le 20 décembre 2004, la requérante introduisit à son tour l'action sur le fondement de la loi de 2004.
Cependant, le 4 janvier 2005, le tribunal régional déclara l'action irrecevable en relevant qu'elle était prématurée. Il souligna qu'en vertu de la loi de 2004, le recours en question ne pouvait être formé pour la deuxième fois dans le cadre de la même procédure qu'une année après la date à laquelle une juridiction compétente ait statué sur la première demande. Le tribunal considéra également que les requérants, mariés sous le régime de la communauté des biens, agissaient ensemble dans le cadre de la procédure principale. Dès lors, la décision du 9 décembre 2004 produisait ses effets également à l'égard de la requérante.
Cependant, la procédure principale se poursuivit.
Le 20 avril 2005, le tribunal de district de Słupca se prononça une nouvelle fois sur le fond du litige.
Le 23 septembre 2005, statuant en dernier ressort, le tribunal régional de Konin rejeta l'appel interjeté par les requérants à l'encontre de cette décision du tribunal de district.
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants dénoncent la durée de la procédure.
2. Citant en substance l'article 13, ils contestent le faible montant de l'indemnité leur ayant été octroyée par le tribunal régional dans sa décision du 9 décembre 2004.
EN DROIT
Les requérants dénoncent la durée de la procédure et contestent le faible montant de l'indemnité leur ayant été octroyée par le tribunal national. Ils invoquent l'article 6 § 1 et l'article 13 de la Convention, dont les passages pertinents en l'espèce disposent :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
Par une lettre du 6 septembre 2007, le Gouvernement a informé la Cour qu'il entendait faire une déclaration unilatérale tendant à résoudre la question soulevée par la requête. Il a en outre invité la Cour à rayer l'affaire du rôle en vertu de l'article 37 de la Convention.
La déclaration se lit ainsi :
« Le Gouvernement déclare être prêt à verser au requérant au titre de la satisfaction équitable la somme de 7 500 PLN, montant qu'il considère comme raisonnable au vu de la jurisprudence de la Cour.
Cette somme qui couvrira tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens, ne sera soumise à aucun impôt. Elle sera payable dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l'article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. A défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s'engage à verser, à compter de l'expiration de celui-ci et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
Le gouvernement déclare - au moyen de la présente déclaration unilatérale - qu'il reconnaît la durée excessive de la procédure interne engagée par le requérant. Il reconnaît également qu'en ce qui concerne le grief relatif à la durée excessive de la procédure litigeuse, le requérant n'a pas bénéficié, dans les circonstances particulières de la présente affaire, dans l'ordre interne d'un redressement adéquat.
Le Gouvernement invite respectueusement la Cour à dire que la poursuite de l'examen de la requête n'est plus justifiée et à la rayer du rôle en vertu de l'article 37 § 1 (c) de la Convention. »
Par une lettre du 29 février 2008, les requérants ont fait savoir que la somme offerte par le Gouvernement dans sa déclaration leur paraissait inacceptable.
La Cour rappelle que l'article 37 de la Convention dispose que, à tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de tirer l'une des conclusions exposées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. En particulier, l'article 37 § 1 c) autorise la Cour à rayer une requête du rôle lorsque :
« pour tout autre motif dont [elle] constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête. ».
Elle rappelle aussi que, dans certaines circonstances, elle peut rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.
En pareil cas, pour déterminer si elle doit rayer la requête du rôle, la Cour examine attentivement la déclaration à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence, en particulier de l'arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003-VI), WAZA Spółka z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Sulwińska c. Pologne (déc.), no 28953/03).
La Cour a établi dans un certain nombre d'affaires, notamment des affaires dirigées contre la Pologne, sa pratique concernant les griefs relatifs à la violation du droit à être entendu dans un délai raisonnable et à l'absence de recours effectifs permettant d'en obtenir le redressement (voir, par exemple, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 69-98, CEDH 2006-...., Majewski c. Pologne, no 52690/99, 11 octobre 2005, Wende et Kukówka c. Pologne, no 56026/00, 10 mai 2007, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000-IX, et Charzyński c. Pologne (déc.) no 15212/03, CEDH 2005).
Compte tenu de la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement ainsi que du montant de l'indemnité proposée - qui ajouté à celui octroyé par les tribunaux internes cadre avec les sommes octroyées dans des affaires analogues - la Cour estime qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).
Eu égard à ce qui précède, et en particulier à l'existence d'une jurisprudence claire et abondante sur la question posée en l'espèce, elle considère que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses protocoles n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de la requête (article 37 § 1 in fine).
Dès lors, il y a lieu de rayer l'affaire du rôle.
Compte tenu des conclusions ci-dessus, il y a lieu de mettre fin à l'application de l'article 29 § 3 de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements qu'elle comporte ;
Décide, en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention, de rayer l'affaire du rôle.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président