Cour d'appel de Paris, Chambre 5-16, 3 juin 2020, 19/03758

Synthèse

  • Juridiction : Cour d'appel de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    19/03758
  • Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
  • Décision précédente :Tribunal de commerce de Paris, 18 septembre 2018
  • Lien Judilibre :https://www.courdecassation.fr/decision/5fd920570c76cfbd5805227f
  • Président : M. François ANCEL
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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2021-09-29
Cour d'appel de Paris
2020-06-03
Tribunal de commerce de Paris
2019-01-21
Tribunal de commerce de Paris
2018-09-18

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE PARIS Chambre commerciale internationale Pôle 5 - Chambre 16

ARRÊT

DU 03 JUIN 2020 (n° 19 /2020, 10 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/03758 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KZU Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2018026845 APPELANTES: SODMILAB société de droit étranger, Ayant son siège social : [...] ) Prise en la personne de ses représentants légaux, SARL KARSMAN Immatriculée au registre des sociétés de Paris sous le numéro: 519 147 623 Ayant son siège social : [...] Représentée par son liquidateur la SELARL FIDES, prise en la personne de Maître G... N..., SELARL FIDES prise en la personne de Maître G... N..., ès qualité de liquidateur à la liquidation de la société KARSMAN, Ayant son siège social : [...] Toutes représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111 - ayant pour avocats plaidants Me Guillaume MALLEN et Me Jean-christophe GRALL de la SELARL GRALL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0040 INTIMÉE: SAS WATERS Immatriculée au registre des sociétés de Versailles sous le numéro: 394 68 9 9 70 Ayant son siège social : [...] Prise en la personne de ses représentants légaux, Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ayant pour avocate plaidante Me Aurélie BONNEAU, avocate au barreau de PARIS, toque : P0445 COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 10 Février 2020, en audience publique, devant la Cour composée de : M. François ANCEL, Président Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère Mme Laure ALDEBERT, Conseillère qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laure ALDEBERT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile. Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 24 mars 2020 puis reportée au 03 juin 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par François ANCEL, Président et par Clémentine GLEMET, Greffière à laquelle à été remise la minute de la décision par le magistrat signataire. I- FAITS : 1- La société Sodmilab est une société algérienne spécialisée dans l'importation, la revente et les activités de prestations de services liées aux équipements de laboratoires. 2- La société Waters est une société française spécialisée dans la commercialisation et le développement d'instruments scientifiques notamment l'analyse chromatographique pour les laboratoires. 3- En 1997 la société Waters, souhaitant développer la vente de ses produits sur le marché algérien, est entrée en relations commerciales avec la société Sodmilab pour commercialiser ses produits en Algérie. 4- Le 25 février 2010 la société Waters et la société Sodmilab ont formalisé leurs relations commerciales en concluant un contrat intitulé « contrat de distribution des produits Waters sur le territoire algérien». 5- En janvier 2010 le fils du gérant de la société Sodmilab a créé en France la société Karsman, spécialisée dans l'import-export de marchandises, et qui est devenue l'intermédiaire pour l'achat et la livraison en Algérie des produits de la société Waters commandés par la société Sodmilab. 6- Par courrier du 1er avril 2016, la société Waters a mis fin au contrat conclu le 25février 2010 avec la société Sodmilab, lui accordant le préavis de 6 mois prévu contractuellement. 7- Estimant subir un préjudice du fait de cette rupture, les sociétés Sodmilab et Karsman ont, par courrier du 23 mars 2017, informé la société Waters de leur intention de réclamer des indemnités compensatrices sur le fondement des dispositions légales régissant la rupture du mandat d'agent commercial et à tout le moins de la rupture brutale de relations commerciales établies au visa des articles L. 134-12 et L. 442-6 I 5° du code de commerce. 8- En réponse par courrier du 15 juin 2017, la société Waters a contesté les demandes aux motifs que la société Sodmilab ne pouvait revendiquer l'application du droit français mais seulement du droit algérien et que la société Karsman ne remplissait pas les conditions requises pour être indemnisée. II- PROCEDURE : 9- C 'est dans ce contexte que les sociétés Sodmilab et Karsman ont fait assigner par acte d'huissier en date du 17 avril 2018 la société Waters en paiement de dommages et intérêts devant le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement notamment des articles L 442-6 I 5° du code de commerce, L. 134-1 et L. 134 -12 du code de commerce et 1240 du code civil, sollicitant l'application de la loi française à toutes leurs demandes et subsidiairement de la loi algérienne. 10- Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Karsman et a désigné comme liquidateur la SELARL FIDES, prise en la personne de Maître N... mandataire liquidateur. 11- Au cours de la procédure la société Waters a contesté l'application de la loi française aux relations avec la société Sodmilab, estimant que la loi algérienne était applicable. 12- Par jugement du 21 janvier 2019, le tribunal de commerce de Paris, a dit la loi algérienne applicable aux relations commerciales entre la société Sodmilab et la société Waters, renvoyé l'affaire à une prochaine audience de mise en état et réservé l'article 700 du code de procédure civile et les dépens. 13- Les sociétés Sodmilab et M. N... és qualités de liquidateur de la société Karsman, ont fait appel de la décision dans toutes ses dispositions par déclaration du 18 février 2019. 14- Au cours de la procédure, la société Waters a contesté la recevabilité de l'appel immédiat d'une décision statuant uniquement sur la loi applicable. 15- Par ordonnance du 1er octobre 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande et a déclaré l'appel recevable. III- PRETENTIONS DES PARTIES 16- Aux termes de leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 7 janvier 2020, la société Sodmilab et M. N... és qualités de liquidateur de la société Karsman, au visa du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), du règlement (CE) 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11juillet 2017 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 relative aux contrats d'intermédiaires et à la représentation (article 4, 5 et 16), de l'article L.442-6, I, 5° et L.134-12 et suivants du code de commerce, ainsi que des articles 84 et suivants du code de procédure civile, demandent à la cour de : - Les recevoir et les déclarer bien fondées. - Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a « dit la loi algérienne applicable aux relations commerciales entre la Société Sodmilab et la Société Waters SAS» et statuant à nouveau, - Juger que la société Sodmilab était liée contractuellement à par un contrat d'agent commercial, d'une part, et par un contrat de distribution, d'autre part. - Juger que la loi française est applicable aux demandes formées par Sodmilab à l'encontre de et pour que la rupture du contrat d'agent commercial, d'une part, et du contrat de distribution, d'autre part.

En conséquence

, - Renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de Commerce de Paris - Condamner la société Waters à leur payer la somme de 15000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens lesquels seront directement recouvrés par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile. 17- Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2020, la société Waters au visa de l'article 6 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978, l'article 4.1 du règlement Rome I du 17 juin 2008, l'article 4.1 et suivant du règlement Rome II du 11 juillet 2007 demande à la cour de: - Confirmer le jugement en date du 21 janvier 2019 en toutes ses dispositions ; En conséquence, - Juger que la loi algérienne est applicable aux relations commerciales entre la société Sodmilabet la société ; - Juger que la loi française est applicable aux relations commerciales entre la société et la société ; - Débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes ; En tout état de cause : - Renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Paris pour échange de conclusions sur le fond ; - Condamner les appelantes au paiement solidaire de la somme de 20000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ce qui le concerne au profit de Me Matthieu Boccon-Gibod, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 18- L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 janvier 2020. IV- MOYENS DES PARTIES : 19- La société Sodmilab soutient qu'elle exerçait une double activité de distribution exclusive et d'agent commercial exclusif sur le territoire algérien des produits de la société Waters et reproche aux premiers juges d'avoir dit la loi algérienne applicable sans avoir reconnu l'existence des deux relations commerciales. 20- En ce qui concerne l'activité d'agent commercial, les appelants soutiennent au visa de l'article 5 § 2 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la base d'un faisceau d'indices, qu'il résulte des accords contractuels conclus depuis 1997 que les parties ont souhaité dans le cadre de leurs relations commerciales rattacher le contrat à la France et au droit français. 21- A cette fin, ils font valoir que le contrat du 25 février 2010 contient une clause attributive de compétence au profit d'une juridiction française, que tous les échanges et documents contractuels étaient rédigés en français, que la France était le lieu du règlement des commissions, de la provenance des produits, des ordres, courriers adressés par la société Waters. 22- Ils mettent en avant que les conditions générales de vente (CGV) des produits achetés par les clients algériens par l'intermédiaire de la société Sodmilab agissant pour le compte de la société Waters prévoyaient que «les contrats conclus par Waters sont régis par la loi française » (article 10.1). 23- Ils ajoutent qu'à partir de 2010 la création de la société Karsman à la demande de la société Waters pour l'export de ses produits en Algérie démontre la volonté de la société Waters d'avoir un interlocuteur français entre elle et la société Sodmilab pour soumettre ses relations à la règlementation française et non algérienne. 24- Subsidiairement au visa de l'article 6§3 de la Convention de La Haye, les appelants soutiennent que c'est la loi de l'établissement professionnel de la société Sodmilab, en l'espèce la société Karsman située en France qui commande d'appliquer la loi française. 25- En ce qui concerne l'activité de distribution, les appelants font valoir que, quel que soit le fondement envisagé, contractuel ou délictuel, compte tenu du doute qui plane dans la jurisprudence sur la nature de l'action en rupture brutale de relations commerciales établies, la mise en 'uvre des règlements Rome I et Rome II conduisent à l'application du droit français, qui est la loi choisie tacitement par les parties et qu'en tout état de cause la situation présente des liens de rattachement manifestement plus étroits avec la France, justifiant la clause d'exception prévue par les règlements Rome I et Rome II. 26- Elles ajoutent qu'en tout état de cause les dispositions de l'article L.442 -6, I,5°du code de commerce sont d'ordre public dans l'ordre international privé et évincent l'application de la loi algérienne. 27- Elles exposent que conformément à de nombreuses décisions nationales, les dispositions de l'article L. 442-6, I,5° ancien du code de commerce qui protègent non seulement les intérêts de la victime de la rupture mais poursuivent aussi un objectif de protection des entreprises françaises dans le cadre de leur activité commerciale relèvent de l'ordre public de direction et qu'en participant au bon fonctionnement de la concurrence, elles s'imposent comme une loi de police au sens de l'article 9 du règlement Rome I. 28- En réponse la société Waters réplique que le tribunal n'a été saisi que dans les limites d'un incident portant sur la loi applicable et que la qualification juridique des relations commerciales entre les sociétés Waters et Sodmilab ne pourra être déterminée que lorsque la question de la loi applicable sera tranchée. 29- Sur la détermination de la loi applicable, dans l'hypothèse où le contrat conclu entre la société Waters et la société Sodmilab serait qualifié de contrat d'agent commercial, la société Waters conteste l'application de l'article 5 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 dés lors qu'il ne peut être déduit du contrat ni des circonstances factuelles un accord des parties sur l'application de la loi française. 30- Elle soutient que l'usage de la langue française dans les contrats, emails et factures n'est pas un facteur déterminant dès lors qu'elle est communément utilisée en Algérie dans le domaine des affaires et que pour déterminer la loi applicable les éléments essentiels à prendre en compte sont la nationalité de l'agent et le lieu d'établissement et d'exécution du mandat qui sont situés en Algérie, et qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges qui ont fait application de l'article 6 §1 de ladite Convention en retenant la loi du lieu d'établissement de la société Sodmilab, soit la loi algérienne. 31- Elle conteste le rattachement au droit français par application de l'article 6 §3 de la Convention précitée, faisant observer que la société Karsman est distincte de la société Sodmilab et n'est pas son établissement français. 32- Sur la détermination de la loi a pplicable dans l'hypothèse où le contrat conclu entre la société Waters et la société Sodmilab serait qualifié de contrat de distribution, elle fait valoir que la règle de conflit de loi définie par les règlements Rome I et Rome II en fonction de la nature de l'action, conduit à appliquer la loi algérienne retenue par les premiers juges. 33- Elle maintient que la preuve d'un accord sur la loi française et l'existence de liens plus étroits avec la France n'est pas rapportée et qu'en conséquence il convient d'appliquer l'article 4 du règlement Rome I qui prévoit que le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle, soit le droit algérien, lieu du siège social de la société Sodmilab. 34- Au visa du règlement Rome II ( action extra contractuelle) la société Waters fait valoir que c'est la loi du lieu où la société Sodmilab subit la rupture soit la loi algérienne qui s'appliquerait selon l'article 4§ 1du règlement Rome II sans qu'aucun correctif puisse trouver à s'appliquer. 35- Elle conteste l'analyse selon laquelle l'article L. 442-6, I,5° ancien du code de commerce serait une loi de police au sens de l'article 9 du règlement Rome I et prétend que c'est à bon droit que les premiers juges lui ont dénié cette nature dés lors que ses dispositions ne sont pas nécessaires à la sauvegarde économique du pays. 36- Elle fait remarquer que la loi fût-elle de police est d'application territoriale et qu'elle n'a pas à s'appliquer à la situation dans la mesure où les conséquences de la rupture se manifestent exclusivement en Algérie et que le marché français n'est pas affecté. 37- La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision entreprise et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. V- MOTIFS DE LA DECISION : 38- Il convient de constater au préalable que les parties ne contestent pas que la loi française est applicable aux relations commerciales qui ont eu lieu entre la société Waters et la société Karsman, aujourd'hui représentée par son mandataire liquidateur. 39- Les parties s'opposent en revanche sur la loi applicable à la relation commerciale qui s'est établie entre la société Sodmilab et la société Waters pour la commercialisation des produits de la marque Waters en Algérie. 40- La société Sodmilab revendique l'application de la loi française et non la loi algérienne comme retenue par les premiers juges et la reconnaissance de sa double activité d'agent commercial et de distributeur exclusifs de la société Waters en Algérie. 41- Il convient à cet égard d'observer qu'il appartiendra au tribunal, statuant sur le fond du litige, de qualifier la nature de cette relation commerciale de sorte qu'à ce stade, la question de la loi applicable sera tranchée en envisageant les deux qualifications soumises aux débats, à savoir selon que cette relation commerciale est qualifiée de contrat d'agent commercial ou de contrat de distribution. Sur la loi applicable à la relation contractuelle susceptible d'être qualifiée de contrat d'agent commercial : 42- Pour déterminer la loi applicable au litige concernant le contrat d'agent commercial, les parties conviennent qu'il y a lieu d'appliquer la Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats intermédiaires et à la représentation conclue le 14 mars 1978 ( ci-après la Convention). 43- L'article 5 de la Convention énonce que « la loi interne choisie par les parties régit le rapport de représentation entre le représenté et l'intermédiaire. Le choix de cette loi doit être exprès ou résulter avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause. » 44- En l'espèce, il est constant que les clients algériens étaient prospectés et démarchés par la société Sodmilab qui agissait comme un intermédiaire ou comme le représentant de la société Waters et que la vente des produits de la société Waters était matérialisée par un contrat conclu directement entre cette dernière et ces clients. 45- La société Sodmilab était rétribuée à la commission, fixée selon les termes du contrat du 25 février 2010. 46- Les parties n'ont cependant formalisé aucun choix exprès sur la loi applicable dans le contrat auquel elles se référent pour gouverner leurs relations commerciales. 47- A défaut de choix exprès des parties, la détermination du droit applicable ne peut que résulter de l'existence des conditions prévues cumulativement par l'article 5 alinéa 2 à savoir des dispositions du contrat et des circonstances de la cause. 48- A cet égard, il résulte des dispositions du contrat qu'elles ont convenu en cas de litige de saisir une juridiction française par l'insertion d'une clause attributive de compétence ainsi rédigée « en cas de litige et en cas d'absence d'accord entre les parties signataires, le tribunal de commerce de Versailles auquel il est fait attribution sera seul compétent» manifestant leur volonté de soumettre tout différend dans l'exécution de leurs relations commerciales à l'ordre juridictionnel français. 49- Il résulte de plus des circonstances de la cause que si l'usage du français dans le contrat et les échanges n'est pas en soi significatif s'agissant de la langue de travail couramment utilisée dans le secteur économique en Algérie, il constitue un indice qui peut être prise en compte et qui est en l'espèce corroboré par les circonstances que la France est le pays du lieu de signature et d'enregistrement des documents officiels désignant la société Sodmilab pour la représentation des produits Waters, le lieu du contrat formalisant leurs relations, ainsi que le lieu de provenance des produits et du règlement des commissions. 50- Il ressort également des pièces produites et notamment du contenu des accords passés entre les parties du 2 juin 1997 et du 15 mars 1999, que les prix étaient libellés en francs, que la société Sodmilab devait rendre compte périodiquement à la société Waters en France des visites commerciales effectuées en Algérie et que selon les termes du contrat du 25 février 2010, les devis étaient validés par la société Waters en France. 51- De plus les conditions générales des ventes réalisées par l'intermédiaire de la société Sodmilab en Algérie pour le compte de la société Waters prévoyaient expressément que «les ventes conclues par Waters sont régies par la loi française» ce qui constitue un indice supplémentaire de rattachement du rapport contractuel en faveur du droit national. 52- Il résulte ainsi avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause que les parties ont entendu soumettre leurs relations contractuelles à la loi française. 53- Il convient en conséquence pour ce motif d'infirmer la décision de ce chef et de dire que la loi française est applicable. Sur la détermination de la loi applicable à la relation contractuelle susceptible d'être qualifiée de contrat de distribution : 54- La société Sodmilab recherche la responsabilité de la société Waters pour rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. -6,I,5 du code de commerce, dont elle revendique l'application au titre du droit national ou de la loi de police dans l'ordre international privé quelle que soit la nature de l'action délictuelle ou contractuelle qui serait retenue. Sur la détermination de la loi de police des dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce, 55- Il convient de rechercher si le texte précité est applicable à titre de loi de police et à défaut de mettre en 'uvre la méthode conflictuelle prévue par le règlement du 17 juin 2008 n°593/2008 sur la loi applicable aux obligation contractuelles ('Rome I') ou le règlement n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ('Rome II'). 56- Les parties se réfèrent à l'article 9 du règlement Rome I qui définit la loi de police comme suit : «1.une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. 2.Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi». 57- Le règlement Rome I adopte ainsi une définition autour du critère des intérêts publics et met en avant le caractère «crucial» du respect de la disposition impérative. 58- Selon le considérant 37 de ce règlement, la loi de police n'est pas seulement une disposition impérative au sens du droit national :« Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de «lois de police» devrait être distinguée de celle de «dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord» et devrait être interprétée de façon plus restrictive». 59- En l'occurrence, si les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, qui impliquent qu'une entreprise installée en France ne cause pas de dommage en rompant brutalement une relation commerciale établie, contribuent à la moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles également de contribuer au meilleur fonctionnement de la concurrence, elles visent davantage à la sauvegarde les intérêts privés d'une partie, de sorte qu'elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l'organisation économique du pays au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application. 60- Dés lors, ces dispositions ne constituent pas une loi de police au sens de l'article 9 du règlement Rome I. 61- Il convient en conséquence de déterminer la loi applicable au présent litige par application des règles de conflit de lois résultant des règlements Rome I et Rome II. Sur la détermination de la loi applicable par application du règlement RomeI, 62- Selon l'article 3§1 du règlement Rome I, « le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat». A défaut de choix exercé conformément à l'article 3, l'article 4 prévoit que « la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit: (...) f) le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle; (...) Lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique.». 63- En l'espèce dans l'hypothèse d'un contrat de distribution en exécution duquel la société Sodmilab achetait directement pour son compte les produits à la société Waters, la loi française est la loi du contrat dés lors que les conditions générales de vente de la société Waters reproduites au verso des factures prévoient que «les ventes conclues par Waters sont régies par la loi française». 64- Cette constatation est corroborée par les circonstances évoquées plus haut étayées par les pièces produites desquelles il est ressorti de manière suffisamment certaine que les parties ont entendu soumettre leurs relations à la loi française et à l'ordre juridictionnel français expressément désigné. 65- Il s'en suit que le choix de la loi française résulte ainsi de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause et qu'en conséquence la décision ayant retenu l'application de la loi algérienne sera infirmée de ce chef, et il sera dit que la loi française est applicable. Sur la détermination de la loi applicable par application du règlement Rome II : 66- L'article 4 dudit règlement prévoit que: « 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. ( ...) S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. » 67- Selon l'article 14§1 du règlement Rome II, «les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle : (')/ b) lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage./ Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers.» 68- Pour les motifs précédemment énoncés, il résulte de façon certaine des circonstances de la cause que les parties ont entendu voir appliquer la loi française aux différends qui naitraient de leurs relations commerciales portés devant la juridiction française. 69- La décision sera en conséquence entièrement infirmée et le droit français reconnu applicable. Sur les frais et les dépens : 70- La société Waters qui succombe sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnée aux dépens et à payer à la société Sodmilab en application de ces dernières dispositions la somme indiquée au dispositif. 71- L'équité commande de ne pas faire droit à cette demande au profit de M. G... N... ès qualités de liquidateur de la société Karsman. VI-

PAR CES MOTIFS

La cour, 1- Infirme la décision du tribunal de commerce du 21 janvier 2019 ; Statuant à nouveau, 2- Dit que la loi française est applicable aux demandes de la société Sodmilab formées contre la société Waters, 3- Condamne la société Waters à payer à la société Sodmilab la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 4- Dit n'y avoir lieu au paiement d'une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au profit de M. G... N... ès qualités de liquidateur de la société Karsman, 5- Condamne la société Waters aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats au Barreau de Paris. La greffière Le président Clémentine GLEMET François ANCEL