CEDH, Cour (Deuxième Section), AFFAIRE KUTLUK ET AUTRES c. TURQUIE, 3 juin 2008, 1318/04

Chronologie de l'affaire

CEDH
3 juin 2008
Cour de cassation
13 mai 2002
Cour de cassation
14 mai 2001

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    1318/04
  • Dispositif : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété
  • Importance : Faible
  • État défendeur : Türkiye
  • Nature : Arrêt
  • Décision précédente :Cour de cassation, 14 mai 2001
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2008:0603JUD000131804
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-86670
  • Avocat(s) : OZTOK M.
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Résumé

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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION AFFAIRE KUTLUK ET AUTRES c. TURQUIE (Requête no 1318/04) ARRÊT STRASBOURG 3 juin 2008 DÉFINITIF 03/09/2008 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Kutluk et autres c. Turquie, La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : Françoise Tulkens, présidente, Antonella Mularoni, Ireneu Cabral Barreto, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş, juges, et de Sally Dollé, greffière de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mai 2008, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1318/04) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme Tülin Kutluk, M. Erdal Kutluk, Mme Esin Kutluk et Mme Emel Kutluk épouse Balıbek (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 novembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Les requérants sont représentés par Me M. Öztok, avocat à Canakkale. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent. 3. Le 19 février 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 4. Les requérants sont nés respectivement en 1933, 1951, 1954 et 1952 et résident à Çanakkale. 5. Les requérants sont les héritiers d'İsmail Kutluk, propriétaire d'une parcelle de terrain no 339, d'une superficie de 6 100 m2, située à Çamoba prés d'Ezine. Cette parcelle était située sur le littoral maritime. 6. Par un jugement du 30 décembre 1996, le tribunal cadastral d'Ezine annula le titre de propriété de la parcelle no 339 au motif qu'elle était située sur le littoral maritime. 7. Dans leur mémoire ampliatif du 4 août 1997 présenté devant la Cour de cassation, les requérants soutinrent que le jugement du tribunal cadastral d'Ezine portait atteinte à leur droit de propriété. 8. Par un arrêt du 14 mai 2001, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué. 9. Par un arrêt du 13 mai 2002, lequel ne fut pas notifié aux requérants, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l'arrêt. 10. Le 10 juillet 2003, la parcelle litigeuse fut inscrite sur le registre foncier au nom du Trésor public. 11. Le 27 mars 2007, les requérants introduisirent une action en constatation de la valeur du bien, dont le titre de propriété avait été annulé. Le même jour, le tribunal de grande instance d'Ezine accueillit cette demande. 12. Le 5 avril 2007, l'expert désigné présenta un rapport d'expertise au tribunal. La valeur des arbres plantés sur le terrain était estimée à 250[1] livres turques (TRL). Le terrain lui-même était estimé à 30 500[2] TRL. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT 13. Le droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt N.A. et autres c. Turquie (no 37451/97, § 30, CEDH 2005-...).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 14. Les requérants se plaignent qu'ils avaient été privés de leur bien au profit du Trésor public sans avoir été indemnisés conformément à l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » 15. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. A. Sur la recevabilité 16. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants pouvaient intenter une action au titre du dommage pour l'annulation de leur titre de propriété sur le fondement de l'article 125 de la Constitution ou des articles pertinents du code de procédure administrative ou du code civil. Il soutient également que les intéressés n'ont pas invoqué devant les juridictions internes le grief qu'ils soulèvent devant la Cour. Il fait en outre valoir qu'ils auraient dû introduire leur requête dans le délai de six mois à partir de la date de la dernière décision interne finale. 17. Les requérants contestent ces arguments. 18. S'agissant de la première branche de l'exception, la Cour rappelle qu'elle a déjà rejeté un argument semblable dans l'affaire Doğrusöz et Aslan c. Turquie (no 1262/02, §§ 22-23, 30 mai 2006) et Kadayıfçı et autres c. Turquie (nos 16480/03, 16486/03 et 28128/03, § 33, 17 juillet 2007). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion. 19. Quant à la deuxième branche de l'exception, la Cour constate que, dans son pourvoi du 4 août 1997 présenté devant la Cour de cassation (paragraphe 7 ci-dessus), les requérants ont soulevé en substance leur grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1. Partant, elle rejette également cette partie de l'exception. 20. Enfin, pour ce qui est de l'exception tirée du délai de six mois, la Cour rappelle que le délai de six mois ne peut commencer à courir qu'à partir du moment où l'intéressé a une connaissance effective et suffisante de la décision interne définitive. C'est à l'Etat qui excipe de l'inobservation du délai de six mois qu'il appartient d'établir la date à laquelle le requérant a eu connaissance de la décision interne définitive (Baghli c. France, no 34374/97, § 31, CEDH 1999-VIII). 21. En l'espèce, l'arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2002, qui constitue la décision interne définitive, n'a pas été notifié aux requérants ou à leur conseil alors même que les arrêts de la Cour de cassation au civil sont notifiés aux parties. Le 10 juillet 2003, la parcelle litigieuse a été inscrite sur le registre foncier au nom du Trésor public (paragraphe 10 ci-dessus). Dès lors que l'obligation de notification n'a pas été respectée et faute pour le Gouvernement d'apporter la preuve irréfutable démontrant que les requérants ou leur conseil ont eu connaissance de l'arrêt de la Cour de cassation plus de six mois avant l'introduction de la présente requête, la Cour estime que le délai de six mois a été respecté. Partant, elle rejette l'exception (voir, mutatis mutandis, Gençer et autres c. Turquie, no 6291/02, §§ 19-20, 21 décembre 2006). 22. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 23. En l'occurrence, la Cour constate que l'ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens s'analyse en une « privation » de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. 24. La Cour rappelle avoir déjà examiné un grief identique à celui présenté par les requérants et avoir conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1. En effet, elle a dit que, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et qu'une absence totale d'indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles (N.A. et autres, précité, §§ 41-43). En l'espèce, les requérants n'ont reçu aucune indemnisation en raison du transfert de propriété de leur bien au Trésor public. La Cour constate que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente en l'espèce (N.A. et autres, précité, § 42). 25. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

26. Les requérants allèguent que les juridictions nationales ne sont pas des tribunaux indépendants et impartiaux et se plaignent de la manière dont ces mêmes tribunaux appliquent les lois. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)» 27. Le Gouvernement conteste cette thèse. 28. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue (paragraphes 24-25 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente requête (Aksoy (Eroğlu) c. Turquie, no 59741/00, § 35, 31 octobre 2006 ; Sadak et autres c. Turquie, nos 29900/96, 29901/96, 29902/96 et 29903/96, § 73, CEDH 2001-VIII ; Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007). Compte tenu de l'ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu'il ne s'impose plus de statuer séparément sur les griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention. III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 29. Aux termes de l'article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. » A. Dommage 30. Les requérants réclament 144 651 euros (EUR) pour la valeur du terrain, 2 906 EUR pour les arbres plantés et 56 539 EUR pour le manque à gagner en raison de la privation du titre de propriété. Ils réclament par ailleurs chacun 1 000 EUR pour le préjudice moral qu'ils auraient subi. 31. Le Gouvernement conteste ces prétentions. 32. En l'occurrence, la Cour constate que c'est l'absence d'une indemnité adéquate et non une illégalité intrinsèque de la mainmise sur le terrain qui a été à l'origine de la violation constatée sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 255 et suivants, CEDH 2006-....). 33. Compte tenu de ces éléments et des informations dont elle dispose quant au prix de l'immobilier et à celui du terrain litigieux décrit ci-dessus, la Cour, statuant en équité, estime raisonnable d'accorder aux requérants conjointement la somme de 15 500 EUR pour le terrain nu pour dommage matériel. 34. Dans les circonstances de l'espèce, elle estime par ailleurs que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante à titre de dommage moral. B. Frais et dépens 35. Les requérants demandent également 1 000 EUR pour les frais et dépens et 3 000 EUR pour les honoraires d'avocat encourus devant la Cour. Ils ne fournissent aucun justificatif à l'appui de leur prétention. 36. Le Gouvernement conteste ces prétentions. 37. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande des requérants. C. Intérêts moratoires 38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS

, LA COUR, À L'UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable ; 2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ; 3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément les griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention ; 4. Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ; 5. Dit a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, la somme de 15 500 EUR (quinze mille cinq cents euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ; b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juin 2008, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement. Sally Dollé Françoise Tulkens Greffière Présidente 1. Soit environ 126 euros. 2. Soit environ 15 376 euros.

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