Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 30 novembre 2022, 21-15.489

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2022-11-30
Cour d'appel de Paris
2021-02-24

Texte intégral

COMM. FB COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 30 novembre 2022 Cassation partielle M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président Arrêt n° 727 F-D Pourvoi n° V 21-15.489 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022 La Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef), société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 21-15.489 contre l'arrêt rendu le 24 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant : 1°/ à la société Bpifrance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], 2°/ à la société Banque CIC Est, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], défenderesses à la cassation. La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef), de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Bpifrance, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Banque CIC Est, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gillis, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2021), la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (la société Sanef) a conclu le 3 avril 2013 un marché de réfection de chaussées d'autoroute avec la société Trabet, laquelle a, le 8 avril 2013, cédé ses créances au titre de ce marché à la société Oséo financement, aux droits de laquelle est venue la société Bpifrance. 2. Le 10 mars 2014, la société Sanef a réglé une avance de 251 308,13 euros à la société Oséo financement, conformément au cahier des clauses administratives particulières de ce marché. La société Banque CIC Est (la société CIC) a souscrit un engagement de caution envers la société Sanef, en garantie du remboursement de cette avance. Par un jugement du 9 février 2015, la société Trabet a été placée en redressement judiciaire, converti le 30 avril 2015 en liquidation judiciaire. Le 19 mai 2015, la même juridiction a arrêté un plan de cession des actifs à une société tierce. 3. Après avoir tenté infructueusement d'obtenir le remboursement de l'avance forfaitaire versée, au motif que les travaux correspondant à cette avance n'avaient pas été effectués, la société Sanef a assigné la société Bpifrance ainsi que la société CIC en paiement.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Sanef fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société Bpifrance à lui payer la somme de 251 308,13 euros, alors « que le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même, le principe de la contradiction ; qu'en relevant en l'espèce que "le seuil de déclenchement du remboursement de l'avance (65 %) n'a pas été atteint" pour en déduire que la société Sanef "ne pouvait exiger de la société Trabet et donc [pas] davantage du cessionnaire de la créance le remboursement de cette avance", quand la BPI se bornait à invoquer l'inopposabilité à son égard de l'arrêté de compte du 15 mai 2015, notamment parce qu'il ne lui avait pas été préalablement soumis et qu'elle n'y avait pas acquiescé et n'élevait donc aucune contestation relative au seuil de déclenchement de remboursement de l'avance, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour

Vu

l'article 16 du code de procédure civile : 5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

6. Pour rejeter la demande de paiement formée par la société Sanef contre la soc

iété Bpifrance, fondée sur la répétition de l'indû, l'arrêt constate qu'il résulte des stipulations du contrat conclu entre les sociétés Sanef et Trabet que « le remboursement de l'avance forfaitaire commencera lorsque le montant des travaux, régie exclue, qui figure à un décompte mensuel, atteindra ou dépassera 65 % du montant initial de la tranche ou du lot de marché » et qu'en l'espèce il résulte de l'arrêté des comptes entre les sociétés Sanef et Trabet, sollicité par la juridiction saisie de la procédure de liquidation judiciaire de cette dernière, que le seuil de déclenchement du remboursement de l'avance n'a pas été atteint, de sorte que la société Sanef ne pouvait exiger de la société Trabet le remboursement de la créance.

7. En statuant ainsi

, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen pris de ce que le seuil de déclenchement du remboursement de l'avance prévu contractuellement n'avait pas été atteint, qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé. Mise hors de cause 8. La cassation prononcée sur le premier moyen dispensant d'examiner le second moyen critiquant le rejet de la demande de la société Sanef dirigée contre la société CIC, qui n'a été présenté qu'à titre subsidiaire, il y a lieu, en application de l'article 625 du code de procédure civile, de mettre hors de cause la société CIC, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen ni sur le second moyen, qui est subsidiaire, la Cour : CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en tant que celui-ci a débouté la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef) de sa demande en condamnation de la société Banque CIC Est à lui payer la somme de 251 308,13 euros TTC, débouté la société Banque CIC Est de sa demande de dire que la société Bpifrance sera tenue de la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et condamné la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France à payer à la société Banque CIC Est la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il condamne la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France à payer la somme de 3 000 euros à la société Banque CIC Est au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Met hors de cause la société Banque CIC Est ; Condamne la société Bpifrance aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bpifrance et la demande formée par la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France contre la société Banque CIC Est et condamne la société Bpifrance à payer à la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France la somme de 3 000 euros et la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France à payer à la société Banque CIC Est la somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui, M. Ponsot, conseiller, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef). PREMIER MOYEN DE CASSATION La société Sanef fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande principale tendant à voir condamner la société BPI France Financement à lui payer la somme de 251.308,13 € TTC ; 1°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même, le principe de la contradiction ; qu'en relevant en l'espèce que « le seuil de déclenchement du remboursement de l'avance (65%) n'a pas été atteint » pour en déduire que la société Sanef « ne pouvait exiger de la société Trabet et donc davantage du cessionnaire de la créance le remboursement de cette avance », quand la BPI se bornait à invoquer l'inopposabilité à son égard de l'arrêté de compte du 15 mai 2015, notamment parce qu'il ne lui avait pas été préalablement soumis et qu'elle n'y avait pas acquiescé (conclusions d'appel p. 8) et n'élevait donc aucune contestation relative au seuil de déclenchement de remboursement de l'avance, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QUE les modalités de remboursement de l'avance forfaitaire par précompte sur les sommes dues ultérieurement au titulaire n'ont vocation à s'appliquer que lorsque le marché est exécuté normalement tandis qu'à l'inverse, lorsque le marché est résilié avant que l'avance n'ait été remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché (ou au cessionnaire de la créance) ; qu'en l'espèce, il était constant que le marché était résilié du fait de la liquidation judiciaire de la société Trabet, laquelle n'avait pas exécuté les travaux réglés par l'avance forfaitaire de la société Sanef ; qu'en décidant, dès lors, que la société Sanef ne pouvait pas exiger le remboursement de l'avance auprès de la BPI, laquelle, en sa qualité de cessionnaire de la créance Dailly, avait perçu l'avance forfaitaire, motif pris de ce que le seuil de déclenchement du remboursement de l'avance n'a pas été atteint quand cette modalité ne pouvait s'appliquer dans l'hypothèse d'une résiliation du marché, la cour d'appel a, en toute hypothèse, statué par un motif inopérant, et, partant, a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 2191-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique ; 3°) ALORS QUE le débiteur cédé, qui n'a pas accepté la cession de créances Dailly, est fondé à se prévaloir, pour obtenir restitution de l'acompte versé, de l'exception d'inexécution ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Sanef avait versé à la BPI, en sa qualité de cessionnaire, une avance forfaitaire pour des travaux que la société Trabet ne pourrait pas réaliser en suite de la procédure collective et de la cession de ses actifs à la société Karp Kneip ; qu'en retenant dès lors que la société Sanef, qui n'avait pas accepté la cession, ne pouvait pas opposer au cessionnaire de la créance - la BPI - l'exception d'inexécution pour obtenir le remboursement de l'avance forfaitaire, la cour d'appel a violé les articles L. 313-24 et suivants du code monétaire et financier ; 4°) ALORS QU'AU SURPLUS, l'avance forfaitaire n'a aucun caractère définitif puisqu'elle doit s'imputer sur les sommes dues au titulaire selon un rythme et des modalités fixés par le marché public; qu'après avoir expressément constaté qu'«au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la société Sanef était créancière de la société Trabet pour le montant de l'avance forfaitaire », la cour d'appel a pourtant écarté le moyen tiré de l'exception d'inexécution motif pris de ce que « cette avance forfaitaire ne correspondait pas à des travaux définis prévus au contrat du 7 mars 2014, mais n'était qu'une avance de trésorerie » ; qu'en statuant de la sorte, quand l'avance, dont l'objet est de fournir au titulaire du marché une trésorerie suffisante destinée à assurer le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui ont été confiées, est donc consentie en contrepartie de travaux devant être ultérieurement réalisés, la cour d'appel a violé les articles R. 2131-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique ; 5°) ALORS QU'en toute hypothèse le jugement rendu le 9 février 2015 par le tribunal de grande instance de Strasbourg prévoyait que « les conditions tenant à la mainlevée des nantissements de la BPI sur l'ensemble des marchés Sanef supposent au préalable un arrêté des chantiers dument signé par Sanef et Trabet », le jugement du 19 mai 2015 rappelant que cet arrêté devait être soumis à la BPI dès le 12 mai ; qu'une acceptation formelle et préalable de la BPI n'était donc nullement exigée, aucune signature de celle-ci n'étant requise pour l'établissement de l'arrêté de comptes ; qu'en conséquence, en retenant que cet arrêté « ne saurait lier BPI qui n'a pas signé l'arrêté de compte à l'élaboration duquel il [i.e : elle] n'est pas intervenu » (arrêt p. 4 § 2), la cour d'appel a ajouté une condition à celle prévue par le jugement et, partant, a violé l'article 4 du code de procédure civile ; 6°) ALORS QU'ENFIN (subsidiairement) le paiement indu donne lieu à répétition ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a, par motifs adoptés, énoncé que l'avance forfaitaire reçue par la BPI n'a pas été remboursée par la société Trabet (jugement p. 13 antépénultième §), que « la société Sanef était créancière de la société Trabet pour le montant de l'avance forfaitaire » (jugement p. 14 § 2) et a pourtant retenu qu'il convenait de débouter « la société Sanef de dire et juger indues les sommes versées par [elle] en exécution de la partie du marché du 7 mars 2014 alléguée non effectuée » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les articles 1235, devenu 1302, et 1376, devenu 1302-1, du code civil. SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) La société Sanef fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande subsidiaire tendant à voir condamner le CIC Est à lui payer la somme de 250.470,43 € au titre de son engagement de caution de remboursement de l'avance ; 1°) ALORS QUE le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en l'espèce, la société Sanef soutenait que la déclaration de créance - du 7 mai 2015 entre les mains de l'administrateur judiciaire de la société Trabet - qui correspondait très précisément au montant de l'avance forfaitaire, avait « été faite parce que les travaux n'avaient pas été effectués » (conclusions d'appel p. 21), ajoutant que cette déclaration de créance, ayant valeur d'action en justice, valait donc notification au titulaire du marché du défaut d'exécution de ce marché au sens de l'engagement de caution ; qu'en se bornant à affirmer que « la déclaration de créance, même si elle s'analyse comme une demande en justice, ne [peut] tenir lieu » de réclamation conforme aux prévisions contractuelles, sans consacrer le moindre motif pour justifier cette assertion, la cour d'appel a statué par un motif péremptoire, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QUE la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur constitue une demande en justice ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats que la société Sanef avait, par lettre RAR du 7 mai 2015, produit au passif de la société Trabet entre les mains de Me [U], mandataire judiciaire, la somme de 251.308,13 € TTC correspondant très précisément au montant de l'avance forfaitaire non remboursée par suite de la non-exécution des travaux ; que cette déclaration de créance valait donc notification du défaut d'exécution du marché au titulaire de celui-ci au sens de l'acte de caution ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil.