AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize décembre mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire de X... de MASSIAC, les observations de la société civile professionnelle LESOURD et BAUDIN et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Guy, contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 15 avril 1992 qui, dans les poursuites exercées contre lui du chef de fraudes fiscales et de passation d'écritures inexactes en comptabilité, l'a condamné à 30 000 francs d'amende, outre la publication et l'affichage de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen
de cassation pris de la violation de l'article
1741 du Code général des impôts, des articles
L. 227 et
L. 238 du Livre des procédures fiscales, de l'article
1315 du Code civil, de l'article 6 alinéa 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles
427 et
593 du Code de procédure pénale, des principes généraux du droit pénal, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt sur le revenu et de somme sujettes à la TVA ;
"aux motifs que la vérification fiscale d'ensemble du contribuable a entraîné des redressements importants en ce qui concerne l'impôt sur le revenu dû au titre des années 1983, 1984, 1985 et en ce qui concerne la TVA des redressements correspondant aux droits abusivement déduits en décembre 1983 et en 1984 ; que la vérification a fait ressortir des pourcentages de frais généraux par rapport aux recettes de 58 %, 65 % et 53 % au lieu de ceux de 91 %, 98 % et 93 % correspondant aux frais déclarés ; que l'intéressé a, dans une lettre, demandé les conséquences de son éventuelle acceptation des redressements notifiés et ensuite les a contestés en adressant, postérieurement au délai ouvert, un certain nombre de pièces justificatives ; que, par jugement du 4 novembre 1988, le tribunal administratif de Rouen a partiellement sursis à l'exécution des articles du rôle correspondant aux cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu assignées à Guy Y... au motif d'une part que le recouvrement des pénalités risquait d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables et d'autre part que l'Administration n'ayant pas encore répondu sur le bien-fondé des moyens soulevés par le requérant, ces moyens devaient être dès lors regardés, en l'état de l'instruction, comme sérieux et de nature à justifier les réductions d'imposition sollicitées ;
qu'il ne peuten être déduit comme le prétend que ses réclamations sont entièrement fondées ; que dans le dernier mémoire en réponse déposé devant la juridiction administrative, l'administration fiscale n'admet que des réductions mineures par rapport à ses prétentions initiales et qu'en tout état de cause, même en cas de
réductions dont rien ne laisse présumer qu'elles soient importantes, la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ;
"alors, d'une part, que la poursuite pénale pour soustractions frauduleuses à l'établissement ou au paiement de l'impôt et la procédure administrative tendant à la fixation de l'assiette des impositions étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, le juge répressif ne saurait, en l'absence de toute constatation puisée par lui dans les éléments de preuve qui ont été soumis aux débats contradictoires, fonder l'existence de dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt sur les seules évaluations que l'Administration a été amenée à faire, selon ses procédures propres, pour rétablir l'assiette de l'impôt et notamment sur les redressements effectués par les vérificateurs et qu'en se bornant à rappeler les constatations faites par l'Administration selon les procédures et finalités propres à celle-ci sans en vérifier le bien-fondé et en affirmant au contraire de manière purement hypothétique que rien ne laisse présumer que les réductions qui seraient admises par l'Administration soient importantes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
"alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 alinéa 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; que, par ailleurs, conformément aux principes généraux du droit pénal, il appartient aux parties poursuivantes, à savoir le ministère public et l'administration des Impôts de rapporter la preuve des infractions poursuivies ; qu'enfin les procès-verbaux des agents de l'administration des Impôts ne font foi que jusqu'à preuve contraire et que le prévenu a le droit de combattre ces procès-verbaux par tous moyens légaux de preuve et que, dès lors, en énonçant que rien ne laisse présumer que les réductions admises par l'Administration soient importantes et que la dissimulation excède le dixième de la somme imposable sans s'expliquer sur le contenu des pièces justificatives produites par le contribuable ou sans ordonner un supplément d'information afin de permettre un examen contradictoire desdites pièces, la cour d'appel a violé les principes susvisés ;
"alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire constater que le tribunal administratif avait ordonné le sursis à exécution des articles du rôle correspondant aux cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu en raison du caractère sérieux des moyens soulevés par le requérant et de nature à justifier les réductions d'imposition sollicitées et affirmer sans s'en expliquer davantage que rien ne laisse présumer que ces réductions soient importantes" ;
Sur le deuxième moyen
de cassation pris de la violation de l'article
1741 du Code général des impôts, des articles
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'omission volontaire de faire sa déclaration dans les délais prescrits ;
"aux motifs que l'intéressé a admis le dépôt hors délai de ses déclarations pour l'impôt sur le revenu de 1985 ainsi que la TVA de l'année 1983 mais qu'il a pris soin d'envoyer ses déclarations dans le délai des mises en demeure pour éviter la taxation d'office et qu'il ne donne à ces retards aucune explication ou justification plausible, étant difficilement admissible notamment de prétendre que le retard est dû au fait qu'il n'avait pas reçu les formulaires de déclarations de TVA alors qu'il pouvait facilement les obtenir à la recette des impôts ;
"alors qu'il se déduit des termes de l'article
1741 du Code général des impôts que le délit d'omission de faire sa déclaration dans les délais prescrits n'est caractérisé qu'autant que l'omission est volontaire c'est-à-dire qu'elle procède d'une volonté délibérée du contribuable de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement de l'impôt et que la cour d'appel qui constatait que dès la première mise en demeure Y... avait pris soin d'envoyer ses déclarations dans le délai de 30 jours, constatation d'où s'évinçait l'absence d'élément intentionnel et qui n'a au demeurant pas relevé le caractère volontaire de l'omission poursuivie, n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Sur le troisième moyen
de cassation pris de la violation des articles
1741 et
1743 du Code général des impôts, des articles
388,
12 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de passation d'écritures inexactes ou fictives dans un livre comptable de janvier 1984 à mars 1986 ;
"aux motifs que le prévenu a inclus dans ses dépenses prétendument professionnelles des dépenses personnelles, telles que contraventions, redevance télévision, locations de véhicules durant les week-ends, achats de livres ou magazines sans aucune relation avec son activité (Mon Jardin, Ma Maison...) factures au nom de son fils Patrice (pyjama...), vignette auto frais déjà compris dans le barème kilométrique pour la détermination de ses frais de voitures), excès de déduction de pension alimentaire pour enfant majeur ;
"alors, d'une part, que ne donne pas de base à sa décision l'arrêt d'une cour d'appel qui ne constate pas dans ses motifs la date des infractions qu'il retient ;
"alors, d'autre part, qu'en ne précisant pas dans sa décision les dates de passation des écritures inexactes ou fictives, la cour d'appel ne permet pas à la Cour de Cassation de vérifier qu'elle n'a pas excédé sa saisine en retenant des éléments compris dans la période de vérification de l'Administration mais écartée par la prévention en raison de la prescription" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits de fraudes fiscales et de passation d'écritures inexactes en comptabilité dont elle a reconnu le prévenu coupable ;
Que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus devant eux, ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. de Mordant de Massiac conseiller rapporteur, MM. Tacchella, Gondre, Culié, Roman, Joly conseillers de la chambre, Mmes Mouillard, Fossaert-Sabatier conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;