AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le pourvoi formé par la Société générale d'édition et de diffusion (SGED), société en nom collectif, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 15 février 1995 par la cour d'appel de Paris (22e chambre, section A), au profit de Mme Ghislaine X..., demeurant ..., défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 décembre 1997, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Le Roux-Cocheril, Chagny, conseillers, Mmes Lebée, Andrich, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Waquet, conseiller, les observations de la SCP Monod, avocat de la SGED, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen
unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 février 1995), que Mme X... a été engagée le 1er mars 1991 par la Société générale d'édition et de diffusion (SGED), en qualité de correcteur exerçant ses fonctions à domicile;
qu'en avril 1992, elle a pris un congé de maternité qui a été suivi, jusqu'au 11 septembre 1992, de ses congés annuels;
que par lettre du 16 septembre 1992, elle s'est plainte auprès de son employeur de n'avoir pas pu reprendre ses activités, son supérieur hiérarchique lui ayant fait connaître qu'il n'avait pas de travail pour elle;
que, le 21 septembre suivant, la SGED lui a fait parvenir une attestation aux termes de laquelle son contrat se trouvait suspendu depuis le 14 septembre 1992 en application de l'article 6 de l'annexe IV de la Convention collective nationale de l'édition, l'employeur n'ayant provisoirement plus de travaux à lui donner ;
que, cependant, le 16 novembre 1992, la société lui écrivait à nouveau pour lui faire connaître que, faute par elle d'avoir accepté la proposition qui lui avait été faite le 14 septembre précédent, d'effectuer un travail de "libellé", à raison de 12 heures de travail par semaine pendant 4 semaines, le contrat de travail se trouvait rompu à son initiative, ce dont elle prenait acte;
que Mme X..., contestant qu'une proposition quelconque lui ait été faite, a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que la SGED fait grief à
l'arrêt d'avoir dit que la rupture du contrat de travail était imputable à l'employeur et constituait un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, qu'il appartient au travailleur à domicile qui conteste avoir été à l'origine de la rupture d'établir que celle-ci est imputable à l'employeur;
qu'ainsi, en faisant peser sur la SGED le risque de la preuve de l'offre de travail dont Mme X... contestait l'existence pour en déduire que la rupture ne lui était pas imputable, la cour d'appel a violé l'article
1315 du Code civil;
alors, ensuite, que l'employeur n'est pas astreint, à l'égard des travailleurs à domicile, à l'obligation de leur fournir un travail constant et régulier;
qu'ainsi, en se bornant pour qualifier d'abusif le licenciement de Mme X..., à retenir que la SGED ne s'est pas souciée des conditions de retour de congé de celle-ci, ce dont il résulte tout au plus une négligence de sa part dans la répartition du travail, et qu'à supposer l'offre de la SGED établie, il s'agit d'une offre non sérieuse que Mme X... ne pouvait accepter, ce qui ne suffit pas à établir en quoi la SGED a fait dégénérer en abus son droit de ne proposer à la salariée à domicile qu'un volume restreint de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
1382 du Code civil et
L. 122-14-4 du Code du travail;
alors, enfin, qu'en affirmant, après avoir relevé que le volume de travail de Mme X... avait été remis en cause après son retour de congés, que la SGED a commis un abus de droit en ne se souciant pas des conditions de ce retour sans même avoir constaté que la cause de la modification de la charge de travail proposée à Mme X..., ni recherché si cette modification ne s'expliquait pas par l'achèvement de la refonte de l'encyclopédie Bordas à laquelle Mme X... participait avant ses congés, comme le soutenait la SGED, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code du travail et
L. 122-14-4 du Code du travail ;
Mais attendu
, d'abord, que l'employeur ayant prétendu avoir fait une offre à la salariée, c'était à lui qu'il appartenait d'établir la réalité et la teneur de cette offre ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a relevé qu'après avoir informé la salariée que son contrat de travail n'était que supendu et non rompu en application des dispositions de la convention collective, la SGED lui avait fait connaître, deux mois plus tard, qu'elle prenait acte de la rupture du contrat de travail, à son initiative, au seul motif qu'elle aurait refusé une offre de travail;
qu'ayant constaté, par une appréciation souveraine, que la preuve de cette offre n'était pas rapportée, elle a pu en déduire, abstraction faite de motifs surabondants, que le fait de prendre acte de la rupture dans de telles conditions s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SGED aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.