LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 novembre 2021
Cassation partielle
sans renvoi
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1231 F-D
Pourvoi n° D 20-18.391
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2021
La société Real Commercialisation, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-18.391 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à Mme [R] [O], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Real Commercialisation, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), Mme [O] a été engagée le 7 juin 2006 par la société ImmoBalzac, en qualité de négociateur immobilier. Le contrat de travail a été transféré à la société Gérance de [Localité 4] à compter du 2 mai 2008, puis à la société Real Commercialisation le 29 juin 2012.
2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 22 octobre 2012, de demandes en résiliation judiciaire du contrat de travail et paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat. En cours d'instance, elle a pris acte, par lettre du 18 avril 2014, de la rupture de la relation de travail aux torts de l'employeur.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article
1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de rappel de commissions, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article 5 du contrat de travail de Mme [O] en date du 1er décembre 2010, tel que transféré de la société Real Gérance de [Localité 4] à la société Real Commercialisation suite à la cession partielle du fonds de commerce entre les deux sociétés, la salariée était rémunérée par un fixe et un variable sous forme de commission correspondant à 20 % sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les locations (hors rédaction d'actes et états des lieux), 20 % sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les ventes jusqu'à 160 000 euros dans l'exercice civil et 25 % sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les ventes de plus de 160 000 euros dans l'exercice civil ; qu'aux termes de ces dispositions, l'employeur était donc tenu de verser à la salariée une commission sur les montants des honoraires qu'il avait encaissés sur les contrats de location générés par cette dernière ; qu'il s'induit des propres constatations de l'arrêt qu'à partir du mois de juillet 2012, une partie des commissions n'a pas été perçue par la société Real Commercialisation, devenue l'employeur de Mme [O], mais par la société Gérance de [Localité 4] ; que, dès lors, en condamnant la société exposante à régler à Mme [O] des commissions sur des honoraires dont elle constatait qu'ils avaient été perçus par une autre entité, la cour d'appel a violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que la société Real Commercialisation faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que Mme [O] avait reçu, eu égard à la quote-part de son chiffre d'affaires, la rémunération variable qui lui était due et que, si la demande de la salariée était accueillie, cela aboutirait à lui appliquer un pourcentage de 40 % dudit chiffre d'affaires, en violation du contrat de travail ; qu'en se contentant de retenir que les "factures établies par la société Real Commercialisation à partir du mois de juillet 2012 font aussi apparaître que les commissions de Mme [O] n'ont pas été calculées sur la totalité des honoraires encaissés par la société Gérance de [Localité 4] à l'occasion des opérations réalisées par la salariée", la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen déterminant quant à la mise en oeuvre des dispositions contractuelles, en violation de l'article
455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La rémunération contractuelle du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord.
6. La cour d'appel a constaté que le contrat de travail du 1er décembre 2010 prévoyait une rémunération fixe et une part variable basée sur le montant hors taxes des honoraires perçus par la société variant entre 20 à 25 % et retenu que, postérieurement à son transfert en application de l'article
L. 1224-1 du code du travail, le nouvel employeur était tenu de respecter l'ensemble des droits et obligations résultant du contrat.
7. Ayant relevé qu'à partir du mois de juillet 2012, l'assiette de calcul des commissions de la salariée à l'occasion des opérations de location réalisées par elle ne comprenait pas les honoraires payés par les bailleurs encaissés par la société Gérance de [Localité 4], elle en a exactement déduit, répondant aux conclusions prétendument délaissées en les écartant, que la moitié du montant des commissions avait été éludé.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus, alors « que les créances salariales produisent des intérêts au taux légal à compter de chaque échéance devenue exigible ; qu'en l'espèce, Mme [O], qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 18 avril 2014, sollicitait un rappel de commission d'un montant total 26 613,26 euros, et congés payés afférents, couvrant la période d'août 2012 à février 2014 ; que, dès lors en décidant que la condamnation de la société Real Commercialisation au rappel de salaire portera intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, la cour d'appel a violé l'article 1153, devenu l'article
1231-6, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article
1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Selon ce texte, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.
11. Après avoir condamné l'employeur à payer une certaine somme à titre de rappel de commissions et congés payés afférents, l'arrêt retient que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus.
12. En statuant ainsi, alors que la salariée avait formé sa demande d'un rappel de commissions sur la période d'août 2012 à février 2014, le 18 avril 2014, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article
1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles
L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et
627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que les sommes dues au titre du rappel de commissions et des congés payés afférents porteront intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2014 ;
Condamne Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société Real Commercialisation
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Real Commercialisation fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à Mme [O] la somme de 26 613,26 euros à titre de rappel de commissions ;
1°) ALORS QU'aux termes de l'article 5 du contrat de travail de Mme [O] en date du 1er décembre 2010, tel que transféré de la société Real Gérance de [Localité 4] à la société Real Commercialisation suite à la cession partielle du fonds de commerce entre les deux sociétés, la salariée était rémunérée par un fixe et un variable sous forme de commission correspondant à 20% sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les locations (hors rédaction d'actes et états des lieux), 20% sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les ventes jusqu'à 160 000 euros dans l'exercice civil et 25% sur les honoraires hors taxes encaissés par la société sur les ventes de plus de 160 000 euros dans l'exercice civil ; qu'aux termes de ces dispositions, l'employeur était donc tenu de verser à la salariée une commission sur les montants des honoraires qu'il avait encaissés sur les contrats de location générés par cette dernière ; qu'il s'induit des propres constatations de l'arrêt qu'à partir du mois de juillet 2012, une partie des commissions n'a pas été perçue par la société Real Commercialisation, devenue l'employeur de Mme [O], mais par la société gérance de [Localité 4] ; que, dès lors, en condamnant la société exposante à régler à Mme [O] des commissions sur des honoraires dont elle constatait qu'ils avaient été perçus par une autre entité, la cour d'appel a violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE la société Real Commercialisation faisait valoir, dans ses conclusions d'appel (p.32, §1 et 2), que Mme [O] avait reçu, eu égard à la quote-part de son chiffre d'affaires, la rémunération variable qui lui était due et que, si la demande de la salariée était accueillie, cela aboutirait à lui appliquer un pourcentage de 40% dudit chiffre d'affaires, en violation du contrat de travail ; qu'en se contentant de retenir que les « factures établies par la société Real commercialisation à partir du mois de juillet 2012 font aussi apparaître que les commissions de Mme [O] n'ont pas été calculées sur la totalité des honoraires encaissés par la société gérance de [Localité 4] à l'occasion des opérations réalisées par la salariée », la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen déterminant quant à la mise en oeuvre des dispositions contractuelles, en violation de l'article
455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Real Commercialisation fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à Mme [O] la somme de 2 000 euros au titre du harcèlement moral ;
ALORS QU'il appartient au juge de prendre en compte l'ensemble des éléments revendiqués par l'employeur pour démontrer que les agissements invoqués par le salarié sont étrangers à tout harcèlement moral ; qu'en l'espèce, au-delà de la simple critique par la société Real Commercialisation des éléments revendiqués par Mme [O] comme permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur soulignait également, et en apportait la preuve, qu'il avait versé à la salariée le montant des commissions sur les honoraires qu'il avait effectivement encaissés et que les griefs formulés à l'encontre de Mme [O] étaient justifiés par son incapacité à respecter ses objectifs professionnels ainsi que sa carence à obtempérer aux instructions de son employeur et à exécuter pleinement ses fonctions de négociatrice immobilière ; qu'en affirmant que la société Real Commercialisation se bornait à contester en les interprétant les pièces de la salariée et en retenant que les agissements dénoncés par la salariée et les reproches injustifiés de l'employeur révélaient un abus d'autorité, sans pour autant procéder à la moindre analyse des éléments avancés par ce dernier, la cour d'appel a violé l'article
455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Real Commercialisation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la prise d'acte par Mme [O] du 18 avril 2014 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'avoir en conséquence condamné l'employeur à verser à la salariée une indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis, une indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1°) ALORS QUE la cassation à intervenir de l'arrêt en ce qu'il a condamné la société Real Commercialisation à verser à Mme [O] un rappel de salaire et/ou en ce qu'il a retenu l'existence d'un harcèlement moral entraînera la cassation de l'arrêt en ce qu'il a dit que la prise d'acte par la salariée du 18 avril 2014 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article
624 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, seuls les manquements de l'employeur qui sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, peuvent justifier que le salarié prenne acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ; qu'en retenant, pour faire droit à la demande de voir la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que la société Real Commercialisation a commis les manquements que lui a imputés Mme [O], sans pour autant vérifier en quoi lesdits manquements étaient d'une gravité telle qu'ils empêchaient la poursuite de la relation contractuelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 (loi n°2013-504 du 14 juin 2013) du code du travail.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
La société Real Commercialisation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, s'agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus ;
ALORS QUE les créances salariales produisent des intérêts au taux légal à compter de chaque échéance devenue exigible ; qu'en l'espèce, Mme [O], qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 18 avril 2014, sollicitait un rappel de commission d'un montant total 26.613,26 euros, et congés payés afférents, couvrant la période d'août 2012 à février 2014 ; que, dès lors en décidant que la condamnation de la société Real Commercialisation au rappel de salaire portera intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, soit le 29 octobre 2012, la cour d'appel a violé l'article 1153, devenu l'article
1231-6, du code civil.