Tribunal de Grande Instance de Paris, 22 mai 2015, 2013/07743

Mots clés validité de la marque · droit antérieur · dénomination sociale · secteur géographique · secteur d'activité · risque de confusion · marque notoire · marque complexe · imitation · différence visuelle · substitution · syllabe · syllabe d'attaque · syllabe finale identique · couleur · typographie · langue étrangère · similitude phonétique · prononciation · nom commercial · signe connu sur l'ensemble du territoire national · procédure abusive · préjudice

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2013/07743
Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : OUIGO
Classification pour les marques : CL12 ; CL16 ; CL35 ; CL39
Numéros d'enregistrement : 3887175 ; 3956777 ; 1129263
Parties : WYGO SARL / SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 22 Mai 2015

3ème chambre 3ème section N° RG : 13/07743

Assignation du 14 Mai 2013

DEMANDERESSE S.A.R.L. WYGO représentée par son gérant domicilié en cette qualité audit siège. [...] 74240 GAILLARD représentée par Me Philippe SCHMITT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0677

DÉFENDERESSE SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS [...] 75014 PARIS représentée par Maître Christophe CARON de l'Association CABINET CHRISTOPHE CARON. avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0500

COMPOSITION DU TRIBUNAL Arnaud D. Vice-Président Carine G, Vice-Président Florence BUTIN Vice-Président assisté de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier

DEBATS A l'audience du 07 Avril 2015 tenue en audience publique

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE La société WYGO a été immatriculée le 7 décembre 2007. Elle a pour activités selon l'article 2 de ses statuts « l'édition de magazines et de livres, tout support à caractère informatif ou culturel, manifestation événementielle, régie publicitaire, communication et management sportif ou culturel, et plus généralement toutes opérations, de quelque nature qu'elles soient, juridiques, économiques et financières, civiles et commerciales, se rattachant à l'objet sus-indiqué ou à tous autres objets similaires ou connexes, de nature à favoriser directement ou indirectement, le but poursuivi par la société, son expansion ou son développement ». Elle utilise le signe verbal WYGO à titre de nom commercial.

La Société Nationale des Chemins de fer Français (ci-après la SNCF) est un établissement public industriel et commercial créé le 1er janvier 1938 et qui a pour mission principale le transport ferroviaire de personnes et de marchandises ainsi que, dans le cadre d'une convention de gestion, la gestion du trafic et des circulations et l'entretien des infrastructures techniques et de sécurité du réseau ferré national.

Le 2 avril 2014, elle a lancé une nouvelle offre de trains à grande vitesse et à prix réduits circulant entre certaines villes en France, déposant aux fins de désigner ce service les marques suivantes:

-la marque française verbale « OUIGO », déposée le 6 janvier 2012 par IDTGV sous le n°3887175 et qui a fait l'objet d'une cession au profit de la SNCF,

-La marque française semi-figurative, déposée le 29 octobre 2012 par la SNCF sous le n° 3956777

-la marque internationale verbale «OUIGO », déposée le 04 juillet 2012 par la SNCF sous le n° l 129263, pour désigner en classes 12, 16, 35 et 39, les produits et services suivants :

- « véhicules sur rail, tracteurs et tractés, de transport de personnes ; locomotives ; motrices ; wagons ; trames de voitures ou de wagons ; compartiments de voitures de chemin de fer » (12); - « titres de transport ferroviaire ; tickets ; coupons et carnets pour le transport et le voyage en train ; cartes de réseaux ferroviaires ; produits de l'imprimerie, à savoir prospectus, tracts, plaquettes, dépliants, brochures, brochures d'information, annuaires, guides, guides de voyage, bulletins, bulletins d'information, lettres d'information, horaires imprimés, fiches d'horaires et indicateurs horaires, l'ensemble étant relatif aux transports ferroviaires » (16); - « services d'abonnement et d'offres tarifaires promotionnelles en vue de fidéliser la clientèle pour les transports et les voyages en train, y compris ceux donnant droit à l'utilisation d'une carte d'un badge et/ou d'un coupon d'accès ou de circulation ; services de programmes de fidélité pour les transports et les voyages en train ; informations et conseils en matière d'abonnement et d'offres tarifaires promotionnelles pour les transports et les voyages en train ; les services précités étant fournis ou accessibles par tous moyens, y compris par voie télématique ou sur des réseaux de télécommunications ou informatiques, notamment Internet, par téléphone ou par des points de contact (guichets, bornes) dédiés à cet effet » ( 35) ; - « transports ferroviaires de passagers ; organisation de transports et de voyages en train réservation et échange de titres de transports ferroviaires ; informations en matière de transport et de voyages en train, notamment informations concernant les tarifs et horaires de chemin de fer, l'état du trafic et les voyages en train ; les services précités étant fournis ou accessibles par tous moyens, y compris par voie télématique ou sur des réseaux de télécommunications ou informatiques, notamment Internet, par téléphone ou par des points de contact (guichets, bornes) dédiés à cet effet (39). ».

Estimant que ces marques portaient atteinte à des droits antérieurs au titre de sa dénomination sociale et de son nom commercial, la société WYGO a par courrier du 1 er mars 2013, mis en demeure la SNCF de cesser l'emploi du signe OUIGO seul ou « en association avec un cercle » pour « tous les produits identiques ou similaires à son objet social et de procéder à la radiation des dits produits ou services des classes 16, 35 et 39 aux différents dépôts et enregistrements de marque » dont elle est titulaire et enfin, de lui adresser une proposition indemnitaire.

La SNCF ayant indiqué le 14 mars 2013 qu'elle n'entendait pas déférer à cette injonction, la société WYGO l'a suivant acte d'huissier en date du 14 mars 2013, assignée devant ce tribunal pour présenter, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 juin 2014, les demandes suivantes:

Vu l'article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle ; Vu l'article 1382 du Code civil ; Vu l'article 1383 du Code civil ;

-annuler la marque française OUIGO n° 12 3 887 175, la marque internationale OUIGO n° 1 129 263 déposée sur la priorité du dépôt français n° 12 3 887 175 et la marque française OUIGO semi-figurative les produits et services suivants :

« ..... ; produits de l'imprimerie, à savoir prospectus, tracts, plaquettes, dépliants, brochures, brochures d'information, annuaires, guides, guides de voyage, bulletins, bulletins d'information, lettres d'information, horaires imprimés, fiches d'horaires et indicateurs horaires, l'ensemble étant relatif aux transports ferroviaires ;

Services d'abonnement et d'offres tarifaires promotionnelles en vue de fidéliser la clientèle pour les transports et les voyages en train, y compris ceux donnant droit à l'utilisation d'une carte d'un badge et/ou d'un coupon d'accès ou de circulation ; services de programmes de fidélité pour les transports et les voyages en train ; informations et conseils en matière d'abonnement et d'offres tarifaires promotionnelles pour les transports et les voyages en train : les services précités étant fournis ou accessibles par tous moyens, y compris par voie télématique ou sur des réseaux de télécommunications ou informatiques, notamment Internet, par téléphone ou par des points de contact (guichets, bornes) dédiés à cet effet :

«... • organisation de transports et de voyages en train : réservation et échange de litres de transports ferroviaires ; informations en matière de transport et de voyages en train, notamment informations concernant les tarifs et horaires de chemin de fer, l'état du trafic et les voyages en train : les services précités étant fournis on accessibles par tous moyens, y compris par voie télématique ou sur des réseaux de télécommunications ou informatiques, notamment Internet, par téléphone ou par des points de contact (guichets, homes) dédiés à cet effet. ».

-dire que le greffier sur réquisition de la société WYGO notifiera la décision sollicitée aux Offices pour inscription aux registres en marge desdits enregistrements:

-interdire à la SNCF d'utiliser le signe OUIGO seul ou placé dans un cercle pour désigner l'un ou l'autre des produits et services dont l'annulation à l'un ou à l'autre des enregistrements a été prononcée sous astreinte de 10 000 € au bénéfice de la société WYGO passé un délai de huit jours après le prononcé de la décision sollicitée:

-interdire à la SNCF d'utiliser dans les domaines de l'édition, de la communication et de l'événementiel culturel ou sportif el de ses activités de régie publicitaire, le signe OUIGO employé seul ou placé- dans un cercle sous les mêmes conditions d'astreinte au bénéfice de la société WYGO:

-condamner la SNCF à payer à la société WYGO la somme de 3 millions d'euros pour l'indemnisation du préjudice subi:

Rejeter toutes les demandes de la SNCF:

-condamner la SNCF à payer la somme de 8.500 € à la société WYGO en application de l'article 700 du code de procédure civile:

-condamner la SNCF aux entiers frais et dépens de l'instance au bénéfice de Me Philippe Schmitt en application de l'article 699 du même code.

Elle fait valoir au soutien de ces demandes que:

-l'article L71I-4 du code de la propriété intellectuelle prohibe l'adoption comme marque d'un signe qui porte atteinte à une dénomination sociale (L711-4.b) el à un nom commercial (L71 l-4,c) s'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit du publie, étant précisé qu'il convient de tenir compte de la renommée de la marque OUIGO pour l'application de ce texte. -la dénomination sociale « WYGO » bénéficie de la protection sur l'ensemble du territoire national pour des activités d'édition, elle identifie la personne morale sans qu'il soit besoin d'établir son rayonnement national, et pour le nom commercial, l'expression « connu sur l'ensemble du territoire national » de l'article L711-4 ne doit pas être entendue comme exigeant que le signe soit utilisé partout en France mais il renvoie à la diffusion de produits ou de services en différents points du territoire,

-les marques litigieuses de la SNCF portent sur des produits de l'édition et de l'imprimerie, la SNCF est également un acteur de l'édition, plus particulièrement appartiennent à ce domaine les services visés en classe 16, la prétendue limitation aux transports ferroviaires ne pouvant exclure la similitude, les autres produits et services visés aux classes 35 et 39 se rapportent également à l'édition de documents ou ont recours à des services complémentaires d'édition ou d'impression, la SNCF est en outre éditeur ou sponsor d'ouvrages sur des sujets liés aux métiers qu'elle représente,

-OUIGO étant une marque renommée qui dans l'esprit du consommateur moyen normalement informé, raisonnablement attentif et avisé du domaine de l'édition, est évoquée par le signe WYGO, il est nécessaire de prendre en considération l'intensité de la renommée de la marque, afin de déterminer si cette renommée s'étend au-delà du public visé dès lors que le public concerné par la dénomination sociale et le nom commercial effectue un rapprochement entre les signes en conflit alors même qu'il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque renommée a été enregistrée,

-les signes en conflit sont phonétiquement identiques, expriment la même idée d'avancer, et sont associées à un cercle,

-dans l'esprit du consommateur des produits de l'édition, WYGO évoque OUIGO, c'est-à-dire des produits et services à des prix réduits et de moindre qualité,

-courant 2012, les différents dépôts litigieux sont réalisés par la SNCF en connaissance de la société WYGO et cette connaissance emporte des qualifications différentes selon les agissements qui lui sont reprochés, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil,

-les investissements publicitaires de la demanderesse pour reconstruire son image et ceux réalisés par la SNCF pour la promotion de ses marques justifient les demandes indemnitaires présentées.

La SNCF forme dans ses dernières conclusions, notifiées le 17 septembre 2014, les demandes suivantes: Vu l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ; Vu les articles 1382 et 1383 du code civil ; Vu l'article 32-1 du code de procédure civile ; -dire et juger que la confusion ou le rattachement n'est possible ou vraisemblable entre une dénomination sociale et une marque postérieure que si la sphère d'activité des deux opérateurs économiques est identique ou à tout le moins similaire, ce qui revient à appliquer le principe de spécialité, et dire et juger que les marques « OUIGO » de la SNCF ne sont pas déposées ou exploitées dans un domaine d'activité identique ou similaire au domaine d'activité de la société WYGO, tel qu'il résulte de son objet social en général et/ou tel qu'il résulte de son activité réelle, à savoir l'édition de bandes dessinées.

-dire et juger que compte tenu de l'absence de notoriété de la société WYGO le public ne pourra pas rattacher les marques « OUIGO » de la SNCF à la société WYGO,

-dire et juger que les signes « OUIGO » et « WYGO » pris dans leur ensemble au terme d'une appréciation globale n'ont aucune similitude auditive, conceptuelle ou visuelle de sorte qu'il est impossible pour le public de les confondre.

En conséquence.

-dire et juger que le risque de confusion n'est pas caractérisé entre la dénomination sociale WYGO et les marques « OUIGO » de la SNCF et débouter la société WYGO de l'intégralité de ses demandes fondées sur l'atteinte portée à sa dénomination sociale.

-dire et juger que l'atteinte portée à un nom commercial par le dépôt d'une marque postérieure suppose que ce nom commercial soit connu sur l'ensemble du territoire national et qu'il existe un risque pour que le public confonde ce nom commercial et la marque postérieure.

-dire et juger que la société WYGO ne prouve pas que son nom commercial est connu sur l'ensemble du territoire national, ni même sur une partie de ce territoire et dire et juger que le risque de confusion entre les marques « OUIGO » et le nom commercial WYGO est inexistant.

en conséquence.

-débouler la société WYGO de l'intégralité de ses demandes fondées sur l'atteinte portée à son nom commercial.

-dire et juger que la SNCF n'a commis aucune faute en déposant ses marques « OUIGO » dès lors qu'il n'existe pas de risque de confusion entre les signes.

-dire et juger que le dépôt par la SNCF des marques « OUIGO » en connaissance de cause des droits antérieurs de la société WYGO n'est pas démontré en l'espèce, de sorte que le dépôt des marques « OUIGO » ne saurait être considéré comme frauduleux. -dire et juger qu'il ne saurait être reproché à la SNCF une quelconque négligence ou imprudence.

En conséquence.

-dire et juger que la SNCF n'a commis aucune faute, ni aucune négligence ou imprudence de nature à engager sa responsabilité.

-dire et juger que la société WYGO ne justifie pas de son préjudice et du montant des sommes exorbitantes qu'elle réclame et la débouter de ses demandes indemnitaires,

A titre reconventionnel,

-dire et juger que la présente procédure est particulièrement abusive et condamner la demanderesse au versement de la somme de 10.000 euros au bénéfice de SNCF,

Sur les autres demandes,

-débouter la société WYGO de l'intégralité de ses demandes et de sa demande d'exécution provisoire, -recevoir la SNCF en sa demande d'exécution provisoire de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

-condamner la demanderesse à payer à SNCF la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Christophe CARON, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

La SNCF expose que:

-elle s'est assurée qu'aucune marque identique ou similaire n'était déposée pour des produits et services identiques ou similaires ni qu'aucune société n'était dénommée « OUIGO » dans un secteur d'activité similaire, les marques « OUIGO » ont été déposées pour des produits et services liés à sa nouvelle offre de trains à grande vitesse et à petits prix, soit les produits et services utiles à l'exploitation de ce service et à sa promotion,

-il n'existe pas de risque de confusion entre la dénomination sociale WYGO et les marques OUIGO de la SNCF, dès lors que:

-la marque postérieure n'est pas déposée ni exploitée dans un domaine d'activité identique ou similaire à celui de la société qui porte la dénomination sociale antérieure, par référence au principe de spécialité, or la société WYGO a pour seule activité effectivement exercée l'édition de bande dessinée, et les produits de l'imprimerie visés par la SNCF sont uniquement relatifs aux transports ferroviaires, si une marque renommée dispose d'une protection élargie aux produits et services qu'elle ne vise pas, cette solution n'est pas suivant un raisonnement inversé applicable aux marques non renommées ni a fortiori aux dénominations sociales ou nom commercial, la demande d'annulation va au-delà du domaine de l'édition, -la dénomination sociale WYGO ne dispose d'aucune notoriété, de sorte qu'aucun rattachement des produits de la marque OUIGO à cette société d'édition ne peut être opéré par le public, -une comparaison entre les signes permet d'écarter tout risque de confusion, du fait de l'absence de ressemblance visuelle des signes en cause, de similitude phonétique et de ressemblance conceptuelle, « OUIGO » seul exprimant l'idée d'avancer,

-il n'est pas démontré que le nom commercial WYGO soit connu sur l'ensemble du territoire national,

-la SNCT n'a commis aucune taule en déposant ses marques « OUIGO » dès lors qu'il n'existe pas de risque de confusion avec la dénomination sociale cl le nom commercial antérieur de la société WYGO,

-sur la fraude initialement invoquée, il n'est aucunement prouvé que la SNCF connaissait l'existence du signe WYGO, étant au demeurant précisé que la simple connaissance ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi, la SNCF qui ne connaissait pas la société WYGO n'a donc jamais entendu l'empêcher d'éditer des bandes dessinées en utilisant ce terme comme dénomination sociale et nom commercial, enfin le signe WYGO n'est pas notoire.

-s'il devait être considéré que le dépôt des marques « OUIGO » est fautif, le préjudice de la société WYGO est inexistant et le dépôt îles marques « OUIGO » ne peut justifier le versement de la somme de 3 millions d'euros à la société WYGO, il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice prétendument subi à hauteur de 3 millions d'euros et la faute alléguée, si la société WYGO connaît un résultat déficitaire en 201, il ne saurait être imputable à la SNCF.

-l'abus de droit est le fait par son titulaire de le mettre en œuvre en le détournant de sa finalité, or en l'espèce la seule finalité de l'action pour la société WYGO est le gain financier.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 octobre 2014 et l'affaire a été plaidée le 7 avril 2015.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.


MOTIFS:

1-Sur les atteintes invoquées : L'article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :

a) à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article (i bis de la C '(invention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ;

b) à une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

c) à un nom commercial ou à une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ».

Ce texte pose une condition de disponibilité du signe dont l'exploitation ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs, ce qui implique, s'agissant d'une antériorité constituée par une dénomination sociale, que le dépôt de la marque seconde ne doit pas être générateur d'un risque de confusion

Ce risque pouvant exister dans la zone géographique d'activité de la personne morale, l'atteinte est susceptible d'être relevée sans que la dénomination sociale opposée ait un rayonnement national.

L'existence du risque de confusion s'apprécie au regard de la distinctivité du signe premier, de l'identité ou de la similitude entre les produits ou services pour lesquels la dénomination sociale est exploitée et ceux visés à l'enregistrement de la marque et enfin, de l'identité ou de la similitude des signes en conflit.

Pour démontrer l'exploitation du signe antérieur pour désigner les produits qu'elle commercialise, point qui n'est au demeurant pas contesté, la demanderesse verse aux débats une série d'exemplaires d'une collection de bande dessinée qu'elle édite intitulée « les 40 commandements » déclinée selon plusieurs thèmes, faisant apparaître sur l'angle droit de la partie basse de la couverture de ces albums le signe « WYGO » dont les deux dernières lettres sont entourées. Ces publications sont proposés sur les sites de la FNAC, d'amazon.fr et parislibrairies.fr.

Si la société WYGO affirme dans ses écritures qu'elle intervient « dans l'événementiel avec la BD comme support de promotion », elle ne fournit à ce titre aucun autre exemple que celui de la création d'un ouvrage pour le comité d'entreprise de la SNCF et il ressort des pièces communiquées que nonobstant le périmètre plus large de son objet social, et comme le fait observer la défenderesse sans être utilement contredite, elle a pour activité effective l'édition de bandes dessinées.

Les services visés au dépôt des marques de la SNCF sont s'agissant de la classe 16 pour l'ensemble « relatif aux transports ferroviaires », pour ceux de la classe 35 tous les services liés aux abonnements et offres tarifaires et enfin pour la classe 39, les services relatifs à l'organisation de transports et de voyages en train, réservations, et à l'information par tout moyen sur les tarifs et l'état du trafic.

Les marques secondes sont donc enregistrées pour désigner des produits ou services différents de ceux désignés par le signe premier. Par ailleurs les publications dont la société WYGO se prévaut, qui sont relatives aux métiers ou aux transports ferroviaires, ne sont pas le fait de la SNCF ou sont des ouvrages réalisés par son comité central d'entreprise « en collaboration avec des éditeurs » sans aucun lien avec les marques « OUIGO ».

Les domaines d'activité respectifs de la SNCF sous les marques OUIGO et de la société WYGO sont en conséquence parfaitement distincts, ce qui exclut tout risque de confusion étant précisé que si une marque notoirc-à supposer que cette notoriété serait acquise- est protégée au-delà de sa spécialité il ne s'en déduit pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, que le signe opposé à cette marque notoire bénéficie par répercussion de cette même protection étendue.

11 y a lieu enfin de procéder à une comparaison des signes en présence. Sur un plan visuel, le signe WYGO se présente en lettres noires épaisses et légèrement inclinées, pour les deux premières et blanches pour les suivantes, sur un fond noir constitué d'un ovale épousant la forme deux derniers caractères qu'il entoure. La marque semi-figurative « OUIGO » est libellée en lettres blanches aux extrémités arrondies, plus fines et régulières, se détachant dans un cercle sur fond rose. Les couleurs, police et taille des caractères sont donc très différentes :

La comparaison visuelle des deux signes verbaux fait apparaître qu'à l'exception du « i » central, toutes les lettres de « OUIGO » sont arrondies alors que les deux premiers caractères du signe premier qui en compte quatre -et non cinq comme la marque seconde-sont anguleux.

Du point de vue conceptuel, la marque seconde «OUIGO » associe le verbe anglais « to go » connu du public au mot français « oui » l'ensemble évoquant une volonté spontanément affirmée de mouvement, ce que ne traduit pas le terme « WYGO » qui apparaît en soi ou par référence aux activités qu'il désigne comme étant dépourvu de signification particulière. Aucune similitude ne permet donc à cet égard de rapprocher les deux signes. Sur le plan phonétique, le signe premier peut s'agissant de la première syllabe se prononcer comme la marque seconde « oui » ou « vi », ce qui dans le premier cas conduit à considérer que les deux termes sont de ce point de vue identiques.

Outre qu'au regard de sa faible notoriété l'approche par le consommateur du signe « WYGO » sera essentiellement visuelle, à l'occasion de la lecture ou de l'achat d'une bande dessinée, ce seul point commun avec les marques secondes ne peut, compte-tenu de l'ensemble des éléments précédemment relevés et notamment des domaines d'activité respectifs des parties, être générateur d'un risque de confusion.

Les mêmes observations s'imposent s'agissant de l'atteinte invoquée au nom commercial, auxquelles s'ajoutent le fait que la société WYGO ne démontre pas que celui-ci serait connu sur l'ensemble du territoire national-la diffusion d'un album auprès des comités d'établissement de la SNCF n'étant de ce point de vue pas probante en ce qu'elle ne touche pas une fraction significative du public concerné par les produits-de sorte que les conditions d'application de l'article 1.711 -4 précité ne sont pas réunies.

Aucune des atteintes invoquées par la société WYGO à sa dénomination sociale et à son nom commercial ne sont donc constituées et la SNCF ne peut dès lors se voir reprocher une négligence fautive ou encore une intention de nuire aux intérêts de la demanderesse, laquelle n'est aux termes de ses dernières écritures ni démontrée, ni même alléguée.

La société WYGO doit donc être déboutée de ses demandes sans qu'il y ait lieu d'examiner les arguments qu'elle développe au soutien de ses prétentions indemnitaires.

2-Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive :

L'engagement d'une action en justice peut constituer une faute au sens de l'article 1382 du code civil si elle est détournée de sa finalité et si le demandeur n'a manifestement pas pu se méprendre sur la portée de ses droits.

La SNCF fait observer que la défenderesse, sans fournir aucun élément précis relatif à son activité et à sa situation financière, excepté le fait qu'elle ait décidé en 2009 de procéder à un renforcement de ses fonds propres sous la forme d'une augmentation de son capital de 84.000 euros, sollicite sa condamnation à lui verser une somme de 3 millions d'euros calculée par référence aux « investissements publicitaires » « pour reconstruire son image » qui « devront être engagés...même après l'arrêt ...de l'emploi du signe litigieux » dans la presse nationale et sur les chaînes de télévision, au moyen notamment de spots publicitaires devant pour toucher un large public, être diffusé avant et après le journal de 13 heures pendant une durée de 7 jours. Ces investissements publicitaires sont estimés à 2 millions d'euros et la société WYGO s'abstient de préciser la consistance du préjudice évalué à un million d'euros supplémentaire qu'elle réclame par ailleurs « sous réserve d'informations supplémentaires en cours de procédure ».

La SNCF ajoute que son adversaire ne se livre parallèlement à aucune démonstration du préjudice d'image allégué.

Si ce contexte et le caractère manifestement fantaisiste des demandes indemnitaires sont constitutifs d'une action abusive, la SNCF ne fait quant à elle, pas état d'un préjudice distinct de celui résultant des frais pris en compte au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande indemnitaire ne peut dès lors qu'être rejetée

La société WYGO partie perdante, sera condamnée aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à verser à la SNCF, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire n'étant pas justifiée au cas d'espèce, elle n'a pas lieu d'être ordonnée.

PAR CES MOTIFS



Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort.

Déboute la société WYGO de ses demandes.

Déboute la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF) de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Condamne la société WYGO à verser à la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF) une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société WYGO aux dépens qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Christophe CARON. avocat, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.