Vu la procédure suivante
:
Par une requête et plusieurs mémoires, enregistrés le 2 octobre 2023, le 17 octobre 2023, le 19 octobre 2023, le 20 octobre 2023 et le 24 octobre 2023, la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions, représentées par l'AARPI McDermott Will et Emery agissant par Me Ayache, demandent au juge des référés statuant en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative et dans ses dernières écritures de :
1°) annuler la procédure de passation de la concession de service public pour l'exploitation et le réaménagement des ports de plaisance de la rade de Toulon et de Saint-Elme ;
2°) mettre à la charge de la Métropole Toulon Provence Méditerranée la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative
Elle soutient que :
Plusieurs manquements graves entachent la procédure de désignation du délégataire retenu et plus précisément :
- La méconnaissance du principe d'impartialité : la procédure ayant conduit la société Créocéan, en qualité d'AMO, à participer à la négociation et à l'analyse des offres, alors même qu'elle se trouve en situation de conflit d'intérêts avéré avec le Groupement Eiffage - Sodéports, entretenant des liens d'affaires étroits, continus et actuels avec le groupe Eiffage et, plus particulièrement, les sociétés Eiffage Concessions et Eiffage Travaux maritimes et fluviaux. A titre d'exemple, au moment même des négociations et du choix du groupement lauréat, Eiffage Concessions et Créocéan collaboraient sur la concession du port de plaisance Marina Baie des Anges dont l'objet est identique à la Concession ;
- La rupture de l'égalité de traitement entre les candidats dans la conduite des négociations menées par TPM. En effet, alors qu'elles avaient été qualifiées par les services de TPM et l'AMO juridique " d'inacceptables et à rejeter ", une douzaine de modifications contractuelles figurant dans l'offre initiale du Groupement Eiffage - Sodéports, se retrouvent à l'identique dans l'offre Groupement lauréat et dans le contrat que TPM s'apprête à signer. Ces modifications contractuelles sont totalement structurantes et portent atteinte à l'équilibre économique et juridique de la Concession (tels que les conditions d'indemnisation en cas de résiliation anticipée, les obligations en matière de gros entretien et renouvellement, les causes d'exonération de la responsabilité du concessionnaire, les mécanismes de prise en charge de certains risques économiques et financiers par TPM, les garanties financières fournies par le concessionnaire, etc.). En d'autres termes, l'exécutif métropolitain n'a pas négocié avec le Groupement Eiffage- Sodéports et n'en a tiré aucune conséquence sur la notation de l'offre de ce dernier, en méconnaissance de l'obligation positive de négocier dans le sens de l'amélioration des offres des candidats, du 2ème critère de jugement des offres relatif aux garanties juridiques et financière offertes par les candidats et, plus généralement, des principes de la commande publique tels qu'interprétés par la jurisprudence. L'ensemble de ces modifications contractuelles aboutit à une modification substantielle du projet de contrat affectant de manière excessive l'économie générale de la Concession. Plus grave encore, cela révèle une rupture de l'égalité de traitement dans la conduite des négociations dans la mesure où toute discussion, portant sur les mêmes points, a été systématiquement refusée par l'exécutif métropolitain dans ses négociations avec le Groupement CCI du Var ;
- la méconnaissance du principe de transparence de la procédure et d'égalité de traitement entre les candidats : un premier manquement est caractérisé par l'existence de négociations menées par l'exécutif métropolitain après la remise des offres finales par les candidats, en violation du règlement de la consultation et de la jurisprudence du Conseil d'Etat ; un deuxième manquement est caractérisé par la modification, en cours de procédure, des critères de jugement des offres ; un troisième manquement est caractérisé par l'insincérité de l'analyse et de la présentation des offres finales et la dénaturation de l'offre du Groupement CCI du Var ;
- L'irrégularité des offres successives du Groupement Eiffage - Sodéports qui méconnaissaient les caractéristiques minimales de la consultation et ont conduit à une modification substantielle de l'économie générale de la Concession et, surtout, n'étaient pas accompagnées de lettres d'engagement fermes des organismes prêteurs comme l'exigeait pourtant l'article 14 du règlement de la consultation. En l'espèce, cette irrégularité est d'autant plus préjudiciable pour TPM que l'offre du Groupement lauréat repose sur un taux d'endettement de 80% jugé " agressif " par les services de TPM et que les modifications apportées par le Groupement lauréat ont conduit à supprimer la garantie maison-mère initialement prévue à l'article 15.2 et à supprimer la garantie bancaire à première demande prévue à l'article 15.1 (les remplaçant par de simples garanties corporate). Le financement de l'offre du Groupement Eiffage - Sodéports repose bien, à titre principal, sur un financement bancaire et, à titre supplétif uniquement, sur un financement corporate " hypothétique"
-
- S'agissant de la méthode de notation, TPM a confirmé avoir utilisé une méthode de notation reposant sur deux premiers critères pondérés à 35 et 30 points et comprenant respectivement 9 et 5 sous-critères, des paliers de notation allant de 5 points en 5 points, et qu'elle avait utilisé une échelle comprenant uniquement quatre appréciations (très satisfaisant, satisfaisant, moyennement satisfaisant, peu satisfaisant). Une telle méthode ne peut pas permettre de corréler les appréciations sur chaque sous critère et les notes attribuées sur chaque critère, par paliers de 5 points. C'est matériellement impossible, sauf à ce que les sous-critères aient été pondérés sans que les candidats n'en soient informés, en méconnaissance du principe de transparence.
- L'offre du groupement attributaire ne contenait pas des éléments et propositions tendant à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2040, dans le cadre du critère plus global relatif au développement durable
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 octobre 2023, le 19 octobre 2023 et le 24 octobre 2023, la Métropole Toulon Provence méditerranée représentée par le Cabinet Ernst et Young, Société d'avocats agissant par Me Briec conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir le caractère irrégulier de l'offre du groupement CCI/NGE, cette offre reposant sur une subdélégation totale de la concession au profit de deux sociétés. Elle soutient, en outre, que les moyens soulevés par la Chambre de commerce et d'industrie du Var ne sont pas fondés et qu'en tout état de cause, ses intérêts n'ont pas été lésés.
Par des mémoires enregistrés le 18 octobre 2023, le 20 octobre 2023 et le 24 octobre 2023, la société Eiffage mandataire du groupement composé des sociétés Eiffage Sa, Eiffage Travaux Maritimes Et Fluviaux, Eiffage Energie Système Méditerranée, Eiffage Route Grand Sud, Eiffage Construction Var, Eiffage Services, Sodéports, Agence APS et Galatéa, représentée par l'Aarpi Schmitt avocats agissant par Me Berkani, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la Chambre de commerce et d'industrie du Var ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du Tribunal a désigné M. Harang, vice-président, en application de l'article
L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, M. Harang a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Ayache, représentant la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions.
- les observations de Me Briec, représentant la Métropole Toulon Provence méditerranée.
- les observations de Me Berkani et Me Blanchard, représentant la société Eiffage.
La clôture de l'instruction a été différée, en dernier lieu, au 25 octobre 2023 à 23h59.
Considérant ce qui suit
1. Aux termes de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. " ; l'article
L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations "
2. Par un avis d'appel public à concurrence, la Métropole de TPM a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un nouveau contrat de concession d'une durée de 30 ans, pour externaliser auprès d'un opérateur unique, la gestion de l'ensemble des 7 ports (avec possibilité optionnelle d'inclure 2 autres ports par affermissement) entrant dans le champ de compétence de la Métropole et précédemment gérés soit par régie, soit par contrat de concession. Ce contrat consiste en une concession de service public pour l'exploitation, le réaménagement, l'entretien et le développement des ports de plaisance de la rade de Toulon et de Saint-Elme, afin de réhabiliter et moderniser les infrastructures, développer l'activité des ports de plaisance dans le strict respect de l'environnement, développer des services innovant et connectés au service des usagers et proposer des offres adaptées de développement portuaire en lien avec les communes. Pour mener à bien cette procédure d'attribution, TPM s'est octroyé l'aide d'un assistant à maîtrise d'ouvrage, groupement constitué des sociétés EY en tant que qu'AMO financier, EY Société d'avocats en tant qu'AMO juridique, Créocéan en tant qu'AMO technique et Wiinch en tant qu'AMO technique spécialisé dans l'exploitation et le développement des ports de plaisance. Par une délibération en date du 28 septembre 2023, le conseil métropolitain de TPM a choisi de retenir l'offre du Groupement EIFFAGE - SODEPORTS.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la procédure de passation de la concession
En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'impartialité
3. Aux termes de l'article
L.3123-10 du code de la commande publique, applicable aux contrats de concession : " L'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens.
Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du contrat de concession ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du contrat de concession. "
4. Pour apprécier cette règle, il convient d'une part de tenir compte de la nature, de l'intensité, de la date et de la durée des relations directes ou indirectes que la personne a eues avec l'une des parties et, d'autre part, de vérifier si la personne en cause a été susceptible d'exercer une influence sur l'issue de la procédure d'attribution. Mais aussi, le principe d'impartialité, quel que soit son champ d'application, n'implique jamais une absence totale de tous liens passés. Il serait d'ailleurs inapplicable, notamment dans les domaines d'activité relativement étroits où les personnes jouissant d'une certaine expertise sont peu nombreuses et l'ont acquise en travaillant pour le compte des opérateurs économiques du secteur. Leur interdire d'exercer toute mission de conseil auprès des maîtres d'ouvrage serait porter à leur liberté d'exercer une profession, une atteinte excessive et priverait les maîtres d'ouvrages d'un soutien utile.
5. D'une part, il résulte de l'instruction que les partenariats entre le Groupe Eiffage et la société Créocéan, bien que répétés, sont très modérés, qu'ils n'ont jamais duré dans le temps et sont restés très ponctuels, qu'ils constituent un pourcentage très résiduel du chiffre d'affaires de la société Créocéan, laquelle ne dispose d'aucun intérêt particulier avec les sociétés du Groupement Eiffage - Sodéports et se sont tous achevés avant le lancement de la procédure d'attribution litigieuse. Le seul partenariat cité par la requérante qui est actuel, est celui constitué entre la société Créocéan, la société Eiffage Travaux Maritimes et Fluviaux et la société SCE dans le cadre de la concession relative à la Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet. Toutefois, bien que ce lien soit actuel, il n'en demeure pas moins que l'intensité de la relation d'affaires est très relative et ne saurait constituer un quelconque intérêt de la société Créocéan au sein des sociétés du Groupement Eiffage - Sodéports, dès lors que ce contrat conclu en décembre 2020 pour une durée de 4 ans, a été conclu pour un montant total d'environ 500.000 euros, soit, ramené à l'année, environ 125.000 euros pour l'ensemble des 3 membres du groupement, autrement dit, un pourcentage de moins de 1,54% - étant précisé que la part de la société Créocéan est nécessairement encore inférieure - sur la moyenne du chiffre d'affaires de la société Créocéan des années 2020 et 2021. Ainsi, l'intensité des relations commerciales entre l'un des AMO techniques de TPM et le groupement attributaire n'est pas constituée, dès lors que la société Créocéan ne dispose d'aucun intérêt direct auprès dudit groupement.
6. D'autre part, le secteur d'études et conseils en matière d'aménagement et de génie portuaire est particulièrement étroit, rendant inévitable une collaboration, à un moment où un autre, entre les acteurs du secteur, a fortiori pour des entreprises telles que celles constituant le Groupement EIFFAGE - SODEPORTS intervenant en matière de génie civil portuaire, littoral et fluvial, et nécessitant des expertises d'études relevant de la compétence de la société Créocéan. Ainsi, il n'existe que peu de références d'entreprises pertinentes dans le domaine d'intervention de la société Créocéan, illustrant, s'il en était besoin, le caractère très restreint et spécialisé du secteur, rendant inévitable le croisement et les liens commerciaux entre ses différents acteurs, ne constituant donc pas nécessairement une impartialité du seul fait d'une collaboration ponctuelle entre lesdits acteurs.
7. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'influence exercée par la société Créocéan sur l'attribution, ait été déterminante, la société Créocéan n'étant au demeurant pas la seule AMO technique de la Métropole, la société Wiinch jouant également un rôle important dans l'analyse technique des offres. Il ressort également du dossier d'instruction que TPM n'a pas suivi son AMO à la suite de l'analyse des offres initiales, puisque, aux dires même de la Chambre de commerce et d'industrie du Var et de la société NGE Concessions, la Métropole a tranché contre l'avis de l'AMO en retenant l'offre du Groupement Eiffage - Sodéports.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, la relation d'affaires entre la société Créocéan et les sociétés membres du groupement attributaire n'est pas substantielle ni constitutive d'un intérêt et que, d'autre part, l'influence que la société Créocéan a été susceptible d'exercer sur le choix du titulaire a été très limitée. Les conditions de l'impartialité n'étant pas remplies, ni en droit, ni en fait, ce premier moyen ne pourra qu'être rejeté comme étant infondé
En ce qui concerne la rupture d'égalité de traitement entre les candidats dans la conduite des négociations
9. Aux termes de l'article
L.3124-1 du code de la commande publique : " Lorsque l'autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. "
10. D'une part, il résulte de l'instruction qu'aucune des propositions formulées par le Groupement Eiffage - Sodéports et mentionnées par la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions, ne constituait un élément de négociation interdit par l'article
L. 3124-1 précité du code de la commande publique. En effet, aucune des 12 propositions listées comme étant " inacceptables ", relevées comme tel par les requérantes et tenant respectivement, au remplacement d'une garantie maison-mère par une caution, aux compléments apportés pour les modalités de définition et d'application des causes légitimes, au mécanisme du partage de risque d'augmentation des indices de référence, aux précisions sur le mécanisme de prise en charge des coûts GER, à la clause d'intéressement, à la mise en place de plafonds en termes de délais et de coûts liés aux sanctions, à l'inclusion d'un motif de résiliation en cas de bouleversement définitif de l'économie du contrat, aux précisions sur les fautes susceptibles de donner lieu à une déchéance du contrat et aux modalités d'indemnisation, aux modalités d'indemnisation en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, à l'inclusion du cas de non réalisation des travaux au titre de l'indemnisation des biens de retour, à l'ajout de cas de prise en compte d'évolution des conditions économiques et techniques du contrat et aux précisions sur la procédure à suivre en cas de recours contre une autorisation administrative, ne porte sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. Par suite, le groupement attributaire était parfaitement en droit de formuler ces propositions, libre à l'autorité concédante de les accepter ou non, ce principe constituant le fondement même d'une négociation, ni le succès ou ni l'échec d'une proposition ne pouvant être constitutif d'absence de négociation.
11. D'autre part, il résulte de l'instruction que, en tout état de cause, des négociations portant sur les clauses jugées acceptables ou à discuter, mais aussi, sur d'autres aspect de l'offre, figurant dans les mémoires techniques et financiers ont bien eu lieu. Il en résulte que l'affirmation selon laquelle il n'y aurait eu " aucune " négociation, manque en fait. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.
En ce qui concerne sur la régularité de l'offre du groupement Eiffage - Sodéports
12. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre du groupement attributaire aurait donné lieu à une modification excessive de l'économie du projet de contrat de concession mis en concurrence. Ainsi, l'ensemble des amendements contractuels proposés par le groupement attributaire concernant tant les causes légitimes exonératoires de responsabilité, que les clauses de garanties, de modalités de résiliation et d'indemnisation y afférentes, de réexamen des clauses contractuelles ou de surcoûts dus à l'inflation, n'ont pas eu pour objet ou pour effet de remettre en cause les caractéristiques essentielles et principales d'un contrat de concession, à savoir de faire supporter au futur concessionnaire un risque d'exploitation. Le fait de vouloir, à travers les propositions contractuelles discutées, encadrer ce risque d'exploitation, à travers plusieurs paramètres, sans l'éliminer, constitue précisément l'une des raisons d'être d'une négociation, afin d'aboutir au projet contractuel le plus équilibré entre, d'une part, le projet de base de l'autorité concédante et, d'autre part, les conditions dans lesquelles un candidat accepte de supporter le risque d'exploitation qu'il doit assumer. En l'espèce, il ne résulte pas de cette instruction qu'il existerait une violation ou un non-respect de l'une quelconque des caractéristiques minimales du projet mis en concurrence et du contrat de concession qui en est le support notamment en raison de la limitation raisonnable et négociée de la responsabilité du futur concessionnaire.
13. En deuxième lieu, il ne ressort pas de l'instruction qu'il existerait une irrégularité procédurale tenant à une modification du périmètre du contrat de concession consistant en la réalisation de travaux sur les ports de Balaguier, Manteau et Tamaris, dès lors que cette modification a été proposée par TPM à l'ensemble des candidats et non par le groupement attributaire comme l'affirment à tort les sociétés requérantes.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 du règlement de la consultation : " le candidat produira les engagement de financement fermes des organismes prêteurs approuvés par chacun de leur comité d'engagement sur les principaux termes " et selon l'article 15 de ce même règlement : " Dans l'hypothèse où () Le titulaire pressenti ne produit pas avant la notification du contrat de concession, les versions définitives, signées et complètes de la documentation juridique et financière conclue par le Candidat attributaire et ses cocontractants () Le Candidat attributaire devra payer au Concédant une indemnité forfaitaire de cinq cent mille euros (500 000 euros). Cette indemnité sera payée dans les cinq (5) jours suivant la réception par le Candidat de la demande de paiement du Concédant. Dans cette hypothèse, le concédant ne donnera pas suite à la procédure ". En application de ces articles, il appartenait aux candidats de produire, au stade de l'offre initiale, des informations détaillées sur les conditions de financement de leurs propositions, notamment des " lettres de support inconditionnelles " des prêteurs et, au stade de la mise au point, la documentation financière définitive.
15. Il résulte de l'instruction que la société Eiffage s'est engagée à financer ses investissements principalement par une dette actionnaire de sa maison mère Eiffage SA, son offre reposant ainsi sur une dette senior accompagnée par des quasi-fonds propres et fonds propres. Par ailleurs, la société Eiffage ne renonce pas à tout crédit bancaire dans l'hypothèse où elle réussirait à obtenir des conditions avantageuses. Il ne ressort pas de l'instruction que cette dette bancaire, totalement hypothétique et supplétive, impacterait négativement les conditions de financements proposées par le groupement attributaire et, par conséquent, son engagement contractuel. A l'appui de cette position, la société Eiffage a produit le courrier d'engagement ferme signé par Cécile Cambier, directrice Eiffage-concession, elle-même habilitée à engager Eiffage SA par son Président Directeur Général M. A B. Il ne résulte pas de l'instruction que cet engagement serait entaché d'un vice de nature à en remettre en cause la validité ou la portée. Rien ne permet, non plus, de considérer qu'il ne serait pas conforme aux exigences de la consultation en litige. Ainsi, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'offre du groupement attributaire serait irrégulière en raison de l'insuffisance des éléments relatifs à ses engagements financiers.
16. En quatrième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que l'offre du groupement attributaire contenait bien des éléments et propositions tendant à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2040, dans le cadre du critère plus global relatif au développement durable (respect des dernières normes en matière d'isolation thermique des bâtiments, pour les constructions nouvelles ou pour la réhabilitation de bâtiments existants, déploiement d'énergies renouvelables sur les espaces mis à disposition et réemploi de matériaux issus des filières du recyclage dans les aménagements). De la même manière, cette offre prévoit pour le port de Toulon Darse Nord les aménagements principaux (hors bâti), qui répondent parfaitement à la demande de " Réaménagement des espaces à terre et des circulations douces autour du port " et a bien spécifié qu'elle n'intègre pas les reprises d'affouillement dans le secteur port de Toulon Vieille Darse, ces travaux ayant été déjà réalisés par la CCI, l'offre du groupement intégrant toutes les structures de protection contre les submersions marines dans une estacade gagnée sur le plan d'eau.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'offre du groupement attributaire serait irrégulière.
En ce qui concerne la dénaturation de l'offre de la Chambre de commerce et d'industrie du Var / société NGE Concessions
18. Il n'appartient pas au juge des référés précontractuels de procéder à un contrôle des mérites respectifs des candidats ou des offres. Il peut uniquement contrôler que l'acheteur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre, notamment en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes, et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
19. Il ne ressort pas de l'instruction que l'offre présentée par la Chambre de commerce et d'industrie du Var / société NGE Concessions aurait été dénaturée, méconnue ou altérée, notamment à propos de l'appréciation du critère n°1, et plus particulièrement du sous-critère relatif au développement des services aux usagers visant à améliorer la relation client, en particulier sur le plan numérique.
En ce qui concerne la méthode de notation
20. Il résulte de l'instruction que la méthode d'évaluation choisie et reposant sur deux premiers critères pondérés à 35 et 30 points et comprenant respectivement 9 et 5 sous-critères, des paliers de notation allant de 5 points en 5 points, n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante. En effet, cette méthode a régulièrement permis de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles. Ainsi, cette méthode de notation n'est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et n'est, par suite, pas entachée d'irrégularité.
21. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête présentée par la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions, doit être rejetée.
Sur les frais d'instance :
22. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la Chambre de commerce et d'industrie du Var / société NGE Concessions une somme de 2 500 euros au bénéfice de la Métropole Toulon Provence Méditerranée ainsi que d'une somme de 2 500 euros au bénéfice de la société Eiffage et de rejeter les conclusions présentées par les sociétés requérantes, parties perdantes sur ce même fondement.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions, est rejetée.
Article 2 : La Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions verseront une somme de 2 500 euros à la Métropole Toulon Provence Méditerranée et une somme de 2 500 euros à la société Eiffage, en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Chambre de commerce et d'industrie du Var et la société NGE Concessions, à la Métropole Toulon Provence Méditerranée et à la société Eiffage.
Fait à Toulon, le 26 octobre 2023.
Le Vice-président,
Juge des référés,
Signé
Ph. HARANG
La République mande et ordonne au préfet du Var en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière.