Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 24 octobre 2019, 18-13.666

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2019-10-24
Cour d'appel de Rouen
2018-02-07

Texte intégral

CIV. 2 IK COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 24 octobre 2019 Rejet M. PIREYRE, président Arrêt n° 1314 F-D Pourvoi n° B 18-13.666 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

Statuant sur le pourvoi formé par

le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), dont le siège est [...] , contre l'arrêt rendu le 7 février 2018 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant : 1°/ à M. W... T..., domicilié [...] , ayant droit de Y... T..., 2°/ à Mme D... O..., veuve T..., domiciliée [...] , ayant droit de Y... T..., défendeurs à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l'audience publique du 25 septembre 2019, où étaient présents : M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, Mme Rosette, greffier de chambre ; Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. W... T... et de Mme O..., veuve T..., l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen

unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 7 février 2018), que Y... T... est décédé le [...] des suites d'un cancer broncho-pulmonaire diagnostiqué le 9 avril 1996, consécutif à l'inhalation de poussières d'amiante, dont le caractère professionnel a été reconnu par son organisme de sécurité sociale ; que Mme T..., son épouse, et M. W... T..., son fils (les consorts T...), ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par Y... T... avant son décès et de leur préjudice moral ; que l'offre présentée par le FIVA au titre de ces préjudices a été acceptée par les consorts T... ; que le 15 mars 2017, les consorts T... ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation complémentaire au titre de frais de déménagement ; que le 1er juin 2017, le FIVA a rejeté cette demande considérée comme prescrite ; que les consorts T... ont alors saisi une cour d'appel pour contester cette décision ;

Attendu que le FIVA fait grief à

l'arrêt de constater que la demande des consorts T... n'est pas prescrite et de le condamner à payer aux consorts T... en qualité d'ayants droit de Y... T... la somme de 908,96 euros au titre des frais de déménagement avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir alors, selon le moyen, que suivant l'article 53, III bis de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, dans sa rédaction issue de l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, les droits à l'indemnisation des préjudices causés par l'amiante se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante ; que, faute pour le législateur d'avoir précisé les causes interruptives inhérentes au nouveau régime de prescription qu'il a institué, ces dispositions doivent s'entendre comme ne modifiant pas, pour les créances publiques, les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968 ; qu'en énonçant que la loi du 20 décembre 2010, en instituant une prescription spécifique pour les affections relatives à l'indemnisation des victimes de l'amiante, a écarté l'application de la loi du 31 décembre 1968 tant en ce qui concerne le délai de prescription qu'en ce qui concerne le régime de la prescription et notamment les causes d'interruption de celle-ci, de sorte que le Fonds ne peut opposer aux consorts T... les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, la cour d'appel a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ;

Mais attendu

qu'en introduisant, par la loi n° 2010-1954 du 20 décembre 2010, dans la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, un article 53, III bis, aux termes duquel les droits à indemnisation des préjudices concernés se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante, sauf exceptions qu'il énumère, et en décidant que ce délai de prescription s'applique immédiatement en tenant compte du délai écoulé depuis l'établissement du premier certificat médical mentionné à l'article précité, mais que ceux établis avant le 1er janvier 2004 sont réputés l'avoir été à cette date, le législateur a entendu évincer le régime spécial de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissement publics, aucune demande de réparation du préjudice des victimes de l'amiante n'étant soumise à la prescription quadriennale que cette loi prévoit, pour lui substituer le régime de prescription de droit commun, ainsi aménagé ; qu'il en résulte que les causes de suspension et d'interruption de la prescription prévues par ladite loi ne sont pas applicables à ces demandes ; que dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a écarté les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et a fait application des articles 2240 à 2242 du code civil pour décider que la demande d'indemnisation au titre des frais de déménagement n'était pas prescrite ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à Mme D... O..., veuve T..., et à M. W... T... la somme globale de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué, D'AVOIR constaté que la demande des consorts T... n'est pas prescrite et condamné le FIVA à payer aux consorts T... en qualité d'ayants-droit de Y... T... la somme de 908,96 euros au titre des frais de déménagement avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir, AUX MOTIFS QU' « sur la prescription, le FIVA soutient pour l'essentiel que l'action des consorts T... est prescrite aux motifs que : • compte tenu de la prescription décennale applicable, ces derniers avaient jusqu'au 1er janvier 2014 pour le saisir d'une demande d'indemnisation complémentaire, • le régime de prescription qui lui est applicable du fait de son statut d'établissement public national doté d'un comptable public, ressort de la loi du 31 décembre 1968 organisant la prescription des créances publiques et plus particulièrement de ses articles 2 et 3 relatifs aux causes d'interruption de cette prescription, • son offre du 14 mai 2009 est bien une offre complète d'indemnisation au regard des préjudices déterminés et sollicités par les consorts T... qui n'a pas interrompu le délai de prescription décennale applicable, • par application de l'article 2 alinéa 1 de la loi 31 décembre 1968, seul le paiement d'une partie d'une créance déterminée interrompt le cours de la prescription or en l'espèce, le préjudice lié aux frais de déménagement n'était pas un élément constitutif de la créance reconnue par lui et le paiement intervenu a bien été celui de l'intégralité de la créance et non d'une seule partie de celle-ci ; que les consorts T... soutiennent en réponse que : • le délai de prescription est soumis aux règles de droit commun et notamment à l'article 2240 du code civil, • l'application de la loi du 31 décembre 1968 par la Cour de cassation dans son avis du 18 janvier 2010 et dans son arrêt du 3 juin 2010 est limitée à son article premier qui régit le délai de la prescription et son point de départ, à l'exclusion des autres éléments du régime juridique qui continuent de relever du droit privé notamment en ce qui concerne les causes de suspension et d'interruption, • en dépit de ses obligations d'instruction de la demande et de réparation intégrale des préjudices, le fonds a présenté aux ayants droits du défunt, le 14 mai 2009, une offre partielle d'indemnisation qui constitue une reconnaissance par lui de sa créance constituée par la réparation intégrale des préjudices subis par la victime de son vivant et il s'agit donc d'une interruption du délai de prescription au sens de l'article 2240 du code civil, • ils avaient jusqu'au 14 mai 2019 pour saisir le fonds d'une demande d'indemnisation complémentaire de sorte que leur demande n'est pas prescrite, •subsidiairement, si la cour devait considérer que l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 trouvait à s'appliquer, il y aurait lieu de dire qu'un nouveau délai de 10 ans a commencé à courir à compter du règlement de l'offre du 14 mai 2009, qui constitue le versement d'une partie de la créance qui est constituée de l'ensemble des préjudices résultant de l'exposition aux poussières d'amiante de Y... T... et de son décès et que dès lors la prescription de la créance serait acquise au maximum au 31 décembre 2020 ; qu'en application de l'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000 créé par l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, les droits à l'indemnisation des préjudices des victimes de l'inhalation de poussière d'amiante se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante ; qu'en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice des ayants droit, ce délai court à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante ; que les certificats médicaux établis avant le 1er janvier 2004 sont réputés l'avoir été à cette même date en application de l'article 92 de la loi du 20 décembre 2010 ; qu'en l'espèce, les parties sont d'accord pour fixer le point de départ du délai au 1er janvier 2004 puisque que le premier certificat médical établissant l'impossibilité pour la victime de monter un étage est en date du 11 juillet 2003 ; que si le FIVA est un établissement public administratif doté d'un comptable public, la loi du 20 décembre 2010, en instituant une prescription spécifique pour les affections relatives à l'indemnisation des victimes de l'amiante, a écarté l'application de la loi du 31 décembre 1968 tant en ce qui concerne le délai de prescription qu'en ce qui concerne le régime de la prescription et notamment les causes d'interruption de celle-ci ; qu'il en résulte que le droit commun des articles 2240 et suivants du code civil trouve à s'appliquer aux demandes présentées par les victimes d'une exposition à l'amiante ou de leurs ayants droits devant le FIVA, de sorte que ce dernier ne peut opposer aux consorts T... les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ; qu'en application de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ; que, dès lors que le formulaire approuvé par le conseil d'administration ne donne pas au demandeur la possibilité d'indiquer le montant de l'indemnisation sollicitée, ni même les différents chefs de préjudices dont la réparation est demandée, le FIVA est mal fondé à opposer aux consorts T... le fait qu'ils n'ont pas réclamé l'indemnisation du préjudice né de la nécessité de déménager, dès leur saisine initiale du 8 février 2007 ; qu'ainsi, le fond ayant l'obligation d'assurer la réparation intégrale des préjudices des victimes d'une exposition à l'amiante et de leurs ayants droits selon l'article 53 I de la loi du 23 décembre 2000, son offre du 14 mai 2009, qui n'était que partielle, constitue une reconnaissance du droit à indemnisation de Y... T... et de ses ayants droits ; qu'un nouveau délai de 10 ans a donc commencé à courir à cette date et la demande présentée le 15 mars 2017 n'est pas prescrite ; que, sur le fond, les consorts T... soutiennent que l'état de santé de Y... T... a rendu nécessaire un changement d'habitation et que les frais de déménagement se sont élevés à la somme de 908,96 euros ; que le FIVA conteste cette créance ; qu'il allègue qu'il n'est pas rapporté la preuve que la facture du 10 janvier 2005 ait été acquittée, ni même que le déménagement ait été rendu nécessaire du fait de la pathologie liée à l'amiante de Rene T... et soit en lien avec cette pathologie ; qu'il ajoute que la destination du déménagement mentionné sur la facture concerne un lieu où les époux T... n'ont jamais demeuré ; que le docteur F... certifie les 11 juillet 2003 et 7 mars 2017 que la pathologie de Y... T... a rendu nécessaire un changement d'habitation ; que, de plus, il ressort du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 12 juin 2006 et de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 21 février 2007 que victime était atteinte de plusieurs cancers de la sphère respiratoire ayant nécessité une lobectomie et qu'il présentait une faiblesse physique ainsi qu'une forte insuffisance respiratoire ce qui suffit à démontrer qu'il ne pouvait continuer à demeurer dans son logement situé [...] au 4e étage sans ascenseur et qu'un déménagement pour un appartement au rez-de-chaussée était justifié, peu important que la victime soit finalement décédée 19 jours plus tard seulement à l'hôpital, que la facture du déménageur présente une erreur matérielle sur l'adresse et, au regard du délai écoulé, qu'il ne soit rapporté la preuve que du règlement de l'acompte ; qu'il convient par conséquent de condamner le fonds à verser aux consorts T... la somme de 908,96 euros au titre des frais de déménagement » ; ALORS QUE, suivant l'article 53, III bis de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, dans sa rédaction issue de l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, les droits à l'indemnisation des préjudices causés par l'amiante se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante ; que, faute pour le législateur d'avoir précisé les causes interruptives inhérentes au nouveau régime de prescription qu'il a institué, ces dispositions doivent s'entendre comme ne modifiant pas, pour les créances publiques, les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968 ; qu'en énonçant que la loi du 20 décembre 2010, en instituant une prescription spécifique pour les affections relatives à l'indemnisation des victimes de l'amiante, a écarté l'application de la loi du 31 décembre 1968 tant en ce qui concerne le délai de prescription qu'en ce qui concerne le régime de la prescription et notamment les causes d'interruption de celle-ci, de sorte que le Fonds ne peut opposer aux consorts T... les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, la cour d'appel a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.