TROISIÈME SECTION
AFFAIRE RĂDUCU c. ROUMANIE
(Requête no 70787/01)
ARRÊT
STRASBOURG
21 avril 2009
DÉFINITIF
21/07/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Răducu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mars 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 70787/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ion Răducu (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 décembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. A la suite du décès du requérant, le 27 décembre 2000, sa veuve, Mme Saveta Răducu, a exprimé le 3 janvier 2001, le souhait de poursuivre l'instance et a saisi également la Cour de nouveaux griefs. Pour des raisons d'ordre pratique, le présent arrêt continuera d'appeler M. Răducu « le requérant » et Mme Răducu « la requérante » (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999-VI et voir, les paragraphes 44-47 ci-dessous).
3. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Me Mirela Răducu, avocate à Alexandria. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
4. Le requérant se plaignait en particulier de l'illégalité de sa détention provisoire, de la durée de la procédure d'habeas corpus et d'une atteinte à son droit au respect de sa vie privée en raison de l'interception de ses conversations téléphoniques. La requérante allègue en particulier que le décès du requérant est imputable aux autorités et au manque de soins adéquats pendant sa détention provisoire.
5. Le 23 mars 2004, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 2, 5 §§ 1 et 4, et 8 de la Convention au Gouvernement.
6. Par une décision du 16 septembre 2008, comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé de se prononcer en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7. Le requérant était né en 1939 et résidait à Alexandria. La requérante est née en 1943 et réside à Alexandria.
A. La mise en détention provisoire du requérant
8. Le 2 août 2000, un tiers, F.M., contre lequel des poursuites pénales étaient en cours, dénonça le requérant, ancien maire de la ville d'Alexandria, auprès de l'inspection générale de la police, en faisant valoir que ce dernier lui avait promis d'intervenir en sa faveur auprès des autorités moyennant une somme d'argent.
9. Le même jour, le parquet près la Cour suprême de Justice autorisa la mise sur écoutes et l'enregistrement des conversations téléphoniques du requérant pour une période de cinq jours en vertu des articles
911 et
914 du code de procédure pénale (« CPP »). Le 3 août 2000, un procès-verbal fut dressé à cette fin.
10. Le 3 août 2000, les autorités organisèrent un flagrant délit au cours duquel le requérant fut arrêté. Vers 16 h, il fut amené par des policiers au parquet près la Cour suprême de Justice, qui ordonna l'ouverture de poursuites pénales à son encontre du chef de trafic d'influence. Le procureur chargé de l'enquête nota que le requérant était poursuivi pour avoir promis d'intervenir auprès des autorités en faveur d'un tiers à l'encontre duquel des poursuites pénales étaient en cours, et pour avoir réclamé en échange et reçu de ce dernier un pot-de-vin.
11. Sur ordonnance du procureur du même jour, à 22 h, le requérant fut placé en détention provisoire pour une durée de trente jours, en application de l'article 148 h) du CPP. Le procureur motiva cette décision en faisant valoir que la peine prévue par la loi pour l'infraction dont le requérant était poursuivi était supérieure à deux ans et que le fait de le laisser en liberté aurait représenté un danger pour l'ordre public.
12. Le requérant fut incarcéré dans les locaux de l'inspection générale de la police.
13. Le 4 août 2000, l'épouse du requérant informa les autorités, certificats médicaux à l'appui, que son mari souffrait de diabète, de cardiopathie ischémique, d'hypertension artérielle, de Parkinson et d'obésité et qu'il était dépendant d'un traitement à l'insuline. Elle faisait valoir qu'en raison de ces maladies et de son âge avancé, tout changement de ses conditions de vie pouvait entraîner sa mort.
14. Le 9 août 2000, l'avocate du requérant demanda au procureur en chef du parquet près la Cour suprême de Justice l'accès au dossier d'instruction de son client et que tous les actes d'instruction soient réalisés en sa présence. Elle demanda en particulier qu'elle puisse prendre connaissance du contenu de la casette audio contenant l'enregistrement des conversations téléphoniques de son client, sur le fondement de laquelle le parquet avait ordonné l'ouverture des poursuites pénales à son encontre.
B. L'aggravation de l'état de santé du requérant et ses hospitalisations
15. Le 16 août 2000, à la suite d'un malaise, le requérant fut amené à l'hôpital civil Cantacuzino. Après examens, les médecins constatèrent qu'il avait une tension très élevée et un taux de glycémie de 303 mg %, alors que la limite normale se situait entre 65 et 110 mg %. Un traitement lui fut prescrit ainsi que la nécessité d'une surveillance médicale à l'hôpital pénitentiaire de Jilava (« l'hôpital pénitentiaire »).
16. Du 17 août au 15 septembre 2000, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital pénitentiaire dans la section maladies internes. Le 18 août 2000, selon les examens réalisés dans l'hôpital pénitentiaire, le taux de glycémie du requérant était de 106 mg%. Il ressort de la fiche médicale du requérant établie par l'hôpital pénitentiaire que le traitement médical lui avait été fourni à partir du 18 août 2000. Pendant cette période d'hospitalisation le requérant reçut un traitement antidiabétique, anti-hypertension et diurétique ; l'évolution de sa maladie était « bonne » ou « stabilisée », sa glycémie se situant à un taux de 106-147 mg%.
17. Du 15 septembre au 11 octobre 2000, le requérant fut transféré à la section maladies chroniques de l'hôpital pénitentiaire, afin d'être surveillé du point du vue médical et pour qu'une expertise médico-légale soit réalisée. Pendant cette période, la glycémie du requérant fut de 156 mg%.
18. Le 27 septembre 2000, le requérant fut examiné par la commission de sursis et d'interruption des peines de l'Institut national de médecine légale « Mina Minovici » (« l'INML ») (voir le paragraphe 28 ci-dessous). A la suite d'une consultation ophtalmologique effectuée à l'hôpital Universitaire de Bucarest, sur recommandation de l'INML, le diagnostic de rétinopathie diabétique des deux yeux fut établi, un traitement fut prescrit au requérant ainsi que la nécessité de suivre correctement le traitement du diabète. L'expertise médico-légale conclut que les maladies du requérant étaient susceptibles d'être traitées dans le réseau médical pénitentiaire, avec le respect strict des indications thérapeutiques.
19. Pendant son hospitalisation à la section maladies chroniques, le requérant fut diagnostiqué comme porteur de staphylocoques, motif pour lequel un traitement lui fut administré. En outre, le requérant reçut le traitement recommandé pour les maladies de base.
20. Le 11 octobre 2000, le requérant fut transféré à la section maladies infectieuses de l'hôpital pénitentiaire, en raison d'une infection urinaire, pour laquelle un traitement avec des antibiotiques lui fut administré. Le requérant continua le traitement pour les maladies chroniques dont il souffrait. D'après sa fiche médicale, le 13 octobre 2000, le taux de glycémie du requérant était de 98 mg%.
C. La confirmation de la mesure de mise en détention provisoire
21. Le 14 août 2000, le requérant introduisit auprès du secrétariat du parquet près la Cour suprême de Justice une demande de révocation de la détention provisoire et une plainte contre l'ordonnance du 3 août 2000, sur le fondement de l'article 1401 du CPP, demandant que le tribunal départemental de Teleorman révoque sa détention provisoire et, de manière subsidiaire, qu'il remplace cette mesure par celle de ne pas quitter sa ville de résidence. Il faisait valoir, certificats médicaux à l'appui, qu'il souffrait, depuis 1993, de diabète, maladie à cause de laquelle il avait commencé à perdre la vue et avait contracté la maladie de Parkinson, et qu'il prenait un traitement médical interdisant tout changement de mode de vie et de régime alimentaire. Il demanda une expertise médico-légale de son état de santé, dont le résultat aurait permis d'établir s'il pouvait supporter ou non le régime privatif de liberté. Ces demandes furent transmises au parquet respectivement les 15 et 16 août 2000.
22. Selon la requérante, le parquet a renvoyé ces demandes, le 21 août 2000, avec le dossier d'instruction, au tribunal départemental de Teleorman, sur le rôle duquel la plainte a été enregistrée le 24 août 2000.
23. Selon le Gouvernement, la plainte contre l'ordonnance de placement en détention a été renvoyée par le parquet, le vendredi 18 août 2000, accompagnée par le dossier d'instruction, auprès du tribunal départemental de Teleorman. Toutefois, en raison de ce que le samedi et le dimanche les services postaux ne fonctionnaient pas, le dossier a été transmis le lundi suivant et la plainte du requérant a été enregistrée par le tribunal départemental le 24 août 2000.
24. Par un jugement avant dire droit du 25 août 2000, prononcé en chambre du conseil, le tribunal, en présence des avocats du requérant, jugea que la mise en détention provisoire de l'intéressé ordonnée par le parquet était conforme à la loi, le requérant ayant été entendu préalablement par le procureur, et qu'elle se justifiait dans l'intérêt du bon déroulement des poursuites pénales.
25. S'agissant de la demande de révocation de la détention et de son remplacement par l'obligation de ne pas quitter la ville de résidence, le tribunal estima que c'était le parquet qui aurait dû se prononcer, en principe, sur cette demande. Toutefois, le tribunal l'examina et jugea qu'elle était non étayée. Il releva sur ce point que l'état de santé du requérant et sa potentielle aggravation en régime privatif de liberté pouvaient faire l'objet d'une investigation médico-légale, dont les conclusions seraient analysées ultérieurement par un magistrat.
26. Ce jugement fut confirmé, sur recours du requérant, par une décision définitive rendue par la cour d'appel de Bucarest à l'issue de l'audience publique du 13 septembre 2000.
D. La première prolongation de la détention provisoire du requérant
27. Lors de l'audience publique du 29 août 2000 devant le tribunal départemental de Teleorman, les avocats du requérant firent valoir que les exigences imposées par la loi pour maintenir la détention provisoire n'étaient pas remplies, compte tenu de ce que l'intéressé était malade et hospitalisé, et que, dès lors, il ne pouvait pas constituer un danger pour l'ordre public. Ils demandèrent à nouveau une expertise médico-légale de son état de santé. Le requérant n'était pas présent à cette audience.
28. Par un jugement avant dire droit du même jour, le tribunal prolongea la détention provisoire du requérant pour une durée de trente jours. Le tribunal fit droit à la demande d'expertise médicale de l'état de santé du requérant et ordonna son hospitalisation à l'hôpital pénitentiaire, afin d'être examiné par une commission de l'INML et d'établir si les maladies dont il souffrait étaient susceptibles d'être traitées dans le réseau médical des établissements pénitentiaires (voir le paragraphe 18 ci-dessus).
29. Ce jugement fut confirmé, sur recours du requérant, par un arrêt définitif de la cour d'appel de Bucarest du 22 septembre 2000. Par ailleurs, la cour d'appel jugea que, bien que le requérant n'ait pas été présent à l'audience, le jugement avait été légalement rendu en vertu de l'article
159 § 3 du CPP selon lequel, en l'absence de l'inculpé, la présence de son avocat, qui avait été entendu, suffisait.
E. La remise en liberté du requérant
30. Lors de l'audience du 26 septembre 2000, l'avocate du requérant récusa la formation de jugement du tribunal départemental de Teleorman. Elle faisait également valoir que le maintien en détention provisoire du requérant était une mesure abusive et illégale, car aucune preuve n'avait été faite pour étayer le danger que l'intéressé aurait représenté pour l'ordre public.
31. Par un jugement avant dire droit du 26 septembre 2000, le tribunal prolongea la détention du requérant pour une durée de trente jours et renvoya l'affaire à la cour d'appel de Bucarest pour qu'elle se prononce sur la demande de récusation.
32. Ce jugement fut annulé par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Bucarest du 19 octobre 2000, qui ordonna la remise immédiate en liberté du requérant. La cour d'appel jugea que la prolongation de la détention ordonnée le 26 septembre 2000 était frappée de nullité absolue, le tribunal n'étant pas compétent pour ordonner une telle mesure.
33. Le greffe de la cour d'appel communiqua le 19 octobre 2000, à 14h33, le dispositif de cet arrêt à la maison d'arrêt de Rahova. Comme le requérant n'y était pas détenu, l'administration de celle-ci fit des démarches afin d'identifier son lieu de détention. Le 20 octobre 2000, à 7h19, après avoir constaté que le requérant était hospitalisé à l'hôpital pénitentiaire près la maison d'arrêt de Jilava, la maison d'arrêt de Rahova envoya l'ordre de remise en liberté du requérant à cette dernière maison d'arrêt. Après avoir vérifié l'authenticité de l'ordre de remise en liberté, l'hôpital pénitentiaire libéra le requérant le jour même. Les parties n'ont pas précisé l'heure de la remise effective en liberté du requérant.
F. Le décès du requérant
34. Après sa remise en liberté, du 24 octobre au 13 novembre 2000, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital départemental de Teleorman, où il subit trois interventions oculaires au laser afin de traiter sa cécité. Il ressort de la feuille de sortie de l'hôpital que le taux de glycémie du requérant était de 344 mg%. Il essaya en outre de soigner ses affections cardiaques en allant dans une station balnéaire.
35. Le 27 décembre 2000, le requérant décéda à la suite d'un arrêt cardiaque. Dans son certificat de décès, il était fait état de ce que les maladies qui avaient entrainé le décès étaient l'œdème pulmonaire aigu, la cardiopathie ischémique, le diabète et l'obésité.
G. La procédure pénale dirigée à l'encontre du requérant
36. Sur réquisitoire du parquet du 18 août 2000, le requérant fut renvoyé en jugement du chef de trafic d'influence.
37. Par un jugement du 31 mai 2002, le tribunal jugea que le requérant avait commis l'infraction de trafic d'influence ainsi qu'il résultait, entre autres, du procès-verbal de transcription de ses conversations téléphoniques, enregistrées sur bande magnétique sur autorisation du parquet. Toutefois, il ordonna l'arrêt du procès pénal, compte tenu de son décès.
38. Il ordonna, en outre, la confiscation en faveur de l'État de la somme de 20 millions de lei, à la charge de son héritière, la requérante. Le tribunal rejeta l'argument tiré par la veuve du requérant de l'illégalité des enregistrements sur bande magnétique des conversations téléphoniques de son défunt époux, en faisant valoir que le procès-verbal de transcription desdites conversations téléphoniques avait été authentifié par le procureur chargé de l'enquête, en conformité avec l'article
912 du CPP.
39. Sur appel de la requérante, la cour d'appel de Craiova, par arrêt du 29 octobre 2002, annula la décision des premiers juges dans sa partie relative à la confiscation, en faisant valoir qu'une telle mesure était opposable exclusivement à l'inculpé. Aucune partie ne forma recours contre cet arrêt, qui devint ainsi définitif.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
40. A l'époque des faits, la loi no 23/1969 sur l'exécution des peines de prison prévoyait, dans ses articles 17 et 41 combinés, le droit des détenus à l'assistance médicale.
41. A partir de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 56/2003 du 25 juin 2003 concernant les droits des personnes exécutant une peine privative de liberté (« l'OUG no 56/2003 »), le droit à l'assistance médicale (traitement, médicaments, etc.) dispensée gratuitement et par un personnel qualifié fut expressément garanti (articles 12 et 14 combinés). L'OUG no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275, publiée au Journal officiel du 20 juillet 2006 et entrée en vigueur le 20 octobre 2006 (« la loi no 275/2006 »), qui a repris dans ses articles 50 et 82 les dispositions susmentionnées.
42. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (« CPP »), régissant les modalités et les conditions d'interception des communications téléphoniques, ainsi que leur utilisation comme moyen de preuve dans un procès pénal, tels qu'en vigueur à l'époque des faits, sont décrites dans l'affaire Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), (no 71525/01, §§ 44-45, 26 avril 2007).
43. Les dispositions pertinentes du CPP sur la détention provisoire, tels qu'en vigueur à l'époque des faits, sont décrites dans l'affaire Calmanovici c. Roumanie, (no 42250/02, § 40, 1 juillet 2008). Les dispositions suivantes du CPP, en vigueur à l'époque des faits et avant les modifications apportées par la loi no 281/2003, publiée au Journal officiel no 468 du 1er juillet 2003 sont également pertinentes :
Article 139
(remplacement ou révocation des mesures provisoires)
« La mesure provisoire ordonnée peut être remplacée avec une autre mesure lorsque les motifs qui l'avaient justifiée ont changé.
Lorsqu'il n'y a plus de raisons pour justifier le maintien de la mesure provisoire, celle-ci doit être révoquée d'office ou sur demande (...). »
Article 1401
(Plainte[-recours] contre la mise en détention provisoire par un procureur)
« (1). Contre l'ordonnance de mise en détention provisoire (...) [l'intéressé] peut introduire une plainte auprès du tribunal compétent pour juger du bien-fondé de la cause.
(2). La plainte et le dossier de la cause sont envoyés au tribunal prévu au § 1 dans un délai de 24 heures et le prévenu ou l'inculpé arrêté est amené devant ce tribunal, assisté par un avocat. (...)
(4) La plainte est examinée en chambre du conseil.
(5). Le tribunal se prononce le jour même, par un jugement avant dire droit, sur la légalité de la mesure provisoire, après avoir entendu le prévenu ou l'inculpé.
(6) Le jugement avant dire droit est susceptible de recours. Le délai de recours est de trois jours et commence à courir à partir du prononcé pour les présents et à partir de la communication pour les absents [...]
(8) Lorsque le tribunal estime que la mesure provisoire est illégale, il ordonne sa révocation et la mise en liberté du prévenu ou de l'inculpé [...] »
EN DROIT
I. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
44. La Cour note d'abord que le requérant est décédé le 27 décembre 2000 et que sa veuve a exprimé le souhait de poursuivre l'instance.
45. La Cour rappelle que, si un requérant décède au cours de la procédure, ses héritiers ont en principe le droit de la poursuivre s'ils démontrent l'existence d'un intérêt moral légitime de nature à justifier l'examen de la requête (Ahmet Sadik c. Grêce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, pp. 1651-1652, §§ 24-26).
46. La Cour estime, eu égard à l'objet de la présente affaire et à l'ensemble des éléments qui sont en sa possession, que Mme Saveta Răducu peut prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier de la poursuite de l'examen de la requête et lui reconnaît dès lors la qualité pour se substituer désormais au requérant en l'espèce (cf. l'arrêt Beljanski c. France, no 44070/98, du 7 février 2002 ; M.B. c. Pologne (déc.), no 34091/96, du 8 mars 2001 et Bursuc c. Roumanie (déc.), no 42066/98, 4 novembre 2003).
47. La Cour note également que dans sa correspondance avec la Cour, Mme Saveta Răducu a soulevé des nouveaux griefs. Pour ces griefs, elle aura la qualité de « requérante » dans la présente procédure.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
48. La requérante allègue une violation de l'article 2 de la Convention du fait du décès de son époux, qu'elle estime dû aux abus des autorités. Elle fait valoir qu'en refusant d'administrer à son époux un traitement médical adéquat pendant qu'il était sous leur contrôle, les autorités ont contribué à aggraver les maladies dont il souffrait, ce qui a entraîné son décès. L'article 2 de la Convention est ainsi libellé dans sa partie pertinente :
Article 2
« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »
49. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
50. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
51. La requérante estime qu'il y a un lien de causalité directe entre le défaut de traitement médical pendant la détention provisoire de son époux et son décès survenu le 27 décembre 2000. Elle met en avant le fait qu'il ressort des fiches médicales de son époux qu'il n'a pas reçu de traitement médical du 3 au 19 août 2000. Elle note que, même après cette dernière date, les autorités n'ont pas fait la preuve de l'administration effective d'un traitement. Par ailleurs, les conditions précaires d'hygiène ont contribué à l'aggravation de l'état de santé de son époux, ce dernier ayant contracté d'autres maladies liées au manque d'hygiène.
52. La requérante souligne que c'est à la suite d'un malaise que le requérant a été hospitalisé, le 16 août 2000, à l'hôpital civil Cantacuzino pour des examens médicaux. Elle note qu'à la suite des analyses effectuées dans l'hôpital civil, le 16 août 2000, le taux de glycémie de son époux était de 303 mg%, et qu'après son examen par les médecins de l'hôpital pénitentiaire, le 18 août 2000, sans qu'un traitement lui soit administré, le taux de glycémie était de 106 mg%. Dès lors, elle considère que ces dernières données sont fausses.
53. La requérante soutient qu'elle a voulu fournir elle-même le traitement nécessaire au requérant, mais que les autorités pénitentiaires lui ont interdit d'introduire dans l'hôpital pénitentiaire des médicaments de l'extérieur.
54. Renvoyant aux faits pertinents et se fondant sur des documents fournis par le ministère de la justice, parmi lesquels une lettre du 26 mai 2004, le Gouvernement soutient que les autorités ont rempli leur obligation positive de protéger la vie du requérant, en lui fournissant tout au long de sa détention des soins médicaux adéquats et à même de prévenir une issue fatale. Selon le Gouvernement, il n'y a pas de lien de causalité entre le traitement médical administré au requérant dans le réseau pénitentiaire et son décès dû précisément aux maladies dont il souffrait.
2. Appréciation de la Cour
55. La Cour rappelle d'emblée que la première phrase de l'article 2 § 1 astreint l'État non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Taïs c. France, no 39922/03, § 96, 1er juin 2006, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 89, CEDH 2001-III, et L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, Recueil 1998-III, § 36).
56. L'obligation de protéger la vie des personnes détenues implique également de leur dispenser avec diligence les soins médicaux à même de prévenir une issue fatale (Taïs, précité, § 98, et Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 130, CEDH 2002-IV). Le manque de soins médicaux appropriés peut constituer ainsi un traitement contraire à la Convention (Huylu c. Turquie, no 52955/99, § 58, 16 novembre 2006).
57. En l'espèce, la Cour relève qu'il n'est pas contesté que le requérant s'est trouvé du 3 août au 20 octobre 2000 sous le contrôle des autorités dans le cadre de sa détention, qui étaient informées de ses antécédents médicaux et du fait que son état de santé nécessitait une surveillance et un traitement médical continus et appropriés (voir, mutatis mutandis, Tarariyeva c. Russie, no 4353/03, § 76, 14 décembre 2006). Pour apprécier le respect par les autorités de leurs obligations positives imposées par l'article 2, la Cour examinera la manière dont les autorités pénitentiaires ou médicales ont dispensé les soins médicaux requis par l'état de santé physique du requérant, état dont la gravité n'a pas pu, ou n'aurait pas dû, échapper aux autorités internes compétentes (Huylu, précité, § 60).
58. La Cour observe que lors de son placement en détention, le requérant souffrait de diabète depuis environ dix ans, de cardiopathie ischémique, d'hypertension artérielle depuis environ quinze ans et de la maladie de Parkinson. Il ressort du dossier médical du requérant que, pendant les deux semaines de sa détention dans les locaux de l'inspection générale de la police (à savoir du 3 au 16 août 2000), il n'a pas reçu de traitement spécifique et adéquat pour ses maladies. La Cour observe que le Gouvernement n'a pas fourni à la Cour des documents prouvant que l'intéressé a effectivement bénéficié d'un traitement médical pendant cette période et que la lettre du 26 mai 2004 du ministère de la Justice (voir le paragraphe 54 ci-dessus) ne fournit pas des renseignements détaillés quant aux soins prodigués au requérant pendant cette période.
59. Bien que n'excluant pas que cette défaillance ait pu contribuer à l'aggravation de son état de santé du requérant, la Cour doit examiner, afin d'établir le manquement des autorités sous l'angle de l'article 2 de la Convention, si ultérieurement ces dernières ont fourni au requérant le traitement adéquat aux pathologies dont il souffrait (Taïs, précité, § 98).
60. A cet égard, la Cour relève que, le 16 août 2000, le requérant a été soumis pour la première fois à des examens et que, le 18 août 2000, il a commencé à suivre un traitement médical à l'hôpital pénitentiaire. D'après le résultat des analyses et les conclusions médicales, ce traitement a contribué à l'amélioration de l'état de santé du requérant. Bien que la requérante conteste de manière globale l'effectivité des soins fournis au requérant après cette date, la Cour note qu'elle ne fournit aucun élément de preuve permettant de conclure que le traitement n'a pas été administré ou que les conclusions des médecins et des analyses étaient erronées.
61. Il n'est pas contesté que, pendant la période de détention, le requérant a été diagnostiqué comme souffrant d'une rétinopathie diabétique aux deux yeux à la suite d'un examen spécialisé dans un hôpital civil. A cette occasion, un traitement lui a été recommandé ainsi que la nécessité de suivre correctement le traitement du diabète. La Cour note que les autorités médicales civiles n'ont pas évoqué, à ce moment, la nécessité d'une intervention chirurgicale urgente afin d'améliorer l'état de santé du requérant, le traitement médicamenteux pouvant être assuré dans le réseau sanitaire pénitentiaire. La Cour note également que s'il n'est pas contesté que le requérant a contracté deux autres maladies lors de sa détention à l'hôpital pénitentiaire, à supposer même que ces maladies puissent être dues aux conditions d'hygiène dans l'hôpital pénitentiaire, ces maladies ont été prises en charge et traitées de manière approprié par le personnel médical.
62. La Cour ne conteste pas que le placement en détention ainsi que les poursuites pénales contre le requérant ont pu créer chez ce dernier un état de stress et d'angoisse défavorable à l'évolution positive des maladies dont il souffrait. Cependant, la Cour les estime inhérentes à tout état de détention et constate que, malgré une évolution préoccupante, lors de sa sortie de prison, l'état de santé du requérant était stabilisé du fait du traitement dispensé par les autorités médicales pénitentiaires.
63. La Cour relève également qu'après sa remise en liberté, le requérant a suivi un traitement médical adéquat et que son décès est survenu plus de deux mois après sa remise en liberté, à savoir le 27 décembre 2000. Or, aucune expertise médicale n'a établi un lien de causalité entre le défaut de traitement médical pendant la détention provisoire et le décès du requérant.
64. Bien que blâmable, la défaillance de fournir un traitement médical en début de détention ne permet pas, à elle seule et à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, de conclure que les autorités roumaines ont contribué au décès du requérant et, partant, d'engager la responsabilité de l'État roumain sur le terrain de l'article 2 de la Convention.
Il s'ensuit qu'il y n'a pas eu violation de l'article 2 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
65. Le requérant dénonçait avoir subi une détention illégale pendant environ une journée après l'arrêt du 19 octobre 2000 de la cour d'appel de Bucarest qui avait ordonné sa remise immédiate en liberté. Il invoque l'article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales. »
66. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
67. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
68. La veuve du requérant, qui a présenté les observations sur la recevabilité et le bien fondé de l'affaire, souligne que le requérant n'a pas été remis en liberté immédiatement, malgré l'arrêt du 19 octobre 2000 de la cour d'appel de Bucarest.
69. Se référant à la jurisprudence en la matière, le Gouvernement note que le requérant a été remis en liberté dans un délai raisonnable après que l'arrêt du 19 octobre 2000 de la cour d'appel a été rendu, les autorités impliquées ayant agi avec la diligence nécessaire à cet effet. Plus particulièrement, il met en avant le fait que le centre pénitentiaire de Jilava a mis le requérant en liberté le jour même où l'ordonnance de remise en liberté lui avait été transmise et après avoir vérifié l'authenticité de ladite ordonnance auprès de la cour d'appel de Bucarest.
2. Appréciation de la Cour
70. La Cour rappelle que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l'article 5 § 1 revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV). Il lui incombe dès lors d'examiner des griefs relatifs à des retards d'exécution d'une décision de remise en liberté avec une vigilance particulière (Bojinov c. Bulgarie, no 47799/99, § 36, 28 octobre 2004). Par ailleurs, elle réaffirme que, si un certain délai pour l'exécution d'une décision de remise en liberté est souvent inévitable, encore faut-il qu'il soit réduit au minimum (Quinn c. France, 22 mars 1995, § 42, série A no 311 et Giulia Manzoni c. Italie, 1er juillet 1997, § 25, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV).
71. La Cour observe que l'arrêt définitif de la cour d'appel de Bucarest du 19 octobre 2000 a ordonné la remise immédiate en liberté du requérant. Bien que les parties n'indiquent pas l'heure à laquelle le requérant a été remis effectivement en liberté, le 20 octobre 2000, elle note qu'en l'occurrence le retard dans la libération du requérant n'a été provoqué que partiellement par la nécessité d'accomplir les formalités administratives liées à sa remise en liberté.
72. En effet, le maintien en détention de l'intéressé fut provoqué par l'envoi erroné de l'ordre de remise en liberté à la maison d'arrêt de Rahova, alors que le requérant était détenu à la maison d'arrêt de Jilava dans l'hôpital pénitentiaire. Il convient de noter que le Gouvernement ne présente pas de justification pour l'erreur dans l'envoi de l'ordre de remise en liberté. De l'avis de la Cour, il incombe aux autorités de faire preuve de diligence particulière afin d'identifier le lieu de détention correct de l'intéressé et de réduire ainsi au minimum le temps nécessaire à sa remise en liberté. La Cour note qu'à la suite de cette erreur, qui n'a été rectifiée par les autorités qu'environ douze heures plus tard, le requérant a été obligé à passer la nuit en prison (Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 77, 1 juillet 2008).
73. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la durée de la détention du requérant du 19 au 20 octobre 2000 ne répond pas au délai minimum inévitable dans l'exécution d'un arrêt définitif ordonnant sa libération. La détention en cause ne saurait donc relever de l'un des alinéas de l'article 5 de la Convention.
Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
74. Le requérant alléguait que sa plainte contre l'ordonnance de placement en détention n'avait pas été tranchée « à bref délai » comme l'exige l'article 5 § 4 de la Convention qui se lit ainsi :
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
75. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
76. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
77. La veuve du requérant, dans ses observations, considère que le retard dans l'examen de sa plainte contre la mesure de détention provisoire prise à l'encontre de celui-ci est imputable aux autorités. Elle affirme que la plainte a été déposée le 14 août 2000 auprès du secrétariat du parquet et que selon l'article 1401 § 2 du CPP, ce dernier aurait dû envoyer la plainte au tribunal compétent dans un délai de 24 heures. La requérante souligne que les autorités compétentes doivent organiser leur activité de telle manière à assurer le respect de cette disposition légale.
78. Renvoyant à l'affaire Delbec c. France (no 43125/98, 18 juin 2002), le Gouvernement soutient que, pour la période à prendre en considération, il convient de noter que la plainte du requérant contre l'ordonnance du procureur de mise en détention provisoire, parvenue au parquet le 16 août 2000, a été reçue par le tribunal de première instance le 24 août 2000. Selon le Gouvernement, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, à savoir le fait que le parquet a été saisi un vendredi, il a respecté son obligation légale de transmettre la plainte pénale à l'instance judiciaire compétente dans un délai de 24 heures. Cette dernière a rendu sa décision le 25 août 2000. Le Gouvernement conclut que la période à prendre en considération était en l'espèce de neuf jours, période qui satisfait à l'exigence de « bref délai » imposé par l'article 5 § 4 tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour.
2. Appréciation de la Cour
a) Période à prendre en considération
79. La Cour réitère que la garantie prévoyant le droit d'une personne privée de liberté d'obtenir à bref délai une décision judiciaire sur la régularité de sa détention concerne aussi bien la procédure en appel que celle de première instance, pour les États dotés d'un système à double degré de juridiction (Singh c. République tchèque, no 60538/00, § 74, 25 janvier 2005). Le « délai » en cause, qu'il convient d'examiner en tenant compte du déroulement général de la procédure et de la mesure dans laquelle les retards sont imputables à la conduite du requérant ou de ses conseils, commence avec la présentation d'un recours (ou d'une demande d'élargissement) au tribunal et s'achève le jour où la décision est prononcée en séance publique ou, si une telle lecture n'est pas prévue, le jour de la communication de la décision au requérant ou à son conseil (voir, mutatis mutandis, Rappaciuolo c. Italie, no 76024/01, § 34, 19 mai 2005).
80. En l'espèce, la Cour observe que le délai à prendre en considération a commencé le 14 août 2000, date du dépôt de la plainte auprès du parquet, et a pris fin le 13 septembre 2000, date de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Bucarest. Par conséquence, le délai a été en l'espèce de trente jours pour deux degrés de juridiction.
b) Observation de l'exigence de « bref délai »
81. La Cour rappelle que le respect du droit de toute personne, au regard de l'article 5 § 4 de la Convention, d'obtenir à bref délai une décision d'un tribunal sur la légalité de sa détention doit être apprécié à la lumière des circonstances de chaque affaire (R.M.D. c. Suisse, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, § 42). En principe cependant, puisque la liberté de l'individu est en jeu, l'Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans le minimum de temps (Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005).
82. Par ailleurs, la Cour réitère que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32). Dans l'analyse du respect de l'exigence de « bref délai » dans l'examen de la régularité de l'ordonnance du procureur de placement en détention du requérant, la Cour estime devoir tenir compte également des différentes dispositions et délais de procédure prévus par le droit interne (voir, mutatis mutandis, Koendjbiharie c. Pays-Bas, arrêt du 25 octobre 1990, § 27, Séries A no 185-B).
83. Même si le délai de trente jours n'apparaît pas excessif en soi, la Cour considère qu'il convient de l'examiner à la lumière des délais prévus par le CPP et des circonstances de l'espèce. Elle observe qu'il a fallu dix jours pour que la plainte du requérant du 14 août 2000, déposée auprès du parquet compétent, soit enregistrée au greffe du tribunal départemental qui devait trancher. Or, selon le droit interne, le transfert du dossier aurait dû avoir lieu dans un délai de vingt-quatre heures (voir le paragraphe 43 ci-dessus). Si la Cour pourrait accepter comme justification l'absence d'activité des services postaux, elle constate qu'en l'espèce, cette justification ne peut pas couvrir le défaut de diligence du parquet et son omission de transmettre le dossier au tribunal pendant dix jours. En outre, dans la mesure où le requérant bénéficiait d'un délai de trois jours pour former un pourvoi-recours contre le jugement du 25 août 2000, la cour d'appel, n'a rendu son arrêt que seize jours plus tard.
84. Eu égard à l'absence de toute justification pertinente pour les délais susmentionnés et au fait qu'il s'agissait de l'examen de la régularité de l'ordonnance de mise en détention du procureur, la Cour estime que -dans les circonstances de l'espèce - la procédure en question ne s'est pas déroulée dans un « minimum de temps », tel qu'exigé par l'article 5 § 4 au sens de la jurisprudence de la Cour.
Il y a eu donc violation de l'article 5 § 4 précité à cet égard.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
85. Le requérant dénonçait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison de l'interception de ses conversations téléphoniques, en citant l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
86. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
87. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
88. La requérante considère que l'interception et l'enregistrement des conversations téléphoniques par les services spéciaux sur la base de l'autorisation du procureur constituent une ingérence qui n'est pas prévue par la loi au sens de l'article 8 § 2 de la Convention. Elle considère que la loi ne prévoyait pas des garanties contre l'arbitraire et met en avant le fait que l'autorisation de l'enregistrement a été donnée par un procureur qui n'est pas un magistrat au sens de la jurisprudence de la Convention et qu'elle n'a été soumise à aucun contrôle ultérieur de la parte d'une juridiction indépendante.
89. Le Gouvernement ne conteste pas qu'il y ait eu ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée mais considère néanmoins que cette ingérence remplissait les conditions imposées par le paragraphe 2 de l'article 8.
90. Pour arriver à cette conclusion, le Gouvernement fait valoir que l'ingérence était prévue par la loi, à savoir les articles 911-914 du CPP, qui satisfaisait aux conditions d'accessibilité et de prévisibilité. Par ailleurs, il soutient que les dispositions du droit interne en la matière présentent des garanties suffisantes concernant la nature et l'étendue de la mesure, les raisons requises pour l'ordonner, les autorités compétentes pour prendre et contrôler une telle mesure. Il considère qu'en l'espèce l'ingérence était nécessaire, l'interception des conversations téléphoniques étant réalisée dans le but de prévenir et de punir des infractions, et qu'elle était aussi proportionnée au but légitime recherché puisque les autorités n'auraient pas pu obtenir les renseignements en question par des moyens moins intrusifs.
2. Appréciation de la Cour
91. Les communications téléphoniques se trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l'article 8 § 1 précité, leur interception, la mémorisation des données ainsi obtenues et leur éventuelle utilisation dans le cadre des poursuites pénales dirigés contre le requérant s'analysent en une « ingérence d'une autorité publique » dans l'exercice du droit que lui garantissait l'article 8 (voir, parmi beaucoup d'autres, Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984, série A no 82, p. 30, § 64 ). Ce point n'a d'ailleurs pas prêté à controverse en l'espèce.
92. La Cour rappelle qu'une telle ingérence, pour qu'elle soit conforme au paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, doit être prévue par la loi. L'expression « prévue par la loi » impose non seulement le respect du droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec le principe de la prééminence du droit (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 26, CEDH 2000-V). Dans le contexte de la surveillance secrète exercée par les autorités publiques, le droit interne doit offrir une protection contre l'ingérence arbitraire dans l'exercice du droit d'un individu protégé par l'article 8 (Malone, précité, § 67 et Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, série A no 28, § 59).
93. En l'espèce, la Cour observe que les parties s'accordent sur le fait que la base légale de l'ingérence était constituée par les articles 911-914 du CPP. Elle rappelle avoir déjà examiné ces dispositions légales, applicables en matière d'interception des conversations téléphoniques en Roumanie avant la modification du CPP par la loi no 281/2003, dans une affaire où elle a conclu que leur examen minutieux révélait des insuffisances incompatibles avec le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (Calmanovici précité, §§ 121-126). Elle observe que le Gouvernement n'a fourni aucun élément susceptible de la conduire à une conclusion différente dans la présente affaire.
94. La Cour note également que le nouveau cadre législatif imposé par la loi no 281/2003 qui prévoit de nombreuses garanties en matière d'interception et de transcription des communications, d'archivage des données pertinentes et de destruction de celles qui ne le sont pas (Dumitru Popescu, précité, §§ 45-46 et 82), postérieur aux faits de l'espèce, ne saurait influer sur la conclusion de la Cour dans la présente affaire.
Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention
VI. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
95. Le requérant se plaignait qu'il aurait été illégalement mis en garde à vue le 3 août 2000, qu'il aurait été mis en détention provisoire alors qu'il n'y avait pas de preuves solides qu'il avait commis l'infraction et qu'il n'avait pas été informé des raisons de sa mise en détention provisoire. Il se plaignait aussi de ce qu'à l'audience du 29 août 2000, la prolongation de sa détention avait eu lieu en son absence. Il évoquait également une ingérence dans son droit à la protection de sa santé et à un niveau de vie décent.
96. Dans sa première lettre, sans citer d'article de la Convention, le requérant alléguait de l'incompatibilité de son état de santé avec la détention. Toutefois, dans le formulaire de requête, cet aspect a été soulevé sous l'angle de l'article 2 de la Convention. Dès lors, la Cour estime qu'il convient de conclure que les parties n'ont pas eu l'intention de la saisir d'un grief distinct sous l'angle de l'article 3 de la Convention.
97. Dans sa lettre du 21 mars 2001, invoquant l'article 14 de la Convention, la requérante allègue une discrimination dans le droit du requérant de ne pas être privé illégalement de sa liberté, compte tenu de la fonction qu'il occupait sous l'ancien régime communiste. Elle se plaint également d'une atteinte au droit de sa famille au respect de sa vie privée en raison de l'enregistrement des conversations téléphoniques de ses membres. Par une lettre du 19 avril 2004, en citant l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, elle se plaint enfin de ce que son époux avait été placé en détention provisoire par un procureur qui n'était pas un magistrat au sens de l'article 5 § 3 précité et que sa détention du 30 septembre au 20 octobre 2000 était illégale étant donné que la cour d'appel avait annulé cette mesure.
98. Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Elle relève, par ailleurs, que le grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention concernant le défaut pour le requérant d'avoir été présenté « aussitôt », après son placement en détention, devant un magistrat, a été soulevé pour la première foi devant la Cour le 19 avril 2004, le délai imposait par l'article 35 de la Convention n'étant pas respecté.
99. Il s'ensuit que cette partie de la requête est soit tardive, soit manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 de la Convention.
VII. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
100. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
101. La requérante réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi en raison du décès de son époux. Elle fait valoir également les conséquences physiques et psychiques subies par son époux, en raison de sa mise en détention et de l'absence de traitement médical qui ont conduit à son décès.
102. Le Gouvernement estime qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le préjudice allégué par la requérante et les éventuelles violations de la Convention, que la somme réclamée est excessive et qu'un éventuel constat de violation pourrait constituer, par lui-même, une réparation suffisante du préjudice moral prétendument subi.
103. La Cour relève que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans la violation des articles 5 §§ 1 et 4, et 8 de la Convention. Elle estime que le requérant a subi un tort moral indéniable. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, il y a lieu d'octroyer 7 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
104. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, demande également 10 000 EUR pour les frais et dépens représentant les honoraires d'avocat engagés dans la procédure interne et devant la Cour, les dépens effectués par son représentant concernant le transport, les taxes postales et les traductions. La requérante fournit des justificatifs relatifs aux frais encourus pour la correspondance avec la Cour.
105. Le Gouvernement souligne que la requérante n'a fourni aucun justificatif pour étayer sa demande concernant les honoraires d'avocat.
106. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour note que, le 4 mai 2007, la somme de 850 EUR a été versée à l'avocate de la requérante au titre de l'assistance judiciaire. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 150 EUR tous frais confondus et l'accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
107. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2, 5 §§ 1 et 4 et 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
6. Dit
a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral et 150 EUR (cent cinquante euros) pour frais et dépens, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 avril 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président