1. | La directive 91/477/CEE ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2008/51/CE ( 3 ), a manifesté, entre autres préoccupations du législateur de l’Union européenne, celle visant à réglementer le régime de neutralisation des armes à feu. |
2. | Le règlement d’exécution (UE) 2015/2403 ( 4 ) a pour objet de garantir que les armes à feu neutralisées le soient de manière irréversible, ainsi que le préconisait la directive 2008/51. À cette fin, il impose qu’une autorité compétente vérifie que la neutralisation a été effectuée conformément à certaines spécifications techniques (figurant à l’annexe I de ce règlement d’exécution) et qu’elle délivre au propriétaire de l’arme à feu un certificat qui en atteste. |
3. | La juridiction de renvoi exprime, en substance, des doutes de deux ordres quant à l’interprétation de la directive 91/477 et du règlement d’exécution 2015/2403 :
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4. | En vertu de l’article 1er de cette directive : « 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “arme à feu” toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible, ou qui est conçue pour ce faire ou peut être transformée à cette fin, excepté les armes exclues pour l’une des raisons énumérées à l’annexe I, partie III. Les armes à feu sont classées à l’annexe I, partie II. Aux fins de la présente directive, un objet est considéré comme pouvant être transformé pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible si :
1 bis. Aux fins de la présente directive, on entend par “pièce” tout élément ou élément de remplacement spécifiquement conçu pour une arme à feu et essentiel pour son fonctionnement, notamment le canon, la carcasse ou la boîte de culasse, la glissière ou le barillet, la culasse mobile ou le bloc de culasse, ainsi que tout dispositif conçu ou adapté pour atténuer le bruit causé par un tir d’arme à feu. 1 ter. Aux fins de la présente directive, on entend par “partie essentielle” le mécanisme de fermeture, la chambre et le canon d’une arme à feu qui, en tant qu’objets séparés, sont compris dans la catégorie dans laquelle l’arme à feu dont ils font ou sont destinés à faire partie a été classée. [...] » |
5. | L’article 4 de ladite directive prévoit : « 1. Les États membres veillent à ce que toute arme à feu ou pièce mise sur le marché ait été marquée et enregistrée conformément à la présente directive ou ait été neutralisée. [...] » |
6. | Sous le chapitre 3 (« Formalités requises pour la circulation des armes dans la Communauté »), l’article 14 de la même directive dispose : « Les États membres adoptent toutes dispositions interdisant l’entrée sur leur territoire :
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7. | Aux termes de l’annexe I de la directive 91/477 : « [...]
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8. | L’article 2 de ce règlement d’exécution (« Personnes et entités autorisées à neutraliser des armes à feu ») est libellé comme suit : « La neutralisation des armes à feu est effectuée par des entités publiques ou privées ou par des personnes habilitées à le faire conformément à la législation nationale. » |
9. | L’article 3 dudit règlement d’exécution (« Vérification et certification de la neutralisation d’armes à feu ») dispose : « 1. Les États membres désignent une autorité compétente chargée de vérifier que la neutralisation de l’arme à feu a été effectuée conformément aux spécifications techniques figurant dans l’annexe I (ci-après l’“organisme de vérification”). 2. Dans le cas où l’organisme de vérification est également autorisé à neutraliser des armes à feu, les États membres garantissent une séparation claire de ces tâches et des personnes les accomplissant au sein de cet organisme. 3. La Commission publie sur son site Internet une liste des organismes de vérification désignés par les États membres, y compris des informations détaillées sur l’organisme de vérification et son symbole, ainsi que les coordonnées de personnes de contact. 4. Lorsque la neutralisation de l’arme à feu a été effectuée conformément aux spécifications techniques figurant dans l’annexe I, l’organisme de vérification délivre au propriétaire de l’arme à feu un certificat de neutralisation conforme au modèle figurant dans l’annexe III. Toutes les informations contenues sur le certificat de neutralisation sont rédigées dans la langue de l’État membre dans lequel le certificat de neutralisation est délivré, ainsi qu’en anglais. [...] ». |
10. | L’article 7 du même règlement d’exécution (« Transfert au sein de l’Union d’armes à feu neutralisées ») prévoit : « 1. Des armes à feu neutralisées ne peuvent être transférées dans un autre État membre que si elles portent le marquage unique commun et si elles sont accompagnées d’un certificat de neutralisation conformément au présent règlement. 2. Les États membres reconnaissent les certificats de neutralisation délivrés par un autre État membre si le certificat satisfait aux prescriptions énoncées dans le présent règlement. Toutefois, les États membres qui ont introduit des mesures supplémentaires conformément à l’article 6 peuvent exiger la preuve que l’arme à feu neutralisée destinée à être transférée sur leur territoire respecte ces mesures supplémentaires. » |
11. | L’article 8 du règlement d’exécution 2015/2403 (« Exigences en matière de notification ») énonce : « Les États membres notifient à la Commission toute mesure qu’ils adoptent dans le domaine régi par le présent règlement […] ». |
12. | L’annexe I de ce règlement d’exécution (« Spécifications techniques pour la neutralisation des armes à feu ») définit sur la base de trois tableaux les opérations de neutralisation à effectuer afin de rendre les armes à feu irréversiblement inopérantes :
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13. | L’annexe III du même règlement d’exécution contient le « Modèle de certificat pour les armes à feu neutralisées ». |
14. | En vertu de l’article 112 bis (« Transfert et importation en Finlande d’une arme à feu neutralisée ») de l’Ampuma-aselaki (1/1998) ( 5 ) : « Quiconque transfère ou importe en Finlande une arme à feu neutralisée est tenu, dans un délai de 30 jours à partir du transfert ou de l’importation, de présenter l’arme à feu auprès d’une unité administrative locale de la police ou de l’administration centrale de la police à des fins de vérification. » |
15. | En vertu de l’article 91 de cette loi : « Lorsqu’une autorisation commerciale dans le secteur de l’armement ou une autorisation de détention délivrée pour un usage privé expirent ou sont retirées, la police doit prendre la décision de saisir les armes à feu, des pièces de celles-ci, les cartouches et les munitions particulièrement dangereuses si celles-ci n’ont pas déjà été transférées à un titulaire de l’autorisation appropriée. La police doit également prendre la décision de procéder à la saisie si le détenteur d’une arme à feu ou d’une partie d’arme à feu non autorisée ou de cartouches et de munitions particulièrement dangereuses non autorisées déclare de sa propre initiative ces objets à la police et les confie à la police. [...] » |
16. | En vertu de l’article 112 ter (« Neutralisation des armes à feu »), paragraphe 2, de ladite loi : « Les personnes et entités autorisées à neutraliser des armes à feu, les spécifications techniques pour la neutralisation des armes à feu, le marquage, la vérification et la certification des armes à feu neutralisées, les demandes d’assistance d’un État membre afin d’effectuer la neutralisation, les mesures de neutralisation supplémentaires, ainsi que le transfert d’armes à feu neutralisées au sein de l’Union, sont régis par le règlement [d’exécution 2015/2403]. » |
17. | A, qui exerce une activité professionnelle spécialisée dans la vente d’objets de collection historiques et militaires, a acquis en Autriche trois fusils d’assaut qui, selon les certificats émis par la société B le 9 octobre 2017, avaient été neutralisés. |
18. | La société B bénéficie de la reconnaissance, par les autorités autrichiennes, de la qualité d’organisme de vérification au sens de l’article 3 du règlement d’exécution 2015/2403, bien qu’elle ne figure pas nommément sur la liste visée au paragraphe 3 de cet article. |
19. | A a transféré les fusils d’assaut en Finlande le 17 octobre 2017 et, conformément à l’article 112a de la loi sur les armes à feu, les a présentés à la police d’Helsinki le 24 octobre 2017, avec les certificats de neutralisation correspondants ( 6 ). |
20. | Le 15 février 2018, la police d’Helsinki a adopté la décision no 2018/8575, dans laquelle elle a considéré que la neutralisation des fusils d’assaut n’était pas conforme aux exigences techniques de l’annexe I du règlement d’exécution 2015/2403. Selon elle, les opérations de neutralisation des armes avaient été défectueuses ( 7 ). |
21. | La police d’Helsinki a estimé que les fusils d’assaut devaient être considérés comme des armes nécessitant un permis au sens de la loi sur les armes à feu. Comme A n’avait pas l’autorisation de détenir ces armes, leur saisie a été ordonnée. |
22. | A a introduit un recours administratif contre cette décision devant le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande) aux motifs que :
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23. | La police d’Helsinki et le Poliisihallitus (administration centrale de la police) ont présenté des observations dans le cadre de ce recours, en faisant valoir que les armes ne pouvaient pas être considérées comme neutralisées, car :
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24. | A a déposé une réponse en y annexant la correspondance échangée avec le ministère autrichien de la Défense et des Sports, dans laquelle ce dernier a confirmé que la société B était un organisme de vérification désigné par la République d’Autriche au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/2403. Il y était également relevé que la République d’Autriche avait désigné au total seize organismes de vérification ( 8 ). |
25. | Le 26 juin 2019, le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki) a rejeté le recours de A, en estimant que :
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26. | A a interjeté appel du jugement de première instance devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), en concluant à l’annulation de ce jugement et de la décision de la police d’Helsinki ( 9 ). |
27. | La police d’Helsinki et l’administration centrale de la police se sont opposées au recours et ont souligné la nécessité d’une décision préjudicielle, thèse à laquelle s’est rallié le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « En cas de transfert d’armes à feu neutralisées dans l’Union et compte tenu des dispositions de la [directive 91/477] ainsi que des dispositions du [règlement d’exécution 2015/2403], et plus spécifiquement de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution :
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28. | La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 7 mai 2021. |
29. | Des observations écrites ont été présentées par A, l’administration centrale de la police, le gouvernement finlandais et la Commission, qui ont participé à l’audience du 18 mai 2022. |
30. | Le gouvernement autrichien a répondu par écrit aux questions que lui a posées la Cour. |
31. | La notion d’« arme neutralisée » a connu une évolution normative importante :
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32. | Bien que la directive 2017/853 ne soit pas applicable ratione temporis à la présente affaire, elle corrobore la tendance législative à renforcer les garanties requises pour que la neutralisation des armes à feu devienne irréversible, de sorte que celles-ci ne puissent pas être réactivées ( 12 ). |
33. | La juridiction de renvoi souhaite savoir si, dans le contexte transfrontalier de cette affaire, l’organisme de vérification qui a délivré un certificat de neutralisation est habilité à le faire, alors qu’il ne figure pas sur la liste publiée par la Commission ( 13 ) en application de l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/2403 et qu’il a la forme d’une société à responsabilité limitée. |
34. | La question préjudicielle, qui concerne les aspects formels de la circulation des armes neutralisées, s’étend donc à deux aspects de la réglementation applicable :
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35. | Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/2403, lu en combinaison avec l’annexe I, partie III, second alinéa, de la directive 91/477, les États membres doivent désigner une « autorité compétente » pour vérifier que la neutralisation de l’arme à feu a été effectuée conformément aux spécifications techniques énoncées à l’annexe I. |
36. | À la fin de cette disposition, il est précisé que l’« autorité compétente » est également dénommée « organisme de vérification ». La synonymie (conventionnelle) de ces deux expressions soulève quelques problèmes d’interprétation, que je vais examiner ci-après. |
37. | Les observations des parties font ressortir des points de vue contradictoires quant à la nature des organismes de vérification :
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38. | L’utilisation du terme « autorité » à l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/2403 évoquerait en principe la nature « publique » de la personne assurant la vérification. Par définition, une « autorité » se caractérise par le fait d’agir dans l’exercice de la puissance publique ( 14 ). |
39. | Cette approche est renforcée par le considérant 3 du règlement d’exécution 2015/2403, qui requiert que les États membres « prennent des dispositions pour que les mesures de neutralisation soient vérifiées par une autorité compétente ». |
40. | Dans le même ordre d’idées, mais cette fois d’un point de vue systématique, les articles 2 et 3 du règlement d’exécution 2015/2403 font une distinction entre :
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41. | L’évolution réglementaire postérieure aux règles applicables dans la présente affaire va dans le même sens. Le règlement d’exécution (UE) 2018/337 ( 15 ) reformule l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/2403 pour indiquer que « [l]es États membres désignent une autorité publique compétente chargée de vérifier que la neutralisation de l’arme à feu a été effectuée conformément aux spécifications techniques figurant dans l’annexe I ». |
42. | L’objectif était donc d’établir un système de contrôle public pour vérifier la neutralisation des armes à feu, et cette fonction a été confiée aux autorités de l’État. |
43. | Toutefois, le droit de l’Union ne va pas jusqu’à imposer aux États membres de mettre nécessairement en place, au sein de leurs structures administratives, des services techniques qui soient capables d’assurer la fonction de vérification. Je vais m’efforcer d’expliquer les raisons pour lesquelles j’estime que les États membres peuvent confier cette tâche à des entités (qu’elles soient désignées sous ce nom ou par d’autres synonymes) ( 16 ) revêtant des formes juridiques privées, dès lors que certaines garanties sont respectées. |
44. | Aucune des normes de référence de l’Union en la matière ne détermine comment, concrètement, les autorités publiques doivent assurer le respect des critères de l’annexe I du règlement d’exécution 2015/2403. C’est aux États membres qu’il revient de définir les autorités chargées d’effectuer la vérification et la manière de procéder. |
45. | En l’absence de disposition contraire prévue par le droit de l’Union, les États membres conservent leur capacité d’auto-organisation. De façon générale, rien ne s’oppose à ce qu’ils confient à des organismes privés l’exécution de missions publiques, y compris lorsque ces missions découlent de règles du droit de l’Union qui ne s’opposent pas à une telle attribution ( 17 ). |
46. | Dans le même ordre d’idées, les États membres peuvent autoriser leurs autorités à déléguer certaines compétences à des entités privées ( 18 ), ou mettre en place des mécanismes de collaboration avec des entreprises du secteur privé pour leur confier, sous réserve de contrôles appropriés, l’exercice de ces compétences ( 19 ). |
47. | Selon moi, le règlement d’exécution 2015/2403 permet l’utilisation de ces mêmes techniques. La seule limite à l’autonomie organisationnelle est que les États membres ne vont pas jusqu’à priver de substance le modèle de l’autorité publique en tant que responsable ultime du processus de vérification de la neutralisation des armes à feu. |
48. | En d’autres termes, il est possible de confier à une entreprise privée la mission d’intérêt public dont sont chargés les organismes de vérification, dès lors que les conditions auxquelles est subordonné le fait de leur confier cette mission ne dénaturent pas le cadre juridique public de la directive 91/477 et du règlement d’exécution 2015/2403. |
49. | Je considère donc que la neutralisation des armes peut être vérifiée par des entités privées à condition que celles-ci soient soumises au mandat et au contrôle effectif d’une véritable autorité publique. Cette autorité jouit de la compétence de contrôler la manière dont la neutralisation a été effectuée, mais peut déléguer l’exercice de celle-ci à des entités privées. |
50. | Dans sa réponse du 22 avril 2022 aux questions de la Cour, le gouvernement autrichien a exposé que la législation nationale permet aux ministères de l’Intérieur et de la Défense d’autoriser certains professionnels à vérifier que les armes ont été neutralisées. Cette vérification implique que, sous la direction de ces ministères, la personne habilitée exerce par délégation une mission relevant de la puissance publique ( 20 ). |
51. | Lors de l’audience, tant les autorités finlandaises que la Commission ont adopté une position critique à l’égard du modèle autrichien, en soulignant le nombre d’organismes de vérification privés agréés (16) ( 21 ), ainsi que l’absence des données concernant ceux-ci dans la liste remise à la Commission, qui ne mentionne que le ministère de l’Intérieur. |
52. | Quel que soit le jugement porté sur ce modèle (lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle en faisait l’examen ( 22 ), pour décider d’éventuelles mesures à prendre à cet égard), la première question est formulée en termes abstraits et ne requiert donc aucune appréciation de la Cour quant au système mis en place dans cet État membre. |
53. | Aux termes de l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/2403, « [l]a Commission publie sur son site Internet une liste des organismes de vérification désignés par les États membres ». |
54. | La juridiction de renvoi souhaite savoir si l’inscription sur cette liste est une condition nécessaire pour que les organismes de vérification soient considérés comme tels ou si, loin d’avoir un tel effet constitutif, cette liste revêt simplement une fonction informative. |
55. | Selon moi, les paragraphes 1 et 3 de l’article 3 du règlement d’exécution 2015/2403 plaident en faveur de la seconde de ces positions : la compétence de désigner les organismes de vérification appartient aux États membres, tandis que la liste reflète (ou devrait refléter) ceux déjà désignés par eux, sur une base purement déclarative et non constitutive ( 23 ). |
56. | Comme la Commission le souligne dans ses observations écrites, ni l’annexe I, partie III, de la directive 91/477, ni l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/2403 ne lui donnent le pouvoir de décider quels sont les « organismes de vérification ». Ces dispositions n’exigent pas davantage qu’il s’agisse uniquement des organismes qui, après avoir été désignés par chaque État membre, figurent sur la liste publiée sur le site Internet de la Commission ( 24 ). |
57. | Certes, dans un environnement transfrontalier, la sécurité juridique plaide pour que l’identification des organismes de vérification repose sur un système dont la publicité permet de savoir avec certitude quels organismes ont été agréés par chaque État membre. |
58. | Bien entendu, l’engagement d’assurer une « certaine liberté de circulation », que vise le considérant 1 de la directive 2008/51, est mieux satisfait au moyen d’un mécanisme qui réduit les obstacles aux échanges entre les États membres. Les autorités du pays de destination auxquelles est présentée une arme neutralisée sont plus facilement en mesure de procéder à l’évaluation, dès lors que la neutralisation a été vérifiée et certifiée dans le pays d’origine par une entité dont la nature n’est pas contestée, du fait même de son inscription sur la liste. |
59. | Ces considérations ne sauraient toutefois modifier ce qui ressort clairement du libellé de la règle et du contexte dans lequel elle s’inscrit : l’inscription sur la liste de l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/2403 n’est pas une condition de validité de l’obtention du statut d’organisme de vérification. |
60. | Ce statut s’acquiert non par l’effet de l’inscription sur la liste, mais au moyen de l’autorisation délivrée par l’État membre concerné. Le pouvoir de désigner les entités compétentes pour vérifier et certifier la neutralisation des armes à feu appartient exclusivement à l’État membre et le rôle de la Commission dans la publication de la liste est simplement accessoire. |
61. | Une fois que cette autorisation a été accordée par un État membre, la liste constitue, répétons-le, le moyen privilégié, mais non le seul, de prouver que le certificat de neutralisation a été délivré par un organisme de vérification agréé. |
62. | En l’absence d’inscription de l’organisme sur la liste, rien n’empêche, sur cette base, un importateur d’armes de produire un certificat de neutralisation et de prouver, par d’autres voies de droit, que l’organisme de vérification qui l’a délivré est légitimement titulaire de cette qualité (c’est-à-dire qu’il a été désigné comme tel par un État membre). |
63. | Il n’y a pas lieu d’y voir une banalisation de la valeur de la liste visée à l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2015/2403. Cette disposition, comme les autres dispositions contenues dans ce règlement d’exécution, ne doit pas rester lettre morte. Le fait de savoir à l’avance, avec certitude, quels sont les organismes de vérification dans chaque État membre améliore la fiabilité du système dans son ensemble. |
64. | En outre, l’article 8 du règlement d’exécution 2015/2403 impose aux États membres de coopérer loyalement avec la Commission et de lui notifier « toute mesure qu’ils adoptent dans le domaine régi par le présent règlement ». Il leur appartient notamment de communiquer « des informations détaillées sur l’organisme de vérification et son symbole, ainsi que les coordonnées de personnes de contact », mesure que prévoit l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement d’exécution. |
65. | L’absence de communication implique non seulement une difficulté supplémentaire pour prouver que le certificat de neutralisation a été délivré par un organisme de vérification, mais aussi un manquement à une obligation légale de la part de l’État membre. Il appartient à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la violation de cette obligation. |
66. | Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite savoir :
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67. | Telle que la formule la juridiction de renvoi, la première branche de sa seconde question préjudicielle recoupe largement la première question. |
68. | Si, comme je le propose, l’inscription d’un organisme de vérification sur la liste de la Commission n’est pas une condition essentielle pour acquérir ce statut, il me semble logique d’admettre d’autres moyens de preuve démontrant que cet organisme a été désigné par un État membre. |
69. | Rien ne s’oppose selon moi à ce que cette circonstance soit établie par des documents officiels émis par les propres autorités de l’État d’origine, même si, pour une raison ou une autre, cette désignation n’apparaît pas dans la liste publiée par la Commission. |
70. | La seconde branche de cette question concerne l’obligation pour un État membre de reconnaître le certificat de neutralisation délivré par l’organisme de vérification d’un autre État membre. |
71. | La règle générale est que les armes à feu neutralisées ne peuvent être transférées dans un autre État que si elles portent le marquage unique commun et sont accompagnées d’un certificat de neutralisation. |
72. | Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/2403, « [l]es États membres reconnaissent les certificats de neutralisation délivrés par un autre État membre si le certificat satisfait aux prescriptions énoncées dans le présent règlement » ( 25 ). |
73. | Certes, cette disposition a une formulation contraignante : « [l]es États membres reconnaissent » (italique ajouté par mes soins). Cette injonction est toutefois immédiatement nuancée par le fait qu’elle est subordonnée à la condition que les certificats satisfassent « aux prescriptions énoncées dans le présent règlement ». |
74. | La reconnaissance du certificat par un État membre autre que l’État membre émetteur n’est donc ni automatique ni inconditionnelle. Au contraire, elle n’aura lieu que si le certificat est conforme aux exigences énoncées dans le règlement d’exécution 2015/2403, qui peuvent être à la fois formelles et matérielles :
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75. | À première vue, on pourrait penser que le trafic intracommunautaire d’armes à feu neutralisées relève du schéma classique de reconnaissance mutuelle applicable aux documents similaires dans le cadre de la circulation des biens et des services. |
76. | Je crois cependant que cette assimilation doit être nuancée. |
77. | En premier lieu, la directive 2008/51 souligne qu’elle établit « un équilibre entre, d’une part, l’engagement d’assurer une certaine liberté de circulation pour certaines armes à feu au sein de la Communauté et, d’autre part, la nécessité d’encadrer cette liberté par certaines garanties d’ordre sécuritaire » ( 27 ). |
78. | L’article 12, paragraphe 3, de la directive 91/477, dans sa rédaction initiale, indiquait déjà que les limitations à la libre circulation des armes à feu étaient intentionnelles et que, « [p]ar des accords de reconnaissance mutuelle de documents nationaux, deux ou plusieurs États membres peuvent prévoir un régime plus souple que celui prévu au présent article pour la circulation avec une arme à feu sur leurs territoires ». |
79. | En second lieu, la réglementation de la circulation intracommunautaire des armes à feu, pour laquelle un « cadre minimal harmonisé » est « [mis] en place » ( 28 ), contraste avec d’autres règles d’harmonisation complète qui régissent le trafic transfrontalier de marchandises dont la circulation peut comporter certains risques. |
80. | Dans ces derniers cas, le principe prédominant est celui de la libre circulation, qui empêche les États membres d’interdire, de restreindre ou d’entraver la mise à disposition sur le marché ou la mise en service sur leur territoire des produits conformes aux dispositions de la réglementation pertinente. |
81. | Même dans un cadre totalement harmonisé, les autorités nationales disposent de certains pouvoirs de contrôle a posteriori pour détecter les défaillances ou les anomalies du système. À cette fin, une série de clauses de sauvegarde sont conçues pour prévenir ou corriger les dysfonctionnements au niveau de l’Union, de sorte à engager un processus impliquant la Commission et tous les États membres ( 29 ). |
82. | Or, si la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51, et le règlement d’exécution 2015/2403 ne confèrent pas spécifiquement ces pouvoirs de contrôle aux États membres en ce qui concerne les armes neutralisées, c’est parce que ceux-ci ne sont pas indispensables, compte tenu des limitations mêmes auxquelles est soumise la circulation ordinaire de ces armes. |
83. | Le processus de transfert d’armes entre États membres conduit l’autorité de l’État destinataire à exercer une intervention complète sur les armes avant de les admettre définitivement sur son territoire. Le pouvoir de le faire découle de la directive 91/477. |
84. | En effet, aux termes de l’article 14, premier tiret, de la directive 91/477, « [l]es États membres adoptent toutes dispositions interdisant l’entrée sur leur territoire [...] d’une arme à feu en dehors des cas prévus aux articles 11 et 12 et sous réserve du respect des conditions qui y sont prévues » ( 30 ). |
85. | Ces deux articles régissent le processus de circulation de différents types d’armes à feu au sein de l’Union, qui est soumis soit à une procédure complexe (article 11) ( 31 ), soit, en cas de détention d’une arme à feu pendant un voyage à travers deux ou plusieurs États membres, à l’autorisation desdits États membres (article 12). |
86. | Comme il a été souligné lors de l’audience, les formalités de transfert d’armes à feu neutralisées au sein de l’Union comportent l’obligation de présenter les armes à feu et leurs certificats de neutralisation aux autorités de l’État de destination, lesquelles doivent en tout état de cause examiner ces armes et ces certificats pour contrôler la correspondance entre lesdites armes et lesdits certificats, ainsi que le respect des conditions requises ( 32 ). |
87. | Or, dans ce processus de déclaration et de présentation (qui n’est pas incompatible avec la relative liberté de circulation des armes à feu, restreinte du fait de leur évidente dangerosité), les autorités de l’État de destination ne sauraient fermer les yeux sur la présence de certificats dont la non-conformité aux exigences fixées par le règlement d’exécution 2015/2403 ressort à première vue. |
88. | Dans de telles hypothèses, lorsque ces autorités ont des raisons sérieuses de soupçonner que les certificats délivrés par un organisme de vérification de l’État d’origine ne sont pas conformes aux exigences susmentionnées, elles peuvent effectuer les contrôles appropriés (y compris une demande d’assistance au titre de l’article 4 du règlement d’exécution 2015/2403) et, le cas échéant, ne pas les prendre en compte si les irrégularités constatées sont graves ( 33 ). |
89. | On pourrait penser que les armes neutralisées, qui ne relèvent pas de la notion d’arme à feu, n’étaient pas soumises à ces procédures de transfert d’un État membre à l’autre. Cependant, je ne pense pas qu’il en aille ainsi, et ce pour un certain nombre de raisons :
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90. | En résumé, le contrôle par les autorités de l’État de réception de la conformité aux exigences, tant formelles que matérielles, du certificat de vérification des armes neutralisées annule le risque et permet de protéger la sécurité publique : les armes ne seront pas introduites sur le territoire de cet État en tant qu’armes neutralisées avant qu’il n’ait été vérifié qu’elles le sont effectivement. |
91. | Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) :
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