CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 juillet 2018
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 754 F-D
Pourvoi n° K 17-19.880
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Statuant sur le pourvoi formé par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt n° RG : 15/01662 rendu le 6 avril 2017 par la cour d'appel de Metz (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. Pascal X...,
2°/ à Mme Marie-Reine Y...,
domiciliés [...] ,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 juin 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Z..., conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme A..., avocat général référendaire, Mme Randouin, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Z..., conseiller, les observations et les plaidoiries de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. X... et de Mme Y..., l'avis de Mme A..., avocat général référendaire, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué
(Metz, 6 avril 2017), que la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine (la banque) a consenti à M. X... et à Mme Y... (les emprunteurs), selon une offre acceptée le 27 décembre 2006, un prêt immobilier in fine portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 407 000 euros, d'une durée de cent-vingt mois, remboursable en quarante échéances trimestrielles comprenant, pour les intérêts trente-neuf échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 2 920,23 euros et, pour les intérêts et le capital, une échéance de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 409 920,23 euros ; que, suivant une offre acceptée le 18 juillet 2007, la banque leur a consenti un second prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 150 000 euros, d'une durée de cent-vingt mois, remboursable en quarante échéances trimestrielles, soit, pour les intérêts, trente-neuf échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 1 316,25 euros et, pour les intérêts et le capital, une échéance de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 151 316,25 euros ; que, suivant une offre acceptée le 18 juillet 2007, la banque leur a consenti un troisième prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 100 000 euros, d'une durée de cent-vingt mois, remboursable en quarante échéances trimestrielles, soit, pour les intérêts trente-neuf échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 1 435,75 euros et, pour les intérêts et le capital, une échéance de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 100 877,50 euros ; que, prétendant avoir été démarchés et invoquant une faute de la banque, les emprunteurs l'ont assignée en annulation du contrat de crédit et en indemnisation de leur préjudice ;
Sur le premier moyen
:
Attendu que la banque fait grief à
l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité du prêt fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses, alors, selon le moyen :
1°/ que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par sa cause, à moins que l'une et l'autre aient le même objet parce qu'elles poursuivent un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que, pour décider, en l'espèce, que l'assignation du 12 mars 2012 avait « interrompu la prescription de la demande en nullité des prêts quel qu'en soit le fondement », l'arrêt attaqué retient qu'en sollicitant successivement la nullité des prêts pour violation des règles sur le démarchage et l'annulation des prêts en raison de l'illicéité de l'obligation de remboursement en francs suisses, les emprunteurs, demandeurs, n'avaient formulé, en réalité, qu'« une seule et même prétention d'annulation des prêts », dès lors que l'objet de ces demandes était « identique », et qu'ils avaient ainsi « simplement, par conclusions déposées le 16 juin 2014 invoqué des moyens supplémentaires afin d'étayer leur prétention initiale » ;
qu'en statuant ainsi
, par des motifs radicalement inopérants, dès lors qu'ils n'établissaient pas que la demande de nullité fondée sur la stipulation d'une clause monnaie étrangère illicite formée par les emprunteurs le 16 juin 2014 était virtuellement comprise dans leur demande formée le 12 mars 2012 en vue du prononcé de la nullité des prêts pour violation des règles sur le démarchage, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article
2241 du code civil, ensemble l'article
1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que, si l'anéantissement du contrat par son annulation constitue l'objet immédiat d'une action en nullité fondée sur l'illicéité d'une de ses clauses, cette nullité, qui n'est prévue par aucun texte, ne constitue pas l'objet immédiat d'une action fondée sur les règles sanctionnant des actes de démarchage illicite ; que, pour rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses, l'arrêt retient que l'objet de cette demande, formée par les emprunteurs devant le tribunal par conclusions du 16 juin 2014, était identique à celui de la demande dont ils l'avaient saisi initialement, par assignation du 12 mars 2012, sur le fondement des règles sanctionnant le démarchage illicite, et en déduit que « l'assignation du 12 mars 2012 avait interrompu la prescription de la demande en nullité des prêts quel qu'en soit le fondement » ; qu'en statuant ainsi, cependant que les deux demandes formées, par les emprunteurs, l'une en vue de faire sanctionner des actes de démarchage illicite, l'autre en vue de prononcer la nullité des prêts pour illicéité d'une de ses clauses, n'avaient pas le même objet et ne pouvaient constituer « une seule et même prétention d'annulation des prêts », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article
2241 du code civil, ensemble l'article
1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ;
Et attendu qu'ayant relevé que les emprunteurs avaient, le 12 mars 2012, assigné la banque en nullité du prêt en se prévalant de l'illicéité du démarchage, puis, par des conclusions déposées le 16 juin 2014, demandé au tribunal de prononcer la nullité du prêt en raison de l'obligation de remboursement en francs suisses, qu'il s'agissait d'une seule et même prétention d'annulation du prêt, et que l'objet des demandes visant à obtenir le prononcé de la nullité du prêt était identique, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assignation avait interrompu la prescription de la demande en annulation du prêt, quel qu'en ait été le fondement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen
:
Attendu que la banque fait grief à
l'arrêt de prononcer la nullité du prêt, alors, selon le moyen :
1°/ que, dans l'ordre interne, un contrat de prêt ayant pour objet la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros et remboursable par des échéances égales à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros est valable dès lors que l'emprunteur conserve la faculté d'acquitter sa dette dans la monnaie légale ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que les prêts consentis par la banque aux emprunteurs portaient sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que leur remboursement devait s'effectuer dans cette devise, « soit par l'utilisation de devises figurant au compte de devises ouvert au nom des emprunteurs », soit, « à défaut d'un approvisionnement suffisant de ce compte, par l'achat des devises par le biais de leur compte en euros », l'arrêt, pour annuler les contrats de prêt sous prétexte qu'ils auraient abrité une clause espèces étrangères illicite, retient que « l'acquisition impérative de devises par le biais du compte en euros des emprunteurs faute d'un approvisionnement suffisant de leur compte en devises démontre que les prêts n'étaient remboursables qu'en monnaie étrangère, car si les prêts avaient pu être remboursés en euros, il aurait suffi de débiter le compte en euros des emprunteurs sans que ceux-ci aient à supporter l'achat de devises et l'opération de change correspondante », et que « les modalités ci-dessus décrites obligeaient ainsi dans tous les cas les emprunteurs à des remboursements en monnaie étrangère dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers » ;
qu'en statuant ainsi
, cependant que la charge du coût de l'opération de change réalisée par la banque en cas de remboursement des prêts ou de ses échéances par débit du compte en euros des emprunteurs était inhérente à l'objet des prêts, libellés en devises étrangères, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs impropres à établir qu'en l'espèce, les emprunteurs n'auraient pas eu le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article
6 du code civil ;
2°/ que le juge doit en toutes circonstances faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; que, pour annuler le contrat de prêt, sous prétexte qu'il aurait abrité une clause espèces étrangères illicite, l'arrêt retient que « la clause selon laquelle, faute d'approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance, avec un intérêt contractuel majoré, confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses » ; qu'en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article
16 du code de procédure civile ;
3°/ que, dans l'ordre interne, un contrat de prêt ayant pour objet la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros et remboursable par des échéances égale à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros est valable dès lors que l'emprunteur conserve la faculté de payer sa dette dans la monnaie légale ; que, pour annuler les contrats de prêt, sous prétexte qu'ils auraient abrités une clause espèces étrangères illicite, l'arrêt retient que « la clause selon laquelle, faute d'approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance, avec un intérêt contractuel majoré, confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses » ; qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi la majoration de l'intérêt contractuel en cas de remboursement des prêts ou de ses échéances par débit du compte en euros des emprunteurs aurait pu être si contraignante qu'elle aurait abouti à les priver de leur faculté de payer en euros, la cour d'appel, qui n'a toujours pas établi en quoi les contrats de prêt litigieux auraient pu abriter une clause imposant aux emprunteurs de le rembourser dans la devise de l'emprunt, a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard de l'article
6 du code civil ;
4°/ qu'en toute hypothèse, les offres de crédit acceptées par les emprunteurs disposaient, d'une part, au titre du « remboursement », que « les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur ou, à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur », d'autre part, « au titre du remboursement anticipé », que « les remboursements anticipés s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur ou, à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur » ; qu'en énonçant que de telles modalités « obligeaient ainsi dans tous les cas les emprunteurs à des remboursements en monnaie étrangère, dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers », cependant qu'aucune incompatibilité n'existait, s'agissant de contrats de prêt libellés en devises étrangères, entre la faculté reconnue aux emprunteurs de payer leur dette par débit de leur compte en euros et leurs termes imposant, dans ce cas de figure, une opération de change, dont la charge était inhérente à l'objet des contrats, la cour d'appel a dénaturé les termes susvisés des offres de prêt, et violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ qu'en tout état de cause, dans un prêt ayant pour objet une devise étrangère, l'inscription, au débit du compte en euros des emprunteurs, de la contre-valeur en euros du montant mis à leur disposition par le prêteur dans cette devise, en vue de l'achat par la banque de devises au comptant ou à terme, éteint la créance de la banque et libère le débiteur ; qu'en l'espèce, pour annuler les contrats de prêt litigieux, l'arrêt retient que la faculté offerte aux emprunteurs de rembourser les prêts en faisant acheter par la banque des devises par débit de leur compte en euros constituait « un remboursement en monnaie étrangère », dès lors qu'une opération de change dont la charge pesait sur les emprunteurs était dans cette occurrence impérative, que « le franc suisse avait été utilisé comme monnaie de paiement » et que « les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses » ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que l'objet des prêts avait été libellé en francs suisses, ce dont il résultait que leur remboursement par débit du compte en euros des emprunteurs du montant nécessaire à l'achat de devises valait paiement de la créance de la banque, et qu'un tel paiement, dans cette occurrence, était bien effectué dans la monnaie légale, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé les articles
1134 et
1243 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le contrat litigieux est un contrat interne, que le crédit, désigné sous l'intitulé « opération devise MLT », porte sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros, qu'il est remboursable par des échéances égales à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros, que le remboursement s'opère à chaque échéance par l'achat de devises au comptant sur le marché des changes, le prêteur portant la contre-valeur en euros au débit du compte des emprunteurs, et que le contrat stipule que le risque de change est supporté en totalité par ceux-ci ; qu'il relève que le paiement des échéances, libellées en francs suisses, doit être opéré en devises, soit par l'utilisation de celles figurant au compte ouvert au nom des emprunteurs, soit par le biais d'un achat ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a souverainement déduit, sans dénaturation et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que l'acquisition impérative de devises par le biais du compte en euros des emprunteurs faute de devises sur le compte correspondant, démontrait que le prêt n'était remboursable qu'en monnaie étrangère ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen
:
Attendu que la banque fait grief à
l'arrêt de limiter la condamnation des emprunteurs à lui payer les sommes de 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros alors, selon le moyen :
1°/ qu'en application de l'article
624 du code de procédure civile, la censure prononcée, sur le fondement du premier moyen, du chef de l'arrêt ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses, ou, sur le fondement du deuxième moyen, du chef de l'arrêt prononçant la nullité des prêts, entraînera, par voie de conséquence, celles de ses dispositions statuant sur les conséquences de l'annulation des prêts ;
2°/ que la nullité d'un contrat de prêt dont l'objet a été défini en monnaie étrangère impose à l'emprunteur de restituer au prêteur le montant du principal stipulé et mis à sa disposition dans la devise de l'emprunt, ou sa contre-valeur en euros au jour de la restitution ;
qu'en décidant
que les emprunteurs n'étaient redevables, au titre des restitutions consécutives à l'annulation des prêts, que des fonds « inscrits sur leur compte en euros pour un montant de respectivement 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros (avant imputation des frais) », après avoir pourtant constaté que les contrats de prêt litigieux portaient « sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros », et que leurs avis de mise en place respectifs mentionnaient que « chacune de ces sommes » était « la contre-valeur en euros d'une somme en francs suisses par suite d'une opération préalable de change faite par la banque », ce dont elle aurait dû déduire que la banque, ayant mis à disposition de l'emprunteur une somme libellée en francs suisses, et non pas une somme en euros indexée sur le franc suisse, était fondée, consécutivement à l'anéantissement rétroactif des prêts, à obtenir la restitution de son montant principal dans cette devise, ou sa contre-valeur en euros au jour de la restitution, la cour d'appel a violé le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ;
3°/ que l'obligation de restituer les fonds prêtés inhérente à un contrat de prêt annulé demeure tant que les parties n'ont pas été remises en l'état antérieur à la conclusion de leur convention anéantie ; que, pour décider que l'annulation des prêts imposait aux emprunteurs de restituer, non pas des francs suisses éventuellement convertis en euros en fonction du cours du change en vigueur au jour de la restitution, mais les sommes de 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros avec intérêts légaux à compter du jour du jugement, soit le quantum des sommes inscrites sur leur compte en euros lors de la mise à disposition, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que « les contrats de prêt étant nuls dans leur ensemble, il n'y a pas lieu de s'attacher, pour déterminer la restitution due par les emprunteurs, aux stipulations des contrats, puisque ceux-ci sont censés n'avoir jamais existé et qu'il ne saurait donc être donné effet à l'une quelconque de leurs clauses », en déduit « qu'il suit de là que, quand bien même les prêts portent sur la contre-valeur en francs suisses d'une somme en euros selon les contrats, cette circonstance est indifférente au regard du régime des restitutions, qui s'apprécie en fonction des prestations reçues de part et d'autre » ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant expressément relevé que les échéances du prêt portaient, « non sur des sommes en euros, mais sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros, et que le remboursement du prêt tant des échéances qu'à titre anticipé était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères », ce dont il s'évinçait que l'obligation de remboursement inhérente aux contrats de prêt annulés portait sur un quantum de francs suisses et qu'il en allait, partant, nécessairement de même de l'obligation de restitution que l'annulation des prêts avait laissé subsister, sans en affecter l'objet, la cour d'appel a derechef violé, par fausse application, le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ;
4°/ que chacun des avis de mise en place adressés aux époux emprunteurs les avisait que le montant du « crédit en devises » avait été porté au crédit de leur compte en euros par suite d'une opération de change faite par la banque et qu'il constituait ainsi « la contre-valeur nette », en euros, du montant du crédit défini en francs suisses ; qu'en retenant que si chacune des sommes ainsi inscrites au compte des emprunteurs constituait, comme l'indiquaient les avis, « la contre-valeur en euros d'une somme en francs suisses par suite d'une opération préalable de change faite par la banque », cette somme en francs suisses ne pouvait « représenter la mesure de l'obligation de restitution des consorts X... et Y... », dès lors que « la mise à disposition des fonds traduite par l'inscription en compte » avait été « faite en euros » et que l'obligation de restitution ne portait que sur ce qui avait « été versé et reçu, soit le quantum des euros perçus par les consorts X... et Y... », là où il résultait des termes clairs et précis des avis de mise en place du crédit que le quantum des euros perçus par les emprunteurs constituait la contre-valeur en euros d'une somme libellée en francs suisses et que c'est donc cette somme libellée en francs suisses qui leur était remise par la banque, la cour d'appel les a dénaturés et a violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu, d'abord, que, la cassation de l'arrêt n'étant prononcée ni sur le premier ni sur le deuxième moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est sans portée ;
Attendu, ensuite, que l'arrêt énonce que l'annulation du contrat de prêt implique de remettre les parties dans la situation où elles se trouvaient avant l'acte et qu'ainsi, les emprunteurs sont tenus de restituer à la banque les fonds crédités en leur faveur sur leur compte en euros ; qu'il relève que, si les avis de mise en place du crédit mentionnent que chaque somme libérée est, par suite d'une opération de change effectuée par la banque, la contre-valeur en euros de sommes en francs suisses, ces montants en devises ne sauraient représenter la mesure de l'obligation de restitution, dès lors que la mise à disposition des fonds entre les mains des emprunteurs a été faite en euros ; que, de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a, hors toute dénaturation, exactement déduit que l'obligation de restitution des emprunteurs ne portait que sur le quantum des euros perçus de la banque ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille dix-huit
MOYENS ANNEXES
au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses ;
Aux motifs que « aux termes de l'article
4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois, l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions par un lien suffisant. Selon l'article
5 du même code, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui demandé. Il résulte de manière constante de ces dispositions qui organisent le principe du dispositif que le juge est tenu d'examiner les demandes dans l'ordre fixé par les parties. Toutefois, cette règle suppose que les demandes principales et subsidiaire soient distinctes. La prétention correspond à ce qui est réclamé par une partie et se différencie des moyens qui sont des éléments de fait et de droit venant au soutien de la prétention. S'agissant d'une seule et même prétention formée par une partie, le juge qui, en vertu de l'article
12 du code de procédure civile, tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, peut apprécier les moyens qui sont développés pour étayer la prétention sans être tenu par leur ordre de présentation dès lors que les moyens ainsi présentés, même hiérarchisés, tendent exactement et directement au même but. En l'espèce, les consorts X... Y... sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité des prêts et demandent à la cour, à titre principal, de prononcer cette nullité pour violation de règles sur le démarchage bancaire et financier puis, à titre subsidiaire, de la prononcer en raison de l'illicéité des prêts résultant de l'obligation de remboursement en francs suisses. Ce faisant, ils forment une seule et même prétention d'annulation du contrat qui est fondée sur des moyens distincts visant directement le même objectif d'annulation. Partant, la cour examinera d'abord la prétention en ce qu'elle est fondée sur l'existence d'une obligation de paiement en monnaie étrangère, d'autant plus que la nullité d'une telle clause doit être relevée d'office par le juge. Cela suppose de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par le Crédit agricole avant d'apprécier le mérite du moyen en cas de rejet de la fin de non-recevoir. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses : sous l'empire de la loi antérieure à celle du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, les actions en nullité des actes mixtes relevaient de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4-I du code de commerce si elles n'étaient pas soumises à des prescriptions plus courtes. Ce délai de prescription s'appliquait aux demandes en nullité absolue. Il a été réduit à cinq ans par la loi précitée du 17 juin 2008. L'article 26 II de cette loi prévoit que les dispositions de la loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. En l'espèce, les prêts litigieux conclus entre le Crédit agricole et les consorts X... Y... sont des actes mixtes. Le délai de dix ans a commencé à courir à compter de la date de conclusion du prêt et n'était donc pas expiré au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 19 juin 2008, de telle sorte que le nouveau délai de cinq ans a alors couru pour se terminer le 19 juin 2013, la durée totale n'ayant pas excédé la durée de dix ans prévue par la loi ancienne. Ainsi, la demande devait être formée au plus tard le 19 juin 2013. Selon l'article
2241 alinéa premier du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. L'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet. Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but. En l'espèce, les consorts X... Y... ont, le 12 mars 2012 assigné le Crédit agricole en nullité des prêts en se prévalant de l'illicéité du démarchage puis, par des conclusions déposées le 16 juin 2014, les consorts X... Y... ont également demandé au tribunal de prononcer la nullité des prêts, au motif de l'obligation de remboursement en francs suisses. Comme déjà indiqué, il s'agit d'une seule et même prétention d'annulation des prêts. En effet, l'objet des demandes est identique : il s'agit d'obtenir le prononcé de la nullité des prêts, les consorts X... Y... ayant simplement, par leurs conclusions déposées le 16 juin 2014, invoqué des moyens supplémentaires afin d'étayer leur prétention. Par suite, l'assignation du 12 mars 2012 a interrompu la prescription de la demande en nullité des prêts quel qu'en soit le fondement. En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande » (arrêt p. 25, § 3 à p. 26, § 7) ;
Alors, d'une part, que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par sa cause, à moins que l'une et l'autre aient le même objet parce qu'elles poursuivent un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que pour décider, en l'espèce, que l'assignation du 12 mars 2012 avait « interrompu la prescription de la demande en nullité des prêts quel qu'en soit le fondement », l'arrêt attaqué retient qu'en sollicitant successivement la nullité des prêts pour violation des règles sur le démarchage et l'annulation des prêts en raison de l'illicéité de l'obligation de remboursement en francs suisses, les consorts X... Y..., demandeurs, n'avaient formulé, en réalité, qu'« une seule et même prétention d'annulation des prêts », dès lors que l'objet de ces demandes était « identique », et qu'ils avaient ainsi « simplement, par conclusions déposées le 16 juin 2014 invoqué des moyens supplémentaires afin d'étayer leur prétention initiale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs radicalement inopérants, dès lors qu'ils n'établissaient pas que la demande de nullité fondée sur la stipulation d'une clause monnaie étrangère illicite formée par les consorts X... Y... le 16 juin 2014 était virtuellement comprise dans leur demande formée le 12 mars 2012 en vue du prononcé de la nullité des prêts pour violation des règles sur le démarchage, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article
2241 du code civil, ensemble l'article
1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016;
Alors, d'autre part, en tout état de cause, que si l'anéantissement du contrat par son annulation constitue l'objet immédiat d'une action en nullité fondée sur l'illicéité d'une de ses clauses, cette nullité, qui n'est prévue par aucun texte, ne constitue pas l'objet immédiat d'une action fondée sur les règles sanctionnant des actes de démarchage illicite ; que pour rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses, l'arrêt retient que l'objet de cette demande, formée par les consorts X... Y... devant le tribunal par conclusions du 16 juin 2014, était identique à celui de la demande dont ils l'avaient saisi initialement, par assignation du 12 mars 2012, sur le fondement des règles sanctionnant le démarchage illicite, et en déduit que « l'assignation du 12 mars 2012 avait interrompu la prescription de la demande en nullité des prêts quel qu'en soit le fondement » ; qu'en statuant ainsi, cependant que les deux demandes formées, par les consorts X... Y..., l'une en vue de faire sanctionner des actes de démarchage illicite, l'autre en vue de prononcer la nullité des prêts pour illicéité d'une de ses clauses, n'avaient pas le même objet et ne pouvaient constituer « une seule et même prétention d'annulation des prêts », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article
2241 du code civil, ensemble l'article
1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité des trois prêts n° [...], n° [...] et n° [...] consentis par la CRCAM de Loraine aux consorts X... Y... ;
Aux motifs que « dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie. En l'espèce, il est constant que les contrats litigieux sont des contrats internes, s'agissant de prêts conclus entre des parties toutes domiciliées en France, destiné à financer des opérations faites en France, dont les capitaux prêtés étaient mis à dispositions en France et dont les remboursements devaient s'effectuer également dans ce pays. Selon chacune des offres, le crédit, désigné sous l'intitulé « opération devis MLT », portait sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros, assorti du taux de la devise sur le marché des changes à Paris, révisable à chaque échéance, et remboursable par des échéances égale à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros. Les offres, identiques sur ces points pour les trois prêts stipulaient : * au titre de la réalisation : le montant de la devise figurant dans l'offre sera vendu sur le marché des changes au cours du jour de la réalisation. Sa contre-valeur en euros sera portée au crédit du compte en euros de l'emprunteur ou au nom du notaire chargé d'authentifier le présent acte, deux jours ouvrés après cette cession conformément aux usages bancaires ; * au titre du remboursement : les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre : - par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur. L'approvisionnement du compte en devises devra être effectué au plus tard trois jours ouvrés avant la date d'échéance. - ou à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur. Il supportera donc intégralement en cas de devises au comptant ou à terme le risque de change. Si le compte en euros n'est pas suffisamment approvisionné pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance. Cette créance en euros produira un intérêt de retard au taux contractuel majoré de trois points, jusqu'à complet remboursement. * au titre du remboursement anticipé : les remboursements anticipés s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre : - par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur. L'approvisionnement du compte devra être effectué au plus tard jours ouvrés avant l'échéance avant la date de remboursement anticipé. - ou à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur. Il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme le risque de change. Il en résulte que les échéances des prêts portaient non sur des sommes en euros mais sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que le remboursement des prêts tant des échéances qu'à titre anticipé était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères. Deux modalités étaient à cet égard envisagées : soit l'utilisation des devises figurant au compte en devises ouvert au nom des emprunteurs, soit, à défaut d'un approvisionnement suffisant de ce compte, l'achat de devises par le biais de leur compte en euros. Il suit de là que pour assurer le paiement des échéances, les emprunteurs devaient ou alimenter leur compte en devises, en achetant au besoin par eux-mêmes les devises nécessaires et en les déposant sur ce compte, ou en les faisant acheter par la banque par débit de leur compte en euros. L'acquisition impérative de devises par le biais du compte en euros des emprunteurs faute d'un approvisionnement suffisant de leur compte en devises démontre que les prêts n'étaient remboursables qu'en monnaie étrangère, car si les prêts avaient pu être remboursés en euros, il aurait suffi de débiter le compte en euros des emprunteurs sans que ceux-ci aient à supporter l'achat de devises et l'opération de change correspondante. Les modalités ci-dessus décrites obligeaient ainsi dans tous les cas les emprunteurs à un remboursement en monnaie étrangère dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers, de sorte que c'est à tort que le Crédit Agricole prétend que la libération intervenait alors en euros. Au demeurant, la clause selon laquelle, faute d'approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance, avec un intérêt contractuel majoré, confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses. Les courriers du Crédit agricole relatifs à l'exécution des prêts corroborent cette analyse. En effet, les avis de débit du compte en euros des consorts X... Y... qui sont produits mentionnent un montant libellé en francs suisses pour chaque échéance concernée, avec l'indication d'une contre-valeur en euros suivant le cours de change appliqué, d'une commission de change et d'un net débité en euros égal à la contre-valeur majoré de la commission de change, ce qui prouve que le paiement de l'échéance a été fait en francs suisses puisqu'une opération de change a été effectivement pratiquée et que son coût a été supporté par les emprunteurs. Il s'évince de ce qui précède que le franc suisse a été utilisé comme monnaie de paiement et que, contrairement à ce que soutient le Crédit agricole les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses. La clause espèces étrangères des prêts litigieux est donc frappée de nullité absolue. Elle a pour effet d'entraîner la nullité de l'ensemble des contrats de prêt car il s'agit qu'une clause déterminante du contrat sans laquelle ceux-ci n'auraient pas été conclus. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats de prêt » (arrêt pp. 26 et 27) ;
Alors, premièrement, que dans l'ordre interne, un contrat de prêt ayant pour objet la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros et remboursable par des échéances égales à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros est valable dès lors que l'emprunteur conserve la faculté d'acquitter sa dette dans la monnaie légale ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que les prêts consentis par la CRCAM de Lorraine aux consorts X... Y... portaient sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que leur remboursement devait s'effectuer dans cette devise, « soit par l'utilisation de devises figurant au compte de devises ouvert au nom des emprunteurs », soit, « à défaut d'un approvisionnement suffisant de ce compte, par l'achat des devises par le biais de leur compte en euros », l'arrêt, pour annuler les contrats de prêt sous prétexte qu'ils auraient abrité une clause espèces étrangères illicite, retient que « l'acquisition impérative de devises par le biais du compte en euros des emprunteurs faute d'un approvisionnement suffisant de leur compte en devises démontre que les prêts n'étaient remboursables qu'en monnaie étrangère, car si les prêts avaient pu être remboursés en euros, il aurait suffi de débiter le compte en euros des emprunteurs sans que ceux-ci aient à supporter l'achat de devises et l'opération de change correspondante », et que « les modalités ci-dessus décrites obligeaient ainsi dans tous les cas les emprunteurs à des remboursements en monnaie étrangère dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers » (arrêt p. 27, § 10); qu'en statuant ainsi, cependant que la charge du coût de l'opération de change réalisée par la banque en cas de remboursement des prêts ou de ses échéances par débit du compte en euros des emprunteurs était inhérente à l'objet des prêts, libellés en devises étrangères, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs impropres à établir qu'en l'espèce, les emprunteurs n'auraient pas eu le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article
6 du code civil;
Alors, deuxièmement, que le juge doit en toutes circonstances faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; que pour annuler le contrat de prêt, sous prétexte qu'il aurait abrité une clause espèces étrangères illicite, l'arrêt retient que « la clause selon laquelle, faute d'approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance, avec un intérêt contractuel majoré, confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses » (arrêt p. 27, § 11); qu'en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article
16 du code de procédure civile ;
Alors, troisièmement, que dans l'ordre interne, un contrat de prêt ayant pour objet la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros et remboursable par des échéances égale à la contre-valeur en francs suisses de certaines sommes en euros est valable dès lors que l'emprunteur conserve la faculté de payer sa dette dans la monnaie légale ; que pour annuler les contrats de prêt, sous prétexte qu'ils auraient abrités une clause espèces étrangères illicite, l'arrêt retient que « la clause selon laquelle, faute d'approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance, avec un intérêt contractuel majoré, confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses » (arrêt p. 27, § 11); qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi la majoration de l'intérêt contractuel en cas de remboursement des prêts ou de ses échéances par débit du compte en euros des emprunteurs aurait pu être si contraignante qu'elle aurait abouti à les priver de leur faculté de payer en euros, la cour d'appel, qui n'a toujours pas établi en quoi les contrats de prêt litigieux auraient pu abriter une clause imposant aux emprunteurs de le rembourser dans la devise de l'emprunt, a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard de l'article
6 du code civil;
Alors, quatrièmement, et en toute hypothèse, que les offres de crédit acceptées par les consorts X... Y... (prod. 4) disposaient, d'une part, au titre du « remboursement », que « les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur ou, à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur » (offres de crédit p. 3), d'autre part, « au titre du remboursement anticipé », que « les remboursements anticipés s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur ou, à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur » (offres de crédit p. 3) ; qu'en énonçant que de telles modalités « obligeaient ainsi dans tous les cas les emprunteurs à des remboursements en monnaie étrangère, dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers » (arrêt p. 27, § 10), cependant qu'aucune incompatibilité n'existait, s'agissant de contrats de prêt libellés en devises étrangères, entre la faculté reconnue aux emprunteurs de payer leur dette par débit de leur compte en euros et leurs termes imposant, dans ce cas de figure, une opération de change, dont la charge était inhérente à l'objet des contrats, la cour d'appel a dénaturé les termes susvisés des offres de prêt, et violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors, enfin, et en tout état de cause, que dans un prêt ayant pour objet une devise étrangère, l'inscription, au débit du compte en euros des emprunteurs, de la contre-valeur en euros du montant mis à leur disposition par le prêteur dans cette devise, en vue de l'achat par la banque de devises au comptant ou à terme, éteint la créance de la banque et libère le débiteur ; qu'en l'espèce, pour annuler les contrats de prêt litigieux, l'arrêt retient que la faculté offerte aux emprunteurs de rembourser les prêts en faisant acheter par la banque des devises par débit de leur compte en euros constituait « un remboursement en monnaie étrangère », dès lors qu'une opération de change dont la charge pesait sur les emprunteurs était dans cette occurrence impérative, que « le franc suisse avait été utilisé comme monnaie de paiement » et que « les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses » (arrêt p. 27, § 13); qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que l'objet des prêts avait été libellé en francs suisses, ce dont il résultait que leur remboursement par débit du compte en euros des emprunteurs du montant nécessaire à l'achat de devises valait paiement de la créance de la banque, et qu'un tel paiement, dans cette occurrence, était bien effectué dans la monnaie légale, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé les articles
1134 et
1243 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement les consorts X... Y... à payer à la CRACM de Lorraine les sommes de 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros avec intérêts légaux à compter du jour du jugement et constaté la compensation à due concurrence des créances réciproques des parties ;
Aux motifs que « la nullité ayant un effet rétroactif, elle implique de remettre les parties dans l'état où elles étaient avant l'acte. Elle entraîne donc l'obligation pour chacune des parties de restituer l'intégralité des prestations qu'elle a déjà reçues. En conséquence, il convient de condamner le Crédit Agricole à restituer aux consorts X... Y... : au titre du prêt n° [...], la somme de 54 244,54 euros qu'il a perçue au 11 avril 2013 selon le tableau figurant dans les pièces de l'appelant ; au titre du prêt n° [...], la somme de 17 041,13 euros qu'il a perçue au 11 avril 2013 selon le tableau figurant dans les pièces de l'appelant ; au titre du prêt n° [...], la somme de 11 360,76 euros qu'il a perçue au 11 avril 2013 selon le tableau figurant dans les pièces de l'appelant ; Réciproquement, les consorts X... Y... sont dès lors tenus de restituer les sommes reçues par eux de la banque. Les contrats de prêts étant nuls en leur ensemble, il n'y a pas lieu de s'attacher pour déterminer la restitution due par les emprunteurs aux stipulations des contrats puisque ceux-ci sont censés n'avoir jamais existé et qu'il ne saurait donc être donné effet à l'une quelconque de leurs clauses. Il suit de là que quand bien même les prêts portent sur la contre-valeur en francs suisses d'une somme en euros selon les contrats, cette circonstance est indifférente au regard du régime des restitutions qui s'apprécie en fonction des prestations reçues de part et d'autre, soit, pour les emprunteurs, compte-tenu des sommes qu'ils ont perçues. Cette somme correspond aux fonds dont les consorts X... Y... ont concrètement bénéficié de la part du Crédit Agricole, soit ceux qui ont été crédités en leur faveur qui apparaissent avoir été inscrits sur leur compte en euros pour un montant de respectivement 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros (avant imputation des frais). Certes, les avis de mise en place des crédits mentionnent que chacune de ces sommes est la contre-valeur en euros d'une somme en francs suisses ne saurait représenter la mesure de l'obligation de restitution des consorts X... Y... puisque la mise à disposition des fonds entre les mains des emprunteurs traduite par l'inscription en compte a été faite en euros perçus par les consorts X... Y.... En conséquence, la nullité des prêts oblige ces derniers à payer au Crédit agricole les sommes de 407 000 euros pour le prêt n° [...], 150 000 euros pour le prêt n° [...] et 100 000 euros pour le prêt n° [...] (
) » (arrêt p. 27-28) ;
Alors, premièrement, qu'en application de l'article
624 du code de procédure civile, la censure prononcée, sur le fondement du premier moyen, du chef de l'arrêt ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité des prêts fondée sur l'obligation de remboursement en francs suisses, ou, sur le fondement du deuxième moyen, du chef de l'arrêt prononçant la nullité des prêts, entraînera, par voie de conséquence, celles de ses dispositions statuant sur les conséquences de l'annulation des prêts ;
Alors, subsidiairement, deuxièmement, que la nullité d'un contrat de prêt dont l'objet a été défini en monnaie étrangère impose à l'emprunteur de restituer au prêteur le montant du principal stipulé et mis à sa disposition dans la devise de l'emprunt, ou sa contrevaleur en euros au jour de la restitution ; qu'en décidant que les consorts X... Y... n'étaient redevables, au titre des restitutions consécutives à l'annulation des prêts, que des fonds « inscrits sur leur compte en euros pour un montant de respectivement 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros (avant imputation des frais) », après avoir pourtant constaté que les contrats de prêt litigieux portaient « sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme en euros », et que leurs avis de mise en place respectifs mentionnaient que « chacune de ces sommes » était « la contre-valeur en euros d'une somme en francs suisses par suite d'une opération préalable de change faite par la banque », ce dont elle aurait dû déduire que la banque, ayant mis à disposition de l'emprunteur une somme libellée en francs suisses, et non pas une somme en euros indexée sur le Franc suisse, était fondée, consécutivement à l'anéantissement rétroactif des prêts, à obtenir la restitution de son montant principal dans cette devise, ou sa contrevaleur en euros au jour de la restitution, la cour d'appel a violé le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ;
Alors, subsidiairement, troisièmement, que l'obligation de restituer les fonds prêtés inhérente à un contrat de prêt annulé demeure tant que les parties n'ont pas été remises en l'état antérieur à la conclusion de leur convention anéantie ; que pour décider que l'annulation des prêts imposait aux emprunteurs de restituer, non pas des francs suisses éventuellement convertis en euros en fonction du cours du change en vigueur au jour de la restitution, mais les sommes de 407 000 euros, 150 000 euros et 100 000 euros avec intérêts légaux à compter du jour du jugement, soit le quantum des sommes inscrites sur leur compte en euros lors de la mise à disposition, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que « les contrats de prêt étant nuls dans leur ensemble, il n'y a pas lieu de s'attacher, pour déterminer la restitution due par les emprunteurs, aux stipulations des contrats, puisque ceux-ci sont censés n'avoir jamais existé et qu'il ne saurait donc être donné effet à l'une quelconque de leurs clauses », en déduit « qu'il suit de là que, quand bien même les prêts portent sur la contre-valeur en francs suisses d'une somme en euros selon les contrats, cette circonstance est indifférente au regard du régime des restitutions, qui s'apprécie en fonction des prestations reçues de part et d'autre » (arrêt p. 28, § 7); qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant expressément relevé que les échéances du prêt portaient, « non sur des sommes en euros, mais sur la contre-valeur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros, et que le remboursement du prêt tant des échéances qu'à titre anticipé était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères » (arrêt p. 27, § 9), ce dont il s'évinçait que l'obligation de remboursement inhérente aux contrats de prêt annulés portait sur un quantum de francs suisses et qu'il en allait, partant, nécessairement de même de l'obligation de restitution que l'annulation des prêts avait laissé subsister, sans en affecter l'objet, la cour d'appel a derechef violé, par fausse application, le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ;
Alors, subsidiairement, quatrièmement, que chacun des avis de mise en place adressés aux époux emprunteurs (cf. prod. 6) les avisait que le montant du « crédit en devises » avait été porté au crédit de leur compte en euros par suite d'une opération de change faite par la banque et qu'il constituait ainsi « la contre-valeur nette », en euros, du montant du crédit défini en francs suisses ; qu'en retenant que si chacune des sommes ainsi inscrites au compte des emprunteurs constituait, comme l'indiquaient les avis, « la contre-valeur en euros d'une somme en francs suisses par suite d'une opération préalable de change faite par la banque », cette somme en francs suisses ne pouvait « représenter la mesure de l'obligation de restitution des consorts X... et Y... », dès lors que « la mise à disposition des fonds traduite par l'inscription en compte » avait été « faite en euros » et que l'obligation de restitution ne portait que sur ce qui avait « été versé et reçu, soit le quantum des euros perçus par les consorts X... et Y... », là où il résultait des termes clairs et précis des avis de mise en place du crédit que le quantum des euros perçus par les consorts X... et Y... constituait la contrevaleur en euros d'une somme libellée en francs suisses et que c'est donc cette somme libellée en francs suisses qui leur était remise par la banque, la cour d'appel les a dénaturés et a violé l'article
1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.