QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE DORA CHIRÒ c. ITALIE
(Requête no 65272/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
27 juillet 2010
DÉFINITIF
27/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dora Chirò c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
Päivi Hirvelä,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 65272/01) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Dora Chirò (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 juin 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 11 octobre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que que l'ingérence dans le droit au respect des biens de la requérante n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Dora Chirò c. Italie, no 65272/01, § 85, 11 octobre 2005).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, la requérante réclamait une satisfaction équitable de 638 960, 00 EUR. Elle sollicitait en outre une indemnité pour dommage moral et demandait le remboursement des frais et dépens pour la procédure devant les juridictions nationales et pour celles devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 100, et point 2 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n'aboutissent à un tel accord. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
6. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
7. La requérante sollicite le versement d'une indemnité de 678 410, 00 EUR au titre de préjudice matériel pour la perte du terrain, somme qui correspond à la valeur du terrain litigieux réévaluée et assortie d'intérêts plus les dommages découlant de la non jouissance du terrain
8. Le Gouvernement s'y oppose.
9. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'État défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
10. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'État sur les terrains.
11. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
12. En l'espèce, la requérante a perdu la propriété de son terrain en 1986. Telle qu'elle ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure, la valeur du bien à cette date était de 95 000 EUR.
13. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder à la requérante la somme de 121 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
14. Reste à évaluer la perte de chances subie par la requérante à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 20 000 EUR pour la perte de chances.
B. Dommage moral
15. La requérante demandent le versement d'une indemnité de 35 000 EUR au titre de préjudice moral.
16. Le Gouvernement s'y oppose et observe que la requérante a obtenu au niveau national une décision lui accordant une somme importante. Dans cette situation, la Cour ne devrait pas accorder une satisfaction équitable, qui entraînerait un enrichissement indu de la requérante
17. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé à la requérante un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
18. Statuant en équité, la Cour accorde à la requérante la somme de 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
19. Justificatifs à l'appui, la requérante demande 32 198,00 EUR pour la procédure devant les juridictions nationales ainsi que 38 675,00 EUR pour la procédure devant à la Cour.
20. Le Gouvernement estime qu'aucun remboursement ne doit être reconnu à la requérante au motif qu'elle a eu gain de cause et que les frais de la procédure ont été payés par l'administration.
21. Il estime, en outre, que ces sommes sont excessives et il s'en remet à la sagesse de la Cour.
22. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A n 1 288, § 66).
23. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 20 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. 141 000 EUR (cent quarante et un mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt à la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président