CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 45310/11
J.A.
contre la France
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 27 mai 2014 en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 25 juillet 2011,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l'article 39 du règlement de la Cour,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. La requérante, Mlle J.A., est une ressortissante nigériane née en 1985 et résidant à Paris. Elle a été représentée devant la Cour par Me M. Thisse, avocat à Paris.
2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l'espèce
3. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4. La requérante est originaire de Benin City dans l'Etat d'Edo et appartient à l'ethnie des Urohbo. Ses parents et ses cinq frères et sœurs résident à Benin City.
1. Sur les faits avant l'arrivée en France, tels qu'exposés par la requérante
5. La requérante explique qu'elle cessa de fréquenter l'école à l'âge de quinze ans pour aider sa mère à vendre du pain dans la rue. Souhaitant être en mesure de subvenir aux besoins de sa famille, la requérante se rendit chez M. qui lui indiqua qu'elle pourrait travailler en Italie.
6. Pendant l'été 2008, la requérante quitta le Nigéria, se rendit d'abord en Libye puis rejoignit l'Italie par la mer. Elle fut placée en centre de rétention puis libérée. Elle fit l'objet d'une cérémonie dite « juju » en Italie avant de rejoindre la France. Cette cérémonie rituelle de type religieux, animée par un sorcier ou « prêtre », vise, en échange d'ongles, de cheveux et de poils pubiens à s'assurer de l'engagement moral et religieux et du devoir d'obéissance d'une femme envers ses souteneurs et de s'assurer qu'elle remboursera la dette financière qu'elle a contractée en quittant le Nigéria.
2. Sur les faits en France, tels qu'exposés par la requérante
7. Elle arriva en décembre 2008 à Paris et fut immédiatement contrainte à se prostituer. L'homme qui l'accueillit changea son nom en « M. O. » et l'emmena à la préfecture où elle déposa une demande d'asile dans laquelle elle racontait être orpheline de mère et avoir fui la famille de son père, un chef coutumier qui voulait la marier de force. Sa demande fut rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 26 mai 2009 pour manque de cohérence et de précision. La requérante forma un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), sans mentionner le réseau de traite. La CNDA rejeta ce recours le 25 novembre 2009.
8. Au cours de l'été 2009, la requérante décida d'envoyer un peu d'argent à sa famille et fut frappée au visage lorsque son souteneur s'en rendit compte.
9. Peu de temps après, la requérante décida de s'enfuir. Elle vécut chez deux compatriotes durant un mois sous la menace constante de représailles de son souteneur à qui elle continuait de donner de l'argent.
10. À la fin de l'année 2009, elle prit contact avec l'association « les amis du Bus des femmes », structure d'accueil des femmes victimes de la traite.
11. La requérante sortit donc du réseau nigérian mais continua à se prostituer occasionnellement, dans le même quartier. Elle relate qu'à ce moment-là, elle et d'autres femmes qui se prostituaient furent victimes d'agressions sexuelles et de viols à répétition par une bande de jeunes hommes. C'est alors qu'elle décida de porter plainte auprès des services de police, ce qu'elle fit le 25 juin 2010.
12. Entre-temps, en avril 2010, la requérante reçut un appel téléphonique de son souteneur, qui, de retour au Nigéria, menaça sa famille.
3. Sur la procédure judiciaire concernant les viols en réunion
13. Faisant suite au dépôt de plainte de la requérante, une enquête de police fut menée et l'ouverture d'une information judiciaire pour viols en réunion conduisit à l'arrestation de plusieurs suspects. Parmi la vingtaine de plaignantes, seules quatre dont la requérante, se constituèrent partie civile. Par une ordonnance du 18 avril 2011, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris requalifia les infractions en agressions sexuelles et renvoya deux des prévenus devant le tribunal correctionnel, et les autres devant le tribunal pour enfants.
14. Le 21 octobre 2010, la requérante fut auditionnée en tant que partie civile et en présence de son avocate par le juge d'instruction chargé du dossier. Lors de cet entretien, la requérante déclara notamment :
« QUESTION : Pouvez-vous décrire les conditions dans lesquelles vous êtes arrivée en France ?
RÉPONSE : Je suis arrivée directement à Paris le 3 décembre 2008 en train via l'Italie par l'intermédiaire d'un réseau de passeurs. En principe, je venais en France pour trouver du travail, et c'est en arrivant à Paris que j'ai compris qu'il fallait que je me prostitue. J'ai été contrainte de me prostituer pour rembourser les frais engendrés par mon passage en France.
QUESTION : Pouvez-vous décrire votre activité prostitutionnelle à Paris ?
RÉPONSE : Au début, je me prostituais depuis mon arrivée à la Porte de la Chapelle. Nous sommes environ 15 prostituées d'origine nigériane en tout, notamment J. Je ne connais pas les identités des autres, je ne connais que leur surnom. À Paris, une femme ancienne prostituée qui me logeait surveillait mon activité. On m'a donné des vêtements. Pour me nourrir, je mangeais à la maison. Je prends par jour aucun voire jusqu'à 4 clients. Toutes les prestations sexuelles sont tarifées à 20 euros. Tout l'argent que je gagnais, je le remettais à une personne qui venait d'Italie le récupérer. Pour les autres prostituées, elles sont contrôlées par une autre personne. À compter de décembre 2009, l'homme qui m'a fait venir en France est reparti au Nigéria. Avant de rentrer, il a demandé à un médecin traditionnel, une « sorcière », en lui donnant une de mes photos, de me jeter un sort pour que je meure. A partir de là, j'ai refusé de lui donner l'argent de mes passes, et je me suis libérée de son emprise ainsi que de celle de la femme qui me logeait. Donc au moment des faits, je travaillais pour mon propre compte. Suite à mon refus, ils sont allés voir mes parents au Nigéria en leur donnant l'ultimatum suivant : je devais finir de rembourser l'argent dans les trois mois, sinon ils me tuaient. Mais pour l'instant ils ne sont jamais revenus.
QUESTION : Aujourd'hui, continuez-vous à vous prostituer ?
RÉPONSE : Oui, toujours à la Porte de la Chapelle, et toujours pour mon propre compte. »
[...]
QUESTION : Je vous porte connaissance des déclarations de Monsieur A. selon lesquelles en avril 2010, lui et ses amis ont passé un accord avec votre proxénète (la X.) selon lequel ils arrêtaient de vous frapper en échange de rapports sexuels gratuits. Êtes-vous d'accord avec ces déclarations ?
RÉPONSE : Oui, mais moi, je ne travaillais plus pour elle, je n'étais pas d'accord. [...] »
15. Le juge considéra comme établi que la requérante avait été victime d'un réseau de traite à des fins d'exploitation sexuelle en se référant notamment aux expertises psychiatriques qui avaient été réalisées. Les deux suspects majeurs furent condamnés respectivement à quatre ans et deux ans d'emprisonnement par un jugement rendu le 14 juin 2011 par le tribunal correctionnel de Paris. Ils durent verser 7 500 euros (EUR) chacun à la requérante. Les deux suspects mineurs furent condamnés à trente-six mois d'emprisonnement par un jugement rendu le 9 juin 2011 par le tribunal pour enfants de Paris.
4. Sur la procédure d'éloignement
16. À la suite du rejet de sa demande d'asile, la requérante fit l'objet, le 2 février 2010, d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire. Le 9 juillet 2011, la requérante fit l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière et fut placée en rétention administrative. Elle contesta ces arrêtés préfectoraux devant le tribunal administratif de Paris qui, le 13 juillet 2011, rejeta la demande, estimant que la procédure pénale alors pendante n'était pas à elle seule de nature à établir une erreur manifeste d'appréciation du préfet et que le récit de la requérante ne suffisait pas à établir la réalité des craintes alléguées en cas de retour au Nigéria.
17. La requérante déposa par ailleurs une nouvelle demande d'asile dans laquelle elle exposa son véritable récit. Par une décision du 20 juillet 2011, l'OFPRA rejeta la demande au motif que la requérante fournit :
« un discours superficiel et convenu sur les motifs comme sur les conditions exactes de son départ du Nigéria. Les menaces et mauvais traitements qui lui auraient été réservés ainsi qu'à ses proches ont fait l'objet de propos évasifs et impersonnels. Enfin, si les déclarations orales de l'intéressée permettent de tenir pour plausible son profil de prostituée en France durant une période de près de deux ans, ses explications se sont révélées dépourvues de toute mention explicite permettant de penser que sa situation ait été contrainte ou forcée sous l'emprise d'un réseau de prostitution. Elle ne fournit en outre aucun élément pertinent de nature à corroborer ses dires au sujet des menaces graves subies alors que les conditions de sa vie en France demeurent convenues. »
18. Le 25 juillet 2011, la requérante saisit la Cour d'une demande de suspension de la mesure de reconduite à la frontière. Par une décision du 27 juillet 2011, le président de la section à laquelle l'affaire fut attribuée décida d'appliquer l'article 39 du règlement de la Cour. La décision de la Cour fut notifiée le jour même au Gouvernement. La requérante fut maintenue en rétention jusqu'au 28 juillet 2011 en milieu d'après-midi.
19. Par un arrêt en date du 26 janvier 2012, la cour administrative d'appel de Paris considéra comme établi « le risque couru par la requérante d'être soumise, en cas de retour au Nigéria, à des traitements inhumains ou dégradants » et décida « d'annuler la décision du préfet de police en tant qu'elle prévoit que Mlle [J.A] sera reconduite à destination du pays dont elle a la nationalité ». À la suite de cet arrêt, le préfet assigna la requérante à résidence à compter du 17 avril 2012 et l'enjoignit d'accomplir des démarches dans des pays tiers afin de déférer à l'obligation de quitter le territoire dont elle faisait l'objet. La requérante demanda vainement à plusieurs États d'être admise sur leur territoire.
20. Par une décision en date du 4 juin 2013, la CNDA rejeta la demande d'asile de la requérante qui soutenait qu'elle encourrait des risques en cas de retour au Nigéria, selon les termes suivants :
« s'il peut être tenu pour établi, au regard notamment des pièces judiciaires françaises produites, que [J.A.] s'est livrée à la prostitution sur le territoire national, ses déclarations quant à la coercition dont elle aurait fait l'objet se sont révélées peu substantielles et personnalisées ; qu'à cet égard, la Cour relève, en particulier que la requérante a soutenu de manière peu crédible, au cours de l'audience, avoir continué de se prostituer de manière occasionnelle, après sa soustraction alléguée à l'emprise de son proxénète, au même endroit qu'auparavant, sans à aucun moment avoir été inquiétée ni par ce dernier, ni par les membres du réseau de prostitution transnational qu'elle prétend avoir intégré à son insu en 2008 ; que dès lors, la circonstance qu'elle se serait soustraite à un tel réseau et les menaces auxquelles elle-même et ses proches seraient exposés de ce fait ne peuvent être tenues pour établies ; que le rapport d'expertise psychologique et l'attestation d'un psychologue de l'association « Aux captifs la libération », établis en France les 28 septembre 2010 et 15 mars 2012 et concluant à la compatibilité des séquelles constatées avec les déclarations de la requérante, ne permettent pas d'infirmer cette analyse ; qu'il en va de même des attestations et rapports d'accompagnement établis par l'association « Les amis du bus des femmes » le 11 juillet 2011, ainsi que les 16 janvier et 10 décembre 2012 ; qu'ainsi, le recours de [J.A], qui ne comporte pas d'éléments postérieurs à la précédente décision de la Cour, susceptibles de justifier ses craintes et établis, doit être rejeté ; »
B. Le droit interne pertinent
21. La Cour renvoie à la décision V.F. c. France ((déc.), no 7196/10, 29 novembre 2011) s'agissant du droit interne pertinent.
GRIEFS
22. Invoquant l'article 3 de la Convention, la requérante allègue qu'en tant que victime de la traite, un renvoi vers le Nigéria l'exposerait à des traitements contraires à cette disposition. Elle précise que les autorités ne sont pas en mesure de lui assurer une protection et invoque les représailles dont sa famille a fait l'objet au Nigéria.
23. Invoquant l'article 4 de la Convention, elle se plaint de ce que, en cas de retour, elle serait retrouvée immédiatement par les membres du réseau et réenrôlée.
Invoquant à nouveau l'article 4 de la Convention, elle estime par ailleurs que les autorités françaises n'ont pas procédé à des enquêtes effectives sur le réseau ni mis en œuvre toutes les mesures de protection nécessaires alors que la requérante a indiqué à plusieurs reprises aux autorités sa situation de victime d'un réseau de prostitution et de traite d'êtres humains.
24. La requérante invoque aussi l'article 5 § 1 de la Convention, estimant qu'elle a été détenue sans titre entre le moment où la Cour a appliqué la mesure provisoire et sa libération effective du centre de rétention.
25. Invoquant enfin l'article 13, combiné avec l'article 3 de la Convention, elle considère que son expulsion, alors que la procédure dans laquelle elle est partie civile n'est pas terminée, rendrait ineffectif son droit à être indemnisée en tant que victime.
EN DROIT
A. Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement
26. Le Gouvernement soutient que la requérante ne peut plus se prétendre victime d'une quelconque violation de la Convention sous l'angle de l'article 3 ou 4 à raison d'un éloignement vers le Nigéria du fait de l'intervention de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 janvier 2012 qui a annulé la mesure d'éloignement en tant qu'elle fixe le Nigéria comme pays de destination.
27. La requérante maintient ses allégations quant aux violations des articles 3 et 4 de la Convention.
28. La Cour relève que la cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision de renvoi vers le Nigéria en reconnaissant l'existence d'un risque de mauvais traitement si la décision de renvoi était mise à exécution. Dans ces conditions, l'éloignement de la requérante vers le Nigéria n'étant plus possible dans les circonstances actuelles, elle ne peut donc plus se prétendre victime d'une violation de son droit garanti par l'article 3 pris isolément et combiné avec l'article 13. Elle ne peut pas non plus se prétendre victime d'une violation de l'article 4 s'agissant d'un risque de réenrôlement dans le réseau de traite au Nigéria.
29. À la lumière de ces considérations, la requérante ne peut plus se prétendre victime, au sens de l'article 34 de la Convention, des violations alléguées des articles 3, 4 et 13 combiné avec l'article 3, pour ceux des griefs relatifs à un risque lié à un retour au Nigéria. En conséquence, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en vertu de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
30. L'application de l'article 39 du règlement de la Cour prend ainsi fin.
B. S'agissant du grief tiré de l'article 4 de la Convention et concernant les obligations positives
31. La requérante considère que l'État français avait l'obligation, sur son propre territoire, de la protéger contre le trafic d'êtres humains ainsi que de réprimer les auteurs de ce trafic. Elle invoque l'article 4 de la Convention qui est ainsi libellé :
Article 4
« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. »
32. Selon le Gouvernement, le dispositif légal mis en place par les autorités françaises aux fins de prévention et de répression de la traite des êtres humains est parfaitement adapté. Il ne saurait être reproché aux autorités policières et judiciaires françaises, de n'avoir pas, dans les circonstances de l'espèce, détecté de leur propre initiative une situation que ni le conseil de la requérante, ni une association subventionnée, n'ont estimée de nature à justifier des démarches en vue d'une protection.
33. Selon la requérante, le dispositif législatif français est insuffisant. Les exigences de protection et d'enquête ne doivent pas s'appliquer aux seules personnes qui sont en situation de traite d'êtres humains.
34. Pour la Cour, une question se pose quant à l'applicabilité de l'article 4 de la Convention à la présente affaire. Cependant, elle estime qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur ce point dans la mesure où le grief est irrecevable pour les raisons suivantes.
1. L'obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif approprié
35. Concernant l'obligation faite aux États d'élaborer une législation permettant d'incriminer les infractions relatives à la traite des êtres humains, la Cour a déjà constaté dans l'affaire V.F. c. France précitée que la législation française permet à toute victime de la traite des êtres humains de s'adresser aux autorités et obtenir une protection en échange de la dénonciation de membres d'un réseau. Elle rappelle que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) contient à ce titre des dispositions relatives à la protection juridique et à l'aide matérielle auxquelles les victimes peuvent prétendre si elles souhaitent porter plainte ou témoigner dans une procédure impliquant les membres d'un réseau (voir la partie « droit pertinent » dans la décision V.F. c. France (précitée)).
2. L'obligation positive de prendre des mesures de protection et d'enquêter sur la traite
36. Concernant l'obligation pour l'Etat de prendre toute mesure de protection de la requérante en tant que victime de la traite, la Cour constate qu'elle ne peut être imposée que si les autorités savaient ou auraient dû savoir que l'intéressée avait été enrôlée dans le réseau (Rantsev c. Chypre et Russie, no 25965/04, § 286, CEDH 2010 (extraits)). À ce propos, il ressort des éléments de l'espèce que la requérante n'a mentionné cet aspect ni dans sa demande d'asile, ni lors de l'entretien avec l'officier de protection de l'OFPRA. Elle n'évoqua le réseau en cause que devant le magistrat qui instruisit sa plainte pour viol en réunion. Les auteurs de ces viols ont d'ailleurs ultérieurement fait l'objet de condamnations à des peines de prison. S'agissant toutefois de son appartenance à un réseau de traite d'êtres humains, elle indiqua également lors de cette instruction pénale, qu'elle s'était soustraite à l'emprise de son souteneur à la fin de l'année 2009 et qu'à partir de ce moment, elle se prostituait désormais de manière occasionnelle et pour son compte. Elle soumit le même récit à la CNDA dans sa demande de réexamen de sa demande d'asile qui fit l'objet d'un rejet le 12 août 2013.
37. La Cour, bien que consciente de l'importance du phénomène de la traite des femmes nigérianes en France, ne peut donc que constater, dans le cas d'espèce, qu'il est établi que la requérante n'était plus soumise à l'influence d'un réseau de traite d'êtres humains depuis 2009, soit bien avant le déroulement de la procédure judiciaire initiée le 25 juin 2010 par un dépôt de plainte pour viol. Elle note d'ailleurs que lors de l'audition menée par le juge d'instruction dans ce cadre, ce dernier a pris soin de poser des questions à la requérante afin de dissiper tout soupçon raisonnable à cet égard et de s'assurer qu'elle n'était plus soumise à la traite ou à l'exploitation, ou ne se trouvait pas en danger de l'être (voir paragraphes 14 et 15 ci-dessus). La Cour relève également que la requérante n'a pas tenté d'alerter les autorités sur sa situation lorsqu'elle était sous l'emprise du réseau de prostitution. Dès lors, il ne peut être reproché aux autorités de ne pas avoir mis en œuvre des mesures efficaces et adéquates pour protéger la requérante alors qu'elle n'était plus ou ne risquait pas de manière réelle et immédiate d'être victime de traite ou d'exploitation (voir, a contrario, Rantsev, précité, §§ 296 et 297).
38. Partant, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C. S'agissant du grief tiré de l'article 5 § 1 de la Convention
39. La requérante soutient enfin qu'elle a fait l'objet d'une détention sans titre entre le moment où la Cour a appliqué la mesure provisoire et sa libération effective du centre de rétention contraire à l'article 5 § 1 f) de la Convention lequel énonce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. »
40. S'agissant de ce grief, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner la question de l'épuisement des voies de recours internes par la requérante, dans la mesure où le grief est irrecevable pour les raisons suivantes.
41. La Cour a rappelé dans l'affaire S.P. c. Belgique ((déc.), no 12572/08, 14 juin 2011) que « la mise en œuvre d'une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l'article 5 § 1 de la Convention de la privation de liberté dont le requérant menacé d'expulsion fait le cas échéant l'objet (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II) ». La Cour relève en outre que le prolongement de la mesure de rétention n'était pas, en l'espèce, déraisonnable, dès lors que la requérante a été libérée peu de temps après l'application de l'article 39 du règlement. Par ailleurs, la Cour observe qu'en tout état de cause, la durée légale (quarante-cinq jours) de rétention n'était pas en l'espèce dépassée.
42. En conclusion, la Cour considère ce grief comme manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Stephen Phillips Mark Villiger
Greffier adjoint Président