Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 décembre 2023 et 16 janvier 2024, la société
Allodiscrim, représentée par Me Delarue, demande au juge des référés statuant sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la procédure de passation de l'accord-cadre n° SRH-2023-066 relatif au dispositif de signalement des actes de violences, de discriminations, de harcèlement moral ou sexuel ou d'agissements sexistes du
ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de certains établissements publics sous sa tutelle ;
2°) d'annuler la procédure de passation et de mise en concurrence précitée, ensemble la décision d'attribution du marché ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'acheteur n'a pas communiqué les informations sollicitées au titre de l'article
R. 2181-2 du code de la commande publique ;
- en ne prévoyant pas l'intervention d'un professionnel du droit habilité à réaliser des prestations de consultation juridique, l'administration a méconnu les dispositions d'ordre public de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et entaché d'irrégularité le marché ; en effet, à l'exception des prestations prévues à l'article 4.1 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), le marché ne pouvait être attribué qu'à un professionnel du droit au sens de l'article
54 de la loi du 31 décembre 1971, car il n'est pas possible de dissocier les prestations de recueil des signalements, d'écoute, d'analyse et de conseils sur les suites à donner ;
- la candidature du groupement attributaire est irrégulière car il ne s'agit pas d'un groupement conjoint et aucune répartition des taches n'est indiquée entre le cabinet d'avocat et la société
NH Concept RSE.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2024, le cabinet Wilfried Samba Sambeligue et la société
NH Concept RSE, représentés par Me Miran, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
- la société requérante a obtenu les informations requises par l'article
R. 2182-1 du code de la commande publique ;
- le groupement attributaire est composée de la société
NH Concept RSE et du cabinet d'avocats Wilfried Samba-Sambeligue de sorte que l'administration a respecté les dispositions d'ordre public de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés les 11 et 16 janvier 2024, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- par un courrier du 2 janvier 2024, la société requérante a obtenu les motifs du rejet de son offre et les avantages et caractéristiques de l'offre du groupement attributaire ;
- une partie seulement des prestations est susceptible de relever de la consultation juridique et la répartition des taches dans le contenu de l'offre du groupement attributaire garantit le respect de l'article
54 de la loi du 31 décembre 1971.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A ;
- les observations de Me Delarue, pour la société
Allodiscrim, qui déclare abandonner le moyen tiré de la méconnaissance de l'article
R. 2181-2 du code de la commande publique et reprend les autres moyens exposés dans ses précédentes écritures ;
- les observations de Mme B, représentant le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens.
La clôture d'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré a été enregistrée le 17 janvier 2024 pour la société
Allodiscrim et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit
:
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 20 octobre 2023 au bulletin officiel des annonces de marchés publics, le
ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a procédé à la mise en concurrence pour la passation d'un accord-cadre relatif au dispositif de signalement des actes de violences, de discriminations, de harcèlement moral ou sexuel ou d'agissements sexistes du
ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de certains établissements publics sous sa tutelle. Les trois critères " prix ", " méthodologie, organisation et moyens mis en œuvre " et " profils et expérience de l'équipe assignée à l'exécution des prestations ", pondérés respectivement à 30%, 45% et 25%, ont servi à départager les offres finales. Par un courrier du 21 décembre 2023, la société
Allodiscrim a été informée du rejet de son offre au motif qu'elle était classée en 2ème position. Par la présente requête, la société
Allodiscrim demande au juge des référés de suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la procédure de passation de l'accord-cadre et d'annuler la procédure de passation et de mise en concurrence du marché susvisé ainsi que la décision d'attribution du marché.
Sur l'application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".
3. Aux termes de l'article
54 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : / 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci () ". Aux termes de l'article 56 de la même loi : " Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avocats inscrits à un barreau français, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs disposent concurremment, dans le cadre des activités définies par leurs statuts respectifs, du droit de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seing privé pour autrui ". L'article 60 ajoute : " Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité ".
4. Il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public portant sur des activités dont l'exercice est réglementé, de s'assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Tel est le cas des consultations juridiques et de la rédaction d'actes sous seing privé qui, ainsi qu'il a été dit au point 3, ne peuvent être effectuées à titre habituel que par les professionnels mentionnés par l'article
54 de la loi du 31 décembre 1971.
5. D'une part, il résulte de l'instruction et, notamment, du règlement de la consultation que l'accord-cadre visé par la procédure de publicité et mise en concurrence en cause a pour objet " la collecte, l'écoute, le traitement et le suivi des signalements de cas avérés ou supposés de violences, de discriminations, de harcèlements ou d'agissement sexistes aux sens définis par le droit en la matière et aux orientations données par le défenseur des droits. Le dispositif répond aux besoins de recueil, d'analyse des signalements notamment en ce qui concerne la qualification juridique des signalements, la conduite de l'instruction des dossiers, une analyse circonstanciée et une proposition des suites d'ordre juridique ou non juridique à donner destinée à l'agent et à l'administration ". Si certaines de ces prestations, dont la définition est précisée à l'article 4 du cahier des clauses techniques particulières, peuvent constituer des consultations juridiques au sens de l'article
54 de la loi du 31 décembre 1971, d'autres, en particulier les tâches de collecte, d'écoute, de traitement et de suivi des signalements, ne sont pas assimilables à de telles consultations. Dès lors, l'accord-cadre est relatif à des prestations ne portant que partiellement sur des consultations juridiques.
6. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'accord-cadre a été attribué à un groupement solidaire composé de la société
NH Concept RSE et du cabinet d'avocat Wilfried Samba Sambeligue. Or, il résulte de la répartition des tâches figurant dans le contenu de l'offre du groupement attributaire que l'avocat du groupement prendra en charge la partie juridique des traitements donnant lieu à des rapports individuels et interviendra en matière de conseil lorsque le besoin de l'appelant porte sur une analyse purement juridique. Il ressort également du contenu de cette offre, dans la partie " profils et expériences des membres de l'équipe pressentis pour l'exécution des prestations ", que parmi les quatre personnels pressentis de la société
NH Concept RSE, figurent trois juristes dotés d'une formation pluridisciplinaire qui prendront en charge le premier accueil, le traitement et l'instruction des dossiers tandis que la quatrième personne pressentie, écoutante experte ancienne déléguée du défenseur des droits, interviendra pour réaliser l'entretien d'évaluation des besoins ainsi que l'information et l'orientation des appelants. Il ne ressort ainsi pas manifestement d'une telle répartition que la société
NH Concept RSE serait nécessairement conduite à exercer des missions de consultations juridiques au sens de l'article 54 précité de la loi du 31 décembre 1971. Par suite, et alors qu'aucune disposition n'exigeait que le cabinet d'avocat Wilfried Samba Sambeligue et la société
NH Concept RSE présentent leur offre dans le cadre d'un groupement conjoint, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ne rejetant pas la candidature ou l'offre du groupement attributaire, aurait méconnu les dispositions de cet article et manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société
Allodiscrim doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société
Allodiscrim, partie perdante à l'instance, présentées à ce titre.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société
Allodiscrim est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société
Allodiscrim, au cabinet Wilfried Samba Sambeligue, à la société
NH Concept RSE et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Fait à Paris le 18 janvier 2024.
La juge des référés,
Anne A
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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