Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 19 juin 2023 et le 4 juillet 2023 M. A B, représenté Me
Jamais demande au juge des référés :
1°) d'ordonner sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative la suspension de l'exécution de la décision en date du 20 avril 2023 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire de Lille l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux ans à compter du 1er juin 2023 ;
2°) d'enjoindre au directeur général du centre hospitalier universitaire de Lille de procéder à sa réintégration dans ses fonctions dans un délai de 8 jours à compter de l'ordonnance à intervenir, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Lille le reversement à son conseil de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B soutient que :
- la condition d'urgence de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative est satisfaite dès lors que la décision en litige préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation puisqu'il est privé de son traitement alors qu'il est dans une situation financière délicate ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée compte tenu dès lors que :
* l'avis du conseil de discipline ne lui a pas été notifié ce qui constitue un vice de procédure ;
* l'avis du conseil de discipline est entachée d'un vice de procédure dès lors que seules ont été mises au vote les sanctions de révocation, de mise à la retraite et de sanction d'exclusion temporaire de fonctions de 2 ans à 16 jours en méconnaissance des dispositions de l'article
9 du décret n°89-822 du 7 novembre 1989 ; ce vice ne peut être neutralisé ;
* l'avis est entaché d'un vice de procédure dès lors que M. C, représentant du centre hospitalier universitaire de Lille a assisté au délibéré en méconnaissance du décret
n°89-822 du 7 novembre 1989 ; ce vice ne peut faire l'objet d'une neutralisation ;
* la décision attaquée est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article
L.532-5 du code général de la fonction publique ; les faits reprochés ne sont pas précisés ; à la lecture de la décision, il n'est pas possible de savoir si les infractions commises constituent les motifs fondant la sanction ainsi prononcée ;
* la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce que le directeur du CHU de Lille a estimé que l'existence d'une mention au bulletin n°2 du casier judiciaire d'un agent n'entraîne pas automatiquement sa révocation et encore moins une autre sanction disciplinaire ;
* elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'existence d'une faute disciplinaire ; les infractions commises n'ont aucun impact sur le service ou la sécurité des patients ;
* la décision attaquée est entachée d'une erreur de fait, il n'a
jamais proféré de menaces de mort ; il nie avoir adopté un comportement inapproprié le 18 octobre 2022 ;
* la sanction prononcée est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2023, le centre hospitalier universitaire de Lille, représenté par Me Ségard, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. B de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article
l. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie ;
- aucun des moyens invoqués n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Vu :
- la sanction disciplinaire litigieuse du 20 avril 2023 ;
- la requête à fin d'annulation de cette décision ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n°89-822 du 7 novembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Lassaux, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 4 juillet 2023 à 11 heures, M. Lassaux, juge des référés, a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me
Jamais, représentant M. B, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens que la requête ;
- les observations de Me Ségard, représentant le CHU de Lille, qui reprend les conclusions de son mémoire en défense par les mêmes moyens en faisant valoir, en outre, que l'avis du conseil de discipline est régulier.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
1. Il résulte de l'instruction que, par décision du 20 avril 2023, le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille a prononcé à l'encontre de M. A B la sanction administrative d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans à compter du 1er juin 2023. Par la présente requête, M. B demande, sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette sanction administrative.
Sur les conclusions à fin de suspension présentées sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " ; aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles
L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. " ; enfin, aux termes du premier alinéa de l'article
R. 522-1 dudit code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire. ".
En ce qui concerne la condition d'urgence de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
3. Il résulte des dispositions précitées des articles
L. 521-1 et
R. 522-1 du code de justice administrative que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit s'apprécier objectivement et globalement. Enfin, la condition d'urgence s'apprécie à la date de la présente ordonnance.
4. Au cas d'espèce, eu égard à l'ampleur de la baisse des ressources qu'elle entraîne et dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il puisse bénéficier pendant cette période d'autres revenus, la mesure d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans, prononcée à l'encontre de M. B est de nature à bouleverser ses conditions d'existence. Par suite, la condition d'urgence exigée par les dispositions précédemment rappelées de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée de refus de titre :
5. Aux termes de l'article
9 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière : " Le conseil de discipline, compte tenu des observations écrites et des déclarations orales produites devant lui, ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l'accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord. Si aucune proposition de sanction n'est adoptée, le président propose qu'aucune sanction ne soit prononcée. La proposition ayant recueilli l'accord de la majorité des membres présents est transmise par le président du conseil de discipline à l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Lorsque cette autorité prend une décision autre que celle proposée par le conseil, elle doit informer les membres du conseil des motifs qui l'ont conduite à ne pas suivre sa proposition. Si aucune des propositions soumises au conseil de discipline n'obtient l'accord de la majorité des membres présents, son président en informe l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Si cette autorité prononce une sanction, elle doit informer le conseil des motifs qui l'ont conduite à prononcer celle-ci ". Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. Il ressort du procès-verbal du conseil de discipline réuni le 22 novembre 2022 pour examiner la situation de M. B, que le président de ce conseil a mis seulement aux voix trois sanctions que sont la révocation, la mise à la retraite d'office et l'exclusion temporaire de fonctions de deux ans à seize jours. En l'absence d'une majorité sur l'une de ces sanctions, le conseil de discipline indique que les membres n'ont pas émis d'avis majoritaire et ont transmis ainsi leur avis au directeur général du CHU de Lille, autorité disciplinaire, à qui il revient de prendre sa décision. Par suite, l'avis émis par le conseil de discipline, qui a été adopté sans que le président mette aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires est entaché d'un vice au regard de la procédure de vote prévue par les dispositions précitées de l'article
9 du décret du 7 novembre 1989. Il ne ressort ni du procès-verbal, ni d'aucune autre pièce du dossier que les membres du conseil de discipline n'étaient résolus à ne voter que les trois sanctions proposées et à exclure que d'autres sanctions puissent être infligées. Dans ces conditions, la décision paraît avoir été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, cette irrégularité, au demeurant susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision attaquée, ayant eu pour effet de priver le requérant d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis du conseil de discipline à défaut pour ses membres d'avoir mis au vote l'ensemble des sanctions prévues par les textes est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
7. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il besoin de se prononce sur les autres moyens de la requête, que M. B est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 20 avril 2023 par laquelle le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille a prononcé à l'encontre de M. A B la sanction administrative d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Lorsque la décision administrative contestée a pour objet l'éviction du service d'un agent public, il appartient à l'autorité administrative, pour assurer l'exécution de la décision juridictionnelle de suspension, laquelle n'a pas de portée rétroactive, de prononcer la réintégration, à titre provisoire, de l'agent à la date de notification de l'ordonnance et de tirer toutes les conséquences de cette réintégration. En conséquence, la présente ordonnance implique nécessairement la réintégration de M. B dans ses fonctions à la date de notification de la présente ordonnance Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de fixer à quinze jours le délai dans lequel la réintégration de l'intéressé devra intervenir. Il n'y a pas lieu, en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance de référé, la somme que demande le centre hospitalier universitaire de Lille au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Lille une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'exécution de la décision par laquelle du directeur le directeur général du centre hospitalier universitaire de Lille a infligé une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond.
Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier universitaire de Lille de procéder, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, à la réintégration de M. A B dans ses fonctions à la date de ladite notification.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Lille versera une somme de 1 000 euros à M. B en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Lille sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au centre hospitalier universitaire de Lille.
Fait à Lille, le 6 juillet 2023.
Le juge des référés,
signé
P. LASSAUX
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
N°2305559