CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 161 F-D
Pourvoi n° E 21-25.365
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER MARS 2023
La société GSE, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 21-25.365 contre l'arrêt rendu le 13 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [C], domicilié [Adresse 2], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Dutheil, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ au Groupe Soprel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société GSE, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du Groupe Soprel, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société GSE du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [C], pris en sa qualité de liquidateur de la société Dutheil.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 octobre 2021), suivant contrat de promotion immobilière du 28 novembre 2008, la société L'Oréal a confié à la société GSE la construction d'un centre de recherche capillaire.
3. La société GSE a confié à la société Dutheil le lot gros oeuvre.
4. Le 24 juin 2009, la société Dutheil a commandé à la société Soprel, aujourd'hui dénommée Groupe Soprel, la fourniture de dalles alvéolées.
5. Le 16 octobre 2009, la société Dutheil a demandé à la société GSE d'accepter la société Soprel en tant que sous-traitant. Cette demande a été rejetée le 22 octobre suivant.
6. Le 20 janvier 2010, la société Soprel a mis la société Dutheil en demeure de lui payer les sommes dues en vertu du contrat de sous-traitance, avec copie au maître de l'ouvrage visant l'article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Postérieurement, elle a assigné cet entrepreneur et le promoteur en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société GSE fait grief à l'arrêt de la condamner à régler à la société Soprel la somme de 439 772, 52 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 169 327,67 euros à compter du 20 janvier 2010 outre la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2017, alors « que le juge statue sur les dernières conclusions déposées ; qu'en statuant au visa des conclusions de la société GSE signifiées le 10 décembre 2018 bien que cette société ait déposé et signifié, le 26 mai 2021, des conclusions dans lesquelles elle formulait de nouveaux moyens et demandes, la cour d'appel a violé les articles
455 et
954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu
l'article
954, alinéa 4, du code de procédure civile :
8. En vertu de ce texte, le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées.
9. Pour condamner le promoteur à indemniser le sous-traitant, la cour d'appel s'est prononcée au visa des conclusions de la société GSE signifiées le 10 décembre 2018 en exposant le contenu des prétentions émises dans ces écritures.
10. En statuant ainsi
, alors qu'il ressort des productions que la société GSE avait signifié le 26 mai 2021, avant la clôture de l'instruction intervenue le 29 juin 2021, des conclusions contenant des prétentions nouvelles et développant une argumentation complémentaire portant sur l'ignorance du promoteur de l'intervention du sous-traitant, la cour d'appel, qui n'a pas visé ces dernières écritures et qui s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle les a prises en considération, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS
, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société GSE à régler à la société Soprel la somme de 439 772, 52 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 169 327,67 euros à compter de la mise en demeure délivrée le 20 janvier 2010 outre la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2017 date de la demande formée par la société Soprel devant le tribunal, l'arrêt rendu le 13 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Groupe Soprel aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois
MOYENS ANNEXES
au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société GSE
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société GSE fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à régler à la société SOPREL la somme de 439 772, 52 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 169 327,67 euros à compter de la mise en demeure délivrée le 20 janvier 2010 outre la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2017 date de la demande formée par la société SOPREL devant le tribunal de commerce de Paris ;
1) ALORS QUE le juge statue sur les dernières conclusions déposées ; qu'en statuant au visa des conclusions de la société GSE signifiées le 10 décembre 2018 bien que cette société ait déposé et signifié, le 26 mai 2021, des conclusions dans lesquelles elle formulait de nouveaux moyens et demandes, la cour d'appel a violé les articles
455 et
954 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE dans ses dernières conclusions signifiées (p. 28), la société GSE soutenait qu'elle pouvait légitimement ignorer la prétendue qualité de sous-traitant de la société Soprel, dès lors que cette dernière ne s'était pas pliée aux obligations légales qui lui auraient incombé à ce titre (visite d'inspection, fourniture d'un plan de sécurité, participation au CISSCT, notamment) ; qu'en condamnant la société GSE à l'égard de la société Soprel, sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article
455 du code de procédure civile.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
La société GSE fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à régler à la société SOPREL la somme de 439 772, 52 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 169 327,67 euros à compter de la mise en demeure délivrée le 20 janvier 2010 outre la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2017 date de la demande formée par la société SOPREL devant le tribunal de commerce de Paris ;
ALORS QU'en retenant, pour imputer à faute à la société GSE la tardiveté du refus d'agrément opposé à la société Dutheil le 22 octobre 2009, qu'il n'était pas « contesté » ni « remis en cause » que la société GSE avait eu connaissance, dès juin 2009, des conditions de paiement de ce sous-traitant, quand aucune des parties ne soutenait que la société GSE ait eu connaissance des échanges intervenus entre les sociétés Dutheil et Soprel avant le 16 octobre 2009, date à laquelle la société Dutheil avait adressé les conditions de paiement de la société Soprel à la société GSE pour acceptation, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article
4 du code de procédure civile.
TROISIÈME DE CASSATION
La société GSE fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à régler à la société SOPREL la somme de 439 772, 52 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 169 327,67 euros à compter de la mise en demeure délivrée le 20 janvier 2010 outre la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2017 date de la demande formée par la société SOPREL devant le tribunal de commerce de Paris ;
1) ALORS QUE le préjudice résultant de l'impossibilité pour le sous-traitant d'exercer l'action directe contre le maître de l'ouvrage correspond au montant des sommes qui auraient pu être recouvrées par l'exercice de cette action et qui sont limitées au montant de la créance de l'entrepreneur à l'encontre du maître de l'ouvrage ; qu'en condamnant la société GSE à verser, à titre d'indemnité de réparation, le montant de la créance contractuelle de la société Soprel contre l'entrepreneur principal, sans rechercher si le litige opposant le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur sur le montant des sommes réciproquement dues n'aurait pas rendu inefficace cette action directe dont la société Soprel invoquait la perte à titre de préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et de l'article 13 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;
2) ALORS QUE la réparation du préjudice ne doit causer à la victime ni perte ni profit : qu'en condamnant la société GSE à indemniser la société Soprel de la perte d'une somme calculée incluant la taxe sur la valeur ajoutée, cependant que, en sa qualité de professionnelle, la société Soprel était tenue de collecter cette taxe pour la reverser à l'Etat de sorte que sa perte ne constituait pas un préjudice indemnisable, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
3) ALORS QUE l'envoi d'une mise en demeure à l'entrepreneur principal ne constitue pas, à l'égard du maître de l'ouvrage, une sommation de payer de nature à faire courir l'intérêt légal : qu'en faisant courir l'intérêt légal assortissant la condamnation prononcée contre la société GSE à compter du 20 janvier 2010, date de la mise en demeure adressée par la société Soprel à la société Dutheil, la cour d'appel a violé l'article 1153, devenu 1231-6 et
1344, du code civil.