6ème Chambre A
ARRÊT
N°
N° RG 22/01915 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SSY5
Mme [B] [J]
C/
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TJ DE NANTES
Appel contre le jugement rendu le 28 janvier 2021 RG 19/05404- par le TJ de Nantes
Copie exécutoire délivrée
le :
à :Me
Morgane ONGIS
le procureur général
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
Assesseur : Mme Rozenn LAURENT, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Christine NOSLAND, lors des débats, et Mme Léna ETIENNE, lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Laurent Fichot, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 Mai 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe
****
APPELANTE :
Madame [B] [J]
née le 08 Octobre 1956 à [Localité 7] (Maroc)
[Adresse 3]
[Localité 5]
INTERVENANT VOLONTAIRE:
Monsieur [H] [L]
né le 23 Février 1978 à [Localité 8] (Egypte)
[Adresse 2]
EGYPTE
Représentés par Me
Morgane ONGIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
le MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
EXPOSE DU LITIGE
Mme [B] [J], née le 8 octobre 1956 à [Localité 7] (Maroc), de nationalité française, et M. [H] [L], né le 23 février 1978 à [Localité 8] (Egypte), de nationalité égyptienne, ont sollicité la délivrance d'un certificat de capacité à mariage auprès du consulat général de France au [Localité 6] (Egypte), en vue de leur mariage devant être célébré dans cette circonscription consulaire.
Le 15 mai 2019, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes a formé opposition à ce mariage.
Par acte du 24 octobre 2019, Mme [J] a assigné le ministère public devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins d'obtenir la mainlevée de l'opposition à son mariage.
Par jugement du 28 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a débouté Mme [J] de sa demande de mainlevée de l'opposition à son mariage avec M. [L] formée le 15 mai 2019 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes et l'a condamnée aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 21 mars 2022, Mme [J] a interjeté appel de toutes les dispositions de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 avril 2022, Mme [J] demande à la cour la réformation du jugement déféré, et statuant à nouveau, de :
- ordonner la mainlevée de l'opposition au mariage formée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes en date du 15 mai 2019,
- condamner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes aux dépens de la présente instance.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 12 juillet 2022, le ministère public demande à la cour :
- à titre principal, de déclarer l'appel irrecevable,
- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement rendu le 28 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Nantes ayant débouté Mme [J] de la mainlevée de l'opposition à son mariage.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 12 avril 2023, M. [L] demande à la cour de :
- déclarer recevable son intervention volontaire,
- infirmer le jugement dont appel, et statuant à nouveau, ordonner la mainlevée de l'opposition au mariage formée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes en date du 15 mai 2019,
- en tout état de cause, condamner le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes aux dépens de la présente instance.
Par application de l'article
455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 avril 2023.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
- Sur l'intervention volontaire de M. [L]
M. [L] qui n'a pas été appelé à la cause en première instance, a incontestablement un intérêt personnel à faire valoir ses droits dans le cadre de la présente instance : en effet au même titre Mme [J], il lui importe de voir ordonner la mainlevée de l'opposition à son mariage formée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes en date du 15 mai 2019.
Son intervention volontaire sera donc déclarée recevable. Une telle intervention doit être considérée comme étant principale, au sens de l'article
329 du code de procédure civile en ce que M. [L] y élève une prétention qui lui est propre.
- Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministère public
Selon l'article
538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois.
Ce délai court à compter de la signification de la décision.
En l'espèce, le jugement contradictoire entrepris a été signifié à Mme [J] par acte du 18 février 2022 déposé en l'étude de l'huissier de justice.
Le délai dont disposait Mme [J] pour faire appel de cette décision expirait donc le 18 mars 2022, hormis les hypothèses de suspension ou d'interruption non alléguées par l'appelante.
Or, Mme [J] a interjeté appel par déclaration reçue au greffe le 21 mars 2022, soit au delà du délai légal imparti. Son appel est par conséquent irrecevable.
Il est de jurisprudence constante que le sort d'une intervention formée à titre principal n'est pas lié à celui de l'action principale (Civ. 2e, 13 juill. 2006, n° 05-16.579). Aussi, en l'occurrence, l'irrecevabilité de l'appel formé par Mme [J] ne fait pas obstacle à la recevabilité de l'intervention volontaire principale de M. [L].
- Au fond
Aux termes de l'article
171-2 du code civil, 'lorsqu'il est célébré par une autorité étrangère, le mariage d'un Français doit être précédé de la délivrance d'un certificat de capacité à mariage établi après l'accomplissement, auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration du mariage, des prescriptions prévues à l'article 63.'
L'article 171-7 du même code prévoit, relativement à la transcription de l'acte de mariage d'un français célébré à l'étranger par une autorité étrangère que :
'Lorsque le mariage a été célébré en contravention aux dispositions de l'article 171-2, la transcription est précédée de l'audition des époux, ensemble ou séparément, par l'autorité diplomatique ou consulaire. [...]
Lorsque des indices sérieux laissent présumer que le mariage célébré devant l'autorité étrangère encourt la nullité au titre des articles 144, 146, 146-1,147, 161,162,163,180 ou 191, l'autorité diplomatique ou consulaire chargée de transcrire l'acte en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
Le procureur de la République se prononce sur la transcription dans les six mois à compter de sa saisine.
S'il ne s'est pas prononcé à l'échéance de ce délai ou s'il s'oppose à la transcription, les époux peuvent saisir le tribunal de grande instance pour qu'il soit statué sur la transcription du mariage.'
Par ailleurs, l'article
202-1 du code civil précise que, quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article
146 du même code, aux termes duquel il n'y a pas de mariage sans consentement.
Ainsi que l'ont rappelé de façon pertinente les premiers juges, le droit fondamental de se marier est garanti par l'article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Si, pour la mise en 'uvre de ce droit, chaque État reste libre de déterminer les conditions que doivent remplir les futurs époux et si, sous un contrôle judiciaire, opposition peut être faite au mariage affecté d'une cause de nullité, l'ingérence ainsi créée à la liberté individuelle suppose, pour être accueillie, que la preuve de ladite cause de nullité soit clairement établie.
Aussi, et conformément aux dispositions des articles
171-2 et
171-7 du code civil, la mainlevée de l'opposition à mariage sollicitée par les futurs époux sera prononcée s'ils établissent par tous moyens :
* que les indices réunis ayant conduit les autorités consulaires et le ministère public à présumer l'existence d'une cause de nullité possible de leur union n'étaient pas probants,
* ou, par équivalent, que l'union projetée est exempte des causes de nullité suspectées.
S'agissant de faire obstacle à la liberté fondamentale de se marier par un contrôle a priori de la validité de l'union projetée, les indices de nullité possible réunis par le ministère public, lorsqu'il est question de sonder l'authenticité d'un consentement futur, doivent révéler une fraude manifeste aux finalités de l'institution du mariage telles que comprises par notre législation civile interne.
Dans le cas d'espèce, c'est à l'issue d'un examen attentif des pièces produites par le ministère public et d'une motivation détaillée et pertinente que les premiers juges ont considéré que Mme [J] échouait à renverser les indices réunis par le ministère public qui rapportait la preuve d'un projet d'union envisagé à des fins étrangères au mariage au travers des éléments suivants :
- le caractère précipité de la décision de se marier des futurs époux, prise en juin 2018, avant toute rencontre physique et alors qu'ils avaient débuté une relation à distance sur le réseau social facebook trois mois auparavant, en mars 2018,
- l'absence de preuve d'une véritable relation de couple,
- des échanges à distance entre les futurs époux de faible ampleur, de surcroît non traduits, ni datés pour ceux postérieurs à décembre 2018, qui contrastent avec les dires de Mme [J] qui annonçait dans ses écritures des 'contacts permanents'.
Il sera ajouté par la cour l'écart d'âge conséquent qui sépare la future épouse que son futur conjoint (22 ans), cet état de fait venant se rajouter au faisceau d'indices sérieux mis en évidence par le ministère public duquel se déduit le caractère improbable de la sincérité du projet d'union.
Si M. [L] soutient le contraire dans ses conclusions, force est de constater qu'il s'est contenté de verser aux débats une copie de la première page de son passeport, ainsi que des échanges entre les futurs époux rédigés en langue étrangère, non datés, ni traduits, ce qui les rend inexploitables. Il échoue donc à renverser les indices réunis par le ministère public qui rapporte la preuve d'une union dépourvue de toute intention matrimoniale. Il sera donc débouté de sa demande de mainlevée de l'opposition à son mariage formée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes en date du 15 mai 2019. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dépens de la présente procédure exposés seront mis à la charge de Mme [J] et de M. [L] en ce qu'ils succombent à l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort et mis à disposition au greffe,
Déclare l'appel formé par Mme [B] [J] irrecevable ;
Déclare l'intervention volontaire de M. [H] [L] recevable ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [B] [J] et M. [H] [L] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT