Vu la procédure suivante
:
Par une requête enregistrée le 22 août 2023, M. A D, représenté par Me Le Bars, demande au juge des référés sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 22 juin 2023 du préfet de l'Aveyron portant suspension d'exercer toute fonction auprès des mineurs accueillis dans le cadre de l'article L .227-4 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
s'agissant de la condition tenant à l'urgence :
-l'arrêté contesté préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation dès lors que, étant suspendu de toutes fonctions auprès des mineurs depuis le 23 juin 2023 et pour une durée minimale de 6 mois, il est nécessaire d'éviter que cette décision ait produit tous ses effets avant que le juge du fond ait eu le temps de statuer ;
-cette décision a pour effet non seulement de le sanctionner pour des faits dont la matérialité n'est pas établie mais comporte également d'importantes conséquences sur sa situation morale et professionnelle, en risquant de le priver de toutes fonctions rémunératrices, son salaire comportant une partie variable assise sur les heures de formation assurées ;
-en outre, son employeur n'exclut pas la possibilité de devoir rompre son contrat de travail s'il se trouvait dans la situation de ne pouvoir remplir l'intégralité des conditions prévues par le contrat, en particulier l'obligation d'assurer les heures de formation prévues à l'automne 2023, et la perte de son emploi entraînerait un trouble important dans ses conditions d'existence ;
s'agissant de la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :
-l'arrêté querellé est vicié en sa forme, étant daté du 22 juin 2023 alors qu'il a été effectivement signé le 21 juin 2023 ;
-cet arrêté est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il a été rendu sans consultation de la commission départementale compétente en matière de jeunesse et de sport, l'exception liée à l'existence d'une situation d'urgence prévue par les dispositions de l'article
L. 227-10 du code de l'action sociale et de la famille ne pouvant en l'espèce trouver à s'appliquer faute que les conditions soient remplies ;
-la décision de suspension est fondée sur des faits non établis et contestés et est donc entachée d'une erreur de fait ;
-la mesure est disproportionnée et entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Aveyron qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu :
-les autres pièces du dossier ;
-la requête n° 2305072 enregistrée le 21 août 2023 tendant à l'annulation de la décision contestée.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. B pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 4 septembre 2023, en présence de M. Subra de Bieusses, greffier d'audience :
-le rapport de M. B,
-les observations de Me Le Bars, représentant M. D, qui a repris ses écritures, en insistant particulièrement sur le fait que les actions de formation que mène l'intéressé représente les 2/3 de son activité professionnelle au sein de la protection civile,
-et les observations de M. C, représentant le préfet de l'Aveyron, qui a fait valoir que la mesure contestée ne concerne que l'accueil collectif de mineurs et est limitée à 6 mois, n'empêchant pas l'intéressé d'accomplir d'autres actions de formation, qui a observé que ce dernier n'apportait pas de précisions sur les préjudices occasionnés par cette mesure et a notamment ajouté que ladite mesure ne présente pas le caractère d'une sanction mais constitue une simple mesure de police administrative prise à titre conservatoire dans l'attente des conclusions de l'enquête administrative en cours, que l'urgence était justifiée par le fait que des sessions étaient prévues en juin et juillet 2023 et que le délai de notification de la décision, soit une semaine, était un délai raisonnable.
La clôture de l'instruction a été différée au 6 septembre 2023 à 15h00.
Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2023, M. D conclut aux mêmes fins que sa requête.
Il ajoute que :
-la partie variable de sa rémunération, qui correspond actuellement à 6% du chiffre d'affaires généré par les devis acceptés pour les accueils de mineurs, représente en moyenne 1440 euros par mois et constitue une part importante de sa rémunération ;
-la mesure en litige, qui remet en cause son intégrité, a eu des conséquences sur sa situation personnelle et familiale et il est suivi médicalement en tant que victime d'un syndrome post-traumatique ;
-la décision de suspension ayant été notifiée le 23 juin 2023 et aucune autre session de formation n'étant programmée avant le mois de septembre 2023, les formations de fin juin et juillet 2023 étant assurées par un collègue, le préfet avait largement le temps de consulter la commission départementale compétente avant de prendre son arrêté sans faire courir le moindre risque d'atteinte à la santé physique ou morale des mineurs ;
-alors que la session de formation s'est comme toutes les sessions de formation déroulée de manière publique en présence de tous les volontaires et en présence d'autres adultes, aucun signalement n'a été fait par d'autres participants à la formation à l'exception de celui faite par la mineure concernée et le préfet a donc porté une appréciation erronée sur les faits.
La clôture de l'instruction a été différée au 7 septembre 2023 à 15h00.
Considérant ce qui suit
:
1. M. D est formateur bénévole au sein de la protection civile depuis plus de 30 ans. Il est, depuis le 23 août 2021, formateur salarié au sein de l'association protection civile Aveyron dont le siège social est situé à Rodez. Par arrêté du 22 juin 2023, le préfet de l'Aveyron a prononcé la suspension de l'intéressé de l'exercice de toute fonction auprès des mineurs accueillis dans le cadre de l'article
L. 227-4 du code de l'action sociale et des familles, pour une durée limitée à six mois sauf engagement de poursuites judiciaires. Par sa requête, M. D demande au juge des référés, sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision.
2. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".
Sur la condition tenant à l'urgence :
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.
4. Il résulte des éléments versés dans l'instance, ainsi que des échanges tenus lors de l'audience que, à l'issue d'une prestation de formation aux premiers secours qu'a dispensée M. D le 16 juin 2023 à des jeunes volontaires du service national universel (SNU) pour le compte de l'association protection civile Aveyron, prestation qui a été effectuée au sein du centre SNU situé dans le complexe VVF Sud Aveyron à Brusque, une participante mineure, qui s'était portée volontaire pour jouer le rôle de la victime dans un exercice pratique visant à illustrer l'accomplissement des gestes de premiers secours dans une situation dans laquelle une personne, à la suite d'un évènement non traumatique, ne répond pas, ne réagit pas, mais respire, à savoir la mise en position latérale de sécurité (PLS) de cette personne, aurait fait état auprès de l'infirmière du centre d'accueil SNU que l'intéressé aurait commis sur elle des gestes inappropriés à caractère sexuel durant cette session de formation, en ayant, selon les propos de la mineure tels qu'ils ont été rapportés par l'infirmière et reproduits dans les motifs de la décision attaquée, " laissé sa main sur ses cuisses et () touché ses seins et ses fesses ". Ces faits ont fait l'objet le lendemain 17 juin 2023 d'un signalement d'incident grave de la part de l'équipe de direction du séjour de cohésion de la session SNU auprès du service départemental à la jeunesse, à l'engagement et aux sports du département de l'Aveyron et à la saisine de la gendarmerie par le chef de centre du SNU, l'ensemble de ces éléments ayant conduit le préfet de l'Aveyron à prendre la mesure de suspension litigieuse. Pour sa part, M. D, qui n'a pas été entendu dans ses observations avant l'édiction de la décision attaquée dans la mesure où le préfet, estimant constituée la situation d'urgence mentionnée au second alinéa de l'article
L. 227-10 du code de l'action sociale et des familles, a fait usage de ces dispositions pour se dispenser de l'obligation posée au premier alinéa de cet article de consulter préalablement la commission départementale compétente en matière de jeunesse et de sport, conteste formellement les faits qui lui sont reprochés et indique avoir porté plainte contre X auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rodez, cette plainte étant versée au dossier. L'intéressé expose par ailleurs, sans être démenti par l'administration qui n'a produit dans la présente instance aucun mémoire ni aucune pièce, que la session de formation aux gestes de premiers secours est très encadrée, le formateur devant suivre un processus très précis de mises en situation figurant dans le déroulé pédagogique établi par la protection civile au niveau national, et précise que pour placer le " cobaye " en position PLS, il est nécessaire que le formateur le touche afin de pouvoir le placer en position stable sur le côté puis doit sentir, avec le plat de la main, le soulèvement du thorax pour surveiller la respiration de la victime, ajoutant que pour éviter tout désagrément pour le cobaye, il est d'usage au sein de la protection civile Aveyron de réaliser ce geste non au niveau du thorax mais plus bas, au niveau de l'abdomen. Il indique encore que la session de formation s'est comme toutes les sessions de formation déroulée de manière publique en présence de tous les volontaires et en présence d'autres adultes et qu'aucun signalement n'a été fait par les autres participants à la formation, notamment les deux tuteurs encadrants. Il ressort encore des pièces versées dans l'instance, en particulier d'une lettre du 24 juillet 2023, que le vice-président de l'association protection civile Aveyron, en sa qualité de responsable de la formation au sein de cette association, fait part de sa totale incompréhension quant à cette mesure, indiquant que tout au long de sa carrière de bénévole et de salarié, M. D a été amené à former des centaines, voire des milliers de personnes de tout âge, que son travail l'amène aussi à œuvrer avec des services spécialisés et qu'aucune remarque à son sujet n'a jamais été enregistrée, son professionnalisme ayant bien au contraire toujours été souligné. Le dirigeant associatif ajoute que les faits reprochés sont d'une gravité extrême et sont ravageurs pour la personne dans tous les aspects de sa vie, tant professionnelle, personnelle que familiale.
5. Eu égard aux informations ainsi recueillies, à l'absence totale, en l'état de l'instruction, d'éléments objectifs susceptibles d'accréditer l'accusation grave portée à l'encontre de M. D selon laquelle il se serait rendu coupable de gestes inappropriés à caractère sexuel à l'égard d'une jeune fille mineure, ce au surplus alors que les propos de cette dernière apparaissent avoir été indirectement rapportés et que, alors que les faits en cause se sont produits plus de deux mois et demi auparavant, le préfet n'apporte dans l'instance aucune information sur les diligences qu'il a accomplies dans le cadre de l'enquête administrative qu'il affirme avoir mise en œuvre, les conséquences de la décision contestée sur la situation de l'intéressé, notamment professionnelle et financière, mais surtout l'impact de cette décision, qui met expressément en cause son intégrité, sur son état de santé psychique, M. D faisant état d'un suivi médical en tant que victime d'un syndrome post-traumatique, révèlent une situation d'urgence justifiant le prononcé de mesures provisoires en référé, en application de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, aucun intérêt public n'apparaissant pouvoir s'y opposer en l'état de l'instruction.
Sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :
6. Aux termes de l'article
L. 227-10 du code de l'action sociale et des familles : " Après avis de la commission départementale compétente en matière de jeunesse et de sport, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer à l'encontre de toute personne dont la participation à un accueil de mineurs mentionné à l'article
L. 227-4 ou à l'organisation d'un tel accueil présenterait des risques pour la santé et la sécurité physique ou morale des mineurs mentionnés à l'article
L. 227-4, ainsi que de toute personne qui est sous le coup d'une mesure de suspension ou d'interdiction d'exercer prise en application de l'article
L. 212-13 du code du sport, l'interdiction temporaire ou permanente d'exercer une fonction particulière ou quelque fonction que ce soit auprès de ces mineurs, ou d'exploiter des locaux les accueillant ou de participer à l'organisation des accueils. / En cas d'urgence, le représentant de l'Etat dans le département peut, sans consultation de ladite commission, prendre une mesure de suspension d'exercice à l'égard des personnes mentionnées à l'alinéa précédent. Cette mesure est limitée à six mois. Dans le cas où l'intéressé fait l'objet de poursuites pénales, la mesure de suspension s'applique jusqu'à l'intervention d'une décision définitive rendue par la juridiction compétente. ".
7. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, les faits reprochés à M. D auraient été commis le 16 juin 2023. L'intéressé verse dans l'instance des pièces de nature à confirmer son allégation selon laquelle il n'était pas prévu qu'il assure une nouvelle session de formation avant le mois de septembre 2023. L'urgence à prendre une mesure de suspension sur le fondement du second alinéa de de l'article
L. 227-10 du code de l'action sociale et des familles précité n'apparaît ainsi pas caractérisée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il a été rendu sans consultation de la commission départementale compétente en matière de jeunesse et de sport est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.
8. Les deux conditions auxquelles l'article
L. 521-1 du code de justice administrative subordonne la suspension de l'exécution d'une décision administrative étant réunies, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 juin 2023 du préfet de l'Aveyron.
Sur les frais liés au litige :
9. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. D et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 22 juin 2023 du préfet de l'Aveyron est suspendue, au plus tard jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Article 2 : L'Etat versera à M. D une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A D et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Une copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.
Fait à Toulouse, le 8 septembre 2023.
Le juge des référés,
B. B
La greffière,
F. SUBRA DE BIEUSSES
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
la greffière en chef,
ou par délégation, la greffière,