CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
SIR GORDON SLYNN,
PRÉSENTÉES LE 8 FÉVRIER 1983 (
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Introduction
a) La décision
Dans ces quatre affaires, qui ont été jointes par ordonnance du 10 juillet 1981, les requérantes demandent à la Cour d'annuler, totalement ou partiellement, la décision de la Commission 80/256/CEE du 14 décembre 1979JO L 60, 1980, p. 21, ci-après dénommée «la décision») ou du moins de réduire les amendes infligées par elle. Dans la décision, la Commission a constaté que deux pratiques concertées contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE avaient été établies. La première serait une pratique entre la requérante dans la première affaire, Musique Diffusion française à Vélizy-Villacoublay (ci-après «MDF»), la requérante dans la deuxième affaire, C. Melchers & Co. à Brème (ci-après «Melchers») et la requérante dans la troisième affaire, Pioneer Electronic (Europe) NV à Anvers (ci-après «Pioneer»), ayant consisté à entraver, de la fin de 1975 jusqu'en février 1976, les importations de matériel Pioneer de la république fédérale d'Allemagne vers la France. La deuxième pratique concertée aurait eu lieu entre MDF, Pioneer et la requérante dans la quatrième affaire, Pioneer High Fidelity (GB) Ltd (ci-après «Pioneer GB»), dénommée anciennement Shriro (UK) Ltd à Iver, Buckinghamshire (ci-après «Shriro»), ayant consisté à entraver, de la fin de 1975 jusqu'à la fin de 1977, les importations du Royaume-Uni vers la France. Par la décision, la Commission a infligé à MDF une amende de 850000 UCE (ou 4942597 FF), à Pioneer une amende de 4350000 UCE (ou 175476825 BFR), à Melchers une amende de 1450000 UCE (ou 3596667 DM) et à Pioneer GB une amende de 300000 UCE (ou 194925 UKL), et elle a enjoint aux requérantes de mettre fin immédiatement aux pratiques concertées «ainsi qu'à toute mesure ayant pour objet ou pour effet de cloisonner les marchés nationaux dans la Communauté économique européenne».
b) Les requérantes
La décision déclare que Pioneer est une filiale de Pioneer Electronic Corporation à Tokyo, un des principaux producteurs mondiaux de matériel électroacoustique de reproduction de sons de haute fidélité (ci-après «hifi»), et qu'elle importe la plupart des produits de cette société qui sont vendus en Europe. A l'époque des faits, Pioneer avait des distributeurs exclusifs indépendants dans sept États membres, notamment en république fédérale d'Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Melchers était le distributeur exclusif pour l'Allemagne, nommé par un accord daté du 18 juillet 1967 et qui, contrairement à un accord antérieur entre Melchers et Pioneer, témoignait d'une certaine intention de satisfaire aux principes énoncés dans le règlement de la Commission n° 67/67 du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'exclusivité (JO du 25. 3. 1967, p. 849). Avec effet au 1er janvier 1978, une nouvelle société a été créée en vue de la distribution des produits Pioneer, dont 40 % du capital étaient détenus par Pioneer et 60 % par Melchers. MDF opérait comme distributeur exclusif de Pioneer en France, mais aucun accord écrit n'a été conclu entre ces deux parties. Shriro a été désigné comme représentant exclusif de Pioneer pour le Royaume-Uni par une lettre datée du 10 septembre 1969. Pioneer a envoyé à Shriro deux projets d'un accord de distribution exclusive, en septembre 1969 et en août 1976. Ces projets contenaient des clauses destinées apparemment à restreindre les ventes de matériel Pioneer par Shriro à des acheteurs établis dans d'autres États, mais Shriro n'a signé aucun d'eux. En décembre 1978, tout le capital social de Shriro a été acquis par Pioneer et la société anglaise a changé sa dénomination en Pioneer GB.
Dans sa communication des griefs initiale, la Commission avait évalué la part de marché représentée par les produits Pioneer en Frane et au Royaume-Uni à respectivement 7 à 10 % et 8 à 9 %, et en Allemagne à un chiffre moindre. MDF et Shriro ont évalué leur part à environ la moitié de l'estimation de la Commission. Tout en reconnaissant qu'il n'était pas aisé de définir le marché hifi avec précision, la Commission a déclaré dans sa décision que la part était peut-être plus élevée que son estimation originale pour la France et le Royaume-Uni (respectivement 11,5 % et 10,5 %), mais elle a pris comme base que cette part n'était pas inférieure à l'estimation originale pour ces deux pays et qu'elle était de 2 % pour l'Allemagne.
c) La première pratique concertée alléguée
Pour conclure à l'existence d'une pratique concertée entre MDF, Melchers et Pioneer, la Commission s'est basée sur les constatations de fait suivantes. Si des ajustements sont opérés pour certains rabais, le coût des produits Pioneer pour chacun des trois distributeurs était substantiellement le même. Chacun était libre de fixer ses propres prix de vente, bien que Pioneer se soit «beaucoup intéressée» aux conditions et à l'évolution des marchés nationaux, notamment aux prix de gros et aux prix de détail. Les prix comptés par MDF pour la vente de matériel hifi Pioneer au commerce de détail étaient nettement supérieurs, fin 1975, à ceux appliqués par Melchers et Shriro. Ces différences de prix rendaient l'importation parallèle intéressante. Elles ont été expliquées, en partie, par la politique de MDF consistant à fournir un service exceptionnel, comprenant entre autres un contrôle préalable de la qualité du matériel, une garantie de cinq ans et l'édition d'un «livre bleu» technique. Le président de MDF, M. Setton, a déclaré que lorsque les importations parallèles de matériel Pioneer en France ont commencé, il a baissé ses prix de détail, en cessant de donner une garantie et d'effectuer un contrôle complet de qualité. Dans le courant de 1976, des modifications des taux de change ont rendu les prix allemands moins intéressants pour les acheteurs français, mais les prix au Royaume-Uni sont restés avantageux.
La source de certaines des importations parallèles était une entreprise dénommée «Connexion», créée en 1975 par M. B. Iffli, propriétaire d'une entreprise de vente de matériel électrique avec rabais située à Metz, et ses associés, en vue d'effectuer des achats groupés de matériel hifi. La plupart des achats du groupe Connexion ont été effectués auprès de distributeurs exclusifs en France, mais une partie considérable étaient des importations parallèles réalisées par l'intermédiaire d'une société spécialement créée à cet effet, Megaservice. En novembre 1975, trois des membres du groupe Connexion, notamment M. Iffli, ont été à même d'offrir des rabais se situant entre 26 et 31 % par rapport aux prix de détail normaux pour des appareils Pioneer, grâce à leurs importations parallèles en provenance de fournisseurs établis dans d'autres États membres, notamment d'Euro-Electro SPRL à Bruxelles (ci-après «Euro-Electro»).
En novembre 1975 ou vers cette date, M. Iffli a cherché à obtenir du matériel Pioneer et d'autres appareils hifi de Willi Jung KG à Saarbrücken (ci-après «Jung»), une société qui venait d'être rachetée par Otto Gruoner KG à Rommelshausen (ci-après «Gruoner»), un grossiste auquel Melchers n'avait pas vendu précédemment de matériel Pioneer. Le 12 décembre 1975, M. Iffli s'est entretenu de la question à Rommelshausen avec M. Weber, un directeur de Jung, et avec le chef du service des achats de Gruoner, M. Schreiber. Gruoner a obtenu une liste de prix pour du matériel Pioneer du représentant de Melchers à Karlsruhe, M. Full, et il a transmis ces prix à M. Iffli, qui a alors passé à Jung, les 12 et 14 janvier 1976, deux commandes de matériel Pioneer pour une valeur de 950000 DM, à des prix «sensiblement inférieurs» à ceux offerts par MDF à la fin de 1975 et «nettement moins élevés» que les prix de MDF après les baisses de janvier 1976. Jung a transmis la commande à Gruoner. M. Schreiber a réduit la commande à 550000 DM, pensant que la nature et l'ampleur de celle-ci donneraient l'impression que le matériel était destiné à la France, puis il a transmis la commande à Melchers, où elle est arrivée le 20 janvier 1976. M. Iffli a obtenu une licence française pour l'importation de matériel Pioneer d'Allemagne le 22 janvier. Pioneer l'a appris et en a parlé à Melchers.
Entre le 20 et le 23 janvier 1976, Melchers a vérifié ses stocks, a obtenu une assurance — crédit commercial pour couvrir la commande de Gruoner à concurrence de 200000 DM, et a confirmé la commande de Gruoner par télex, en donnant à Gruoner le nom d'un commissionnaire de transport.
Toutefois, les 19 et 20 janvier, Pioneer a convoqué une réunion de distributeurs européens de ses produits à Anvers. Cette réunion s'est tenue sous la présidence de M. Ito, directeur général de Pioneer. Parmi les personnes présentes figuraient MM. Setton, Todd (un directeur de Shriro) et Mackenthun (le chef du département hifi de Melchers). Pioneer avait transmis préalablement à Melchers la plainte de M. Setton disant que des importations parallèles désorganisaient le marché français. M. Seaon a répété cette plainte à la réunion. Le 27 janvier 1976, Melchers a envoyé un télex à M. Schreiber, lui demandant de contacter M. Full. Au lieu de cela, il a téléphoné au directeur des ventes de Melchers, M. von Bonin, qui lui a signalé que Melchers avait été informée de la licence d'importation par Pioneer à Anvers et qu'elle refusait le livrer à Jung à moins de recevoir des assurances que le matériel ne serait pas exporté. Le 28 janvier, M. Schreiber a envoyé un télex en ce sens à M. Weber, qui a transmis l'information à M. Iffli par lettre datée du 29 janvier 1976. Un des associés de M. Iffli, qui était un cofondateur de Connexion, M. Debard, a déclaré que fin janvier 1976, M. Couadou, le directeur des ventes de MDF, lui avait dit: «Vous n'aurez pas la marchandise».
M. Iffli s'est plaint à la fois auprès de Jung, en menaçant d'intenter une action judiciaire, et auprès de Gruoner, en prétendant entre autres que des produits Pioneer portant des marques de Melchers et importés par l'intermédiaire d'un grossiste belge étaient disponibles sur le marché français. (Certains autres appareils achetés chez Meļehers ont également été exportés en France par EVB, une société de Stuttgart, spécialisée en matière d'exportation. Ces exportations ont eu lieu bien que M. Full ait exigé de EVB qu'elle confirme par télex à Melchers que le matériel n'était pas destiné à être revendu dans la CEE.) Ces. accusations ont été répétées lors d'une réunion qui s'est tenue à Rommelshausen (le 17 février, a-ton dit, mais en fait le 11 février 1976) à l'initiative de M. Schreiber et à laquelle ont assisté MM. von Bonin, Full et Mackenthun. La réponse donnée par Melchers à cette accusation à la réunion, et répétée dans un télex à M. Weber du 18 février 1976, a consisté à nier qu'elle exportait elle-même et à dire que «toute activité pareille était expressément interdite par les accords conclus entre le siège de Pioneer à Anvers et les distributeurs nationaux... Melchers compromettrait sa situation si elle ne contrôlait pas les canaux de distribution pour le matériel Pioneer de façon à éviter d'importantes livraisons d'un pays à un autre». M. Iffli n'a jamais reçu les marchandises qu'il avait commandées. Plus tard, Melchers a passé un accord à long terme avec Gruoner, qui est devenu le principal client individuel de Melchers.
d) La deuxième pratique concertée alléguée
Pour conclure à l'existence d'une pratique concertée entre MDF, Pioneer et Shriro, la Commission s'est basée sur les constatations de fait suivantes. Début décembre 1975, une commande urgente de 50 platines Pioneer a été passée par une entreprise française, l'Office pour le développement de l'acoustique appliquée Sàrl, à Rungis (ci-après «ODA») auprès de Cornet Radiovision Services Ltd, à Hull (ci-après «Cornet»), qui est la principale chaîne de magasins de vente au rabais et de magasins de détail à bon marché vendant des appareils hifi. Bien que le directeur des exportations de Cornet ne connût pas ODA, il a expédié les marchandises par avion. A peu près au même moment, ODA a passé une autre commande urgente de 10 platines Pioneer, mais auprès du groupe Audiotronic (ci-après «Audiotronic») au Royaume-Uni, qui a pareillement envoyé ces platines par avion. En fait, 95 % du capital d'ODA sont détenus par MDF et le reste par son président M. Setton. ODA a passé les commandes à titre d'achats tests, pour prouver l'existence d'importations parallèles. M. Setton, qui a déclaré être «résolument opposé» aux importations parallèles, - a apporté à la réunion d'Anvers des 19 et 20 janvier 1976 une preuve de la livraison des platines à partir de l'Angleterre et il a montré cette preuve au représentant de Pioneer et à M. Todd, un directeur de Shriro. M. Todd a déclaré aux inspecteurs de la Commission que lui-même et M. Setton étaient «convenus» que M. Todd s'efforcerait d'amener ses clients britanniques à s'abstenir d'exporter du matériel Pioneer. La Commission a constaté que cela avait été convenu à la réunion d'Anvers.
Le 28 janvier 1976, M. Todd a écrit à M. D. Smith, qui était alors le directeur général d'Audiotronic, qu'il avait «été convoqué récemment au bureau de Pioneer à Anvers afin de discuter des doléances du distributeur français au sujet de la pénétration en France de matériel Pioneer provenant du Royaume-Uni». Il déclarait avoir nié cette allégation dans le passé, mais avoir été confronté dans le cas d'espèce à une preuve. Il ajoutait «ne pas ignorer les dispositions de la Communauté économique européenne relatives aux importations parallèles», mais déplorer qu'Audiotronic l'ait placé «dans une situation assez- désagréable». M. Smith a répondu dans les termes suivants le 2 février 1976: «Je n'ai aucune preuve que nous ayons jamais exporté d'importantes quantités de matériel Pioneer ... Néanmoins, je demanderai qu'il soit mis fin à cette pratique.»
Le 29 janvier 1976, M. Todd a écrit à M. J. Hollingberry, le président de Cornet, en déclarant de nouveau qu'il avait été convoqué à Anvers pour discuter des plaintes adressées par MDF à Pioneer, concernant l'importation de matériel Pioneer en France à partir du Royaume-Uni. Il déclarait avoir «eu l'herbe coupée sous le pied» lorsqu'il fut mis en présence de la preuve de la livraison de platines par Cornet à ODA. M. Todd ajoutait: «Je n'ignore pas les règles de la Communauté économique européenne concernant les exportations parallèles, mais je vous dirai en toute franchise que j'accorde parfois plus d'importance à ce qui est juste qu'à la loi elle-même ... Peut-être puis-je faire appel à vous pour éviter d'aboutir à une situation de concurrence impitoyable.» M. Hollingberry a répondu le 30 janvier 1976 pour «confirmer par. écrit que mon entreprise n'exportera pas délibérément des produits Pioneer à des clients commerciaux en dehors du Royaume-Uni». M. Todd a déclaré avoir écrit ces lettres dans l'espoir que l'ennuyeux M. Setton le «laisserait en paix».
La Commission a estimé qu'il avait été établi, lors des visites de ses inspecteurs chez Cornet et chez son principal client pour l'exportation, Euro-Electro, que les exportations de matériel Pioneer par Cornet en quantités commerciales, qui avaient été importantes au cours de la période comprise entre le 19 décembre 1975 et le 16 janvier 1976, avaient cessé par suite de l'intervention de Shriro. De plus, elle prétend que, d'après une déclaration d'Audiotronic, Shriro lui a fait des difficultés pour les exportations et qu'elle aurait pu réaliser beaucoup plus d'affaires si elle avait été libre d'exporter: en mars 1976, Audiotronic a reçu des commandes pour une valeur de plus de 150000 UKL, mais elle n'a pu les exécuter que pour un montant de 55000 UKL.
La Commission a considéré que les deux pratiques concertées établies étaient suffisamment importantes pour être en principe susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres. Leur but et leur effet étaient d'empêcher des exportations en France, afin de protéger les prix élevés pratiqués sur ce marché.
e) La plainte
Les requérantes contestent la décision en faisant valoir à la fois des moyens d'ordre procédural et des moyens de fond, et elles prétendent, à titre subsidiaire, que les amendes imposées par la Commission sont excessives et doivent être réduites.
Points de procédure
a) Griefs généraux de caractère procédural
Comme premier grief de caractère procédural, MDF a fait valoir que dans le contexte de l'adoption de la décision, la Commission avait assumé à la fois les fonctions d'accusateur et de juge en violation de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme. Ce moyen n'est pas limité à la manière dont cette affaire particulière a été traitée : il y aussi l'affirmation, plus générale, selon laquelle les Communautés ont enfreint la convention par le système même qu'elles ont établi pour enquêter sur de prétendues violations des articles 85 et 86 du traité et pour statuer à ce sujet. Les droits fondamentaux énoncés dans cette convention sont reconnus depuis longtemps comme faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, qui doivent indubitablement être respectés, mutatis mutandis, dans les affaires de concurrence comme dans les autres: voir affaire 4/73, Nold/Commission (Recueil 1974, p. 491, 508) et affaire 136/79, National Panasonic (UK) Ltd/Commission (Recueil 1980, p. 2033, 2057). Il n'en découle toutefois pas que les fonctions de la Commission, lorsqu'elle enquête sur de telles allégations dans des affaires de concurrence en vertu du règlement du Conseil n° 17 du 6 février 1962 (JO du 21. 2. 1962, p. 204) soient soumises aux dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne. La procédure devant la Commission dans de telles affaires n'est pas judiciaire mais administrative: affaire 45/69, Boehringer-Mannheim/Commission (Recueil 1970, p. 769, 802). Lorsqu'elle s'acquitte de ses fonctions dans de telles affaires, la Commission ne doit pas être considérée comme un tribunal au sens de l'article 6 de la convention européenne: affaires jointes 209 à 215 et 218/78, Van Landewyck/Commission («Fedetab») (Recueil 1980, p. 3125, 3248). Cela ne signifie pas que la Commission est exemptée de l'obligation de se comporter loyalement; cela signifie que manque de substance l'argument selon lequel la procédure dans de telles affaires ne satisfait pas à l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne.
Ensuite MDF a prétendu que la décision avait été discutée par le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes et que l'avis de ce comité ne lui avait pas été communiqué. MDF y voit une violation des droits de la défense. Pioneer s'est plainte également du refus de la Commission de lui communiquer l'avis du comité consultatif, en prétendant (entre autres) que l'interdiction de rendre de tels avis publics, énoncée à l'article 10, paragraphe 6, du règlement n° 17, ne faisait pas obstacle à leur communication aux entreprises qui ont un intérêt légitime à en obtenir connaissance. La politique de l'article 10, paragraphe 6, a été critiquée par des auteurs fort connus, dans des articles qui ont été cités par MDF et Pioneer, mais cette critique ne signifie pas que toute procédure arrêtée conformément à l'article 10, paragraphe 6, soit juridiquement nulle. En effet, la critique s'avère partiellement reposer sur la prémisse que l'interdiction de rendre les avis publics signifie qu'ils ne doivent pas être communiqués non plus aux parties intéressées.
Le rôle du comité est essentiellement consultatif et la Commission ne peut pas, selon nous, se baser dans la décision, sur des indices qui lui ont été fournis par le comité et sur lesquels les parties n'ont pas eu l'occasion de se prononcer. Il peut se produire des circonstances dans lesquelles une procédure loyale exige que les parties soient invitées à se prononcer sur des indices émanant du comité, mais cela ne signifie pas que le rapport lui-même doive être communiqué. Dans la présente affaire, la décision n'est pas basée, d'après ses termes, pour aucun de ses aspects, sur des informations fournies par le comité consultatif ou sur des assertions de sa part, et aucun indice n'a été produit qui montrerait qu'il en a été ainsi.
Aucune décision de cette Cour n'a été citée qui supporterait la proposition avancée par MDF. En particulier, celle-ci n'est pas étayée par l'affaire 85/76, Hoffmann-La Roche/Commission (Recueil 1979, p. 461, 511 et 512), où la Cour a traité de l'obligation de la Commission, en vertu de l'article 20 du règlement n° 17, de respecter le caractère confidentiel de renseignements fournis à la Commission et où elle n'a pas fait allusion à l'article 10, qui établit une méthode de liaison entre la Commission et les autorités des États membres.
Au contraire, dans l'affaire Fedetab (p. 3291), M. l'avocat général Reischl a déclaré que «conformément à l'article 10 du règlement n° 17, l'avis du comité consultatif... n'est destiné qu'à la Commission et non pas aux intéressés. En conséquence, à moins d'avancer des indices pertinents, il n'est pas non plus possible d'exiger qu'il soit communiqué dans la procédure contentieuse au seul motif que la Cour de justice n'est en mesure de contrôler s'il a été régulièrement fait appel au comité consultatif qu'à cette condition».
L'interdiction formulée à l'article 10, paragraphe 6: «Il n'est pas rendu public» signifie, selon nous, que l'avis ne doit pas être communiqué comme tel. Nous ne pensons pas, dans le contexte du règlement n° 17, que l'interdiction de rendre l'avis public soit limitée à sa communication à quiconque, sauf aux parties à la procédure devant la Commission. Quel que soit le point de vue qu'on défende en ce qui concerne la politique de l'article 10, paragraphe 6, il ne semble pas possible de maintenir que l'absence de communication du rapport aux parties dans cette affaire a constitué, de la part de la Commission, une violation de forme substantielle.
b) Griefs basés sur de prétendues absences de communication de renseignements
Toutes les requérantes se plaignent du comportement de la Commission ayant consisté à retenir par-devers elle des éléments matériels, que les. requérantes considéraient comme étant d'importance vitale pour leur défense, jusqu'après la date de la décision ou même jusqu'à un stade avancé de la procédure devant cette Cour. Elles prétendent que ce comportement constitue une violation de forme substantielle, qui vicie la décision, soit au regard des droits suprêmes de la défense, soit par référence à l'article 4 du règlement de la Commission n° 99/63, qui prévoit que dans ses décisions la Commission ne retient contre les entreprises que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue. Elles se sont aussi référées à l'article 190 du traité CEE, qui exige d'indiquer les motifs sur lesquels une décision est basée.
Les obligations de la Commission en ce qui concerne les droits de la défense ont été évoquées dans les affaires Boehringer-Mannheim (p. 795) Hoffmann-La Roche, p. 512) et Fedetab (p. 3237). La Commission doit exposer clairement, mais sommairement, dans la communication des griefs, les faits essentiels sur lesquels elle se base et, au cours de la procédure administrative, elle doit fournir «les éléments nécessaires à la défense». A ces conditions, la Cour a ajouté la qualification suivante dans l'affaire Hoffmann-La Roche (p. 513): «si, au cours de la procédure devant la Cour, il a été remédié effectivement à des irrégularités ..., celles-ci n'entraînent pas nécessairement l'annulation de la décision attaquée pour autant que les droits de la défense ne se trouvent pas affectés par cette régularisation tardive». C'est sur le fondement de ces critères que les plaintes des requérantes doivent être jugées.
(i) Les tableaux annexés au mémoire en défense
MDF et Pioneer se plaignent de ce que la Commission a exposé, dans différents tableaux annexés au mémoire en défense, des allégations ou des informations concernant des différences entre les prix de matériel Pioneer en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, qui auraient normalement dû être indiquées dans la communication des griefs ou en tout cas avant la décision. Tant MDF que Pioneer ajoutent que certains des tableaux annexés au mémoire en défense étaient matériellement différents d'un tableau qui leur a été transmis en même temps que la communication des griefs, et inconciliables avec lui, et que les chiffres sur lesquels la Commission s'est basée sont en toute hypothèse soit erronés, soit «fondamentalement défectueux», ou ont été utilisés pour arriver à des conclusions injustifiées. Les premiers comprenaient: a) des tableaux comparant les prix comptés par MDF, Shriro et Melchers pour la vente au commerce de détail de divers modèles Pioneer à l'époque des faits, et les marges bénéficiaires brutes de ces sociétés dans ce commerce; b) des tableaux comparant les prix auxquels Melchers a prétendument offert du matériel Pioneer à Gruoner avec les prix prétendument offerts par Gruoner à Iffli et des listes de prix de MDF, et c) des tableaux comparant les prix de détail pour des produits Pioneer au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. A cela s'ajoutait, dans le cas de MDF, un extrait d'une publication française, Audio Magazine, datant de février 1976 et donnant des chiffres relatifs au volume de l'industrie hifi française.
Les conclusions que la Commission a cherché à tirer des tableaux annexés au mémoire en défense ont été décrites, dans des termes généraux, dans la communication des griefs, particulièrement aux paragraphes I.B.3, I.D.l et II.A.3, où la Commission a affirmé que les prix payés par MDF, Melchers et Pioneer GB pour l'achat de matériel Pioneer étaient sensiblement les mêmes, que les prix de MDF pour du matériel Pioneer étaient relativement plus élevés à l'époque des faits que ceux comptés par Melchers et Shriro, et que la liste de prix Pioneer envoyée par Gruoner à Iffli en décembre 1975 avait été considérée comme intéressante par Iffli (qui offrait déjà en vente divers articles Pioneer à des prix nettement inférieurs aux prix de détail normaux, à la suite d'importations parallèles). C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter que la Commission ait.manqué d'exposer succinctement, dans la communication des griefs, les faits essentiels sur lesquels elle s'est basée. Elle n'était pas obligée, à ce stade, d'exposer en détail tous les éléments matériels qu'elle a fournis plus tard dans les tableaux.
La part en pourcentage de MDF dans le chiffre d'affaires total de matériel hifi en France, estimée par la Commission, a été contestée dans la requête sur la base de deux études appelées l'étude BREF et l'étude SIERE, qui fixaient le chiffre d'affaires total à un chiffre supérieur à celui considéré par la Commission et qui conduisaient par conséquent à une part en pourcentage de MDF inférieure. L'extrait a'Audio Magazine citait, pour le chiffre d'affaires du marché hifi français en 1975, un chiffre qui étayait celui retenu par la Commission aux fins du calcul de la part de marché de Pioneer en France, en vue de déterminer si une pratique concertée à laquelle MDF aurait participé était susceptible d'affecter le commerce entre États membres autrement que d'une manière insignifiante. L'extrait a été produit par la Commission dans son mémoire en défense, pour répondre à l'allégation basée sur le rapport BREF.
Toutefois, au paragraphe I.A.l de la communication des griefs, la Commission donne une estimation de la part du marché français détenue par Pioneer, et au paragraphe ILA.4, elle répète que Pioneer occupait une forte position sur le marché du matériel hifi de haute qualité et que les prix élevés pratiqués en France constituaient une incitation considérable aux importations parallèles. Ainsi donc, de nouveau, les faits essentiels sur lesquels la Commission s'est basée sont exposés dans la communication des griefs.
L'argument avancé au nom de MDF et de Pioneer a consisté à dire qu'elles avaient été surprises par la manière dont les chiffres étaient présentés, les tableaux étant trompeurs et ne comparant pas des choses comparables. Toutefois, les chiffres n'ont pas été produits pour étayer les affirmations originales de la Commission, mais pour réfuter les arguments spécifiques avancés par MDF et Pioneer dans leurs requêtes.
Il existe clairement, dans cette affaire, une grande zone de désaccord à propos de ce qui devrait être considéré comme constituant le marché hifi, à propos de la part de ce marché détenue par Pioneer, à propos de la part nationale du distributeur individuel particulier, à propos de la différence entre les prix de MDF et les prix des autres distributeurs à diverses époques, à propos du chiffre d'affaires en matériel Pioneer et en autres produits des distributeurs, à propos de leurs bénéfices totaux, à propos du pourcentage exact que les amendes représentent par rapport au chiffre d'affaires. Des chiffres et des arguments ont été avancés par les requérantes, non seulement dans la requête et dans la réplique, mais aussi dans ce que nous pensons pouvoir être appelé une «contre-duplique» contenant des moyens nouveaux, afin de traiter de ces points de fait. Pour répondre à ces arguments spécifiques, la Commission a produit des éléments matériels, sur lesquels les requérantes ont eu l'occasion de présenter des observations, occasion qu'elles ont pleinement saisie.
Le fait que la Commission a agi comme elle l'a fait ne vicie, à notre avis, ni la procédure initiale ni la décision initiale. La question essentielle est de savoir si elle était en droit de conclure à l'existence des deux pratiques concertées ayant un effet sensible sur le commerce, et d'affirmer que la part du marché et le chiffre d'affaires justifiaient les amendes infligées.
(ii) Le rapport Mackintosh
MDF et Pioneer GB se sont plaintes de ce que, pour analyser la part de marché représentée par le matériel Pioneer en 1976, la Commission s'est basée sur le rapport datant de septembre 1979, rédigé par Mackintosh Consultants Co (dénommé ci-après «le rapport Mackintosh») et qui n'a été communiqué à ces requérantes qu'après la date de la décision.
Au paragraphe I.A.l de la communication des griefs, la Commission a exposé son estimation de la part du marché hifi détenue par Pioneer en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. L'importance de cette part estimative a été soulignée au paragraphe II.A.4 de la communication des griefs, où la Commission a maintenu qu'une pratique concertée relative au matériel Pioneer était susceptible d'affecter le commerce entre États membres, en basant cette déduction sur la constatation que Pioneer occupait une forte position sur le marché du matériel hifi.
Dans sa réponse écrite datée du 27 octobre 1978, Shriro a fait valoir que la Commission avait exagéré l'importance du marché Pioneer au Royaume-Uni, en ce qu'elle avait adopté une définition incorrecte et trompeuse du marché hifi. En basant son calcul sur sa propre définition du marché, Shriro a conclu que ses ventes de matériel Pioneer représentaient moins de la moitié du chiffre cité dans la communication des griefs. Shriro a développé cet argument à l'audience du 21 novembre 1978, lorsqu'elle a prétendu que la Commission n'avait pas donné de chiffres globaux pour le marché hifi au Royaume-Uni. Shriro a produit trois sources de statistiques à ce sujet: un rapport de «The Economist Intelligence Unit» daté du mois d'août 1975, un rapport de «Mintel Market Intelligence» daté de mars 1976 et un extrait du «Mackintosh Yearbook» de 1978.
C'est en réponse à ces arguments que la Commission a prié Mackintosh Consultants Limited de produire un rapport donnant (entre autres) des chiffres globaux pour le marché du matériel hifi dans certains pays européens, notamment au Royaume-Uni, au cours des années 1976 à 1979. La Commission a trouvé dans les chiffres produits par cette société une confirmation du fait que son estimation de la part du marché de Pioneer dans la communication des griefs n'était pas excessive. Le rapport Mackintosh aurait même étayé un chiffre supérieur, à savoir 11,5 °/o pour la France et 10,5 °/o pour le Royaume-Uni. La Commission n'a pas invité les parties à prendre position sur le rapport Mackintosh, mais elle a déclaré dans la décision (au paragraphe 25.3) qu'elle était disposée à maintenir ses affirmations faites dans la communication des griefs. En réalité, la Commission a révélé une partie du rapport Mackintosh le 6 mars 1980, et le reste les 26 et 27 janvier 1982.
Il nous semble que la communication des griefs contenait un résumé des faits essentiels prétendument démontrés dans le rapport Mackintosh. Aucune critique ne peut être adressée à la Commission pour avoir prié Mackintosh Consultants Limited, après l'audience, de produire, à la lumière des arguments avancés par Shriro, un rapport destiné à montrer si l'estimation initiale de la Commission était erronée. La question est de savoir si elle aurait alors dû donner aux parties l'occasion de se prononcer sur le rapport, avant d'adopter la décision.
A notre avis, la Commission aurait dû agir ainsi dans l'intérêt d'une bonne administration. Néanmoins, nous ne pensons pas que le fait de ne pas avoir agi de la sorte dans cette affaire constitue une irrégularité procédurale, devant entraîner l'annulation de la décision.
Premièrement, la décision n'était pas basée sur les chiffres donnés dans le rapport Mackintosh, mais sur ceux cités dans la communication des griefs (qui étaient plus favorables à MDF et à Pioneer). Lorsqu'elle a adopté la décision, la Commission disposait des observations de MDF et de Pioneer sur les statistiques données dans la communication des griefs, ainsi que des estimations de leurs parts de marché par ces sociétés mêmes. Nous ne pensons pas qu'il existât un quelconque nouvel élément substantiel que les parties auraient pu avancer ou qu'elles n'ont pas eu la possibilité dé faire valoir.
Deuxièmement, bien qu'elles soient nettement inférieures à celles de la Commission, les propres estimations de leurs parts de marché par MDF et Pioneer GB sont telles qu'elles montrent que chacune de ces sociétés détenait en tout cas une part plus que négligeable. Dans l'affaire 5/69, Völk/Vervaecke (Recueil 1969, p. 295, 302), la Cour a jugé qu'un accord échappe à la prohibition de l'article 85 lorsqu'il n'affecte le marché du produit en cause que d'une manière insignifiante, mais dans cette affaire les parts de marché de la firme en question s'élevaient à seulement 0,5 % et 0,2 % dans les deux États membres concernés. Même si on tient compte de tous les facteurs avancés par MDF dans les mémoires pour montrer son pourcentage de ce qui était prétendument le marché exact, ces chiffres s'écartent fortement de ceux allégués par MDF. En effet, dans leurs requêtes initiales à la Cour, MDF et Pioneer GB ont maintenu que pour l'année la plus importante (1976), elles détenaient respectivement, sur la base du rapport BREF, des parts d'environ 4,6 % et 3,6 %, chiffres qui ont été corrigés par la suite pour les situer respectivement à environ 3,4 % et 3,2 %. Ils sont inférieurs au chiffre de 5 % qui est cité dans sa communication de la Commission sur les accords d'importance mineure du 27 mai 1970 (JO C 64, 1970, p. 1, révisé le 19. 12. 1977, JO C 313, 1977, p. 3), mais pour les raisons indiquées par M. l'avocat général Warner dans l'affaire 19/77, Miller/Commission (Recueil 1978, p. 131, 158 et 159), les pourcentages cités dans cette communication ne lient aucunement la Cour et ils doivent en tout cas être pris en considération en même temps que la production ou le chiffre d'affaires des entreprises en termes absolus. Si l'on tient compte de ces facteurs, il doit être admis que les ventes de MDF et de Pioneer GB représentaient, à l'époque pertinente, une proportion non insignifiante du marché.
(iii) La déclaration de M. Mason
Pioneer GB et Pioneer se plaignent que la Commission s'est basée, dans la décision, sur une déclaration écrite de M.W. J. Mason, un directeur de Comet, montrant prétendument que Comet a exporté du matériel hifi vers d'autres pays européens à partir de décembre 1975, mais que la Commission a révélé à Shriro, en octobre 1978, seulement une partie de cette déclaration, le reste étant supprimé du texte au motif qu'il contenait des informations confidentielles. En novembre 1978, Shriro a obtenu de Cornet les parties de la déclaration qui avaient été supprimées du texte et elle a soutenu que ces parties n'étaient pas confidentielles, mais avaient été portées à la connaissance de Shriro trop tard pour pouvoir être réfutées en détail à l'audience.
On n'a pas affirmé que la Commission n'avait pas indiqué, dans la communication des griefs, les faits essentiels démontrés prétendument dans la déclaration. La communication des griefs contient un résumé suffisant des assertions, basées sur la lettre, sur lesquelles la Commission s'est fondée (paragraphe I.E. I). Ce qu'on a prétendu, c'est qu'en supprimant lesdits passages, la Commission a privé Pioneer et Pioneer GB (ou Shriro) de détails dont elles avaient besoin, à un stade approprié de la procédure administrative, parce que les passages supprimés comprenaient un bout de phrase dans lequel M. Mason déclarait que, depuis janvier 1976, Cornet avait été en mesure d'exporter du matériel Pioneer seulement dans une mesure limitée «à cause des effets combinés des limites de crédit applicables à nos clients et des marges disponibles... bien que la société ait indiqué clairement à Shriro (UK) Ltd qu'elle devait être libre de faire commerce conformément aux dispositions de la Communauté économique européenne». C'est seulement au moment de l'audition devant la Commission, ou vers cette date, que Pioneer a obtenu de Cornet le texte intégral de la déclaration de M. Mason.
Il est regrettable, à notre avis, que la Commission ait qualifié de confidentielles des parties de la déclaration qui pouvaient éventuellement être considérées comme utiles aux requérantes, sans s'informer d'abord auprès de Comet pour savoir si cette société avait une quelconque objection à ce que lesdites parties soient communiquées car, de toute évidence, cette dernière n'avait pas de pareille objection. Toutefois, il n'y a aucune raison de conclure que la Commission s'est rendue coupable d'une quelconque mauvaise foi en cette matière, plutôt que d'une appréciation exagérée du caractère confidentiel de renseignements qu'elle est, dans beaucoup de circonstances, tenue de garder secrets, conformément à l'article 20 du règlement n° 17. En tout cas, les deux parties concernées ont pu prendre position sur le texte intégral de la déclaration lors de l'audition (ce que Pioneer GB a effectivement fait) et elles ont eu l'occasion de se prononcer en outre dans le courant de la période entre l'audition et la date de la décision. En conséquence, il nous semble que Pioneer et Pioneer GB n'ont pas, finalement, été affectées par le comportement de la Commission.
(iv) Les rapports des inspecteurs
Pioneer GB se plaint de ne pas avoir reçu, avant la décision, le rapport rédigé par les inspecteurs de la Commission après leurs visites à Comet, Euro-Electro et Audiotronic, ni les factures sur lesquelles la Commission s'est basée pour conclure qu'Audiotronic avait cessé d'exporter après avoir reçu la lettre de M. Todd. De plus, Pioneer GB se plaint que c'est seulement lorsqu'elle a reçu la décision qu'elle a appris qu'Audiotronic avait prétendument reçu, en mars 1976, des commandes de matériel Pioneer, destiné à être exporté, pour un montant de plus de 150000 UKL, mais avait seulement pu vendre pour un montant de 55000 UKL.
Au paragraphe 50, la décision déclare, entre autres, ce qui suit:
«il a été établi, lors des visites effectuées par des inspecteurs de la Commission chez Cornet et chez son principal client pour l'exportation, Euro-Electro, que l'exportation de matériel Pioneer pour la revente a cessé par suite de l'intervention de Shriro. Ceci est d'ailleurs confirmé par les archives de la société. Audiotronic en fait remplaça Comet dans l'approvisionnement d'Euro-Electro, dès que Cornet cessa d'exporter du matériel Pioneer. Audiotronic reçut en mars 1976 des commandes d'un montant de plus de 150000 UKL, et n'en a exécuté effectivement que pour un montant de 55000 UKL. Selon la déclaration d'Audiotronic, Shriro leur fit des difficultés et, s'ils avaient été libres d'exporter, ils auraient pu réaliser beaucoup plus d'affaires.»
Il résulte clairement de ce paragraphe que la Commission a considéré que les renseignements recueillis par les inspecteurs étaient d'importance pour déterminer les effets de la pratique concertée alléguée. Dans ces circonstances, il eût mieux valu que, dans cette affaire, la Commission communique les rapports des inspecteurs et les factures à un stade antérieur. En fait, les passages en question des rapports des inspecteurs ont seulement été communiqués le 6 mars 1980 et les factures de Cornet ont seulement été mises à disposition pour examen après la réunion à la Cour du 3 décembre 1981.
Il est toutefois établi qu'en droit communautaire, celui qui conteste la validité d'une décision administrative ne peut se fonder sur une irrégularité de la procédure ayant abouti à cette décision s'il ne peut démontrer qu'il était à tout le moins possible que la décision eût été différente en l'absence de cette irrégularité (voir conclusions de M. l'avocat général Warner dans l'affaire 30/78, Distillers Company/Commission (Recueil 1980, p. 2229, 2290, et les affaires de concurrence qu'il cite). Pioneer GB n'a pas démontré que la décision aurait été matériellement différente si elle avait reçu l'occasion de se prononcer préalablement sur les rapports des inspecteurs et sur les documents de Cornet, plutôt que sur ce qui est dit dans la communication des griefs. Une différence entre les rapports des inspecteurs et le paragraphe 50 de la décision, sur laquelle l'attention de la Cour a été attirée spécialement, est que les inspecteurs ont ajouté à leur rapport final une note manuscrite disant qu'un certain M. Keighley d'Audiotronic n'avait pas déclaré par écrit qu'Audiotronic aurait pu réaliser beaucoup plus d'exportations de matériel Pioneer si elle n'avait pas été obligée de cesser ses activités par Shriro et d'autres distributeurs. La possibilité pour Pioneer GB de se prononcer sur la note manuscrite n'aurait pas affecté la décision. La communication des factures de Cornet au cours de la procédure devant cette Cour a permis aux parties de s'accorder sur le fait que le chiffre des ventes de matériel Pioneer par Audiotronic en mars 1976 aurait dû être non pas de 55000 UKL mais de59000 UKL. Dans le contexte donné, la modification n'a pas une importance cruciale. En conséquence, l'irrégularité dont Pioneer GB se plaint n'est pas de nature à entraîner l'annulation de la décision.
(v) Le calcul de l'amende
Melchers se plaint de ce que la Commission ne lui a pas communiqué, au cours de la procédure administrative, les critères sur la base desquels elle entendait calculer l'amende, ni le montant approximatif de l'amende à laquelle la Commission pensait. C'est seulement dans la duplique que la Commission a révélé qu'elle avait décidé d'infliger des amendes équivalant approximativement à 4 % du chiffre d'affaires de MĎF et de Pioneer Europe, à 3 % du chiffre d'affaires de Shriro (ou Pioneer GB) et à 2,5 % du chiffre d'affaires de Melchers, même si précédemment elle avait souligné que le chiffre d'affaires ne constituait pas la seule base pour la fixation de l'amende, mais qu'il y avait lieu de tenir compte d'autres facteurs comme la gravité et la durée de l'infraction et son caractère délibéré ou non. Dans la même duplique, la Commission a ajouté que l'amende infligée à Melchers, égale à 2,5 % de son chiffre d'affaires, ne dépassait pas de beaucoup les amendes, représentant approximativement 2 % du chiffre d'affaires, qui avaient été infligées dans des affaires antérieures.
Nous admettons que la communication des griefs n'est pas nécessairement viciée parce que la Commission n'expose pas les critères généraux qu'elle utilise pour fixer le montant d'une amende (puisque, dans la mesure où ils ne sont pas précisés dans le règlement, ces critères sont indiqués dans les décisions de la Cour), encore qu'il soit désirable qu'elle le fasse brièvement afin que les parties et la Cour puissent voir que les éléments adéquats ont été pris en considération. De même nous admettons l'assertion de la Commission selon laquelle il est inapproprié pour elle d'indiquer le montant précis de l'amende qu'elle peut infliger (dès lors que ce serait anticiper sur des arguments qui doivent encore être présentés). Toutefois, lorsque la Commission se propose de tenir compte d'un chiffre d'affaires particulier pour fixer l'amende (comme cela s'avère avoir été le cas en l'occurrence), il est souhaitable, à notre avis, qu'elle révèle ce fait aux parties, de manière que celles-ci puissent s'assurer que le chiffre d'affaires correct est utilisé comme base pour le calcul. Cela est particulièrement souhaitable lorsque (comme en l'espèce) la Commission elle-même soutient que le montant de l'amende est «l'objet réel du litige dans cette affaire» et lorsque ce montant est, au total, nettement supérieur à celui de n'importe quelles autres amendes infligées par la Commission.
En ce qui concerne l'énonciation des critères généraux, Melchers n'apparaît pas avoir été lésée par l'attitude de la Commission. Rien de ce qui a été dit au nom de Melchers nous fait conclure que si la Commission avait eu connaissance des ces arguments plus tôt, elle aurait adopté une attitude générale différente. De plus, la Cour elle-même a fait en sorte que les parties aient amplement l'occasion de se prononcer sur la manière dont la Commission fixe les montants des amendes, cet aspect étant un des principaux points de fond que la Cour doit résoudre dans cette affaire. Quant à la question de savoir si la Commission s'est trompée en ce qui concerne le chiffre d'affaires qu'elle a pris en considération, nous l'examinerons plus tard dans ces conclusions. Pour ces raisons, nous sommes d'avis que l'irrégularité n'est pas de nature à entraîner l'annulation de la décision.
Points de fond
Les quatre requérantes contestent toutes sur le fond la constatation, de fait et en droit, de la Commission selon laquelle elles ont participé à une pratique concertée ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence, en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. Aux fins de l'examen de ce grief, il est peut-être bon de commencer par exposer d'abord les principes de droit qui régissent la définition d'une pratique concertée et la méthode de prouver l'existence d'une telle pratique, puis d'examiner les preuves qui ont été avancées dans cette affaire et, finalement, de traiter les questions de droit et de fait qui se posent lors de la détermination des effets des pratiques concertées alléguées.
a) Preuve de l'existence d'une pratique concertée
(i) Le concept de pratique concertée
Il apparaît des termes de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, qui interdit à la fois les «accords» et les «pratiques concertées» ayant des objets ou des effets spécifiques, que les deux concepts sont distincts, et cela bien qu'il y ait eu des affaires dans lesquelles il existait à la fois des éléments d'un accord et des éléments d'une pratique concertée et où la Cour, n'a pas jugé nécessaire de faire une distinction entre eux (comme dans l'affaire Fedetab).
Contrairement à un accord, une pratique concertée est établie lorsqu'il est démontré qu'il existait «une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence... Par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d'un accord, mais peut notamment résulter d'une coordination qui s'extériorise par le comportement des participants»: affaire 48/69, ICI/Commission (Recueil 1972, p. 619, 658). Une coordination et une coopération peuvent donc constituer une pratique concertée, même lorsqu'elles ne comportent aucunement «l'élaboration d'un véritable plan»: affaires jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111, 113 et 114/73, Suiker Unie et autres/Commission (Recueil 1975, p. 1663, 1942).
Comme la Cour l'a déclaré dans les affaires jointes 56 et 58/64, Consten & Grundig/Commission (Recueil 1966, p. 429, 494):
«un accord entre producteur et distributeur, qui tendrait à reconstituer les cloisonnements nationaux dans le commerce entre États membres pourrait être de nature à contrarier les objectifs les plus fondamentaux de la Communauté;... le traité, dont le préambule et le texte visent à supprimer les barrières entre États et qui, en maintes dispositions, fait montre de sévérité à l'égard de leur réapparition, ne pouvait permettre aux entreprises de recréer de telles barrières;... l'article 85, paragraphe 1, répond à un tel objectif.»
L'élément essentiel d'une pratique concertée est donc le remplacement des risques de la concurrence par une coordination ou une intention commune. C'est pourquoi la simple présence du représentant d'une entreprise à une réunion au cours de laquelle d'autres conviennent de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun n'implique pas en elle-même la participation de la première entreprise à une pratique concertée. Mais la présence du représentant à une telle réunion peut être considérée comme une preuve du fait qu'il était au courant de l'accord et, en combinaison avec d'autres preuves du comportement de l'entreprise, elle peut, dans certains'cas appropriés, être considérée comme indiquant l'existence d'une intention commune, nécessaire pour constituer une pratique concertée.
Un «gentleman's agreement» peut certainement constituer la base d'une pratique concertée, mais même lorsqu'il est mis fin à un tel accord, une pratique concertée peut continuer d'exister lorsqu'il reste le degré nécessaire de coopération entre les parties: voir M. l'avocat général Gand dans l'affaire 41/69, Chemiefarma/Commission (Recueil 1970, p. 661, 717 et 718). Il s'ensuit à plus forte raison que lorsqu'un «gentleman's agreement» subsiste, une entreprise qui n'est pas partie à cet arrangement peut être considérée comme participant à une pratique concertée avec les parties à l'arrangement lorsqu'elle coopère sciemment avec elles à la réalisation des buts de ce dernier.
(ii) Preuve d'une pratique concertée
Il est clair qu'une pratique concertée peut être établie non seulement par une preuve directe, mais aussi par une preuve circonstancielle. Une preuve directe peut être improbable, pour un certain nombre de raisons évidentes. Il est manifestement possible de se fonder sur des présomptions et des déductions de faits bruts, ce qui peut représenter dans une large mesure la partie cruciale de l'examen de la question de savoir s'il y a eu pratique concertée (voir M. l'avocat général Mayras dans l'affaire Suiker-Unie, voir p. 2113 et 2114). Comme on l'a dit dans une affaire américaine bien connue: «Aux fins de l'établissement de l'existence d'une entente au sens de la section 1 du ‘Sherman Act’, il est un fait certain que les ententes sont rarement susceptibles d'être prouvées par témoignage direct et qu'elles peuvent être inférées de comportements effectifs» (Eastern States Retail Lumber Dealers/US, 234 US 600).
Dès l'instant où l'existence d'une pratique concertée, est constatée, comme c'est la partie requérante qui prétend que la décision de la Commission devrait être annulée, la charge de prouver l'illégalité de la décision incombe, en général et en premier lieu, à la requérante. Cela dérive d'un principe de droit reconnu dans tous les États membres, selon lequel la charge juridique de prouver les faits essentiels à l'appui d'une assertion repose normalement sur la partie dont celle-ci émane. Ce principe a été appliqué à des recours formés devant cette Cour dans des affaires de concurrence par M. l'avocat général Warner dans les affaires jointes 6 et 7/73, Commercial Solvents/Commission (Recueil 1974, p. 223, 269). Plusieurs des ses arrêts rendus dans des affaires de concurrence montrent que la Cour a accepté l'applicabilité de ce principe en déclarant que le requérant ne s'était pas acquitté de la charge reposant sur lui: Chemiefarma (p. 692); Suiker-Unie (p. 1948); Miller/Commission (p. 153).
D'un autre côté, les allégations de fait exposées par la Commission dans sa décision doivent être de nature à soutenir la conclusion qu'elle en tire. Si elles ne soutiennent pas cette conclusion, la décision peut être annulée, même en l'absence de toute preuve produite par les requérantes: Suiker-Unie (p. 1977 et 1991); affaire 27/76, United Brands/Commission (Recueil 1978, p. 207, 303). En outre, bien que ce soit au requérant qu'il peut incomber de prouver que la Commission a abouti à sa décision de manière injustifiée, le requérant ne doit pas nécessairement, à notre avis, aller jusqu'à démontrer que la décision de la Commission était erronée. Il peut suffire qu'il puisse montrer qu'elle était incertaine, ou établie insuffisamment. Il doit exister des éléments matériels sur lesquels la Commission a pu se fonder raisonnablement pour affirmer qu'il existait une pratique concertée. C'est à la Commission qu'il incombe de réunir ces indices (voir par exemple M. l'avocat général Mayras dans l'affaire Suiker-Unie, p. 2061). Il semble découler de ce qui précède que lorsque la Cour elle-même procède à une enquête, conformément à l'article 47 du règlement de procédure, au cours d'une procédure judiciaire qui suit nécessairement la procédure administrative, les preuves obtenues seront prises en considération uniquement dans le but de déterminer si la Commission était en droit d'adopter la décision à l'époque à laquelle elle l'a prise. Des preuves apparaissant durant la procédure devant la Cour ne devraient pas être prises en considération à l'appui de la thèse de la Commission, sauf dans la mesure où ces preuves se rapportent directement à des allégations de la Commission au stade de la procédure administrative (voir les conclusions de M. l'avocat général Gand dans l'affaire Chemiefarma, p. 707).
b) Les preuves dans cette affaire
(i) La première pratique concertée alléguée
Il existe des preuves certaines du fait que M. Setton s'opposait résolument à des importations parallèles de produits Pioneer en France, qu'ils proviennent d'Angleterre, d'Allemagne ou d'ailleurs, qu'il a fait part de ce point de vue à des représentants de Pioneer et de Melchers, à l'époque pertinente, et qu'il a cherché à obtenir de l'aide pour empêcher les importations parallèles. La plupart des points qui précèdent ont effectivement été admis par M. Setton lors de l'audition devant la Commission (paragraphe 46 de la décision). Les raisons pour lesquelles M. Setton s'opposait à des importations parallèles sont suffisamment claires: les prix de vente de MDF au commerce de détail, taxe sur la valeur ajoutée non comprise, étaient nettement plus élevés, fin 1975, que ceux appliqués par Melchers ou Shriro (ibidem, paragraphe 18). U y a eu de longs débats, dans les mémoires écrits comme pendant les auditions et audiences devant la Commission et cette Cour, au sujet de l'ampleur de ces différences de prix et des raisons de leur existence. Bien qu'il nous semble que la Commission a eu raison en substance de prétendre que les prix cités par M. Schreiber à M. Iffli étaient inférieurs de 26 à 31 % aux prix de MDF pour des produits comparables, nous estimons inutile d'exprimer une conclusion ferme sur les chiffres précis, car aucune preuve avancée par MDF n'étaye la conclusion que les différences entre les prix de MDF et ceux de Melchers n'étaient pas de nature à rendre les importations parallèles à partir de l'Allemagne intéressantes fin 1975. En effet, si elles n'avaient pas été intéressantes à cette époque, on voit difficilement pourquoi M. Setton aurait été amené à se plaindre auprès de Pioneer au sujet d'importations parallèles en provenance d'Allemagne, comme il admet l'avoir fait (paragraphe 61 de la décision, p. 7 de la requête de MDF).
De toute évidence, la question des importations parallèles a été discutée à la réunion d'Anvers. Comme M. Setton l'a déclaré, «à cause de mon insistance à la réunion d'Anvers, la question des importations parallèles a été soulevée et a fait l'objet d'une longue discussion en raison du ton élevé que j'ai utilisé». Il semble également clair que M. Setton s'est plaint d'importations parallèles en provenance d'Allemagne à cette réunion. Cela n'est pas nié par M. Setton et est étayé par la déclaration de M. Ito comme par celle de M. Mackenthun. MDF et Pioneer nient que la réunion ait été organisée pour discuter des importations parallèles, mais bien que le but de la réunion ait fait l'objet de longs débats, il nous semble que la raison initiale de la convocation de la réunion n'est pas décisive pour déterminer la part de MDF dans une quelconque pratique concertée née en rapport avec elle. Il est constant que M. Iffli n'a pas obtenu le matériel Pioneer qu'il espérait acquérir par l'intermédiaire de Melchers, peu après la réunion à Anvers, et la déclaration de M. Debard du 28 juin 1977 indique que M. Couadou, le directeur des ventes de MDF, a dit à l'associé de M. Iffli, M. Debard, fin janvier 1976: «Vous n'aurez pas la marchandise.» Bien que cette preuve ne soit pas nécessaire pour établir la participation de MDF à une quelconque pratique concertée et que le fait soit nié par M. Couadou lui-même, il semble plausible. M. Weber a signalé à M. Iffli, dans sa lettre daté du 29 janvier 1976, que les marchandises ne seraient pas livrées à moins d'un engagement de ne pas exporter vers la France.
Il est également clair que Melchers s'est opposée à la livraison de matériel Pioneer destiné à être exporté vers d'autres États de la CEE, malgré l'avantage apparent pour cette firme, à bref délai, d'effectuer de pareilles opérations. Melchers admet avoir livré du matériel Pioneer à EVB vers le mois de novembre 1975, à la condition expresse qu'il ne soit pas revendu dans d'autres Etats de la CEE. Melchers explique que cette condition a été imposée pour éviter que Melchers ne doive assurer le service après-vente du matériel à l'étranger, mais cette explication n'est pas convaincante, puisque le contrat de Melchers avec Pioneer imposait à la première l'obligation d'assurer le service après-vente pour son matériel uniquement en république fédérale d'Allemagne.
La requête déposée pour le compte de Melchers déclare (à la p. 20) que «dans sa discussion avec Gruoner, Melchers n'a pas caché le fait que, compte tenu des conditions difficiles d'approvisionnement, elle souhaitait que le gros des marchandises demeure en Allemagne». Sur le vu de cette déclaration, il est permis de penser que M. Schreiber (le chef du service des achats de Gruoner) a réduit substantiellement la commande qu'il avait reçue de M. Iffli, avant de la transmettre à Melchers, pour cacher à cette dernière que les marchandises étaient destinées à la France.
De plus, les notes manuscrites de M. Schreiber sur le télex daté du 6 février 1976 montrent qu'il était au courant du souhait de Melchers de limiter les importations parallèles. Concernant la vente à EVB, M. Schreiber a écrit: «D'accord. C'était en novembre 1975, énormes difficultés, donc prudence maintenant.»
Tout en admettant que cela est exact, Melchers maintient ne pas avoir refusé de livrer les marchandises demandées par M. Iffli. Elle prétend tout d'abord que son échange de télex avec Gruoner n'a pas donné naissance à une «commande» et qu'à l'époque des faits en question, ses stocks étaient insuffisants pour exécuter n'importe quelle commande qu'elle aurait reçue. Melchers qualifie l'échange de télex de simples demandes de renseignements (requête, p. 13).
Il nous semble que vers la fin du mois de janvier 1976, les rapports du Gruoner avec Melchers avaient dépassé le stade d'une demande de renseignements. Il est constant qu'à la suite d'une réunion entre M. Iffli, M. Jung et M. Schreiber le 12 décembre 1975 ou vers cette date, M. Schreiber a demandé à Melchers de lui communiquer rapidement ses prix; il a été renvoyé à M. Full, un des représentants de Melchers, et il a négocié avec M. Full jusqu'au 30 décembre 1975. A la fin de ces discussions, M. Schreiber a envoyé des listes de prix et d'autres informations à M. Iffli. Celui-ci a adressé deux télex à Gruoner pour passer des commandes et, le 20 janvier 1976, Gruoner a envoyé son télex à Melchers. Nous ne pouvons accepter l'affirmation de Melchers selon laquelle ce télex était une simple demande de renseignements, puisqu'il restait à fixer les prix et les conditions de livraison. Selon nous, cet argument méconnaît le contexte dans lequel les télex ont été envoyés et, en particulier, l'historique des négociations avec M. Full. Les termes du télex lui-même indiquent qu'il présentait le caractère d'une commande. La déclaration sous serment de M. von Bonin, le directeur des ventes de Melchers, montre qu'il a été considéré à l'époque comme une commande. En effet, le 22 janvier 1976, Melchers a été jusqu'à chercher à obtenir une assurance crédit commercial pour les produits mentionnés dans le télex de Gruoner et cette assurance a été confirmée en partie le 27 janvier 1976. On voit difficilement pourquoi cela aurait été fait si Melchers n'avait pas envisagé sérieusement, à ce stade, de livrer à Gruoner les produits cités dans le télex.
Une autre preuve de l'intention initiale de Melchers de traiter le télex de Gruoner comme une commande, et si possible de l'exécuter, est fournie par le télex que l'employée de Melchers, Mlle Hammer a envoyé Gruoner le 23 janvier 1976 et qui disait: «Confirmons par la présente vos commandes transmises par télex. Le transporteur qui livrera la marchandise est le transporteur Gildemeister.» Nous admettons que Mlle Hammer était une étudiante âgée de 20 ans, employée temporairement par Melchers, sans expérience commerciale et qui en était à son deuxième jour de travail, et qu'elle n'a pas eu l'intention, en envoyant le télex, de conclure un contrat de sa propre initiative. La question n'est toutefois pas de savoir si Melchers et Gruoner ont passé un contrat ferme, mais si la première a traité le télex de Gruoner comme une simple demande de renseignements plutôt que comme une commande. Sur ce point, Mlle Hammer est silencieuse, mais sa déclaration disant qu'elle était une aide de bureau, secondant le personnel permanent de Melchers, est plausible et rend vraisemblable le fait qu'en répondant elle n'a pas agi de sa propre initiative, mais sur avis ou instructions. De plus, le télex auquel elle a répondu est arrivé deux jours avant l'entrée en service de Mlle Hammer, de sorte que le personnel permanent avait eu le temps de l'examiner. Il est vraisemblable qu'elle en a discuté avec quelqu'un, ne fût-ce que pour pouvoir donner le nom du transporteur.
Enfin, il semble clair que Gruoner a considéré son propre télex comme une commande et qu'il s'attendait à recevoir les marchandises qu'il mentionnait. M. Schreiber a déclaré lors de l'audition des témoins devant la chambre (p. 88) qu'en recevant le télex de Melchers il avait «supposé que la commande avait été acceptée. Si un transporteur est cité, alors on suppose que la commande a été acceptée». De fait, M. Weber a même écrit à M. Iffli, le 20 janvier 1976, pour lui signaler qu'une partie de la commande avait déjà été expédiée. Bien qu'il soit clair qu'en agissant ainsi, M. Weber a agi prématurément (et, par parenthèse, a commis une erreur quant à la situation du magasin d'où les marchandises devaient être envoyées), il n'en est pas moins clair que lui au moins a considéré la question comme étant en fait réglée.
Il est bien établi que justement à cette date s'est tenue la réunion d'Anvers. Le 20 janvier 1976, soit le jour même où M. Weber a dit dans sa lettre à M. Iffli que les marchandises étaient prêtes, a eu lieu à Anvers la discussion sur les importations parallèles. Il est constant que les marchandises n'ont pas été livrées à M. Gruoner ni, partant, à M. Iffli. La Commission ne prétend pas sur ce point que «post hoc ergo propter hoc». Elle produit une preuve, acceptée par Melchers (à la p. 27 de sa requête), qui montre que Pioneer a eu connaissance de l'intention de Gruoner d'exporter les marchandises et qu'elle en a dès lors informé Melchers, et elle avance comme autre preuve une conversation téléphonique entre M. Schreiber et M. von Bonin du 27 janvier 1976.
D'après une déclaration faite par M. Schreiber le 18 mai 1977 (réplique dans l'affaire Melchers, annexe H), M. von Bonin a déclaré durant la conversation avoir appris de Pioneer à Anvers que la commande de Gruoner était destinée à l'exportation et que Melchers ne livrerait pas les marchandises à moins d'obtenir une assurance qu'elles ne seraient pas exportées. M. von Bonin nie catégoriquement ce compte rendu de la conversation et il insiste sur le fait qu'on a simplement parlé de la réunion envisagée à Rommelshausen (déclaration du 5 septembre 1980: réplique dans l'affaire Melchers, annexe I-1, et audition des témoins). M. Schreiber s'est avéré être un témoin qu'on ne peut pas croire et il a changé son explication plus d'une fois. Néanmoins, nous pensons que, sur ce point et à cette occasion, la Commission était en droit de conclure que M. Schreiber disait la vérité. Nous le pensons pour trois raisons. Premièrement, les notes de M. Schreiber concernant la conversation sont confirmées par son propre télex à M. Weber du 28 janvier 1976. A cette date, il doit avoir eu la conversation fraîchement à l'esprit, tandis que le compte rendu de M. von Bonin est beaucoup plus tardif. Deuxièmement, le compte rendu de M. Schreiber est plausible, puisque Melchers avait effectivement obtenu connaissance de l'intention d'exporter et avait, dans le cas de EVB, imposé une condition en vue d'empêcher la revente (même si c'était une condition visant à empêcher des ventes successives avec retour au point de départ). Troisièmement, M. Schreiber n'avait, à l'époque, aucun intérêt à porter préjudice à Melchers, et l'affirmation de cette firme selon laquelle la déclaration de M. Schreiber du 18 mai 1977 devrait être traitée avec circonspection, parce qu'à cette époque M. Iffli avait menacé d'intenter une action judiciaire, n'enlève rien à la valeur probatoire du télex du 28 janvier 1976, qui était donc bien antérieur à toute intention d'engager une quelconque procédure.
Dans un premier temps, Melchers a expliqué sa non-livraison à Gruoner en prétendant que ses stocks étaient insuffisants pour exécuter la commande (requête, p. 9). Melchers a allégué que ses stocks équivalaient seulement, à l'époque des faits, à un mois de ventes, au lieu du chiffre normal de deux à trois mois, et que Melchers ne pouvait pas compter sur les réserves de Pioneer à Anvers, dès lors que celles-ci sont normalement vendues «à l'avance». Cette explication ne nous convainc pas. Les chiffres cités par Melchers semblent montrer qu'elle avait en stock, fin janvier 1976, ou même plus tôt au cours de ce mois, bien plus que les trois quarts des modèles commandés par Gruoner, et le reste aurait pu être expédié le 10 février. Même s'il était exact que Melchers pouvait seulement exécuter immédiatement, comme elle le prétend, la moitié de la commande, la Commission avait des preuves montrant que le reste aurait représenté seulement 2,3 % de la valeur des stocks Pioneer à Anvers, et personne n'a prétendu qu'une proportion de 97 ou 98 % de ces stocks avait été vendue «à l'avance». Même s'il avait été impossible d'obtenir les stocks promptement, il eût été naturel que Melchers explique ce fait à Gruoner et qu'elle lui propose de livrer le plus tôt possible. Cela est particulièrement vrai si on se réfère à la propre affirmation de Melchers (à la p. 17 de sa requête) selon laquelle des délais de livraison de trois mois ne sont pas inhabituels, ainsi qu'à son observation (à la p. 13 de sa requête) selon laquelle le télex de Gruoner ne disait rien sur la question des dates de livraison. On n'a pas démontré qu'il eût été impossible ou difficile d'obtenir des livraisons supplémentaires de la société de production. Si l'insuffisance des stocks avait été la raison de la non-exécution de la commande par Melchers, celle-ci l'aurait sûrement dit à Gruoner à l'époque.
A un stade ultérieur de la procédure devant cette Cour, Melchers a avancé une raison différente de l'absence de livraisons des marchandises par Gruoner à M. Iffli. Melchers a produit une nouvelle déclaration, faite par M. Schreiber le 5 septembre 1980, dans laquelle celui-ci déclare qu'en communiquant les prix à M. Iffli le 30 décembre 1975, il a commis l'erreur de déduire la taxe sur la valeur ajoutée de prix dont cette taxe avait déjà été déduite; plus tard, il aurait découvert cette erreur et inventé l'explication du refus de Melchers de livrer les marchandises à Gruoner, pour cacher son erreur à l'égard de M. Iffli. Cette explication ne nous convainc pas. Une telle erreur de la part de M. Schreiber eût été une erreur extraordinaire, compte tenu du fait que les barèmes utilisés par M. Schreiber portaient une note bien apparente disant que la TVA n'était pas comprise. M. Schreiber a prétendu avoir commis cette erreur pour tous les appareils cités à Gruoner, mais la Commission a démontré (duplique, p. 21) qu'il ne pouvait pas y avoir eu pareille erreur pour les haut-parleurs. M. Schreiber a été incapable d'expliquer, à l'audience devant la chambre, comment il a pu commettre cette erreur uniquement pour certains appareils et non pour d'autres. De même, il n'a pas expliqué comment il a pu arriver aux prix cités à Gruoner, en déduisant erronément la taxe sur la valeur ajoutée de chiffres que M. Schreiber prétend avoir été corrects. L'avocat de Melchers a affirmé avoir trouvé la formule ayant probablement été utilisée par M. Schreiber et ayant conduit aux prix cités par Gruoner. Mais cette formule n'aurait pas été la bonne pour déduire la TVA au taux de 11 % qui était applicable. En outre, l'erreur n'explique pas l'impossibilité pour Gruoner de livrer à M. Iffli. En effet, même si cette erreur avait été commise et si Gruoner avait dû ajuster ses prix à la hausse, ils seraient restés sensiblement inférieurs aux prix de MDF, de sorte que M. Iffli serait peut-être resté disposé à effectuer la transaction. Le bénéfice pour lui demeurait suffisant. Le télex de M. Schreiber à M. Iffli du 20 février 1976 ne propose pas de renégociation, puisqu'il déclare que l'information donnée le 31 décembre 1975 n'était plus valable «en raison de l'évolution des prix».
Il existe une autre preuve de la participation de Melchers à une pratique concertée visant à empêcher les importations parallèles, dans les comptes rendus de la réunion à Rommelshausen du 11 février 1976. Il semble certain que les exportations et importations parallèles ont été discutées à cette occasion. C'est ce que déclare le compte rendu donné par M. Schreiber et par M. Schmidt, de Gruoner, et dans sa réponse à la communication des griefs, Melchers a été jusqu'à admettre que les commandes de M. Iffli y avaient été discutées (bien que cela ait été nié à la fois par M. Schreiber et par M. von Bonin lors de l'audition des témoins). M. Schreiber a pris des notes à la réunion et, le 18 février 1976, il a envoyé un télex à M. Weber, résumant les entretiens. Un passage de ce télex se lit comme suit:
«Melchers nie absolument avoir jamais exporté elle-même. Cette activité est expressément interdite par les accords conclus entre le siège de Pioneer à Anvers et les distributeurs nationaux. Il est parfaitement légitime de faire transiter les biens par Anvers et Melchers compromettrait sa position si elle ne contrôlait pas les canaux de distribution pour le matériel Pioneer de façon à éviter d'importantes livraisons d'un pays à un autre.»
Cela montre clairement que les importations parallèles ont été discutées à Rommelshausen.
Finalement, Melchers observe qu'en mai 1977, elle a offert de livrer du matériel Pioneer à Jung (une firme associée à Gruoner) sans qu'un engagement exprès de ne pas exporter ait été souscrit. Nous ne pouvons accepter que cette offre diminue d'une quelconque manière la valeur de la preuve du fait qu'en janvier 1976, Melchers a refusé de livrer du matériel similaire, à un prix inférieur, à Gruoner, à moins que celui-ci ne s'engage à ne pas l'exporter.
La position de Pioneer consiste à dire qu'elle n'a pris aucune mesure lors de la réunion d'Anvers où à la suite de celle-ci, si ce n'est qu'elle a conseillé à MDF de réduire ses prix, et qu'il n'existe aucun indice matériel sur la base duquel la Commission pouvait constater que Pioneer participait à. une pratique concertée. Nous n'acceptons pas cette assertion.
En premier lieu, beaucoup d'indices circonstanciels montrent que Pioneer s'opposait, tout comme MDF et Melchers, aux importations parallèles. Le premier contrat entre Pioneer et Melchers visait effectivement à empêcher les importations parallèles. Le nouvel accord, rédigé apparemment en raison du règlement de la Commission n° 67/67, permettait à Melchers de vendre des marchandises dans d'autres pays de la CEE, mais il lui interdisait de solliciter des commandes à l'étranger et il prévoyait certaines mesures à prendre par Pioneer pour protéger Melchers contre des importations parallèles. Bien que ces contrats aient été élaborés bien avant 1976, rien n'indique que Pioneer a cessé par la suite de s'opposer en principe aux importations parallèles. Bien au contraire, le projet d'accord envoyé par Pioneer à Shriro en août 1976 contenait des dispositions visant à protéger le distributeur contre des importations parallèles.
Pioneer a reçu les plaintes de M. Setton au sujet d'importations parallèles, adressées par téléphone à M. Ito, vers la fin de 1975, et elle les a transmises à Melchers (décision, paragraphe 51). En janvier 1976, Pioneer a convoqué la réunion d'Anvers et a assuré, en la personne de M. Ito, la présidence de cette réunion, où la question des importations parallèles de matériel Pioneer a été discutée. Le représentant de Melchers, M. Mackenthun, a commencé par se plaindre, au cours de la discussion, au sujet d'importations en Allemagne provenant de Belgique. Pioneer n'a rédigé absolument aucun procès-verbal de cette réunion. Même si on admet que cela n'est pas étrange en soi (pour les raisons signalées par Pioneer au paragraphe 16 de son mémoire en défense), il nous semble que pour déterminer ce qui s'est dit à l'époque, il est justifié d'attacher une valeur probatoire particulière aux comptes rendus ou aux procès-verbaux contemporains ou presque contemporains de la réunion, s'ils ne coïncident pas avec des protestations ou des explications postérieures.
Peu de temps après la réunion, M. Schreiber a envoyé son télex exposant son sentiment, à l'issue de celle-ci, que les importations parallèles étaient exclues par les accords entre Pioneer et.ses distributeurs, ajoutant que Melchers «compromettrait sa position» si elle n'empêchait pas la réalisation d'importantes importations parallèles. M. Todd, qui a également assisté à la réunion, a écrit au président de Cornet, le 29 janvier, une lettre qui disait qu'en vendant des produits Pioneer à des acheteurs français, Cornet était «responsable de la situation défavorable dans laquelle nous nous trouvons». Tant dans cette lettre que dans sa lettre à Audiotronic, M. Todd déclarait avoir été convoqué récemment à Anvers pour discuter des importations parallèles. Il peut seulement avoir été convoqué par Pioneer. Sur l'arrière-plan de cette preuve, nous ne sommes pas convaincu par l'affirmation de M. Collinot (le directeur financier de MDF) selon laquelle Pioneer a refusé d'agir à la suite de la plainte de MDF. Il semble clair que Pioneer avait refusé d'agir dans le passé: les lettres de M. Todd le disent. De même, il semble qu'à la réunion d'Anvers, à laquelle M. Collinot n'a pas assisté, tant M. Schreiber que M. Todd aient eu l'impression que Pioneer souhaitait qu'ils cessent de conclure des transactions susceptibles de donner lieu à des importations parallèles. A notre avis, il est improbable que dans les circonstances de l'espèce, l'impression de tous deux ait été erronée ou que tous deux aient raconté les mêmes mensonges indépendamment l'un de l'autre. La participation de Pioneer nous semble avoir concerné des importations parallèles à la fois en provenance d'Allemagne et en provenance du Royaume-Uni. Pareillement, nous n'acceptons pas l'argument de MDF selon lequel le fait que M. Ito a suggéré à M. Setton de réduire ses prix rend toute constatation d'une pratique concertée impossible. Cette déduction nous semble être tout à fait indéfendable.
Pour ces raisons, et malgré tous les arguments qui ont été avancés en sens contraire, nous concluons que les requérantes n'ont pas démontré que les preuves, sur la base desquelles la Commission a abouti à la décision, n'étaient pas susceptibles de supporter la conclusion qu'il existait une pratique concertée entre MDF, Melchers et Pioneer. Il y avait tout à la fois la «coordination» et la «coopération pratique», qui ont été soulignées dans l'argumentation.
(ii) La deuxième pratique concertée alléguée
Il ne saurait y avoir de doute sur le fait que Pioneer GB a tenté d'empêcher, en collaboration avec d'autres, les importations de matériel Pioneer du Royaume-Uni vers la France. Les lettres de M. Todd à M. Smith d'Audiotronic et à M. Hollingberry de Cornet sont la preuve évidente d'une tentative délibérée d'empêcher les importations parallèles au mépris du droit communautaire européen. Les réponses de M. Smith et de M. Hollingberry établissent qu'ils étaient disposés à coopérer: leur conduite ultérieure peut être mise en rapport direct avec la demande. Nous rejetons absolument l'argument avancé par MDF dans sa requête, selon lequel les deux lettres de M. Todd ne sauraient «sérieusement», être considérées comme fournissant à elles seules la preuve d'une pratique coordonnée. Si nous admettions cela, la Commission pourrait aussi bien renoncer à jamais à toute tentative de démontrer l'existence d'une pratique concertée. M. Todd admet que ses tentatives ont été effectuées en application d'un accord intervenu entre lui-même et M. Setton de MDF (paragraphe 47 de la décision). M. Todd y fait lui-même référence en qualifiant l'accord de «gentleman's agreement». Il a souligné qu'à l'occasion de leurs rencontres, même en société, M. Setton soulevait le problème avec force et que lui-même souhaitait vivement à l'époque être débarrassé de M. Setton. En termes plus clairs, cela signifie qu'il entendait éliminer la cause des doléances de M. Setton à propos d'importations parallèles en provenance du Royaume-Uni.
Il ne fait aucun doute non plus que MDF a participé à cet arrangement. M. Setton reconnaît avoir effectué des achats tests de matériel Pioneer en Angleterre, avoir produit la preuve de ces achats à Anvers et avoir soulevé la question lors de la réunion organisée dans cette ville.
Une question fortement controversée est celle de la mesure dans laquelle Pioneer a été impliquée (le cas échéant) dans la pratique qui a suivi l'accord conclu entre MM. Setton et Todd. M. Todd affirme que cet accord avec M. Setton a été obtenu sans pression de la part de Pioneer. Si la participation de Pioneer dans cette affaire s'était limitée à convoquer une réunion au cours de laquelle les autres parties sont parvenues à un accord, cela aurait pu ne pas suffire à établir que Pioneer participait à une pratique concertée. Les preuves de la participation de Pioneer sont cependant plus substantielles. M. Todd lui-même affirme s'être trouvé dans une situation désagréable vis-à-vis de Pioneer en raison de ses activités limitées dans le secteur des importations parallèles. Cette remarque paraît plausible, eu égard aux projets de contrats d'exclusivité souniis par Pioneer à Shriro et compte tenu du fait que MDF n'avait aucun pouvoir juridique ni économique sur Pioneer GB (ou Shriro) et avait tenté d'exercer une influence sur cette entreprise par l'intermédiaire de Pioneer. C'est à l'égard de Pioneer que M. Setton a formulé ses griefs par téléphone, ainsi que lors d'une rencontre organisée par cette société; c'est également à Pioneer que MDF a fait part de ses doléances à Anvers. Il n'est pas raisonnable de présumer en tout état de cause que M. Setton aurait agi de cette manière, et aurait persisté dans cette voie, s'il n'avait acquis l'impression qu'il existait une entente ou une intention commune entre sa firme et Pioneer, lui permettant d'exercer une certaine pression sur Pioneer GB. Enfin, notre conclusion en ce qui concerne l'implication de Pioneer dans la première pratique concertée confirme qu'elle a été impliquée dans la seconde, puisqu'il est improbable qu'elle aurait participé à des accords visant à protéger MDF contre des importations parallèles depuis l'Allemagne, mais non contre des importations en provenance du Royaume-Uni, spécialement eu égard au fait que les preuves produites par M. Setton lors de la réunion d'Anvers avaient trait à des importations à partir de l'Angleterre.
Pour ces raisons, nous concluons que les requérantes n'ont pas démontré que les conclusions de la Commission en ce qui concerne l'existence de la deuxième pratique concertée ne reposaient sur aucune preuve. A cet égard également, il y avait la «coordination» et la «coopération pratique» exigées.
c) La durée des pratiques concertées
La Commission maintient que la première pratique concertée a duré de la fin de 1975 jusqu'en février 1976, et que la deuxième pratique concertée a duré de la fin de 1975 jusqu'à la fin de 1977.
(i) La première pratique concertée
On a fait valoir au nom de MDF et de Pioneer que les doléances de M. Setton constituaient de simples actes unilatéraux, qui ne pouvaient donner lieu à aucune pratique concertée. Aucune pratique de ce genre n'aurait pu commencer avant la rencontre à Anvers les 19 et 20 janvier 1976 (requête MDF, p. 38; requête Pioneer, p. 50). Il est cependant admis que Pioneer a eu connaissance des griefs de M. Setton vers la fin de l'année 1975; en effet, Pioneer elle-même admet que M. Setton a parlé de la question à M. Ito en décembre 1975 (requête Pioneer, p. 12). Par ailleurs, il semble clair que Pioneer a communiqué ces plaintes à Melchers avant la rencontre d'Anvers. C'est avant la rencontre d'Anvers que M. Schreiber a réduit la commande de M. Iffli, avant de la transmettre à Melchers, dans le but de cacher à Melchers que les marchandises étaient destinées à la France. Il y avait tout lieu de croire, même avant la rencontre d'Anvers, que Melchers pourrait réagir de manière défavorable à une commande destinée à la France, car au cours de ses discussions avec Gruoner, Melchers n'avait pas caché qu'elle souhaitait que le gros des marchandises demeure en Allemagne (requête Melchers, p. 20). En outre, M. Schreiber savait ce qui s'était passé avec EVB en novembre 1975 (comme ses notes manuscrites sur un télex le démontrent). Pour ces raisons, il nous semble que la Commission était en droit de conclure que la première pratique concertée avait commencé fin 1975.
En ce qui concerne la fin de la première pratique concertée, la Commission est prudente. Elle maintient que:
«il n'a pas pu être établi que cette infraction a continué après le refus de Melchers d'exécuter la commande de Gruoner. D'ailleurs l'évolution des prix en république fédérale d'Allemagne... au cours de l'année 1976 a réduit, voire même enlevé, l'intérêt pour un commerce parallèle de ces produits» (décision, paragraphe 100).
D'un côté, cette constatation permet de dire que la participation de Melchers a été bien inférieure à deux mois, mais cette courte durée a été prise en compte lors de la fixation de l'amende imposée à Melchers. Même si la durée de cette pratique concertée particulière entre les trois parties qui y ont participé est légèrement exagérée, nous ne pensons pas que cela affecte l'amende infligée à l'une d'elles.
(ii) La deuxième pratique concertée
Il résulte clairement des éléments de preuve produits par Pioneer GB que M. Todd a eu connaissance des plaintes de M. Setton au sujet d'importations parallèles au plus tard vers la fin de 1975. Cela résulte de la déclaration de M. Todd (paragraphe 3, annexe à la requête de Pioneer GB) et du fait qu'il a prétendu n'avoir écrit ses lettres des 28 et 29 janvier 1976 qu'après que M. Setton eut formulé à son égard des doléances persistantes et répétées au cours d'une série de rencontres. Dans sa lettre à M. Hollingberry du 29 janvier, M. Todd a écrit que M. Setton avait exprimé ses doléances «ces derniers mois» et que lui-même avait rejeté dans le passé des allégations similaires formulées à l'encontre de Pioneer GB (apparemment lors de réunions convoquées par Pioneer). Dans sa lettre à M. Smith du 28 janvier, il a rappelé à ce dernier qu'il avait informé auparavant Pioneer GB qu'Audiotronic n'exportait pas les marchandises Pioneer comme les autres grands distributeurs de Pioneer GB l'avaient fait. M. Todd n'aurait pas fait mention des assurances données précédemment par Audiotronic si celle-ci n'avait pas donné de telles assurances, et ces dernières n'auraient pas été données ou sollicitées si Pioneer GB n'avait pas entendu les obtenir. Toutes ces raisons permettaient à la Commission de conclure que Pioneer et MDF étaient impliquées dans une tentative d'empêcher des importations parallèles en France à la fin de 1975.
La Commission maintient que lorsque, comme dans la présente affaire, les parties se sont engagées dans une pratique concertée pour empêcher des importations parallèles, cette pratique doit être considérée comme se poursuivant jusqu'à ce que les mêmes parties décident d'y mettre fin ou jusqu'à ce que ladite pratique n'ait plus de raison d'être. Pioneer, pour sa part, soutient qu'une pratique concertée ne dure qu'aussi longtemps que les parties prennent des mesures pour l'appliquer (lettre de Me Waelbroeck à la Cour, du 5 mars 1982). Pioneer GB affirme que la Commission n'a pas démontré que Comet a cessé d'exporter, alors qu'elle devrait en apporter la preuve pour qu'une pratique concertée puisse être considérée comme se poursuivant. Nous pensons qu'une pratique concertée peut continuer d'exister même en l'absence de mesures positives pour l'appliquer. En effet, si la pratique est suffisamment efficace et largement connue, il ne sera pas nécessaire d'agir pour en assurer l'application. Des cas peuvent se présenter dans lesquels l'absence de toute preuve de mesures prises pour appliquer une pratique concertée pourrait suggérer qu'il a été mis fin à la pratique. Il s'agit toutefois là d'une question de preuve, qui doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce. Nous pensons que la Commission a en raison (du moins sur le plan du principe) d'affirmer (à la p. 40 de son mémoire en défense dans l'affaire Pioneer) que lorsque les participants à une pratique concertée ont mis fin aux exportations de certains fournisseurs, c'est à eux de prouver, s'ils le peuvent, qu'ils ont approvisionné par la suite le fournisseur sans imposer de restrictions. Il est peut-être intéressant de se reporter à la décision de la Court of Appeals des États-Unis d'Amérique dans l'affaire US/Stromberg et autres (268 F 2d.256), dans laquelle cette juridiction a jugé qu'à partir du moment où l'existence d'une entente est établie, cette entente est présumée se poursuivre jusqu'à preuve du contraire.
A titre subsidiaire, Pioneer a affirmé que les différences de prix entre les produits Pioneer en France, d'une part, et en Allemagne et au Royaume-Uni, d'autre part, étaient devenues insuffisantes, après une date déterminée en 1976, pour rendre les importations parallèles intéressantes. Nous ne pensons pas que tel ait été le cas. Selon des informations données par Pioneer elle-même (réplique, p. 54), entre avril et décembre 1976, les prix de Shriro, exprimés en UCE, étaient inférieurs à ceux de MDF de 19 à 40 %. Même si on tient compte des frais de transport, cette différence est suffisante pour rendre des importations parallèles intéressantes (duplique de la Commission, p. 16). Quelques-uns des arguments avancés à ce sujet ignorent de nouveau la réalité commerciale, à savoir que même si les profits sur le marché national sont plus élevés, l'exportateur peut néanmoins avoir un intérêt, à court et à long terme, à vendre à l'étranger avec une marge bénéficiaire plus faible s'il peut être approvisionné pour les deux marchés. Pioneer souligne que les écarts entre les prix allemands et français ont diminué après avril 1976. Même si tel était le cas, cela n'aurait aucune incidence sur la durée de la deuxième pratique concertée, en tant qu'elle doit être distinguée de la première. En tout état de cause, il est clair que le rapprochement des prix a été plus marqué pour certains produits que pour d'autres. Comme les importateurs parallèles ne sont pas obligés d'importer une gamme entière de produits, la Commission est, à notre avis, en droit de remarquer que si on ne tient pas compte de trois produits particuliers, l'écart moyen entre les prix allemands et français étaient de 13,33 % au cours du mois précité.
Même si Audiotronic a livré à King Music et à All-Weave NV, comme MDF l'affirme, cela ne signifie pas qu'elle n'a pas réduit des exportations auxquelles elle aurait procédé sinon.
Pour ces raisons, nous pensons que la Commission était en droit de conclure, sur la base des informations dont elle disposait et qui comprenaient les barèmes de prix Pioneer au Royaume-Uni et en France, que la deuxième pratique concertée s'est poursuivie jusque fin 1977. Si, en réalité, cette pratique concertée a pris fin plus tôt, nous ne pensons pas que la différence de durée soit de nature à affecter le montant des amendes infligées.
d) Les effets des pratiques concertées
Les quatre requérantes sont unanimes à affirmer que même si la Commission a établi l'existence de deux pratiques concertées, elle n'a pas démontré que ces pratiques étaient «susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et (avaient) pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun» (requêtes de MDF, p. 10 et 19, Melchers, p. 34 et 35, Pioneer, p. 51 et 61, et Pioneer GB, p. 25 et 31). Aux fins de l'examen de ces arguments, nous admettrons que la Commission a pour obligation de démontrer à la fois qu'une pratique déterminée est susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire et qu'elle a l'objet ou l'effet précisé. Nous laisserons donc de côté l'opinion exprimée dans la décision de la Commission dans l'affaire Pittsburgh Corning Europe (JO L 272, 1972, p. 35) et dans l'affaire French Taiwanese Mushroom Packers (JO L 29, 1975, p. 26), selon laquelle une pratique ayant pour objet d'entraver le jeu de la concurrence peut, dans certaines circonstances, tomber sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, même si elle n'est pas susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire dans une mesure significative.
(i) Aptitude à affecter le commerce entre États membres
Au paragraphe 82 de la décision, la Commission a conclu que les pratiques concertées étaient en l'espèce susceptibles d'«affecter sensiblement le commerce entre États membres», puisque les parts de marché des produits Pioneer en France et au Royaume-Uni étaient suffisamment importantes. Pioneer GB et MDF contestent cette affirmation. Elles prétendent que la Commission a défini le «marché hifi» d'une façon trop étroite, en excluant en particulier de la définition les chaînes stéréo compactes, et qu'elle a en outre surestimé le chiffre d'affaires de MDF et de Pioneer GB, en particulier, selon cette dernière, en y incluant le chiffre d'affaires se rapportant à dés appareils comme les autoradios. On a allégué également que les chiffres cités dans le rapport Mackintosh étaient des prix fictifs départ usine, alors que les chiffres figurant dans le tableau du paragraphe 25.2.3 de la décision seraient des «prix recalculés du concessionnaire exclusif au commerce de détail». Sur cette base, Pioneer GB et MDF contestent l'affirmation de la Commission selon laquelle les produits Pioneer représentaient 7 à 10 % du marché français hifi et 8 à 9 % du marché britannique.
Ces objections ne sauraient être retenues, selon nous. Pour qu'une pratique concertée soit susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire, il faut qu'elle puisse «exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres» et il faut que cette influence ne soit pas «insignifiante»: affaire 56/65, Société technique minière-/Maschinenbau Ulm (Recueil 1966, p. 337, 359); Völk/Verwaecke (loc. cit.). Même si les allégations de MDF et de Pioneer GB en ce qui concerne la part des produits Pioneer sur les marchés français et britannique étaient acceptées, les pratiques concertées dont il s'agit en l'espèce resteraient susceptibles d'avoir un effet significatif sur ces échanges. Il est juste de tenir compte des chiffres absolus, autant que des parts de marché. Même d'après les propres estimations des requérantes, le chiffre d'affaires de MDF en produits hifi en 1976 se montait à 50600000 FF, tandis que celui de Pioneer GB se montait à 4130000 UKL. Lorsqu'une pratique concertée est le fait de commerçants qui réalisent de tels chiffres d'affaires, elle doit, à notre avis, être considérée comme susceptible d'avoir des effets qui ne sont pas insignifiants. En outre, même les parts de marché relativement modestes revendiquées par MDF et Pioneer sont, comme nous l'avons déjà dit ci-dessus, de nature à indiquer que des pratiques concertées impliquant ces requérantes étaient susceptibles d'avoir des effets appréciables. Tel est particulièrement le cas lorsque, comme dans la présente espèce, les produits en question représentent une part de marché sensiblement égale à celles d'environ une douzaine de concurrents. Dans ce contexte, l'importance de la part de marché réside dans la détermination de la force ou de la faiblesse de la position d'une entreprise, puisque les accords et les pratiques concertées impliquant des entreprises disposant de positions relativement fortes sont susceptibles d'avoir les effets les plus étendus (voir les conclusions de M. l'avocat général Gand dans Völk/Vervaecke, p. 305). Lorsque la majeure partie du marché est répartie de façon plus ou moins égale entre, par exemple, une douzaine d'entreprises, chacune de ces dernières occupe une position relativement forte; par contre, une entreprise ayant une part de marché similaire en pourcentage se trouvera dans une position relativement faible si elle est confrontée à un ou deux concurrents plus importants.
Pour ces raisons, nous estimons inutile que la Cour se prononce sur la ligne de démarcation qui sépare le marché hifi et les marchés «mid-fi» ou «audio» généraux, qui ne sont d'ailleurs pas susceptibles sans doute de faire l'objet d'une définition précise ou universellement acceptable; il n'est pas non plus nécessaire d'examiner en détail les calculs de la Commission concernant le chiffre d'affaires de MDF et de Pioneer GB en 1976, ni les critiques formulées par elles à cet égard. Il suffit de noter que d'après tous les chiffres qui ont été cités devant la Cour, la part des produits Pioneer sur les marchés français et britannique était telle qu'une pratique concertée impliquant ces requérantes était susceptible d'affecter le commerce entre États membres dans une mesure appréciable.
(ii) Objet ou effet de fausser le jeu de la concurrence
Pour établir l'existence d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, dans la présente affaire, il est absolument inutile, selon nous, que la Commission démontre que les pratiques concertées ont effectivement eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence. L'article 85, paragraphe 1, comporte les termes «qui ont pour objet ou pour effet»; il suffit évidemment d'établir l'existence de l'un ou de l'autre, car ces conditions ont un caractère «non cumulatif mais alternatif»: Société technique minière (loc. cit., p. 359). Les pratiques reprochées aux requérantes avaient essentiellement pour objet de fausser le jeu de la concurrence en protégeant le marché français. Il est admis depuis longtemps qu'une interdiction d'exporter édictée en vue d'isoler un marché particulier constitue une des infractions les plus graves à l'article 85.
Or, des preuves existent que ces pratiques ont eu l'effet visé. M. Iffli n'a pas reçu livraison de son importante commande (qui avait déjà été réduite puisque M. Schreiber s'attendait à ce que des marchandises destinées à la France ne soient pas livrées). Rien ne permet d'affirmer, comme Pioneer le fait, que si le refus de livrer à M. Iffli était le résultat d'une pratique concertée, il ne s'agissait que d'une infraction isolée. Au contraire, la Cour n'a entendu parler que d'une seule offre postérieure à janvier 1976, en vue de livrer en Allemagne des produits Pioneer destinés au marché français, et cette offre date de mai 1977. Malgré la modification des taux de change, les prix de MDF sont restés supérieurs à ceux de Melchers pendant toute l'année 1976 pour certains produits Pioneer, et jusqu'à diverses dates en 1976 pour d'autres produits de la marque.
Aucune preuve n'étaye l'affirmation selon laquelle les lettres de M. Todd à Cornet et à Audiotronic n'ont eu aucun effet. Au contraire, il apparaît qu'à la suite de la lettre de M. Todd, Comet a cessé d'exporter du matériel Pioneer, sauf en quantités très limitées, alors qu'elle continuait d'exporter d'autres marques de matériel hifi. Cela résulte très clairement des informations fournies aux inspecteurs de la Commission par M. Lightowler, le directeur des ventes de Cornet, et qui ont été consignées dans un procès-verbal établi sur place par les mêmes inspecteurs. On a affirmé au nom de Pioneer GB que le contraire était démontré par un passage de la lettre de M. Mason expliquant que Comet avait réduit ses exportations à cause des «effets combinés des limitations de crédit pour nos clients et des marges disponibles». Cependant, le contexte semble indiquer que M. Mason se référait dans ce passage aux limitations de crédit pour des clients britanniques et aux marges applicables au Royaume-Uni, lesquelles étaient de nature à empêcher Cornet de garder des stocks en vue d'exportations occasionnelles. Ce passage n'établit pas la justesse de l'argument selon lequel Cornet n'aurait pas livré à des acheteurs dans d'autres États membres de la CEE à la suite d'un accord, malgré l'absence d'objections de la part de Pioneer GB. Les assertions des requérantes ne sont pas étayées par le fait qu'un certain nombre de clients particuliers sont venus de France pour acheter des produits Cornet en Angleterre, ni par le fait que Comet a vendu des marchandises via les îles Anglo-Normandes. C'est manifestement à bon droit que la Commission a conclu, sur le fondement des preuves existantes, que Cornet avait cessé d'exporter à destination de distributeurs. Dans le cas d'Audiotronic, sa direction avait des raisons de craindre, à la suite des achats tests effectués par l'intermédiaire d'ODA, que ses ventes en France fussent surveillées par MDF. Le directeur d'Audiotronic a promis par la suite de tenter d'obtenir qu'il soit mis fin à la. pratique consistant à exporter des produits Pioneer en France. Même si ces événements avaient eu pour seul effet de canaliser des exportations d'Audiotronic vers la Belgique, cet effet serait tombé sous le coup de l'article 85, paragraphe 1. Il apparaît cependant que même les ventes vers la Belgique ont été empêchées; en effet, Audiotronic a seulement pu exécuter moins de la moitié des commandes d'Euro-Electro, puisqu'elle n'a livré que pour 59000 UKL, alors que les commandes s'élevaient à 150000 UKL. En outre, il existait des preuves que les livraisons d'Audiotronic, autres que celles effectuées à sa filiale, ont cessé dans le courant ou aux environs du mois de juillet 1976.
(iii) Justifications alléguées à l'appui des pratiques
Melchers affirme que la Commission n'a pas évalué correctement les effets de la première pratique concertée, parce qu'elle n'a pas mentionné le fait que, par une série de décisions prises entre 1976 et 1979, la Commission a elle-même autorisé les autorités françaises à exclure du traitement communautaire du matériel hifi provenant du Japon et mis en libre circulation dans d'autres États membres. Ces décisions autorisaient cependant la fixation de quotas limitant les importations en France de récepteurs radio fabriqués au Japon. Une grande partie des exportations de Gruoner n'étaient pas constituées par des récepteurs radio et n'étaient donc pas affectées par les quotas. En outre, le quota a finalement été fixé à 390000 pièces (à comparer aux 2636 pièces commandées par M. Schreiber). Dans le cadre de la limite imposée par le quota, il existait par conséquent une vaste zone pour des importations susceptibles d'être affectées par la pratique concertée qui est en cause ici.
MDF affirme que si elle s'est engagée dans une pratique concertée, sa participation se justifiait par un «état de nécessité», parce qu'il était impératif pour elle de se défendre contre les flux commerciaux parasitaires organisés par des concurrents déloyaux sous la forme d'importations parallèles et de maintenir son indépendance vis-à-vis de Pioneer.
Les décisions de la Cour relatives à «l'état de nécessité» n'établissent pas, à notre avis, un principe qui permettrait à un commerçant d'agir d'une manière qui constituerait sinon une infraction à l'article 85 du traité CEE, afin de se protéger contre le préjudice qui leur est causé par des concurrents dont l'action se situe dans le cadre de la légalité: voir affaire 16/61, Acciaiere Fernere e Fonderie di Modena/Haute Autorité (Recueil 1962, p. 547), et affaires jointes 154, 205, 206 et 226 à 228/78, 31, 39, 83 et 85/79, Ferriera Valsabbia et autres/Commission (Recueil 1980, p. 907). Même si ce moyen de défense est pensable en théorie, il ne nous semble pas qu'il soit étayé à suffisance par des preuves. MDF déclare elle-même qu'on lui a suggéré de répondre à l'action des concurrents par des baisses de prix.
Les amendes
La Commission maintient que «l'objet réel du litige dans cette affaire» est le montant des amendes. C'est la première fois que la Commission a imposé des amendes représentant 3 à 4 % du chiffre d'affaires des entreprises en question. Dans le passé, les amendes ont été de l'ordre de 1 à 2 % dans des affaires similaires. La Commission a expliqué à l'audience qu'elle appliquait, maintenant une nouvelle politique en matière d'amendes. On a dit, mais les requérantes l'ont contesté, que cette politique, qui comporte des amendes plus élevées, a été appliquée par la Commission dans toutes les affaires postérieures aux présentes. Pour cette raison, la Commission considère cette procédure comme une «affaire test cruciale pour la politique communautaire de concurrence».
a) Le changement de politique
Melchers, Pioneer et Pioneer GB se plaignent que les amendes dans cette affaire sont d'une sévérité sans précédent (requêtes, respectivement p. 41, 67 et 39). Deux de ces requérantes affirment qu'en imposant de telles amendes, la Commission a enfreint le principe de l'égalité de traitement; la nouvelle politique n'aurait pas été annoncée et, dans des décisions antérieures, la Commission aurait imposé des amendes inférieures à des entreprises convaincues d'avoir commis des infractions similaires vers la même époque. L'application de la nouvelle politique dans cette affaire a été qualifiée de «rétroactive» et «discriminatoire».
Il ne peut évidemment pas être parlé, dans cette affaire, d'une modification du droit applicable. Les infractions dans lesquelles les entreprises étaient impliquées constituaient des infractions au droit communautaire au moment où elles ont été commises et elles étaient alors susceptibles d'être sanctionnées par des amendes allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires à prendre en considération ou égales à 1 million d'UCE, selon le montant le plus élevé. La Commission a eu les mêmes pouvoirs pendant toute la période en question. Nous n'admettons pas l'argument consistant à dire apparemment qu'une personne ou une société, qui a commis un délit ou une infraction, ne peut pas être frappée d'amendes plus élevées que celles imposées dans le passé ou, en tout cas, qu'elle ne peut pas être sanctionnée plus lourdement à moins que l'intention d'augmenter le taux des amendes ait été notifiée avant la date de l'infraction. Toute règle de ce genre inciterait à analyser s'il vaut la peine financièrement d'enfreindre la loi, ce qui est un comportement qu'il convient de décourager. Comme la constatation et la preuve des infractions à l'article 85 peuvent naturellement prendre beaucoup de temps, cette situation pourrait en outre faire hésiter la Commission à augmenter les amendes dans certains cas pendant de nombreuses années, jusqu'à une date à laquelle le tarif alors applicable serait peut-être de nouveau inapproprié, de même que la Commission pourrait se trouver au cours d'une année déterminée en situation de devoir imposer, pour le même type d'infraction, des amendes d'un montant très différent, selon la date à laquelle l'infraction a été commise. La Commission, à laquelle l'article 155 du traité CEE impose de veiller à l'application des dispositions de ce traité, doit pouvoir prendre en compte, lorsqu'elle inflige des amendes au titre de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la mesure dans laquelle les entreprises communautaires en général peuvent devoir être dissuadées, à un moment donné, d'agir en infraction aux articles 85 et 86. Si des pratiques particulières commencent à s'étendre, des amendes plus lourdes peuvent devoir être infligées aussitôt, afin de les décourager. De même, la Commission est en droit de prendre en compte le fait que les conséquences d'une violation de l'article 85 ou de l'article 86 peuvent être plus graves maintenant que l'intégration économique est plus avancée qu'elles ne l'étaient aux premiers jours de la Communauté, et que les entreprises agissant en violation de ces articles ne peuvent plus prétendre que le droit communautaire est un nouveau système juridique, auquel l'industrie doit encore s'adapter.
D'un autre côté nous pensons, tout en acceptant les arguments de la Commission dans leur principe, qu'au moment d'augmenter le niveau des amendes, il conviendrait de se rappeler dans une certaine mesure les amendes infligées dans le passé et qu'il devient particulièrement important de considérer la. gravité et la durée de l'infraction, ses effets ainsi que le chiffre d'affaires. Une infraction flagrante, délibérée et aux conséquences étendues peut parfaitement justifier l'amende maximale sans avertissement préalable. Les opérateurs sont suffisamment avertis de l'échelle des peines par la disposition du règlement en vertu de laquelle l'amende peut se monter à 10 % du chiffre d'affaires. La Commission reconnaît que les présentes affaires n'entrent pas dans cette catégorie. Considérant toutefois les faits dans leur ensemble, nous sommes d'avis que si on se réfère, mais pas de manière exhaustive, à la pratique antérieure de la Commission, les amendes infligées exprimées en termes de montant nominal plutôt qu'en termes de pourcentage du chiffre d'affaires, sont plus élevées qu'il n'était justifié, particulièrement dans le cas de Pioneer, et cela même si des amendes plus sévères se justifient par des raisons punitives.
b) L'affaire Kawasaki
Melchers et Pioneer affirment que les amendes imposées dans la présente affaire sont sensiblement plus élevées que celles qui ont été imposées à Kawasaki QO L 16 du 23. 1. 1979, p. 9). Bien que cette décision soit relativement récente, elle reposait sur des faits matériellement différents de ceux de l'affaire actuelle. En particulier, les personnes empêchées d'exporter à partir du Royaume-Uni dans l'affaire Kawasaki étaient des détaillants, qui ne pouvaient exporter chacun que quelques motocyclettes, tandis que dans cette affaire-ci les exportateurs étaient des commerçants en gros, traitant de grandes quantités de produits; en outre, les différences entre les prix britanniques et ceux pratiqués sur le continent étaient bien plus élevées dans cette affaire que dans l'affaire Kawasaki. Nous ne pensons pas, par conséquent, que les différences entre la présente affaire et l'affaire Kawasaki soient de nature à faire apparaître une discrimination illégale. En outre, ainsi que la Cour l'a fait observer dans les affaires jointes 32/78 et 36 à 82/78, BMW/Commission (Recueil 1979, p. 2435, 2482), «la circonstance que, dans des affaires similaires précédentes, la Commission n'ait pas estimé qu'il y avait lieu d'infliger une amende... ne saurait la priver d'un tel pouvoir expressément attribué... dès lors que les conditions requises pour son exercice sont réunies».
c) Le droit national
Melchers soutient que les amendes maximales fixées à l'article 15 du règlement no 17 sont nettement plus élevées que celles prévues dans certains droits nationaux, y compris dans le droit des Etats-Unis d'Amérique. Partant de cette observation, elle semble conclure que la Commission devrait se montrer particulièrement prudente avant d'appliquer des amendes d'une telle ampleur. Il faut cependant rappeler que l'amende est la seule arme dont la Commission dispose pour garantir l'observation des règles communautaires, tandis que plusieurs des systèmes juridiques nationaux auxquels Melchers se réfère prévoient la possibilité d'assurer le respect de la législation antitrust par des actions en dommages-intérêts engagées par des particuliers (qui peuvent recevoir des dommages-intérêts triples au titre du Sherman Act des États-Unis d'Amérique). Dans divers autres systèmes, le non-respect de la législation antitrust peut être sanctionné par des peines d'emprisonnement. Tout en admettant, par conséquent, que les amendes imposées ne devraient pas être considérées comme déraisonnables ou injustes compte tenu de toutes circonstances, nous ne pensons pas que les législations nationales invoquées soient d'un grand secours pour l'argumentation des parties dans la présente affaire.
d) Article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17
Melchers affirme que l'amende qui lui a été imposée viole l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17 en tant qu'elle sanctionne une conduite conforme à des engagements contractuels souscrits par Melchers et notifiés dûment à la Commission (requête, p. 42). Le seul engagement contractuel notifié à la Commission, sur lequel Melchers s'appuie pour justifier sa conduite, est l'obligation d'approvisionner le marché allemand. Cependant, pour les raisons déjà indiquées, nous ne pensons pas que les infractions en cause ici aient été une conséquence du besoin d'approvisionner le marché allemand; elles résultaient d'un désir de protéger le marché français.
e) Amendes distinctes
Pioneer affirme qu'en imposant une amende unique pour deux infractions, la Commission l'a privée du droit de savoir le montant exact de l'amende imposée pour chacune des infractions. Elle prétend (requête, p. 44) que cela équivaut à une violation de formes substantielle. Il est cependant artificiel de faire une distinction aussi tranchée entre les deux infractions dans cette affaire, puisqu'elles ont toutes deux été commises simultanément dans le but apparent de protéger le même marché; l'une et l'autre semblent être dues à une initiative de MDF et, dans chaque cas, deux des trois parties à la pratique concertée étaient identiques. En outre, les arrêts de la Cour montrent qu'il est permis d'imposer une seule amende pour des infractions distinctes mais liées entre elles: voir affaire 27/76, United Brands/Commission, (Recueil 1978, p. 207) et affaires jointes 6 et 7/73, Commercial Solvents, (Recueil 1974, p. 223). Nous rejetterions donc cet argument.
f) Responsabilité du fait d'un tiers
Melchers soutient que toute infraction au droit communautaire, dont cette société est responsable, ne peut pas être qualifiée de «délibérée» ou «intentionnelle», dès lors que les actes impliquant prétendument Melchers dans une pratique concertée ont été le fait de MM. Mackenthun et von Bonin, lesquels étaient de simples employés. Melchers est une société en commandite simple et rien ne prouverait que les commandités avaient connaissance des actes de MM. Mackenthun et von Bonin. Cependant, la question qui se pose à cette Cour n'est pas de savoir si ces employés avaient le pouvoir de prendre des engagements liant Melchers (question à laquelle il doit peut-être être répondu par référence au droit allemand), mais bien si la Commission était en droit de conclure que Melchers était en fait impliquée dans une pratique concertée. Nous ne voyons absolument aucun élément permettant de dire qu'une emtreprise ne peut pas être impliquée dans une pratique concertée par des actes accomplis par des employés, surtout lorsque lesdits actes sont le fait de membres du personnel de cadre comme le chef du département hifi et un directeur des ventes (voir Thiesing-Schröter et Humbaum, «Les ententes et les positions dominantes dans le droit de la CEE», 1977, p. 554 et 555).
g) Chiffre d'affaires
On a affirmé au nom de Melchers que l'amende imposée à cette société dépassait le maximum permis par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, dès lors que le terme «chiffre d'affaires», utilisé dans cette disposition, désigne le chiffre d'affaires du secteur directement impliqué dans l'infraction. Pioneer et MDF ont également soutenu que la Commission aurait dû fixer l'amende par référence à leurs ventes de produits hifi seulement, à l'exclusion des marchandises comme les autoradios et les cassettes. Selon nous, cet argument est excessif.
L'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 autorise la Commission à infliger «des amendes de 1000 UC au moins et d'un million d'UC au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction». Rien dans ce texte ne suggère que le terme «chiffre d'affaires» signifie autre chose que le chiffre d'affaires global de l'entreprise. L'article trace la limite des pouvoirs de la Commission et, en fixant le taux maximal de l'amende, il semble établir une corrélation approximative entre l'amende et la capacité de l'entreprise de la supporter.
Si le terme «chiffre d'affaires» désignait, comme on l'a prétendu, le chiffre d'affaires se rapportant à un seul secteur particulier, il en résulterait un certain nombre de conséquences extraordinaires. Ainsi, lorsqu'un très grand groupe industriel ayant des intérêts diversifiés a commis une infraction très grave au droit communautaire dans un des secteurs où il exerce ses activités, la Commission n'aurait pas le pouvoir d'infliger une amende d'un montant suffisant pour être dissuasif. En outre, lorsqu'une entreprise a cessé de faire commerce dans le secteur directement concerné par l'infraction, aucune amende ne pourrait être fixée par référence au «chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent». Melchers argue que, dans un. tel cas, l'amende pourrait être fixée par référence au chiffre d'affaires réalisé au cours de la dernière année pendant laquelle l'entreprise a fait commerce dans le secteur en cause, mais cela équivaudrait à se départir très nettement des termes utilisés dans le règlement.
Néanmoins, une difficulté découle dans cette affaire du fait que la Commission déclare avoir utilisé le chiffre d'affaires des sociétés comme base de calcul du montant de l'amende à imposer. Elle a décidé d'imposer aux quatre entreprises des amendes approximativement équivalentes à des pourcentages déterminés de leurs chiffres d'affaires respectifs, selon son appréciation de leurs degrés de culpabilité. Si la Commission procède sur cette base, elle devrait, selon nous, prendre en compte la mesure dans laquelle les activités de l'entreprise sont diversifiées. Il doit en être ainsi parce qu'une infraction commise par une entreprise dans un petit secteur seulement de ses activités sera habituellement moins grave qu'une infraction commise en rapport avec l'ensemble des ses activités.
Le commerce de matériel hifi n'a jamais compté pour plus de 10 % du chiffre d'affaires de Melchers et les autres activités de cette société n'ont guère de liens avec le marché audio. Il en est autrement de MDF, de Pioneer et de Pioneer GB qui, bien que faisant commerce dans le secteur des radiocassettes et d'autres appareils ne relevant pas du marché hifi, ont des activités beaucoup moins diversifiées. En établissant le rapport entre les degrés de culpabilité des quatre entreprises et leurs chiffres d'affaires, la Commission a adopté un mode de calcul qui ne tenait pas compte du fait que, dans le cas de Melchers au moins, la plus grande partie du chiffre d'affaires n'était absolument pas affectée par l'infraction. A nos yeux, il s'agit là d'une omission importante et l'amende de Melchers devrait être réduite en conséquence.
Le même raisonnement s'applique à l'argument selon lequel c'est à tort que la Commission a calculé l'amende sur la base du chiffre d'affaires global de Pioneer, plutôt que sur la base de son chiffre d'affaires sur les marchés en question (à savoir en France, au Royaume-Uni et en république fédérale d'Allemagne). Pour les raisons déjà exposées, nous estimons que la Commission a le pouvoir, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, d'imposer des amendes allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires global d'une entrer prise; cependant lorsque la Commission utilise le chiffre d'affaires comme base de calcul du montant de l'amende, elle devrait prendre en compte la mesure dans laquelle le chiffre d'affaires reflète des opérations commerciales sur des marchés non affectés par l'infraction. La Commission a omis de prendre cet élément en compte dans la présente affaire et l'amende de Pioneer devrait être réduite en conséquence. La réduction sera cependant proportionnellement moins importante que dans le cas de Melchers car, bien que les chiffres disponibles ne permettent pas d'effectuer une comparaison précise, il semble certain que les ventes en France, au Royaume-Uni et en Allemagne représentent une proportion nettement plus grande du chiffre d'affaires total de Pioneer que celle que les ventes de produits Pioneer représentent dans le chiffre d'affaires total de Melchers.
Pioneer soutient que la Commission aurait dû utiliser comme base de calcul de l'amende le chiffre d'affaires au cours de l'exercice social ayant précédé l'infraction. Dans le contexte de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la référence à «l'exercice social précédent» vise, selon nous, l'exercice précédant celui au cours duquel l'amende est infligée et non pas l'exercice précédant l'infraction. S'il en était autrement, le calcul deviendrait exagérément complexe lorsqu'une infraction s'étend sur plusieurs exercices et la référence au chiffre d'affaires au cours de l'exercice précédant le premier de ces exercices peut donner un résultat trop ou pas assez élevé, en tout cas inapproprié. A titre subsidiaire, Pioneer soutient que la Commission aurait dû prendre en compte la même période pour déterminer le chiffre d'affaires des différentes entreprises ayant participé aux infractions. Or, la Commission a utilisé les derniers comptes disponibles, à savoir ceux de l'année civile 1978 pour trois des requérantes et ceux de l'exercice comptable ayant pris fin le 30 septembre 1979 dans le cas de Pioneer. Les termes «exercice social précédent» justifient, à nos yeux, la référence à l'exercice comptable adopté par la société de sorte que strictement la Commission était en droit de se référer aux périodes considérées. D'un autre côté, nous pensons qu'il était approprié en l'espèce d'avoir égard au fait que l'année civile 1978 a été prise comme exercice social de référence pour toutes les autres sociétés et que le chiffre d'affaires de Pioneer tant pour l'exercice social ayant pris fin le 30 septembre 1978 que pour l'année civile 1978 était notablement inférieur au chiffre d'affaires de l'exercice comptable ayant pris fin le 30 septembre 1979. Pour autant que nous puissions le constater, la Commission n'en a pas tenu compte et il conviendrait, selon nous, de s'en souvenir au moment de fixer l'amende.
De même nous pensons que l'amende imposée à MDF devrait également être diminuée en raison d'une erreur relative au chiffre d'affaires de cette société, mais qui n'est aucunement imputable à la Commission. Pour déterminer l'amende, la Commission a demandé à MDF de lui communiquer son chiffre d'affaires pour les années 1976, 1977 et 1978. C'est par erreur que MDF a inversé les chiffres d'affaires des années 1977 et 1978. La Commission semble avoir calculé l'amende de 850000 UCE en appliquant aux chiffres de 1977 un taux multiplicateur de 4 %. Dans ses observations écrites dans les trois autres affaires, la Commission se réfère spécifiquement au chiffre de 4 % comme constituant la base de calcul de l'amende de MDF. Dans ces circonstances, nous estimons peu convaincant son argument selon lequel l'amende infligée à MDF a été fixée à 4,32 % du chiffre d'affaires (soit approximativement 4 %). En dehors de toute autre considération, nous réduirions par conséquent l'amende de MDF de 50000 UCE, de manière à arriver à un chiffre plus proche de 4 % du chiffre d'affaires afférent à l'exercice en cause.
h) Autres points litigieux
MDF soutient que les amendes qui lui ont été infligées ont un caractère de confiscation et lui font courir le risque d'une faillite. La Cour a montré une certaine réticence dans le passé ä réduire des amendes pour des motifs similaires:
voir Miller/Commission (p. 131); affaires jointes 2 à 10/63, San Michele/Haute Autorité (Recueil 1963, p. 663); affaire 21/64, Dalmas/Haute Autorité (Recueil 1965, p. 228). A la lumière des éléments dont dispose la Cour, nous pensons que la Commission a raison lorsqu'elle prétend que MDF exagère l'effet éventuel de l'amende sur sa capacité de poursuivre ses activités. En outre, MDF a été l'instigatrice et la bénéficiaire des deux pratiques concertées et ce sont les acheteurs potentiels dans sa zone qui en ont été les victimes. Néanmoins, il est juste (et conforme à l'économie de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17) de fixer l'amende en tenant compte de la capacité des entreprises de la payer. Sous ce rapport, il semble établi que l'amende fixée par la Commission dépasse le fonds de roulement de MDF; les comptes soumis à la Cour par MDF font état d'une forte proportion d'emprunts à court terme; en outre, contrairement aux autres entreprises impliquées dans la présente affaire, MDF reste indépendante. Ces facteurs justifient, à nos yeux, une certaine réduction de l'amende.
Pioneer maintient qu'elle n'a pas participé «de propos délibéré» à une pratique concertée et elle observe que, dans sa communication des griefs, la Commission lui a simplement reproché d'avoir agi «de propos délibéré ou du moins par négligence». Il est manifeste que la Commission a repris ces termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Nous voyons mal comment Pioneer peut être considérée comme étant impliquée par négligence dans une pratique concertée, laquelle exige la formation d'une intention commune, ainsi que cela a été établi dans cette affaire. Ce qui est reproché en substance à Pioneer, c'est d'avoir participé à la pratique de propos délibéré. Pioneer allègue qu'elle n'a été impliquée dans les pratiques concertées que par l'organisation d'une réunion au cours de laquelle les importations parallèles ont été discutées et qu'elle ne pouvait pas savoir par conséquent que sa conduite était illégale. Pour les raisons déjà indiquées, nous ne pensons pas que la participation de Pioneer aux pratiques concertées ait été si limitée. En outre, l'ignorance du droit n'excuse jamais l'infraction et ne transforme pas une infraction intentionnelle en une infraction commise par négligence. Cependant, il reste que Pioneer n'a pas tiré d'avantage direct des prix plus élevés pratiqués en France, bien qu'à l'évidence elle en aurait tiré un bénéfice à long terme si ses distributeurs français avaient pu continuer d'obtenir satisfaction. De fait, elle considérait les prix de vente de MDF comme trop élevés (voir la lettre de M. Setton à M. ko datée du 19 juin 1978, annexe 5 à la réplique). Melchers et Pioneer GB non plus n'ont pas obtenu d'avantage financier direct des pratiques dans lesquelles elles étaient impliquées; toutes deux pouvaient en effet enregistrer des pertes, malgré les faibles marges bénéficiaires, tant qu'elles pouvaient obtenir des appareils en nombre suffisant pour approvisionner à la fois les clients nationaux et les clients étrangers, et les chiffres avancés pour suggérer que la poursuite des exportations n'aurait pas été rentable ne sont pas convaincants. Dans le cas de Pioneer GB, il est certain que M. Todd a agi pour satisfaire aux doléances persistantes de M. Setton.
Cette circonstance justifie, selon nous, une réduction des amendes infligées à Pioneer, à Melchers et à Pioneer GB. Cependant, pour cette dernière, la réduction sera minime puisque les lettres de M. Todd à Cornet et à Audiotronic démontrent une attitude hostile, de la part du directeur de Pioneer GB, à l'égard des obligations de la société au titre du droit communautaire.
Pour l'évaluation des amendes à imposer dans cette affaire, nous ne tenons pas compte du fait que la Commission a renoncé à exiger des requérantes qu'elles fournissent des garanties bancaires en attendant qu'il soit statué sur leurs recours. Cette décision a eu pour conséquence que les requérantes ont bénéficié de cet argent ou des intérêts sur le montant des amendes tout au long de la procédure, laquelle a duré fort longtemps. Cependant, cette décision a été prise librement par la Commission et nous ne voyons aucune raison d'augmenter les amendes au stade actuel de la procédure parce que la Commission a décidé, à un stade antérieur, de ne pas faire usage d'un droit dont elle disposait.
Les présentes conclusions sont déjà longues. Pourtant nous sommes bien conscients du fait que dans le bon millier de pages d'observations écrites, dans les volumineuses annexes et dans les rapports d'audience se trouvent beaucoup d'autres arguments sur des points de détail, ainsi que des réponses à ces arguments, auxquels nous ne nous sommes pas référé expressément. Nous ne pensons pas que la conclusion générale à laquelle nous sommes parvenu s'en trouve affectée, ou qu'il serait d'une quelconque utilité d'examiner ces arguments un à un, en allongeant inévitablement la longueur du présent texte.
En définitive, la fixation de l'amende appropriée est une question de juge ment et d'appréciation plutôt que de calcul. Il serait inopportun de «retou cher» les amendes infligées si nos conclusions se bornaient à proposer de changements mineurs. Compte tenu des critères pertinents mentionnés dan; le règlement et pris en compte par la Cour (comme par exemple la durée e la gravité de l'infraction, l'intention, la participation et la situation financien de chacune des parties), ainsi que des facteurs auxquels nous avons fait allu sion, nous pensons que les amendes devraient être modifiées. Après mûri réflexion à la lumière de tous les éléments qui ont été avancés, nous penson que les amendes devraient être réduites aux montants suivants :
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Pioneer GB: 200000 UCE.
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Pour le surplus, la décision de la Commission devrait être laissée en l'état.
En ce qui concerne les dépens, la Commission doit obtenir gain de cause, à notre avis, en ce qui concerne la demande d'annulation pour absence d'infraction à l'article 85. Il conviendrait donc normalement de lui allouer ses dépens sur cette question. D'un autre côté, les requérantes doivent obtenir gain de cause, d'après nos conclusions, en ce qui concerne leurs demandes de réduction des amendes, même si la réduction n'est pas aussi importante qu'elles le souhaitaient. Eu égard aux points litigieux et compte tenu de la mesure dans laquelle chacune des parties aura obtenu gain de cause, il nous semble qu'il serait juste et convenable que la Commission soit condamnée à supporter ses propres dépens et à payer un cinquième des dépens des parties requérantes.
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1
) Traduit de l'anglais.