Cour d'appel de Limoges, 28 mars 2013, 12/00269

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Texte intégral

COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE

ARRET

DU 28 MARS 2013 ARRET N. RG N : 12/ 00269 AFFAIRE : SARL @ MEDIA 19, SARL @ MEDIA 24, SARL CONSONANCE WEB C/ SAS TIBCO SOLUTIONS ENTREPRISES MJ/ MCM CONCURRENCE DELOYALE Grosse délivrée à Me CLERC, avocat Le VINGT HUIT MARS DEUX MILLE TREIZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe : ENTRE : SARL @ MEDIA 19, dont le siège social est 15, rue de Féletz-19100 BRIVE LA GAILLARDE SARL @ MEDIA 24, dont le siège social est 5, rue Mirabeau-24000 PERIGUEUX SARL CONSONANCE WEB, dont le siège social est 5, rue Mirabeau-24000 PERIGUEUX représentées par la SELARL DAURIAC-COUDAMY-CIBOT, avocat au barreau de LIMOGES, Me Antoine LAMAGAT, avocat au barreau de la Corrèze APPELANTES d'un jugement rendu le 10 FEVRIER 2012 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BRIVE ET : SAS TIBCO SOLUTIONS ENTREPRISES, dont le siège social est Route de la Forêt " Le Bois Cholet "-44860 SAINT AIGNAN DE GRAND LIEU représentée par Me Philippe CLERC, avocat au barreau de LIMOGES, Me Yann MICHEL, avocat au barreau de NANTES substitué par Me BLOND, avocat au barreau de NANTES INTIMEE L'affaire a été fixée à l'audience du 07 Février 2013 en application de l'article 905 du Code de procédure civile, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier. A cette audience, Madame JEAN, Président de chambre a été entendue en son rapport, Me LAMAGAT et Maître BLOND, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie. Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 28 Mars 2013 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi. LA COUR La SAS TIBCO SOLUTIONS ENTREPRISES (TIBCO) société de vente de matériels informatiques et consommables, a acquis le 1er décembre 2012 la société SERDIE qui possédait deux établissements à Brive La Gaillarde et Limoges et a repris les contrats de travail en cours. Suite au départ de plusieurs de ses salariés, lesquels étaient immédiatement embauchés par des sociétés concurrentes, la SAS TIBCO, qui suspectait des faits de concurrence déloyale, a obtenu du président du tribunal de commerce de Brive l'autorisation de faire procéder par huissier à différentes investigations au siège des sociétés @ MEDIA 19 et @ MEDIA 24. Ces investigations ayant eu lieu, la SAS TIBCO a fait assigner ces deux sociétés ainsi que la société CONSONANCE WEB devant le tribunal de commerce de Brive aux fins d'indemnisation de ses préjudices qu'elle évaluait alors à 179. 817, 20 € au titre de la perte de son chiffre d'affaires liée au détournement de clientèle et 50. 000 € au titre de son préjudice moral. Par jugement du 10 février 2012, le tribunal, après avoir écarté la demande en nullité du constat d'huissier présentée par les défenderesses, a estimé que celles-ci s'étaient rendues coupables d'actes de concurrence déloyale en ayant recours à un débauchage systématique de la clientèle, en ciblant les compétences de salariés débauchés, en détournant les outils commerciaux, techniques et informatiques et en désorganisant l'activité de la société TIBCO à travers la captation illégale de sa clientèle et les a condamnées solidairement à payer à la société TIBCO la somme de 70. 000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Les sociétés @ MEDIA 19, @ MEDIA 24 et CONSONANCE WEB ont déclaré interjeter appel de cette décision le 7 mars 2012. Les dernières écritures des parties, auxquelles la Cour renvoie pour plus ample information sur leurs demandes et moyens, ont été transmises à la cour les 31 janvier 2013 par les sociétés appelantes et 30 janvier 2013 par la SAS TIBCO. Les sociétés @ MEDIA 19, @ MEDIA 24 et CONSONANCE WEB demandent à la cour, par réformation du jugement déféré, de : - écarter des débats l'ensemble des pièces produites par la SAS TIBCO, et notamment les pièces no 45 à 64 ainsi que leurs annexes no 1 à no 62, - constater l'absence de preuve des griefs formulés par la SAS TIBCO, - débouter la SAS TIBCO de son appel incident, - en toute hypothèse mettre hors de cause les sociétés @ MEDIA 19, @ MEDIA 24 et CONSONANCE WEB, - dire qu'il ne saurait y avoir de solidarité dans les condamnations entre les concluantes, - condamner la société TIBCO au paiement à chacune des sociétés appelantes de la somme de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts, - condamner la société TIBCO à 8. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, - la condamner aux dépens de première instance et d'appel. La SAS TIBCO invite la cour à : - déclarer irrecevable la demande des sociétés appelantes tendant à voir écarter des débats l'ensemble des pièces produites par elle et notamment les pièces no 45 à no 64, ainsi que leurs annexes no1 à 62, - constater la validité et la force probante du procès-verbal de constat établi par la SCP X... et Y... le 7 janvier 2011, de la saisie des documents et de leur exploitation, - confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que les sociétés appelantes s'étaient rendues coupables d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société TIBCO, - débouter les sociétés appelantes de toutes leurs demandes, fins et conclusions, - infirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné ces sociétés à lui verser la somme de 70. 000 €, - condamner in solidum les trois sociétés appelantes à lui payer : * la somme de 428. 504 € TTC à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du détournement de clientèle, en raison de ces actes de concurrence déloyale, * 50. 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait du comportement abusif et de mauvaise foi de ces sociétés, - en toute hypothèse condamner in solidum les sociétés appelantes à lui payer la somme de 10. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et à supporter les dépens incluant le coût des constats de Me X... et Me Z....

MOTIFS DE LA DECISION

En la forme Attendu que devant les premiers juges les sociétés appelantes avaient sollicité que soit prononcée la nullité du constat d'huissier de la SCP X... ET Y... ; qu'elles demandent désormais à la cour d'écarter des débats les pièces obtenues dans le cadre de ce constat d'huissier qu'elles estiment irrégulier ; qu'une telle demande, bien que nouvelle devant la cour, ne saurait, comme le sollicite la société TIBCO, être déclarée irrecevable alors que, en application de l'article 564 du Code de Procédure Civile, les parties peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions s'il s'agit, notamment, de faire écarter les conclusions adverses ; qu'il convient en conséquence de rejeter les conclusions d'irrecevabilité déposées par la société TIBCO et d'apprécier, au contraire, le bien fondé de la demande présentée par les sociétés appelantes ; Attendu que pour obtenir que ces pièces soient écartées des débats, les sociétés appelantes remettent en cause la régularité du constat d'huissier qui, selon elles, ne pourrait avoir pour ce motif aucune valeur probante ; Attendu toutefois que les pièces en cause ont été normalement communiquées ; qu'un constat d'huissier n'a par ailleurs que la valeur d'un moyen de preuve ; que, dans ces conditions, s'il appartient aux juridictions saisies d'en apprécier la valeur probante, cette question, qui sera examinée plus avant, relève du fond et ne constitue nullement un manquement aux règles de procédure, tel le non-respect du contradictoire, qui serait de nature à justifier d'écarter des débats les pièces qui en ont été l'objet ; qu'il n'y a pas lieu dès lors de faire droit à la demande des sociétés appelantes ; Au fond Attendu que l'huissier de justice requis pour procéder aux opérations de constat avait certes été autorisé à se faire assister au cours de ses opérations par un informaticien ; qu'il apparaît toutefois que Me X... s'est fait assister en l'espèce par M. Guillaume A... qui n'est autre que l'un des salariés de la société requérante ; Or attendu que sans mettre en cause l'honnêteté de celui-ci, cette circonstance est nécessairement de nature à vicier les opérations de constat ; qu'une manipulation ne peut en effet être exclue, d'autant que les interventions sur le matériel informatique ne sont que peu décrites dans le constat, l'huissier ne précisant notamment pas qui a fourni la clef USB ayant servi de support ni si celle-ci était vierge ; qu'ainsi, un doute subsistant sur la régularité des opérations de Me X..., il convient de juger que les pièces qui en sont issues n'ont pas valeur probante ; Attendu, pour autant, qu'il n'est pas contesté et ressort des pièces du dossier que quatre salariés de la société TIBCO ont, de façon quasi-simultanée, donné leur démission de l'entreprise TIBCO pour être engagés immédiatement après par les sociétés @ MEDIA 19 et @ CONSONANCE WEB, lesquelles sociétés ont le même dirigeant ; que les démissions des salariés concernés ont eu lieu en effet entre le 30 août 2010 et le 1er octobre 2010 tandis que les embauches par les entreprises concurrentes susvisées ont eu lieu entre le 9 septembre 2010 et le 1er novembre 2010 ; que, comme l'a justement relevé la juridiction du premier degré, ces démissions et embauches quasi-concomitantes, et ce dans un très bref délai, de quatre salariés de la société TIBCO ne peuvent être le fait d'une simple coïncidence ; qu'il n'est pas sérieusement contestable par ailleurs que le départ de quatre de ses salariés n'a pu que désorganiser, serait-ce même de façon momentanée, le fonctionnement de la société TIBCO compte tenu à la fois du nombre des salariés concernés (4 sur 15) et de leur compétence professionnelle puisque David E..., engagé le 20 septembre 2010 par la société CONSONANCE WEB, exerçait au sein de la société TIBCO les fonctions d'ingénieur commercial tandis que Salvatore F..., engagé le lendemain de son départ de chez TIBCO par la société @ MEDIA 19, exerçait quant à lui celle d'ingénieur réseau et Sylvie G... et Maria H..., engagées par la société @ MEDIA 19 respectivement 7 et 10 jours après leurs démissions, étaient formatrices au sein de la société TIBCO, chacun des démissionnaires étant salarié au demeurant de la société SERDIE puis, après son rachat, de la société TIBCO depuis plusieurs années ; que, dans ces conditions, le comportement des sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB procède d'un acte de concurrence déloyale et engage la responsabilité de ces sociétés à l'égard de la société TIBCO sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil ; Attendu, à cet égard, que s'il apparaît que la société @ MEDIA 24 n'a quant à elle procédé à aucune embauche des salariés démissionnaires de la société TIBCO en sorte qu'elle doit être mise hors de cause, c'est à tort que les sociétés appelantes contestent le principe d'une responsabilité solidaire des sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB, sauf à dire que les condamnations à intervenir seront prononcées non solidairement mais in solidum ; que les liens existant entre les sociétés MEDIA 19 et CONSONANCE WEB sont patents dès lors que ces sociétés, qui sont certes des personnes morales distinctes, ont non seulement le même siège social mais surtout le même dirigeant en sorte que le comportement qui leur est reproché est nécessairement le fait de ce dernier, peu important à cet égard que les salariés démissionnaires n'aient pas tous été engagés par l'une seule des deux sociétés mais aient été répartis dans l'une et l'autre structure en fonction des besoins spécifiques de chacune tels qu'appréciés par leur gérant unique ; Attendu en revanche, la cour ayant nié toute valeur probante au constat de Me X..., qu'il n'est démontré par la société TIBCO ni faits de parasitisme ni détournements de clientèle ; que s'agissant du détournement de clientèle, s'il ressort des pièces versées aux débats que nombre de clients de la société TIBCO (notamment entre autres B..., ACMG, fédération de la Haute Vienne pour la pêche et la protection du milieu aquatique) ont bien été approchés par la société @ MEDIA 19, cette constatation ne constitue pas en elle-même un détournement de clientèle fautif en l'absence de preuve d'une prospection systématique de la clientèle de la société TIBCO à l'aide de procédés déloyaux tel, notamment, l'appréhension par l'intermédiaire des salariés démissionnaires, des fichiers clients de l'entreprise TIBCO ; que la simple ressemblance entre les courriels adressés par la société @ MEDIA 19 (mise à jour du logiciel de paye, bons de commande des formations) et ceux habituellement adressés par la société TIBCO, ne suffit pas par ailleurs à caractériser des faits de parasitisme ; Et attendu, sur le préjudice, la démonstration n'étant pas faite au regard des seuls éléments du dossier ayant valeur probante, d'un détournement fautif de clientèle, que le préjudice de la société TIBCO ne peut être qu'un préjudice moral lié notamment à la désorganisation de l'entreprise et la nécessité de rechercher, dans l'urgence, du personnel de remplacement qualifié ; qu'en effet si la société fait état d'une perte de chiffre d'affaires, invoquant notamment à cet égard 91 résiliations de contrats dans les mois ayant suivi la démission de ses salariés, ce fait ne constitue pas un préjudice indemnisable en l'absence d'un détournement de clientèle fautif avéré ; que, dans ces conditions, le préjudice de la société TIBCO sera réparé par l'allocation d'une somme que la cour estime devoir chiffrer à 30. 000 € ; Attendu en définitive que le jugement sera réformé pour mettre hors de cause la société @ MEDIA 24 et condamner in solidum les seules sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB à payer à la société TIBCO, au titre de son préjudice moral, la somme de 30. 000 € ; Attendu que les sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB seront condamnés en outre in solidum à payer à la société TIBCO la somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; Attendu que l'issue de ce litige conduit à débouter les sociétés @ MEDIA19 et CONSONANCE WEB de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts Attendu enfin que les sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB supporteront les dépens d'instance et d'appel, en ce compris le coût du constat de Me Z... ; que s'agissant du constat de Me X..., il n'y pas lieu en revanche d'en mettre le coût à la charge des sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB dès lors que, écarté par la Cour en sa valeur probante, il n'a pas été utile à la solution du présent litige ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ; REFORME le jugement déféré, MET hors de cause la société @ MEDIA 24, DIT que les sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB se sont rendus coupables de concurrence déloyale, CONDAMNE in solidum les sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB à payer à la société TIBCO SOLUTIONS ENTREPRISES la somme de 30. 000 € en réparation de son préjudice moral ainsi que la somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, DEBOUTE la société TIBCO du surplus de ses demandes, DEBOUTE les sociétés @ MEDIA 19, @ MEDIA 24 et CONSONANCE WEB de leurs demandes reconventionnelles, CONDAMNE in solidum les sociétés @ MEDIA 19 et CONSONANCE WEB aux dépens d'instance et d'appel, en ce compris le coût du constat de Me Z... et DIT qu'ils seront recouvrés, en ce qui concerne les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile. LE GREFFIER, LE PRESIDENT. Marie-Christine MANAUD, Martine JEAN.