Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 avril 2022, le 23 novembre 2022 et le 5 décembre 2022, Mme A B, représentée par Me Muscatelli, demande au tribunal :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 3 mars 2022 par lequel le maire de Cargèse s'est opposé à sa déclaration préalable en vue de la division à fin de construire des parcelles cadastrées section F n°s 514 et 517 à 519, situées au lieudit " San Supiero " ;
2°) d'enjoindre à la commune de Cargèse de réexaminer sa déclaration préalable, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Cargèse la somme de 2 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
La requérante soutient que :
- l'arrêté litigieux et l'avis conforme défavorable du préfet de la Corse-du-Sud méconnaissent l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme, le projet se situant dans le village de Cargèse ;
- pour le même motif, cet arrêté et cet avis méconnaissent l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme ;
- cet arrêté et cet avis méconnaissent les prescriptions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) relatives aux espaces stratégiques agricoles, le terrain en cause ayant une pente supérieure à 15 % et ne présentant pas de forte potentialité agricole ;
- cet avis méconnaît l'article
L. 122-10 du code de l'urbanisme, le projet n'étant pas nécessaire au maintien et au développement des activités agro sylvo-pastorales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2022, la commune de Cargèse, représentée par Me Nesa, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme B au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. La commune soutient que les moyens soulevés par Mme B ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jan Martin, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Christine Castany, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Goubet, substituant Me Muscatelli, avocat de Mme B.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B demande au tribunal d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 3 mars 2022 par lequel le maire de Cargèse s'est opposé à sa déclaration préalable en vue de la division à fin de construire des parcelles cadastrées section F n°s 514 et 517 à 519, situées au lieudit " San Supiero ".
2. Aux termes de l'article
L. 422-5 du code de l'urbanisme : " Lorsque le maire () est compétent, il recueille l'avis conforme du préfet si le projet est situé : a) sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu ; () ".
3. Il est constant que la commune de Cargèse n'était pas couverte par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu à la date de l'arrêté en litige, en sorte que le maire de cette commune a sollicité l'avis conforme du préfet de la Corse-du-Sud, lequel a été rendu le 17 février 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants () ". Il résulte de ces dispositions que l'urbanisation peut être autorisée en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais qu'aucune construction nouvelle ne peut en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
5. Le PADDUC, qui précise, en application du I de l'article
L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, les modalités d'application des dispositions citées ci-dessus, prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'elle constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. En outre, le PADDUC prévoit, que, pour apprécier si un projet s'implante en continuité d'un village ou d'une agglomération, il convient de tenir compte de critères tenant à la distance de la construction projetée par rapport au périmètre urbanisé existant, à l'existence de ruptures avec cet ensemble, tels qu'un espace naturel ou agricole ou une voie importante, à la configuration géographique des lieux et aux caractéristiques propres de la forme urbaine existante. Ces prescriptions du PADDUC apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme citées au point 4.
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment des vues aériennes, que le terrain en cause, bien que d'une surface supérieure à un hectare, fait partie de l'enveloppe urbaine du village de Cargèse qui s'étend vers le sud-ouest. Il doit donc être regardé comme se situant en continuité de ce village. Dès lors, en se fondant sur les dispositions de l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme telles que précisées par le PADDUC pour s'opposer au projet de division foncière à fin de construire de Mme B, le préfet de la Corse-du-Sud et le maire de Cargèse ont commis une erreur d'appréciation.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article
L. 321-2 du code de l'environnement est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau () ".
8. Le PADDUC qui précise les modalités d'application des dispositions citées ci-dessus, prévoit que les espaces proches du rivage sont identifiés en mobilisant des critères liés à la distance par rapport au rivage de la mer, la configuration des lieux, en particulier la covisibilité avec la mer, la géomorphologie des lieux et les caractéristiques des espaces séparant les terrains considérés de la mer, ainsi qu'au lien paysager et environnemental entre ces terrains et l'écosystème littoral. En outre, le PADDUC prévoit que le caractère limité de l'extension doit être déterminé en mobilisant des critères liés à l'importance du projet par rapport à l'urbanisation environnante, à son implantation par rapport à cette urbanisation et au rivage ainsi qu'aux caractéristiques et fonctions du bâti et son intégration dans les sites et paysages. Ces prescriptions du PADDUC apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme citées au point 7.
9. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté en défense que le projet se situe à environ 700 mètres du rivage de la mer, présente une co-visibilité avec celle-ci, dont il n'est séparé que par quelques constructions, si bien qu'il fait partie des espaces proches du rivage. Néanmoins, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 6, le terrain en cause se situe en continuité d'un village au sens des dispositions précitées de l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme telles que précisées par le PADDUC. D'autre part, nonobstant la surface importante de ce terrain, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un tel terrain constituerait une extension non limitée d'urbanisation, dès lors que la déclaration préalable de Mme B ne porte que sur une division foncière et ne comporte aucune précision sur le gabarit des constructions qu'elle envisage d'y édifier. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme telles que précisées par le PADDUC doit être accueilli.
10. En troisième lieu, aux termes du II de l'article
L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales : " Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut, compte tenu du caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement présentés par certains espaces géographiques limités, définir leur périmètre, fixer leur vocation et comporter des dispositions relatives à l'occupation du sol propres auxdits espaces, assorties, le cas échéant, de documents cartographiques dont l'objet et l'échelle sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse. / En l'absence de schéma de cohérence territoriale, de plan local d'urbanisme, de schéma de secteur, de carte communale ou de document en tenant lieu, les dispositions du plan relatives à ces espaces sont opposables aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration et de demande d'autorisation prévues au code de l'urbanisme ".
11. La délibération n° 20/149 du 5 novembre 2020 de l'assemblée de Corse approuve les cartes n° 9 délimitant les espaces stratégiques agricoles et modifie le livret IV relatif aux orientations réglementaires du PADDUC qui prescrit : " Les espaces stratégiques ont été identifiés selon les critères alternatifs suivants : leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15 % dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II. B.2 p.144 du présent livret) et leur potentiel agronomique, ou leur caractère cultivable (pente inférieure ou égale à 15 % dans les conditions et pour les catégories d'espaces énoncées au chapitre II. B.2 p.144 du présent livret) et leur équipement par les infrastructures d'irrigation ou leur projet d'équipement structurant d'irrigation ". Il résulte de ces prescriptions que le critère de la pente inférieure ou égale à 15 % ne doit être compris que comme devant s'appliquer de manière relative pour les espaces améliorables à forte potentialité (classés P1 et P2 dans l'étude pour un zonage agro-sylvo-pastoral SODETEG) et les espaces cultivables au travers un masque sur le Niolu et à la lisière de la plaine orientale.
12. Il ressort des pièces du dossier et de la carte n°9 du PADDUC relative aux espaces stratégiques agricoles, que les terrains en cause se situent dans le périmètre desdits espaces. Néanmoins, en se bornant à soutenir que ce terrain est inscrit au registre parcellaire graphique en tant que surfaces pastorales avec ressources fourragères, la commune de Cargèse n'apporte pas de précision suffisante relative au potentiel agronomique de ces terres au regard des catégories d'espaces identifiées par le livret IV du PADDUC. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'inexacte application des prescriptions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles doit être accueilli.
13. En quatrième et dernier lieu, aux termes l'article
L. 122-10 du code de l'urbanisme : " Les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières, en particulier les terres qui se situent dans les fonds de vallée, sont préservées. La nécessité de préserver ces terres s'apprécie au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d'exploitation locaux. Sont également pris en compte leur situation par rapport au siège de l'exploitation, leur relief, leur pente et leur exposition ".
14. L'avis conforme défavorable du préfet de la Corse-du-Sud indique que le terrain d'assiette du projet en cause présente une forte potentialité agricole. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce terrain se situe au sein d'un compartiment foncier déjà largement urbanisé et il n'est pas contesté en défense qu'il présente en plusieurs points une déclivité supérieure à 15 %. La seule circonstance que ce terrain est référencé au registre parcellaire graphique n'est pas de nature, sans autres précisions, à démontrer la nécessité de préserver ces terres pour maintenir ou développer des activités agricoles au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d'exploitation locaux, au sens et pour l'application de l'article
L. 122-10 du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, Mme B est fondée à soutenir que le préfet de la Corse-du-Sud a fait une inexacte application de ces dispositions.
15. Il résulte de ce qui précède que les quatre motifs de l'avis conforme défavorable du préfet de la Corse-du-Sud étant illégaux, le maire de Cargèse n'était pas en situation de compétence liée pour s'opposer à la déclaration préalable de Mme B. Dès lors, cette dernière est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Cargèse du 3 mars 2022 qui se fonde sur trois de ces quatre motifs.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
16. L'exécution du présent jugement implique que la déclaration préalable de Mme B soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au maire de Cargèse de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme B.
Sur les frais liés au litige :
17. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Cargèse une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens. D'autre part, les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme B, qui n'est pas la partie perdante, verse à la commune de Cargèse une quelconque somme au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du maire de Cargèse du 3 mars 2022 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Cargèse de procéder au réexamen de la déclaration de Mme B dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : La commune de Cargèse versera à Mme B une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B, à la commune de Cargèse et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Monnier, président ;
M. Jan Martin, premier conseiller ;
Mme Nathalie Sadat, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.
Le rapporteur,
Signé
J. MARTIN
Le président,
Signé
P. MONNIER
La greffière,
Signé
R. ALFONSI
La République mande et ordonne au préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
R. ALFONSI