SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 13191/87
présentée par H.
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 11 mai 1990 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
J. CAMPINOS
H. VANDENBERGHE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
M. L. LOUCAIDES
M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 20 août 1987 par H.
contre la France et enregistrée le 28 août 1987 sous le No de
dossier 13191/87 ;
Vu les observations présentées par écrit par le Gouvernement
défendeur le 2 mars 1989 ;
Vu les observations produites en réponse par le requérant le 2
mai 1989 ;
Vu les conclusions des parties développées à l'audience du 11
mai 1990 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
Le requérant est un ressortissant français né en 1963 à Saïgon
(Vietnam). Il réside à Aulnay-sous-Bois. Dans la procédure devant la
Commission, il est représenté par Me Alain Lestourneaud, avocat au
barreau de Thonon-les-Bains.
En date du 3 janvier 1984 à Paris, le requérant fit l'objet d'une
interpellation en même temps que quatre autres individus par la police
de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme. Celle-ci intervint
au moment précis où deux de ces individus, porteurs de deux sacs en
matière plastique et sortant d'un hôtel, se dirigeaient vers une
voiture au volant de laquelle se trouvait le requérant.
Un des sacs contenait de 2,835 kg d'héroine-base introduite
en France le 30 décembre 1983. Dans le second sac se trouvait une
balance dont un plateau portait des traces d'héroïne. Une
perquisition effectuée dans un appartement où le requérant s'était
rendu ce jour en compagnie de deux des personnes interpellées en même
temps que lui permit encore de découvrir des armes et un sac contenant
5 kg de caféine.
Le requérant fut placé en détention provisoire le 7 janvier
1984 et remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984.
Le 25 mars 1985, le juge d'instruction renvoya le requérant
devant le tribunal de grande instance de Paris sous l'inculpation
d'infraction à la législation sur les stupéfiants et sur les armes.
A l'initiative de l'Administration des douanes les prévenus furent
cités du chef de délit douanier d'importation en contrebande de
marchandises prohibées.
Par jugement du 31 mai 1985, le tribunal de grande instance de
Paris relaxa le requérant quant au délit pénal simple, au bénéfice du
doute ainsi motivé : "Rien ne prouve que , dont
l'intervention n'a été que ponctuelle, ait accepté en connaissance de
cause la marchandise et ses détenteurs ...". Il le relaxa également
quant au délit douanier pour le motif suivant : "Attendu que sur le
plan douanier, aucun acte matériel de complicité ou d'intéressement à
la fraude ne peut être établi à l'encontre de J., H. et . Qu'à cet égard, il convient d'observer que l'intervention
de la police s'est située avant même que n'ait pu se produire de leur
part le moindre acte de détention de la marchandise prohibée ; que
donc, la question de leur bonne foi éventuelle n'a même pas été posée ;
qu'en conséquence J., H. et doivent être relaxés de ce chef."
En résumé, le tribunal relaxa le requérant de tous les chefs
de poursuite. Il prononça des peines d'emprisonnement de dix à douze
ans à l'encontre des autres prévenus.
L'Administration des douanes releva appel de la décision de
relaxe quant au délai douanier, considérant que les particularités du
délit douanier ne pouvaient justifier la décision de relaxe en faveur du
requérant.
Elle soutenait que "toute tentative de délit est punissable
comme le délit même" (article 409 Code des douanes), que "le détenteur
de la fraude est réputé responsable de la fraude" (article 392 Code
des douanes), que "dans toute action sur une saisie, la preuve de
non-contravention est à charge du saisi" (article 373 Code des douanes)
et, enfin, que le requérant se trouvait dans la position de personne
intéressée à la fraude selon l'article 399 Code des douanes. Cet
article punit "ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière
quelconque à un délit de contrebande"... et précise que "sont réputés
intéressés (...) ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un
ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant
de concert, d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat
poursuivi en commun".
Dans leurs conclusions d'appel, les conseils du requérant
discutèrent les diverses dispositions pertinentes du Code des douanes
et soulevèrent en particulier que les articles 369 par. 2, 373,
392 et 399 dudit Code "étaient incompatibles avec les notions de
procès équitable et de présomption d'innocence contenues dans
les articles 6 par. 1 et 2 de la Convention européenne des Droits de
l'Homme".
Dans son arrêt du 10 mars 1986, la cour d'appel de Paris
confirma le jugement de première instance quant à l'infraction à la
législation sur les stupéfiants mais infirma le jugement quant à
l'infraction douanière. Elle déclara le requérant coupable sur ce
dernier point et le condamna au paiement de pénalités douanières
conjointement et solidairement avec les autres condamnés : soit une
somme de 2.835.000 francs pour tenir lieu de confiscation de la
marchandise et une amende égale à la valeur de la marchandise de
fraude, la solidarité du requérant étant dans les deux cas limitée à
la somme de 1.000.000 francs.
Dans son arrêt, la cour d'appel releva que :
"Dans l'après midi du 3 janvier 1984, a conduit
dans son automobile Peugeot 104 le nommé N., qui jouait un
rôle important dans l'importation de l'héroïne et recherchait
dans divers magasins de l'acide chlorhydrique pour mélanger
l'héroïne pure introduite en France par C. et F.
Il était présent à 13 heures dans appartement du
boulevard de la Chapelle quand les 5 kg de caféine y ont été
livrés par un asiatique présenté par les autres prévenus comme
le chef du réseau de trafiquants.
Il a accepté de conduire T. et N. au rendez-vous pris par
ceux-ci avec C. et F.
Au moment où il a été interpellé, il attendait que C. prenne
place dans son automobile pour le conduire dans l'appartement
de T., boulevard de la Chapelle.
Il était donc sur le point de détenir la marchandise en fraude
qui n'a pas été placée dans son véhicule uniquement en raison
de l'intervention des policiers.
C'est donc à juste titre que l'administration des douanes fait
valoir que la tentative est considérée comme le délit même,
que c'est pour une raison indépendante de sa volonté que
n'a pas eu la détention matérielle de l'héroïne
qui allait être placée dans son automobile et que le fait
d'avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui
étaient sur le point de réceptionner la marchandise prohibée
permet de dire qu'il était intéressé à la fraude.
Il n'allègue pas avoir agi en état de nécessité et les
circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans l'action
et interpellé ne lui permettent pas de soutenir qu'il a agi
par suite d'une erreur invincible."
Le requérant se pourvut en cassation le jour même du prononcé
de l'arrêt. Comme il n'était pas en mesure de faire face à de
nouvelles dépenses, l'un des conseils qui l'avait assisté devant la
cour d'appel sollicita, par lettre du 10 mars 1986 adressée au
président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation, la désignation d'un avocat d'office. Dans cette lettre, il
était précisé que "les principes dont entend se
prévaloir devant la Cour sont complexes et les conseils d'un avocat à
la Cour de cassation s'avèrent indispensables pour poursuivre la
procédure
".
La demande fut refusée par lettre du 26 mars 1986 du président
de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation
dans les termes suivants :
"Il n'existe pas d'Aide judiciaire en matière pénale, devant
la Cour de cassation, au profit des condamnés, dont le nombre est
infini. Dans certains cas exceptionnels, concernant les peines les
plus graves, je commets gratuitement l'un de mes confrères aux fins
d'examen. Mais ne rentre pas dans cette catégorie et je
ne peux faire droit à sa demande."
Le requérant adressa le 7 août 1986, au greffe de la Cour
de cassation, une lettre recommandée aux termes de laquelle il
signalait verser au dossier, à titre de mémoire de défense, un
exemplaire des conclusions développées par ses conseils devant la cour
d'appel de Paris. Conformément aux articles 584 et 585 du Code de
procédure pénale, le demandeur en cassation peut en effet déposer un
mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation soit, dans
les 10 jours, au greffe de la juridiction ayant rendu la décision
attaquée, soit, ultérieurement, au greffe de la Cour de cassation.
Les conclusions formulées au nom du requérant invitaient la cour
d'appel à statuer sur le point de savoir si le système institué par
les articles 392 par. 1, 373, 399 par. 2 et 3 et 369 du Code des
douanes, était ou non compatible avec les principes posés dans les
paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la Convention européenne des
Droits de l'Homme."
En date du 9 mars 1987, la Cour de cassation rejeta le pourvoi
en ces termes :
"Vu le mémoire personnel régulièrement produit et le mémoire
en défense ;
Attendu que ce mémoire n'offre en lui-même à juger aucun point
de droit et ne vise aucun texte dont la violation serait alléguée ;
qu'ainsi, ne répondant pas aux exigences de l'article 590 du même
Code, il n'est pas recevable ;"
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi."
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu de ce que les articles
369 par.
2,
373,
392 et
399 du Code des douanes créent une inégalité
des armes entre les parties au procès compte tenu de présomptions
légales de culpabilité profitant à l'Administration des douanes.
L'énoncé de ces présomptions est contraire au principe du procès
équitable, tel que le garantit l'article 6 par. 1 de la Convention.
Le requérant estime en outre que ces présomptions de culpabilité
opèrent un renversement du fardeau de la preuve. Il devait, dès lors,
apporter la preuve de sa non-culpabilité, ce qui est contraire à la
présomption d'innocence énoncée à l'article 6 par. 2 de la Convention.
2. Enfin, le requérant se plaint de n'avoir pu obtenir
l'assistance d'un avocat devant la Cour de cassation, bien qu'il ait
démontré son impécuniosité et demandé la désignation d'un avocat
d'office. Il prétend que l'assistance d'un avocat d'office aurait
pu éviter que son pourvoi soit rejeté.
A cet égard, il allègue la violation de l'article 6 par. 3 c)
de la Convention.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 20 août 1987 et enregistrée le
28 août 1987.
Le 13 octobre 1988, la Commission a décidé de donner
connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de
l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter
celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et
le bien-fondé de celle-ci.
Le Gouvernement français a présenté ses observations sur la
recevabilité et le bien-fondé de la requête le 2 mars 1989 et les
observations en réponse du requérant sont parvenues le 2 mai 1989.
Le 14 décembre 1989, la Commission a décidé d'inviter les
parties à lui présenter oralement, au cours d'une audience
contradictoire, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé
de la requête.
L'audience a eu lieu le 11 mai 1990.
Les parties ont comparu comme suit :
Pour le Gouvernement
- M. Philippe BAUDILLON, sous-directeur des Droits de l'Homme
à la direction des affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères, en qualité d'agent du Gouvernement
- Mme Isabelle CHAUSSADE, magistrat détaché à la sous-direction
des Droits de l'Homme de la direction des affaires juridiques
du ministère des Affaires étrangères, en qualité de conseil
- M. Christian BYK, magistrat à la direction des affaires civiles
et du sceau du ministère de la Justice, en qualité de conseil
- M. Roland SUTTER, directeur régional des douanes à la direction
générale des douanes et des impôts indirects du ministère de
l'Economie, des Finances et du Budget, en qualité de conseil
Pour le requérant
- Maître Alain LESTOURNEAUD, avocat au barreau de
Thonon-les-Bains.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint en premier lieu qu'il a été condamné
sur le fondement des articles 369 par. 2, 373, 392 et 399 du Code
des douanes, qui créent une inégalité des armes entre les parties
au procès, compte tenu de présomptions légales de culpabilité
profitant à l'Administration des douanes. Il ajoute que ces
présomptions de culpabilité opèrent un renversement du fardeau de la
preuve et que la personne prévenue d'une telle infraction doit, dès
lors, apporter la preuve de sa non-culpabilité. Il invoque à cet
égard l'article 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention.
Le Gouvernement défendeur allègue sur ce point le
non-épuisement des voies de recours internes.
Il fait observer que le requérant n'a pas régulièrement exercé
son droit de se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour
d'appel de Paris du 10 mars 1986. Il explique que la Cour de cassation
a constaté en effet que le pourvoi était irrégulier en la forme au
motif qu'il ne comportait pas l'énoncé des moyens de droit et
l'indication des textes dont la violation aurait pu être invoquée. En
conséquence, le requérant s'est lui-même privé de la possibilité qu'il
avait d'invoquer utilement devant la Cour de cassation les griefs
qu'il soulève à présent devant la Commission. Il ajoute que le défaut
d'assistance d'un avocat n'a certainement pas empêché le requérant de
former un pourvoi régulier pour les trois raisons exposées ci-après :
l'assistance d'un avocat à la Cour de cassation n'est juridiquement
pas obligatoire pour introduire un pourvoi en matière pénale, la règle
de forme posée par l'article 590, alinéa 1er, est simple et accessible
à tout justiciable, le requérant semble, en fait, avoir toujours
bénéficié des conseils de ses défenseurs devant la cour d'appel et
ceux-ci pouvaient fort bien l'assister dans l'introduction du pourvoi
et la présentation du mémoire écrit.
Le requérant fait remarquer que la déclaration de pourvoi
a été faite dans les formes et qu'il a régulièrement produit son
mémoire en cassation, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs relevé
dans son arrêt. Il soutient ensuite que ce mémoire visait clairement
des moyens tirés de l'incompatibilité de plusieurs dispositions du
droit douanier avec l'article 6 (art. 6) de la Convention.
La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26 (art. 26)
de la Convention, elle ne peut être saisie d'une requête qu'après
l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu
selon les principes de droit international généralement reconnus.
Cette règle a pour but de ménager aux Etats l'occasion de redresser les
manquements allégués à leur encontre (cf. Cour Eur. D.H., arrêt De
Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 29, par. 40 ;
Cour Eur. D.H., arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980, série A
n° 40, p. 17, par. 34 ; N° 9320/81, déc. 15.3.84, D.R. 36, p. 24). La
Commission rappelle aussi sa jurisprudence constante selon laquelle il
n'y a pas épuisement des voies de recours internes lorsqu'un recours a
été déclaré irrecevable à la suite d'une informalité commise par son
auteur (No 9022/80, déc. 13.7.83, D.R. 33, p. 21 ; N° 10107/82, déc.
12.7.84, D.R. 38, p. 90).
En l'espèce, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du
requérant après avoir implicitement estimé que ce pourvoi avait été
régulièrement introduit et explicitement constaté que le mémoire
personnel en cassation avait été régulièrement produit. La Commission
constate que ce mémoire, copie des conclusions prises en appel,
soulevait expressément la question de la compatibilité des articles 369
par.
2,
373,
392 et
399 du Code des douanes avec les notions de procès
équitable et de présomption d'innocence contenues dans les articles 6
par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention. Elle estime en
conséquence que par l'introduction de son pourvoi et le dépôt de son
mémoire personnel, le requérant a saisi la Cour de cassation des
prétendues violations des dispositions de la Convention et a ménagé à
cette cour l'occasion de redresser les manquements allégués. La
Commission rappelle également que le requérant s'est vu refuser la
désignation d'un avocat d'office et que l'article 584 du Code de
procédure pénale prévoit que le demandeur en cassation peut déposer un
mémoire contenant ses moyens de cassation. Dans ces circonstances,
on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir fait tout ce qui
était possible pour présenter à la Cour de cassation les griefs qu'il
formule à présent devant la Commission.
Il s'ensuit que l'argument tiré par le Gouvernement défendeur
du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être
retenu.
Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement défendeur
soutient que la présente affaire peut être comparée à l'affaire
Salabiaku (Cour Eur. D.H., arrêt Salabiaku du 7 octobre 1988, série A
n° 141-A). Si l'article 399 précité crée une présomption de
responsabilité à partir d'un comportement objectif sans qu'il soit
besoin d'établir un élément intentionnel, cette présomption n'est pas
irréfragable, puisqu'elle peut être renversée lorsque l'intéressé a
agi en état de nécessité ou par suite d'une erreur invincible. Le
Gouvernement ajoute que dans un arrêt du 12 novembre 1985 (C. Cass.
12.10.85, Bull. crim. n° 350, p. 897), la Cour de cassation a en outre
exigé à cet égard qu'il soit constaté par le juge que le prévenu a eu
conscience de coopérer à une opération irrégulière pouvant aboutir à
une fraude. La cour d'appel a en conséquence clairement exercé son
pouvoir d'appréciation des faits de la cause et ne s'est donc pas
contentée de faire une application mécanique de la présomption de
responsabilité instituée par l'article 399 précité.
Pour sa part le requérant observe d'abord qu'il n'a jamais été
détenteur de la marchandise prohibée. Il observe en outre que dans
l'affaire Salabiaku, une seule présomption était en jeu, alors que
quatre présomptions différentes interviennent dans la présente
affaire : celle de l'article 392 par.
1 du Code des douanes, celle de
l'article 373 du même Code, qui institue un renversement de la charge
de la preuve, celle de l'article 369 par. 2, qui écarte la bonne foi
comme inopérante et enfin celle de l'article 399, relative à l'intérêt
à la fraude.
Il soutient que l'ensemble de ces dispositions créent une
présomption quasi irréfragable de culpabilité et qu'elles ne sont
nullement justifiées par la gravité de l'enjeu. Il n'est pas possible
d'admettre, dans une société démocratique, qu'un prévenu soit contraint
de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis d'infraction ou qu'il
doive s'exonérer par la preuve d'un état de nécessité ou d'une force
majeure. Une telle situation porte atteinte au principe de l'égalité
des armes ainsi qu'à la présomption d'innocence.
La Commission observe d'abord que le grief que le requérant
formule au titre de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
recoupe dans une large mesure celui qu'il présente sur base du
paragraphe 2 (art. 6-2) de cet article. Ils consistent en effet pour
l'essentiel à dénoncer les présomptions que les articles 369 par. 2,
392 par.
1 et
399 du Code des douanes institueraient au profit de la
partie poursuivante (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Salabiaku précité, p.
18, par. 31). Elle sera donc amenée à examiner le grief plus
particulièrement à la lumière de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la
Convention.
La Commission rappelle que dans son arrêt Salabiaku (Cour Eur.
D.H., arrêt précité, p. 16, par. 28), la Cour a relevé que "l'article
6 par. 2 (art. 6-2) ne se désintéresse pas des présomptions de
fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il
commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables
prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de
la défense". La Commission est donc appelée à rechercher si ces
limites ont été franchies au détriment du requérant.
En l'espèce, pour établir la culpabilité du requérant, la
cour d'appel de Paris a constaté que c'était pour une raison
indépendante de sa volonté qu'il n'avait pas eu la détention
matérielle de l'héroïne. De plus, elle a estimé que le fait d'avoir
piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui étaient sur le
point de réceptionner la marchandise prohibée permettait de dire qu'il
était intéressé à la fraude. Enfin, elle a relevé que le requérant
n'avait pas agi en état de nécessité et que les circonstances dans
lesquelles il avait été impliqué dans l'action et interpellé ne lui
permettaient pas de soutenir qu'il avait agi à la suite d'une erreur
invincible.
La question se pose dès lors de savoir si les présomptions de
responsabilité édictées par les articles 392 et
399 du Code des
douanes ont été appliqués au requérant d'une manière compatible avec
la présomption d'innocence et le principe d'égalité des armes.
La Commission considère à la lumière d'un examen préliminaire
de l'argumentation des parties, de sa propre jurisprudence et de celle
de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que les griefs soulevés
par le requérant au titre de l'article 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2)
de la Convention posent, quant à l'interprétation et à l'application,
en l'espèce, de ces dispositions, des problèmes suffisamment complexes
pour exiger un examen au fond. Il s'ensuit que ces griefs ne peuvent
être considérés comme manifestement mal fondés et qu'ils doivent être
déclarés recevables, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été
établi.
2. Le requérant se plaint également de n'avoir pu obtenir
l'assistance d'un avocat devant la Cour de cassation, bien qu'il ait
démontré son impécuniosité et demandé la désignation d'un avocat
d'office. Il invoque l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de
la Convention.
Quant à ce grief, le Gouvernement défendeur rappelle d'abord
que le ministère d'un avocat n'était pas obligatoire en l'espèce. Il
allègue ensuite que pour l'introduction de son pourvoi en cassation,
le requérant avait en fait toujours bénéficié de l'assistance de son
conseil au fond. Le problème se limiterait donc à l'absence de
représentation du requérant aux débats oraux devant la Cour de
cassation. Le Gouvernement observe à cet égard que pareille
représentation était inutile dans la présente affaire puisque le
pourvoi fut déclaré irrecevable pour informalité, sans que la Cour
de cassation n'examine le bien-fondé du pourvoi.
Le requérant soutient pour sa part que les intérêts de la
justice exigeaient qu'un avocat d'office fût désigné, compte tenu de
l'importance et de la complexité des principes concernés par le pourvoi.
Il observe en outre que sa demande a été rejetée sans examen de la
cause aux fins de rechercher s'il existait un moyen sérieux de
cassation.
La Commission a procédé à un examen des observations des
parties sur le présent grief tiré de l'article 6 par. 3 c)
(art. 6-3-c) de la Convention. Elle considère que ce grief soulève
des questions de fait et de droit qui ne peuvent être tranchés
qu'après un examen complet au fond. Il s'ensuit que ce grief ne peut
être déclaré manifestement mal fondé et qu'il doit être déclaré
recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été établi.
Par ces motifs
, la Commission
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tout moyen de fond réservé.
Le Secrétaire adjoint Le Président
de la Commission de la Commission
(J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)