AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Joint, en raison de leur connexité, les pourvois n° G 01 15812, C 01 16014 et R 02 11292 ;
Donne acte à la SCP Ehret & Kirschner du désistement partiel de son pourvoi (n R 02 11292) en faveur de M. X..., de Mlle Y... et des consorts Z... ;
Attendu que Mmes A..., B... et C... ont conclu, au profit de M. X..., pour le cas où elles vendraient leur officine de pharmacie, un pacte de préférence établi par leur notaire, la SCP Hauth & Ehret ; qu'assistées de ce même notaire, elles ont ultérieurement souscrit, en faveur d'un tiers, une promesse synallagmatique de cession de leur officine, comportant une faculté réciproque de dédit, qui ne mentionnait pas la condition suspensive de l'exercice du droit de préférence consenti préalablement à M. X... ; que ce dernier en ayant reçu notification, il a fait connaître son acceptation des conditions de vente aux venderesses qui ont néanmoins conclu avec Mlle Y... l'acte authentique de vente que la SCP notariale leur avait déconseillé de passer et auquel elle s'est refusée à participer ; que M. X... a assigné en annulation de la vente et, subsidiairement, en paiement de dommages et intérêts, Mmes A..., B... et C..., lesquelles ont appelé en garantie la SCP Hauth & Ehret, aux droits de laquelle se trouve la SCP Ehret & Kirschner, en sollicitant, en outre, à titre de dommages et intérêts, le paiement des intérêts du prix de vente bloqué entre les mains du notaire rédacteur de l'acte de vente ;
Sur le moyen
unique, pris en ses trois branches, du pourvoi formé par M. X... (n C 01 16014), qui est préalable :
Attendu que M. X... reproche au premier arrêt attaqué (Colmar, 3 mai 2001), après avoir justement retenu que les venderesses avaient violé le pacte de préférence qui les liait à lui en vendant leur officine de pharmacie à un tiers, passant ainsi outre à son droit de préemption, d'avoir néanmoins refusé de prononcer la nullité de la vente pour ne lui allouer que des dommages et intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que ne constitue pas une promesse synallagmatique de vente valant vente, laquelle suppose un engagement réciproque et irrévocable des parties, la convention qualifiée de promesse de cession qui confère au vendeur l'option de vendre ou bien de payer un dédit et, pareillement, à l'acquéreur l'option d'acheter ou d'acquitter un dédit, la vente ne pouvant devenir parfaite que le jour où vendeur et acquéreur auront levé l'option, le premier de vendre, le second d'acquérir ;
qu'en décidant
que l'acte sous seing privé, qualifié de promesse de cession d'officine, constituait en réalité un acte de vente sous seing privé valant vente quand cet acte stipulait en son article premier que le promettant s'engageait envers le bénéficiaire soit à lui vendre l'officine, soit à lui verser un dédit, et que le bénéficiaire s'obligeait de même envers le promettant soit à lui acheter cette officine, soit à lui régler un dédit, la cour d'appel a violé les articles
1589,
1102 et
1134 du Code civil ;
2 / qu'en constatant que le compromis de vente contenait une clause de dédit pour le cas où les venderesses renonceraient à céder et pouvait donc être remis en cause par l'exercice du droit de préférence, tandis que par ailleurs l'exposant avait accepté l'offre de vente à lui faite, dans le délai qui lui était imparti, après que les venderesses l'eurent invité à exercer son droit en lui notifiant d'abord le compromis et en lui impartissant ultérieurement un dernier délai pour accepter, sans en tirer les conséquences qui en résultaient, c'est-à-dire que les venderesses avaient renoncé à vendre à un tiers en invitant ainsi l'exposant à exercer son droit de préférence et que celui-ci, en acceptant les conditions du compromis conclu au profit du tiers, avait acquis l'officine de pharmacie le jour de son acceptation, en sorte que, n'étant plus propriétaires à compter de ce jour, les venderesses n'avaient pu valablement conclure postérieurement un acte authentique de vente définitif avec le tiers, la cour d'appel a violé les articles
1583,
1589 et
1599 du Code civil ;
3 / que, le préjudice caractérisé par la perte d'une chance suppose l'existence d'un aléa ; qu'en relevant que le bénéficiaire du pacte avait accepté l'offre de vente à lui faite dans le délai qui lui était imparti après que les venderesses l'eurent invité à exercer son droit de préférence, sans en déduire que la violation du pacte de préférence ne lui avait pas fait perdre la simple chance d'acquérir l'officine mais lui avait causé un préjudice certain, caractérisé par le fait qu'il avait été effectivement privé d'une acquisition d'ores et déjà certaine, la cour d'appel a violé les articles
1147 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt, en considérant que le pacte de préférence, qui n'avait conféré aucun droit réel à son bénéficiaire, avait mis à la charge des venderesses une obligation de faire, au sens de l'article
1142 du Code civil, a, par ce seul motif, justifié sa décision de réparer l'inexécution de cette obligation par l'allocation de dommages et intérêts ; qu'ensuite, la notification par Mmes A..., B... et C... de la promesse de vente à M. X..., effectuée en exécution du pacte de préférence, n'emportant aucune renonciation non équivoque à vendre à un tiers et l'acceptation par le bénéficiaire de ce pacte des conditions d'achat offertes par le tiers n'opérant pas réalisation de la vente à son profit, la cour d'appel a exactement retenu que l'acte authentique de vente conclu postérieurement avec ce tiers ne pouvait être remis en cause ; qu'enfin, dès lors que l'acceptation par le bénéficiaire d'un pacte de préférence des conditions de la vente offertes par un tiers acquéreur laisse le promettant en droit de ne pas contracter, la cour d'appel a justement qualifié de perte de chance d'acquérir l'officine le préjudice subi par M. X... du fait de la violation de son droit de préemption ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé en ses deux autres ;
Sur le moyen
unique, pris en ses deux branches, du pourvoi formé par la SCP Hauth et Ehret (n G 01 15812) :
Attendu que la SCP Hauth & Ehret fait grief a
u premier arrêt attaqué de l'avoir condamnée à garantir Mmes A..., B... et C... des condamnations prononcées au bénéfice de M. X..., alors, selon le moyen :
1 / qu'une promesse de vente assortie d'une clause de dédit donne lieu en cas d'inexécution au paiement de la clause de dédit et n'autorise pas l'exécution forcée de la vente ; que la conclusion d'une promesse de vente n'emporte donc pas violation d'un pacte de préférence dès lors que l'exécution de ce dernier n'est pas rendue impossible mais seulement plus onéreuse puisqu'elle emporte paiement de la clause de dédit ; qu'en affirmant néanmoins pour condamner le notaire à réparer le préjudice résultant de la violation du pacte de préférence, que la violation dudit pacte était acquise à la date de la signature de la promesse de vente, la cour d'appel a violé l'article
589 du Code civil ;
2 / que le dommage causé par la faute du notaire doit être réparé par ce dernier qui ne saurait supporter les conséquences d'une décision délibérée de ses clients ; qu'en l'espèce, il est acquis que le notaire avait agi en sorte que M. X... puisse exercer son droit de préférence en déconseillant à Mmes A..., B... et C... de conclure la vente avec la bénéficiaire de la promesse et en refusant de l'instrumenter ; que ses clientes ont pourtant décidé de façon délibérée de violer le pacte de préférence bien que l'option proposée par le notaire leur aurait permis de respecter tous leurs engagements en s'exposant tout au plus au paiement de la clause de dédit prévue à la promesse ; qu'en condamnant néanmoins le notaire à garantir ses clientes des condamnations prononcées contre elles au titre de la violation du pacte de préférence et à les indemniser du préjudice résultant du blocage des fonds, bien qu'il ne pouvait tout au plus être tenu qu'au montant de la clause de dédit, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre la faute imputée au notaire et le dommage invoqué par ses clientes et a violé l'article
1382 du Code civil ;
Mais attendu
que l'arrêt, qui retient que, contrairement aux stipulations du pacte de préférence, la promesse synallagmatique de vente de l'officine n'était pas conclue sous la condition suspensive que le bénéficiaire de ce pacte n'exerce pas son droit, en déduit justement que la violation du pacte était ainsi acquise ; qu'ensuite, la cour d'appel, après avoir retenu le manquement de la SCP Hauth & Ehret à son obligation de conseil, a relevé que, même si, postérieurement à la signature du compromis de vente, celle-ci avait agi en sorte que M. X... puisse exercer son droit de préférence, il était résulté de ce manquement le non respect, par les venderesses, de leurs engagements, à l'origine de leur condamnation à des dommages et intérêts ; qu'elle a ainsi caractérisé le lien de causalité entre la faute de la SCP notariale et le préjudice subi par les clientes de celle-ci, à la mesure, non discutée, de celui, souverainement apprécié, dont elles avaient à répondre à l'égard du bénéficiaire du pacte violé ; que le moyen, mal fondé en sa première branche, l'est également en sa deuxième relativement à la condamnation de la SCP notariale à garantir Mmes A..., B... et C... des condamnations prononcées contre elles au bénéfice de M. X... ;
Mais, sur le moyen
unique, pris en sa seconde branche, du pourvoi formé par la SCP Hauth et Ehret (n G 01 15812), tel qu'il figure dans le mémoire en demande et est annexé au présent arrêt :
Vu
l'article
1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner la SCP Hauth & Ehret à payer à Mmes A... et B... les intérêts de droit sur le montant du prix de vente à compter du blocage des fonds, l'arrêt retient
que leur manquement au pacte de préférence qu'elles avaient conclu avec M. X... était imputable à la SCP Hauth & Ehret ;
qu'en se déterminant ainsi
, sans caractériser le lien de causalité entre le préjudice qu'elle réparait et la faute de la SCP notariale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi n° R 02-11.292 dirigé contre l'arrêt du 18 octobre 2001 cassé par voie de conséquence de la cassation partielle prononcée :
REJETTE le pourvoi formé par M. X... (n C 01 16014) ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCP Ehret et Kirschner à payer à Mmes A... et B... les intérêts de droit sur le montant bloqué du prix de vente de la pharmacie, à compter dudit blocage, l'arrêt rendu le 3 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Fait masse des dépens et les laisse pour un tiers à la charge de la SCP Ehret et Kirschner, pour un autre tiers à la charge de M. X... et pour le dernier tiers à la charge de Mmes A... et B... ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes les demandes des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille quatre.