Affaire C-180/04
Andrea Vassallo
contre
Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale di Genova)
«Directive 1999/70/CE - Clauses 1, sous b), et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée - Constitution d'une relation de travail à durée indéterminée en cas de violation des règles régissant les contrats à durée déterminée successifs - Possibilité de dérogation pour les contrats de travail conclus avec une administration publique»
Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 20 septembre 2005
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 septembre 2006
Sommaire de l'arrêt
Politique sociale - Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée - Directive 1999/70
(Directive du Conseil 1999/70, annexe, clauses 1, b), et 5)
L'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui exclut, en cas d'abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public, que ceux-ci soient transformés en contrats ou en relations de travail à durée indéterminée, alors même qu'une telle transformation est prévue en ce qui concerne les contrats et relations de travail conclus avec un employeur appartenant au secteur privé, lorsque cette réglementation comporte une autre mesure effective destinée à éviter et, le cas échéant, à sanctionner une utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public.
(cf. point 42 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
7 septembre 2006 (*)
«Directive 1999/70/CE - Clauses 1, sous b), et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée - Constitution d'une relation de travail à durée indéterminée en cas de violation des règles régissant les contrats à durée déterminée successifs - Possibilité de dérogation pour les contrats de travail conclus avec une administration publique»
Dans l'affaire C-180/04,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Tribunale di Genova (Italie), par décision du 15 mars 2004, parvenue à la Cour le 16 avril 2004, dans la procédure
Andrea Vassallo
contre
Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. R. Schintgen (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis et J. Klučka, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme M. Ferreira,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 14 juillet 2005,
considérant les observations présentées:
- pour M. Vassallo, par Mes G. Bellieni et A. Lanata, avvocati,
- pour l'Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate, par Me C. Ciminelli, avvocato,
- pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
- pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Samoni-Rantou et E. Mamouna, ainsi que par MM. M. Apessos et I. Bakopoulos, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme N. Yerrell et M. A. Aresu, en qualité d'agents,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 septembre 2005,
rend le présent
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des clauses 1, sous b), et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l'«accord-cadre»), qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Vassallo à son employeur, l'Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate (établissement hospitalier, hôpital San Martino de Gênes et cliniques universitaires conventionnées, ci-après l'«établissement hospitalier»), au sujet du non-renouvellement du contrat de travail qui le liait à ce dernier.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. Aux termes de sa clause 1, l'accord-cadre «a pour objet:
a) d'améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination;
b) d'établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs».
4. La clause 2, point 1, de l'accord-cadre prévoit que celui-ci «s'applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre».
5. Aux termes de la clause 5 de l'accord-cadre:
«1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas de mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes:
a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail;
b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs;
c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.
2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée:
a) sont considérés comme 'successifs';
b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée.»
6. Conformément à l'article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 10 juillet 2001.
La réglementation nationale
7. Par la loi n° 422, du 29 décembre 2000, portant dispositions adoptées en vue de se conformer aux obligations découlant de l'appartenance de l'Italie aux Communautés européennes - Loi communautaire 2000 (supplément ordinaire à la GURI nº 16, du 20 janvier 2001, ci-après la «loi n° 422/2000»), le législateur national a habilité le gouvernement italien à adopter les décrets législatifs nécessaires pour la transposition des directives communautaires visées aux annexes A et B de cette loi. Dans l'annexe B est notamment mentionnée la directive 1999/70.
8. L'article 2, paragraphe 1, sous b), de la loi n° 422/2000 dispose en particulier que, «pour éviter d'éventuelles discordances avec les règles en vigueur dans les différents secteurs concernés par la réglementation à mettre en œuvre, les règles en question seront, le cas échéant, modifiées ou complétées […]», et la même disposition, sous f), énonce que «les décrets législatifs garantiront dans chaque cas que, dans les matières abordées par les directives à mettre en œuvre, les règles adoptées soient pleinement conformes aux prescriptions des directives en question […]».
9. Le 6 septembre 2001, le gouvernement italien a adopté, sur la base de l'article 2, paragraphe 1, sous f), de la loi n° 422/2000, le décret législatif nº 368, relatif à la mise en œuvre de la directive 1999/70/CE concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (GURI nº 235, du 9 octobre 2001, p. 4, ci-après le «décret législatif nº 368/2001»).
10. L'article 1er, paragraphe 1, du décret législatif n° 368/2001 prévoit que «le contrat de travail peut être conclu pour une durée déterminée pour des raisons techniques ou des raisons tenant à des impératifs de production, d'organisation ou de remplacement de salariés».
11. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, du décret législatif n° 368/2001, la durée du contrat de travail peut être prolongée une seule fois lorsque la durée initiale de celui-ci était inférieure à trois ans «à condition que ce soit pour des raisons objectives et que cela se rapporte au même travail que celui pour lequel le contrat stipulait une durée déterminée». Toutefois, dans ce cas, la durée totale dudit contrat ne peut excéder trois ans.
12. L'article 5 du décret législatif nº 368/2001, intitulé «Expiration du délai et sanctions. Contrats successifs», dispose:
«1. Si le rapport de travail se poursuit après la date d'expiration initialement fixée ou ultérieurement prorogée conformément à l'article 4, l'employeur est tenu de majorer la rémunération versée au travailleur de 20 % par jour jusqu'au dixième jour et de 40 % pour chaque journée supplémentaire.
2. Si le rapport de travail se poursuit au-delà du vingtième jour dans le cas de contrats d'une durée inférieure à six mois, ou après le trentième jour dans les autres cas, le contrat est réputé à durée indéterminée à l'expiration desdits délais.
3. Lorsque le travailleur est réembauché pour une durée déterminée en application de l'article 1er, dans un délai de dix jours à compter de la date d'expiration d'un contrat dont la durée est inférieure ou égale à six mois, ou de vingt jours à compter de la date d'expiration d'un contrat dont la durée est supérieure à six mois, le deuxième contrat est réputé conclu pour une durée indéterminée.
4. Dans le cas de deux engagements successifs à durée déterminée, c'est-à-dire effectués sans interruption, le contrat de travail est réputé conclu à durée indéterminée à compter de la date de conclusion du premier contrat.»
13. L'article 10 du décret législatif n° 368/2001 contient une liste de cas dans lesquels l'application de la nouvelle réglementation relative aux contrats à durée déterminée est exclue. Aucun de ces cas ne vise le secteur de l'administration publique.
14. Le décret législatif nº 368/2001 est entré en vigueur, selon la juridiction de renvoi, le 21 septembre 2001. Son article 11, paragraphe 1, précise que, «[à] compter de l'entrée en vigueur du présent décret législatif, sont abrogées […] toutes les dispositions législatives incompatibles et non expressément mentionnées dans le présent décret législatif». Le paragraphe 3 dudit article ajoute que «les contrats individuels établis sur la base de la réglementation antérieure continuent à produire leurs effets jusqu'à leur expiration».
15. Par ailleurs, aux termes de l'article 36 du décret législatif nº 165, du 30 mars 2001, portant règles générales relatives à l'organisation du travail dans les administrations publiques (supplément ordinaire à la GURI nº 106, du 9 mai 2001, ci-après le «décret législatif nº 165/2001»):
«1. Dans le respect des dispositions relatives au recrutement du personnel visées aux paragraphes précédents, les administrations publiques recourent aux formes contractuelles flexibles de recrutement et d'emploi du personnel prévues par le code civil et par les lois relatives aux relations de travail dans l'entreprise. Les conventions collectives nationales réglementent les contrats à durée déterminée, les contrats de formation et de travail, les autres relations en matière de formation et de travail temporaire […]
2. En tout état de cause, la violation de dispositions impératives en matière de recrutement ou d'emploi de travailleurs par les administrations publiques ne saurait conduire à l'établissement de contrats de travail à durée indéterminée avec lesdites administrations publiques, sans préjudice de la responsabilité et des sanctions qu'elles peuvent encourir. Le travailleur concerné a droit à la réparation du dommage découlant de la prestation de travail effectuée en violation de dispositions impératives. Les administrations sont tenues de récupérer les sommes payées à ce titre auprès des dirigeants responsables lorsque la violation est intentionnelle ou qu'elle résulte d'une faute grave.»
Le litige au principal
et les questions préjudicielles
16. Le demandeur au principal a été employé en qualité de cuisinier par l'établissement hospitalier en vertu de deux contrats à durée déterminée successifs, le premier couvrant la période du 5 juillet 2001 au 4 janvier 2002 et le second, signé le 2 janvier 2002, prolongeant cette période jusqu'au 11 juillet 2002.
17. Le second contrat du demandeur au principal n'a pas été renouvelé par l'établissement hospitalier lorsqu'il est parvenu à son terme et ce dernier a procédé au licenciement formel de l'intéressé au moment où il s'est présenté à son poste de travail à l'échéance dudit contrat.
18. Le demandeur au principal a attaqué la décision de licenciement devant le Tribunale di Genova, en demandant à ce dernier, d'une part, de constater, sur la base du décret législatif nº 368/2001, l'existence d'une relation de travail à durée indéterminée avec l'établissement hospitalier et, d'autre part, de condamner celui-ci au paiement des rémunérations dues et à la réparation du dommage subi.
19. L'établissement hospitalier fait valoir que l'article 5 du décret législatif nº 368/2001 est inapplicable en l'espèce, puisque l'article 36 du décret législatif nº 165/2001 interdit aux administrations publiques de conclure des contrats de travail à durée indéterminée.
20. La juridiction de renvoi estime que le décret législatif nº 368/2001 n'a pas abrogé l'article 36 du décret législatif nº 165/2001, lequel aurait le caractère d'une lex specialis résultant des principes constitutionnels en matière de fonctionnement et d'organisation des services publics.
21. Elle s'appuie, à cet égard, sur l'arrêt nº 89, du 13 mars 2003, de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle), dont il ressortirait que l'article 36, paragraphe 2, première phrase, du décret législatif nº 165/2001 est conforme aux principes constitutionnels d'égalité et de bonne gestion énoncés respectivement aux articles
3 et 97 de la Constitution italienne. La Corte costituzionale a considéré que le principe fondamental en vertu duquel l'accès aux emplois dans les organismes publics s'effectue par concours, en application de l'article 97, troisième alinéa, de ladite Constitution, rend légitime la différence de traitement existant entre les travailleurs du secteur privé et ceux de l'administration publique en cas de constatation d'une illégalité lors de la conclusion de contrats à durée déterminée successifs.
22. Toutefois, selon la juridiction de renvoi, il est exclu que le législateur italien ait entendu, au moyen du décret législatif n° 165/2001, mettre en œuvre la directive 1999/70. Elle se demande si le système mis en place par l'article 36 dudit décret législatif comporte des «mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus» au sens de la clause 5, point 1, de l'accord-cadre. En outre, s'il fallait admettre que la République italienne n'a pas effectué une transposition complète de cette directive, dès lors qu'elle l'aurait transposée uniquement en ce qui concerne les relations de travail dans le secteur privé, la juridiction nationale s'interroge sur le point de savoir si ladite directive confère aux particuliers un droit spécifique à la conversion de leur relation de travail ou si, compte tenu des spécificités de l'organisation du travail dans le secteur public et, partant, de l'impossibilité d'appliquer à celui-ci les dispositions du décret législatif nº 368/2001, un tel manquement ne peut engendrer que des droits à indemnité à l'encontre de l'État membre défaillant, conformément à la jurisprudence initiée par l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357).
23. C'est dans ces conditions que le Tribunale di Genova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Compte tenu des principes de non-discrimination et d'effectivité et eu égard, pour ce qui concerne l'Italie, aux mesures par elle prises en ce qui concerne la relation de travail liant un travailleur à un employeur dans le secteur autre que public, la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999 [article 1er, ainsi que les clauses 1, sous b), et 5 de l'accord-cadre sur le travail conclu entre la CES, l'UNICE et le CEEP, et consacré par la directive], doit-elle être entendue dans le sens qu'elle s'oppose à une réglementation interne telle que celle de l'article 36 du décret législatif n° 165, du 30 mars 2001, qui ne détermine pas 'sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée sont réputés conclus pour une durée indéterminée', en excluant même dès le départ et de manière absolue que l'abus du recours à cette forme de contrat et de relations puisse donner lieu à l'établissement de relations de travail à durée indéterminée?
2) En cas de réponse affirmative à la [première] question […]: compte tenu de l'expiration du délai de transposition, la [directive 1999/70] (et en particulier la clause 5 de celle-ci), et les principes de droit communautaire applicables, doivent[-ils] être réputés - à la lumière également du décret législatif n° 368/2001, notamment de son article 5, qui prévoit, en tant que conséquence normale de l'abus du contrat à durée déterminée ou de la relation de travail à durée déterminée, la conversion en une relation de travail à durée indéterminée - accorder aux particuliers un droit, actuel et immédiatement exigible selon les règles du droit interne se rapprochant le plus du cas d'espèce (et donc selon les règles définies par le décret législatif n° 368/2001), à se voir reconnaître le bénéfice, dans leur chef, d'une relation de travail à durée indéterminée?
3) En cas de réponse affirmative à la [première] question […] et négative à la [deuxième] question […]: compte tenu de l'expiration du délai de transposition, la directive 1999/70[…] (et en particulier la clause 5 de celle-ci) et les principes de droit communautaire applicables doivent-ils être réputés accorder aux particuliers uniquement un droit à réparation du dommage éventuellement subi en raison de ce que la République italienne n'a pas adopté les mesures propres à prévenir les abus du recours au contrat et/ou aux relations de travail à durée déterminée dans les administrations publiques?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
Observations soumises à la Cour
24. L'établissement hospitalier considère que la demande de décision préjudicielle est irrecevable dans la mesure où la directive 1999/70 ne serait pas directement applicable à l'affaire au principal, eu égard à l'absence d'effet direct horizontal des directives, puisqu'il ne dépend ni de l'État italien ni d'aucun ministère. Il s'agirait d'un établissement autonome ayant des dirigeants propres, qui sont tenus, dans le cadre de leur gestion, d'appliquer les règles du droit interne qu'ils ne pourraient remettre en cause et auxquels ils ne sauraient déroger.
25. Le gouvernement italien fait également valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable. Il considère que cette demande est dépourvue de toute pertinence pour la solution du litige au principal dès lors que le premier contrat a été conclu avant le terme du délai de transposition de la directive 1999/70, fixé au 10 juillet 2001.
Appréciation de la Cour
26. S'agissant, en premier lieu, de l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'établissement hospitalier, il suffit de constater qu'il ressort de la décision de renvoi que la juridiction nationale considère comme établi le fait que cet établissement constitue une institution du secteur public rattachée à l'administration publique. Or, il est de jurisprudence constante qu'une directive peut être invoquée non seulement à l'encontre des autorités de l'État, mais également à l'encontre d'organismes ou d'entités soumis à l'autorité ou au contrôle de l'État ou qui disposent de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers, tels que des collectivités territoriales ou des organismes qui, quelle que soit leur forme juridique, ont été chargés en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public (arrêts du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839, point 31; du 12 juillet 1990, Foster e.a., C-188/89, Rec. p. I-3313, point 19, ainsi que du 5 février 2004, Rieser Internationale Transporte, C-157/02, Rec. p. I-1477, point 24).
27. Dès lors, ladite exception d'irrecevabilité ne saurait être retenue en l'espèce.
28. En ce qui concerne, en second lieu, l'exception d'irrecevabilité soulevée par le gouvernement italien, il suffit de constater qu'il ressort de la directive 1999/70, dont le délai de transposition a expiré le 10 juillet 2001, que celle-ci vise à prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs et que ses dispositions portent principalement sur le renouvellement des contrats à durée déterminée et les conditions auxquelles un tel renouvellement est soumis. Or, le renouvellement du contrat en cause dans l'affaire au principal est intervenu le 2 janvier 2002 et il est donc postérieur à la date à laquelle ladite directive devait être transposée dans le droit national. Dans ces conditions, il ne saurait être valablement soutenu que l'interprétation de celle-ci serait dépourvue de toute pertinence pour la solution du litige dont la juridiction de renvoi est saisie.
29. Cette exception d'irrecevabilité ne saurait donc davantage être retenue.
30. Il résulte des considérations qui précèdent que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur le fond
Sur la première question
31. Par sa première question, qui est en substance identique à celle posée dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de ce jour, Marrosu et Sardino (C-53/04, non encore publié au Recueil), la juridiction de renvoi demande en substance si l'accord-cadre doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui exclut, en cas d'abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public, que ceux-ci soient transformés en contrats ou en relations de travail à durée indéterminée, alors même qu'une telle transformation est prévue en ce qui concerne les contrats et relations de travail conclus avec un employeur appartenant au secteur privé.
32. En vue de répondre à cette question, il convient de relever d'emblée que, contrairement à ce que soutiennent l'établissement hospitalier et le gouvernement italien, la directive 1999/70 et l'accord-cadre ont vocation à s'appliquer aux contrats et relations de travail à durée déterminée conclus avec les administrations et autres entités du secteur public (arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C-212/04, non encore publié au Recueil, point 54).
33. Or, ainsi que la Cour l'a jugé au point 48 de l'arrêt Marrosu et Sardino, précité, la clause 5 de l'accord-cadre ne s'oppose pas, en tant que telle, à ce qu'un État membre réserve un sort différent à l'abus de recours à des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs selon que lesdits contrats ou relations ont été conclus avec un employeur appartenant au secteur privé ou un employeur relevant du secteur public.
34. Toutefois, ainsi qu'il résulte du point 105 de l'arrêt Adeneler e.a., précité, afin qu'une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit, dans le seul secteur public, la transformation en un contrat de travail à durée indéterminée d'une succession de contrats à durée déterminée, puisse être considérée comme conforme à l'accord-cadre, l'ordre juridique interne de l'État membre concerné doit comporter, dans ledit secteur, une autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l'utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs.
35. S'agissant de cette dernière condition, il convient de rappeler que la clause 5, point 1, de l'accord-cadre impose aux États membres l'adoption effective et contraignante de l'une au moins des mesures énumérées à cette disposition et visant à prévenir l'utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, dès lors que le droit national ne comporte pas déjà des mesures équivalentes.
36. En outre, lorsque, comme en l'occurrence, le droit communautaire ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l'hypothèse où des abus auraient néanmoins été constatés, il incombe aux autorités nationales d'adopter des mesures appropriées pour faire face à une telle situation, mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l'accord-cadre (arrêt Adeneler e.a., précité, point 94).
37. Si les modalités de mise en œuvre de telles normes relèvent de l'ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l'autonomie procédurale de ces derniers, elles ne doivent cependant pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) (voir, notamment, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 12, ainsi que Adeneler e.a., précité, point 95).
38. Il s'ensuit que, lorsqu'un recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit communautaire. En effet, selon les termes mêmes de l'article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, les États membres doivent «prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par [ladite] directive» (arrêt Adeneler e.a., précité, point 102).
39. Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur l'interprétation du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi, laquelle doit, en l'occurrence, déterminer si les exigences rappelées aux trois points précédents sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale pertinente. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son appréciation (voir arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, non encore publié au Recueil, points 76 et 77).
40. À cet égard, il y a lieu de relever qu'une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit des règles impératives relatives à la durée et au renouvellement des contrats à durée déterminée ainsi que le droit à réparation du dommage subi par le travailleur du fait du recours abusif par l'administration publique à des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs semble, à première vue, satisfaire aux exigences rappelées aux points 36 à 38 du présent arrêt.
41. Cependant, il incombe à la juridiction de renvoi d'apprécier dans quelle mesure les conditions d'application ainsi que la mise en œuvre effective de l'article 36, paragraphe 2, première phrase, du décret législatif n° 165/2001 en font une mesure adéquate pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner l'utilisation abusive par l'administration publique de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.
42. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l'accord-cadre doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui exclut, en cas d'abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public, que ceux-ci soient transformés en contrats ou en relations de travail à durée indéterminée, alors même qu'une telle transformation est prévue en ce qui concerne les contrats et relations de travail conclus avec un employeur appartenant au secteur privé, lorsque cette réglementation comporte une autre mesure effective destinée à éviter et, le cas échéant, à sanctionner une utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public.
Sur les deuxième et troisième questions
43. Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur les dépens
43. La procédure
revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs
, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui exclut, en cas d'abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public, que ceux-ci soient transformés en contrats ou en relations de travail à durée indéterminée, alors même qu'une telle transformation est prévue en ce qui concerne les contrats et relations de travail conclus avec un employeur appartenant au secteur privé, lorsque cette réglementation comporte une autre mesure effective destinée à éviter et, le cas échéant, à sanctionner une utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs par un employeur relevant du secteur public.
Signatures
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* Langue de procédure: l'italien.