CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
de la requête no 1937/06
présentée par Milan VINKLER et Zuzana VINKLEROVÁ
contre la République tchèque
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 4 mai 2010 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 décembre 2005,
Vu la décision partielle du 6 mai 2008,
Vu la déclaration formelle unilatérale du gouvernement défendeur,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, M. Milan Vinkler et Mme Zuzana Vinklerová, sont des ressortissants tchèques, nés respectivement en 1960 et 1965 et résidant à Teplice. Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Ustrnulová, avocate au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm.
Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Après que le requérant céda à la société K.P. des biens immeubles que lui et la requérante avaient acquis (dans le régime de la communauté des biens entre époux), les requérants intentèrent contre K.P., le 8 janvier 1997, une action tendant à faire constater leur droit de propriété sur les immeubles litigieux ; ils alléguaient que le contrat de vente était nul et non avenu.
Le 29 décembre 2000, le tribunal de district (Okresní soud) de Louny débouta les requérants de leur action, n'ayant constaté aucun motif de nullité dudit contrat.
Ce jugement fut confirmé par le tribunal régional (Krajský soud) d'Ústí nad Labem en date du 11 décembre 2003. Le tribunal rejeta par ailleurs la demande des requérants tendant à l'admission d'un pourvoi en cassation contre son arrêt, considérant que la question soulevée dans ce contexte par les intéressés avait déjà été réglée par la jurisprudence et ne revêtait donc pas une importance juridique cruciale. Cet arrêt passa en force de chose jugée le 9 février 2004.
Le 8 avril 2004, les requérants se pourvurent en cassation contre l'arrêt du 11 décembre 2003, soutenant que cet arrêt soulevait une question d'importance juridique cruciale.
Le même jour, les intéressés introduisirent un recours constitutionnel contre les décisions rendues par les tribunaux de district et régional. Invoquant les droits au respect des biens et à la protection judiciaire, ils se plaignaient de la violation du principe de l'égalité des parties et contestaient l'appréciation des preuves ainsi que l'appréciation juridique de l'affaire.
Le 21 décembre 2004, la Cour suprême (Nejvyšší soud) rejeta le pourvoi en cassation des requérants pour tardiveté, relevant que selon le code de procédure civile tel qu'en vigueur avant le 1er janvier 2001 (applicable en l'espèce), le pourvoi devait être introduit dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle la décision rendue en appel était passée en force de chose jugée.
Le 18 mars 2005, les intéressés complétèrent leur recours constitutionnel en vue de le diriger également contre la décision de la Cour suprême, contestant que celle-ci n'eût pas examiné le fond de leur pourvoi.
Par la décision du 25 mai 2005, notifiée à l'avocate des requérants le 22 juin 2005, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement à l'égard de la décision de la Cour suprême et pour tardiveté quant aux décisions des tribunaux inférieurs. Sur ce dernier point, la cour estima qu'en demandant au tribunal régional d'admettre un pourvoi en cassation les requérants s'étaient ouvert la possibilité d'introduire ce pourvoi, en vertu l'article
239 § 2 du code de procédure civile, lequel était donc la dernière voie de recours que leur offrait la loi pour protéger leurs droits. Or, de par leur manquement aux règles de procédure, ils avaient empêché la Cour suprême d'examiner le fond de leur pourvoi et n'avaient donc pas « épuisé » les voies de recours internes, comme l'exigeait l'article 75 § 1 de la loi no 182/1993 sur la Cour constitutionnelle (telle qu'en vigueur depuis le 1er avril 2004).
GRIEF
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants reprochent à la Cour constitutionnelle de ne pas avoir examiné le fond de leur recours constitutionnel bien que celui-ci ait été introduit dans le délai imparti.
EN DROIT
Par une lettre du 8 juin 2009, le Gouvernement a communiqué à la Cour le texte d'une déclaration qu'il souhaitait faire unilatéralement en vue de la solution de la requête. Il a invité la Cour à mettre fin à l'examen de l'affaire et à la rayer du rôle, conformément à l'article 37 de la Convention.
La déclaration se lit ainsi :
« 1. Par courrier du 16 mai 2008, la Cour européenne des Droits de l'Homme (ci-après dénommée « la Cour ») a informé le Gouvernement de la République tchèque (ci-après dénommé « le Gouvernement ») que Monsieur Milan Vinkler et Madame Zuzana Vinklerová (ci-après dénommés « les requérants ») l'avaient saisie d'une requête contre la République tchèque, enregistrée sous le numéro 1937/06.
2. Les requérants prétendent que leur droit à un procès équitable garanti dans l'article 6 § 1 de la Convention des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée « la Convention ») a été violé, car leur recours constitutionnel avait été rejeté comme irrecevable (décision no III. ÚS 233/04 du 25 mai 2005). Pour le surplus, la requête a été déclarée irrecevable par la décision partielle de la Cour du 6 mai 2008.
3. La Gouvernement admet que, au vu de la jurisprudence de la Cour dans les affaires relevant le problème similaire d'accès à la Cour constitutionnelle tchèque (voir, par exemple, Regálová c. République tchèque, no 40593/05, arrêt du 3 juillet 2008), le droit des requérants à un procès équitable garanti dans l'article 6 § 1 de la Convention a été violé.
4. Le Gouvernement se déclare prêt à verser aux requérants au titre de satisfaction équitable conjointement la somme globale de 1 000 EUR (mille euros), montant qu'il considère comme raisonnable au vu de la jurisprudence de la Cour pour couvrir tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens encourus.
Cette somme sera convertie en couronnes tchèques au taux applicable à la date du règlement et versée sur le compte bancaire indiqué par les requérants dans les trois mois à compter de la date de la décision de radiation rendue par la Cour sur le fondement de l'article 37 § 1 c) de la Convention.
A défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s'engage à verser, à compter de l'expiration de celui-ci et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
Le Gouvernement relève que les revenus provenant d'un règlement amiable de l'affaire devant la Cour ne sont pas sujets à l'impôt sur le revenu (art. 3 § 4-d et art. 18 § 2-d de la loi no 586/1992).
5. Le paiement de la somme proposée dans les conditions ci-dessus vaudra règlement définitif de l'affaire à l'origine de la requête no 1937/06.
6. Par conséquent, le Gouvernement invite la Cour à rayer la présente requête du rôle selon l'article 37 § 1 c) de la Convention (voir, par exemple, Jean-Marc Tierce c. Saint-Marin, no 29370/05, décision du 27 mars 2008). »
Les requérants ne se sont pas explicitement prononcés sur cette déclaration unilatérale. Ils ont fait savoir leur position auparavant, lorsque les parties ont mené des négociations en vue d'un règlement amiable de l'affaire qui s'étaient soldées par un échec. La Cour rappelle à cet égard qu'en vertu de l'article 38 § 2 de la Convention, les négociations en vue d'un règlement amiable de l'affaire sont confidentielles. Par ailleurs, aux termes de l'article 62 § 2 du Règlement de la Cour, aucune communication écrite ou orale ni aucune offre ou concession intervenues dans le cadre dédites négociations ne peuvent être mentionnées ou invoquées dans la procédure contentieuse. Cependant, la déclaration du Gouvernement du 8 juin 2009 a été présentée hors du cadre des négociations tendant au règlement amiable de l'affaire.
La Cour rappelle ensuite que l'article 37 de la Convention dispose que, à tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de tirer l'une des conclusions exposées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. En particulier, l'article 37 § 1 c) autorise la Cour à rayer une requête du rôle lorsque :
« pour tout autre motif dont [elle] constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête. ».
Elle rappelle aussi que, dans certaines circonstances, elle peut rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive. En pareil cas, pour déterminer si elle doit rayer la requête du rôle, la Cour examine attentivement la déclaration à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence, en particulier de l'arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003-VI).
La Cour prend acte de la déclaration formelle du Gouvernement en l'espèce. Elle note qu'elle s'est déjà prononcée dans de nombreux arrêts sur l'approche trop formaliste adoptée par la Cour constitutionnelle dans certaines affaires, laquelle résultait d'un manque de clarté de la législation tchèque relative à l'introduction du pourvoi en cassation et du recours constitutionnel (voir, notamment, Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, CEDH 2002-IX ; Vodárenská akciová společnost, S.A. c. République tchèque, no 73577/01, 24 février 2004) ; cette approche persistait parfois même après que cette juridiction a annoncé un changement de sa pratique dans une communication, publiée dans le Journal officiel le 3 février 2003 (voir Rechtová c. République tchèque, no 27088/05, 26 juin 2008 ; Regálová c. République tchèque, no 40593/05, 3 juillet 2008). S'il est vrai que la présente affaire porte sur un problème apparu plus tard, à la suite d'un amendement législatif opéré par la loi no 83/2004 (entré en vigueur le 1er avril 2004), la Cour estime qu'il s'agit d'un cas similaire qui est lié aux premières applications de la nouvelle législation.
A cet égard, le Gouvernement a reconnu dans sa déclaration qu'au vu de la jurisprudence de la Cour, il y avait eu violation du droit des requérants à un procès équitable, et il a proposé de leur verser conjointement 1 000 EUR pour y remédier. La Cour observe que cette somme correspond au montant de la satisfaction équitable ou du règlement amiable octroyé dans les affaires similaires (voir, par exemple, Mařík c. République tchèque, no 73116/01, 12 avril 2005 ; GECO, a.s. c. République tchèque, no 4401/03, 21 septembre 2006 ; Tůma et Tůmová c. République tchèque (déc.), no 13475/03, 18 septembre 2006).
La Cour conclut, dans les circonstances particulières de l'affaire et eu égard à sa jurisprudence bien établie en matière d'accès à un tribunal, qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen du restant de la requête.
Par ailleurs, conformément à l'article 37 § 1 in fine, la Cour estime qu'aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles n'exige la poursuite de l'examen.
Enfin, la Cour rappelle que, conformément à l'article 46 § 2 de la Convention, le Comité des Ministres est compétent pour surveiller l'exécution des arrêts définitifs uniquement. Néanmoins, au cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale dans la présente affaire, la requête pourrait être réinscrite au rôle, en vertu de l'article 37 § 2 de la Convention (voir Josipovic c. Serbie (déc.), no 18369/07, 4 mars 2008).
Dès lors, il y a lieu de mettre fin à l'application de l'article 29 § 3 de la Convention et de rayer le restant de l'affaire du rôle.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements pris ;
Décide, en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention, de rayer le restant de l'affaire du rôle.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président