Cour administrative d'appel de Paris, 4ème Chambre, 25 mai 2022, 20PA02795

Synthèse

  • Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
  • Numéro d'affaire :
    20PA02795
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Satisfaction partielle
  • Décision précédente :Tribunal administratif de Paris, 3 septembre 2020
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000045832682
  • Rapporteur : M. Pascal MANTZ
  • Rapporteur public :
    M. BARONNET
  • Président : Mme JULLIARD
  • Avocat(s) : TRAORE
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Chronologie de l'affaire

Cour administrative d'appel de Paris
2022-05-25
Tribunal administratif de Paris
2020-09-03

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Procédure contentieuse antérieure : M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 mai 2020 par laquelle le préfet de police l'aurait obligé à quitter le territoire français sans délai et fixé le pays de renvoi ainsi que la décision du même jour par laquelle la même autorité a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trente-six mois et l'a informé qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Par un jugement n° 2007473/5-3 du 3 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 septembre 2020, le 22 octobre 2020, le 22 janvier 2021, le 8 avril 2021 et le 20 avril 2021, M. A..., représenté par Me Traoré, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) d'annuler ces décisions ; 3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que : - les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent les droits de la défense ; - les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; - la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 5 de la déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ; - il est en situation de se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée quant à sa durée ; - la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est dépourvue de base légale dès lors que l'obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020 est inexistante ; aucune substitution de base légale ne saurait pallier cette illégalité ; - à supposer que la Cour procède à une substitution de base légale de l'obligation de quitter le territoire français du 26 février 2020, il en résulterait une atteinte au principe du contradictoire ainsi qu'aux droits de la défense dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de contester cette décision de manière effective, le bureau d'aide juridictionnelle ne s'étant pas encore prononcé sur sa demande ; - à supposer que la Cour procède à la substitution de base légale précitée, l'interdiction de retour sur le territoire français n'en serait pas moins illégale du fait que, s'étant maintenu irrégulièrement sur le territoire après l'expiration du délai de volontaire prévu par l'obligation de quitter le territoire français du 26 février 2020, la durée de l'interdiction de retour ne pourrait, en vertu du sixième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, excéder deux ans ; - la mesure d'interdiction de retour est en outre illégale dès lors qu'elle est assortie d'un délai de recours de 48 heures, et non de quinze jours tel que prévu par l'article I bis de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile quand elle accompagne une obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire. Les parties ont été informées, par communication du 18 janvier 2021, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office. Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête. Il soutient que : - la demande de M. A... est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français dès lors que celui-ci disposait d'un délai de quarante-huit heures suivant la date de notification de cette décision du 17 mai 2020 pour déposer son recours ; le moyen tiré de l'irrégularité de cette décision en ce qu'elle ne comporte pas l'heure de notification est dès lors inopérant ; - la demande de M. A... est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre une prétendue décision de refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant le pays de renvoi du 17 mai 2020 qui est inexistante ; - la décision portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020 étant inexistante, le moyen tiré de l'illégalité de cette décision, par voie d'exception, afin de contester la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. M. C... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit

: 1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 16 octobre 1989, est entré en France le 16 avril 2017 selon ses déclarations. Le 23 octobre 2019, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 26 février 2020, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 16 mai 2020, il a été interpellé par la police à la suite d'un contrôle routier. Par une décision du 17 mai 2020, le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. M. A... relève appel du jugement du 3 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que d'une obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020. Sur la recevabilité de la demande en tant qu'elle est dirigée contre une obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020 : 2. S'il ressort de l'examen de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français de M. A... qu'elle serait fondée sur une obligation de quitter le territoire français en date du 17 mai 2020, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'une telle mesure aurait été prise, soit par le préfet de police soit par une autre autorité préfectorale. Cette obligation de quitter le territoire français est donc inexistante. Par suite, ainsi que la Cour en a informé les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les conclusions aux fins d'annulation dirigées contre cette prétendue obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020, dépourvues d'objet dès l'origine, sont irrecevables ainsi que celles, pour les mêmes motifs, dirigées contre le pays de renvoi. Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de police à la demande en tant qu'elle est dirigée contre l'interdiction de retour sur le territoire français : 3. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " (...) / II. ' L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...) / III. ' En cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français (...) qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. (...) / L'étranger faisant l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 peut, dans le même délai, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision. Les décisions mentionnées au premier alinéa du présent III peuvent être contestées dans le même recours lorsqu'elles sont notifiées avec la décision d'assignation ". 4. Il ressort de l'examen de la décision du 17 mai 2020 portant interdiction de retour de M. A... sur le territoire français qu'elle est accompagnée de la mention des voies et délais de recours qui l'informe d'un délai de recours de quarante-huit heures suivant sa notification afin de lui permettre, le cas échéant, de la contester devant le tribunal administratif de Paris. Il résulte toutefois des dispositions qui précèdent de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, que, s'agissant de la contestation d'une interdiction de retour sur le territoire français, un tel délai n'est opposable qu'à l'étranger qui fait l'objet, soit d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, soit d'une décision de placement en rétention ou d'une décision d'assignation à résidence. Or, compte tenu notamment de ce qui a été dit au point 2, M. A... n'a fait l'objet d'aucune de ces mesures. Par suite, le préfet de police ne pouvait opposer à M. A... un délai de quarante-huit heures pour former un recours contentieux à l'encontre de cette interdiction de retour. Aucun autre délai n'ayant été notifié et n'étant donc opposable à M. A..., qui a formé un recours à l'encontre de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français le 26 mai 2020, soit neuf jours après son édiction, la fin de non-recevoir susmentionnée doit être écartée. Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français : 5. Ainsi qu'il a été dit au point 2, l'obligation de quitter le territoire français du 17 mai 2020, mentionnée dans l'interdiction de retour sur le territoire français et qui en serait le fondement, est inexistante. Par suite, cette interdiction de retour d'une durée de trente-six mois prise à l'encontre de M. A... est dépourvue de base légale. Ce dernier est dès lors fondé à soutenir qu'elle est entachée d'illégalité. 6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 septembre 2020 ainsi que la décision du préfet de police portant interdiction de retour sur le territoire français de M. A... pendant une période de trente-six mois doivent être annulés. Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte : 7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'implique ni que le préfet de police délivre un titre de séjour à M. A... ni qu'il procède au réexamen de sa situation. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, à l'effacement du signalement aux fins de non-admission de M. A... dans le système d'information Schengen. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte. Sur les frais liés au litige : 8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2007473/5-3 du 3 septembre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé. Article 2 : La décision du 17 mai 2020 par laquelle le préfet de police a prononcé à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trente-six mois est annulée. Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder à l'effacement du signalement aux fins de non-admission de M. A... dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police. Délibéré après l'audience du 22 avril 2022, à laquelle siégeaient : - Mme Heers, présidente, - Mme Briançon, présidente-assesseure, - M. Mantz, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2022. Le rapporteur, P. C...Le président, M. B...La greffière, V. BREME La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. N° 20PA02795 2