Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 janvier et 17 octobre 2023, l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel, représentée par la SELARL Derby Avocats, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 6 octobre 2022 par laquelle la commission supérieure d'appel de la Fédération française de football (FFF) a confirmé la décision du 7 septembre 2022 de la commission fédérale des règlements et contentieux de la FFF lui infligeant la sanction de match perdu, assortie d'une perte d'un point au classement du championnat de National 1 de la saison 2022-2023, ainsi que la suspension d'un match ferme à l'encontre de M. B A, à compter du 12 septembre 2022 ;
2°) d'enjoindre à la FFF de rétablir le classement de la compétition conformément au jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la FFF la somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée méconnaît l'article 226 des règlements généraux de la saison 2021/2022 ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de cet article 226 qui méconnaît l'objectif à valeur constitutionnel d'intelligibilité et de clarté de la loi ;
- la décision attaquée méconnaît le principe " non bis in idem " ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'équipe d'Avranches ne tirait aucun bénéfice sportif de la situation, puisque le joueur recruté évoluait à un niveau inférieur au championnat national (National 2 pour la réserve du FC Nantes). Au surplus, il apparaît totalement inéquitable de faire peser sur le nouveau club la charge d'agissements fautifs commis lors d'un précédent championnat dans une autre équipe et auprès de laquelle le joueur avait déjà purgé le match de suspension qui lui avait été infligé la saison précédente ;
- elle est entachée d'une rupture d'égalité ;
- la sanction d'un point de pénalité qui lui a été infligée, qui présente un caractère automatique au regard des règlements fédéraux, méconnaît le principe d'individualisation des peines et est manifestement disproportionnée au regard des faits en litige ;
- la décision en litige traduit une violation du principe d'impartialité et d'indépendance de l'instance supérieure d'appel.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 26 mai et 10 novembre 2023, la FFF, représentée par la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la mise à la charge de l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel de la somme de 4 000 euros à au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
La FFF fait valoir que les moyens invoqués sont infondés.
La requête a été communiquée au Stade olympique choletais, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du sport ;
- les règlements généraux de la Fédération française de football de la saison 2021-2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pény,
- les conclusions de M. Cicmen, rapporteur public,
- les observations de Me Naud, représentant l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel,
- et les observations de la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, représentant la FFF.
Une note en délibéré, enregistrée le 5 janvier 2024, a été présentée pour le FFF par la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix.
Considérant ce qui suit
:
Le 19 mai 2022, M. A, alors licencié au Football club (FC) de Nantes, s'est vu infliger une suspension d'un match ferme pour récidive d'avertissements par la commission fédérale de discipline, avec date d'effet au 23 mai 2022. Le 7 juillet 2022, l'intéressé a été transféré à l'Union sportive (US) l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel. Le 12 août 2022, l'US Avranches Mont-Saint-Michel a remporté le marché l'opposant au Stade olympique (SO) choletais pour le compte de la première journée du championnat national 1. Le 14 août 2022, le SO Cholet a formé une demande d'évocation auprès de la commission fédérale des règlements et contentieux de la Fédération français de football (FFF) pour mettre en cause la participation à la rencontre de M. A, compte tenu de la suspension prononcée par la commission fédérale de discipline de la FFF le 19 mai 2022. Par une décision du 7 septembre 2022, la commission fédérale des règlements et contentieux de la FFF, après avoir constaté que le joueur avait purgé un match de suspension avec l'équipe réserve du Football club de Nantes mais aucun match de suspension avec l'équipe première de son ancien club, ni de son nouveau club de l'US Avranches Mont-Saint-Michel a, en conséquence, prononcé la sanction de match perdu à l'encontre l'US Avranches Mont-Saint-Michel, assortie d'une perte d'un point au classement du championnat de national 1 de la saison 2022-2023, ainsi que la suspension d'un match ferme à l'encontre de M. A, à compter du 12 septembre 2022. Par la décision attaquée du 6 octobre 2022, la commission supérieure de la Fédération a confirmé la décision de la commission fédérale de discipline de la Fédération. Par un courriel en date du 18 octobre 2022, le club a saisi le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) aux fins de mise en œuvre de la procédure préalable de conciliation prévue aux articles
L. 141-4 et
R. 141-5 et suivants du code du sport. Le 20 décembre 2022, le conciliateur désigné a proposé à la Fédération de rapporter sa décision Cette proposition a été expressément refusée le 3 janvier 2023 par le comité exécutif de la FFF. Par la présente requête, l'US Avranches Mont-Saint-Michel demande l'annulation de la décision du 6 octobre 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
1. Aux termes de l'article 226 des règlements généraux de la FFF dans leur version applicable à la saison 2021-2022 : " Modalités pour purger une suspension. / 1. Le joueur exclu par l'arbitre ne peut pas purger sa suspension avec une autre équipe de son club le jour-même ou le lendemain de son exclusion. A compter du surlendemain de l'exclusion, la suspension d'un joueur doit être purgée lors des rencontres officielles effectivement jouées par l'équipe au sein de laquelle il reprend la compétition, même s'il ne pouvait y participer réglementairement (). / Le joueur ne peut être inscrit sur une feuille de match avec une autre équipe de son club tant qu'il n'a pas purgé sa suspension au regard du calendrier de cette dernière. Pour les joueurs dont le club dispute un championnat national, sanctionnés à la suite d'incidents (exclusion, récidive d'avertissements entraînant une suspension ferme, incidents de natures diverses) survenus à l'occasion d'une rencontre officielle de compétition nationale, le ou les matchs à prendre en compte sont ceux de compétition officielle nationale disputés par l'équipe au sein de laquelle le joueur reprend la compétition si cette dernière dispute un championnat national. / Les sanctions complémentaires prononcées doivent être purgées dans les mêmes conditions. En cas de changement de club, la suspension du joueur est purgée dans les équipes du nouveau club, selon les modalités précisées au présent alinéa. Les matchs pris en compte dans ce cas sont les matchs officiels disputés par les équipes de son nouveau club depuis la date d'effet de sa sanction et ce, même s'il n'était pas encore qualifié dans ce club. () / En tout état de cause, en cas de difficulté dans la purge de la sanction, le club intéressé peut toujours demander l'application de l'alinéa 3 ci-après. / 2. L'expression "effectivement jouée" s'entend d'une rencontre ayant eu son aboutissement normal, prolongation éventuelle comprise. () / 3. En cas de difficulté à purger les peines prévues aux alinéas qui précèdent dans les conditions ci-dessus définies et dont est seul juge l'organisme qui a prononcé la suspension, il appartient au club intéressé de demander à ce dernier de définir les modalités selon lesquelles ladite suspension sera effectuée. / 4. La perte, par pénalité, d'une rencontre disputée par l'équipe de son club avec laquelle un joueur suspendu devait purger sa sanction, libère ce joueur de la suspension d'un match vis-à-vis de cette équipe. / Ce joueur encourt néanmoins une nouvelle sanction pour avoir évolué en état de suspension. () ". Aux termes de l'article 171 des mêmes règlements : " 1. En cas d'infraction à l'une des dispositions prévues aux règlements fédéraux et relatives à la qualification et/ou à la participation des joueurs, et indépendamment des éventuelles pénalités prévues au Titre 4, le club fautif a match perdu par pénalité si : / - soit des réserves ont été formulées conformément aux dispositions des articles 142 ou 145et elles ont été régulièrement confirmées ; / - soit une réclamation a été formulée dans les conditions fixées par les dispositions de l'article187.1 / ;- soit la Commission compétente s'est saisie de l'infraction, dans les conditions fixées par les dispositions de l'article 187.2.2. / Le club adverse ne bénéficie toutefois des points correspondant au gain du match que dans les cas suivants : / - s'il avait formulé des réserves conformément aux dispositions des articles 142 ou 145 et qu'illes avait régulièrement confirmées ; / - s'il s'agit d'une des infractions qui permettent l'évocation par la Commission compétente, dans les conditions fixées par les dispositions de l'article 187.2. / Les buts marqués au cours de la rencontre par l'équipe du club fautif sont annulés () ". Et aux termes de l'article 187 de ces règlements : " () 2. - Évocation / Même en cas de réserves ou de réclamation, l'évocation par la Commission compétente est toujours possible et prévaut, avant l'homologation d'un match, en cas : / - de participation d'un joueur non inscrit sur la feuille de match ; / - d'inscription sur la feuille de match, en tant que joueur, d'un licencié suspendu, d'un joueur non licencié au sein du club, ou d'un joueur non licencié () ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A, alors qu'il évoluait au sein de l'équipe réserve du FC Nantes pour la saison 2021-2022, s'est vu infliger, le 19 mai 2022, une suspension d'un match ferme pour récidive d'avertissements, à compter du 23 mai 2022. M. A a purgé sa suspension à l'occasion d'un match ayant opposé l'équipe réserve du FC Nantes au club de Bourges, le 28 mai 2022, dans le cadre du championnat de National 2.
3. Il ressort des motifs de la décision attaquée que la commission supérieure d'appel de la FFF a considéré qu'à la date du 12 août 2022, M. A n'avait ni purgé de match de suspension avec l'équipe première de son ancien club, le FC Nantes, ni celle de son nouveau club, l'US Avranches, et que la seule suspension au sein de l'équipe réserve du FC Nantes était " insuffisante " au motif que la suspension d'un joueur, par application de l'article 226 des règlements généraux de la Fédération, doit être distinctement purgée au sein de chaque équipe du club, et non à l'échelle du club lui-même. Elle a, dès lors, constaté que M. A n'aurait pas dû être inscrit sur la feuille du match ni jouer lors de la rencontre du 12 août 2022, avec l'équipe première de son nouveau club.
4. Eu égard à l'objet de la règle édictée par l'article 226 des règlements généraux de la FFF, qui tend à la préservation de l'équité sportive, il appartient à la FFF de prendre en compte les circonstances particulières de chaque espèce dans le cadre de son application.
5. En l'espèce, en considérant que la sanction d'un match de suspension infligée à M. A par la commission fédérale de discipline ne pouvait être regardée comme ayant été purgée à l'issue du match ayant opposé l'équipe réserve du FC Nantes au club de Bourges, le 28 mai 2022, dans le cadre du championnat de National 2, et devait, par application de l'article 226 des règlements généraux de la FFF, se traduire également, dans les faits, par un second match de suspension, celui-ci effectué au sein d'une équipe première, alors que l'intéressé avait joué la totalité de la saison précédente dans un niveau d'équipe inférieur, au sein de l'équipe réserve du FC Nantes, de sorte que son premier match de suspension avait été effectué dans son niveau d'équipe habituel, la commission supérieure d'appel de la FFF a entaché d'erreur d'appréciation sa décision du 6 octobre 2022 infligeant la sanction de match perdu au club requérant, assortie d'une perte d'un point au classement du championnat de national 1 de la saison 2022-2023, ainsi que la suspension d'un match ferme à l'encontre de M. A.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que cette décision doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le classement du championnat de National 1 organisé par la FFF, à l'issue de la saison 2022-2023, n'a pas été contesté et a ainsi acquis un caractère définitif. En outre, la saison 2022-2023 du championnat de France est écoulée. Ainsi, l'annulation prononcée est sans incidence, à la date du présent jugement, sur la situation des deux clubs concernés par la décision en litige. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'US Avranches Mont-Saint-Michel doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la FFF le versement à l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel de la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance. En revanche, les dispositions de l'article
L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Union sportive Avranches Mont-Saint-Michel la somme que la FFF demande au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 6 octobre 2022 par laquelle la commission supérieure d'appel de la Fédération française de football a confirmé la décision du 7 septembre 2022 de la commission fédérale des règlements et contentieux infligeant à l'US Avranches Mont-Saint-Michel la sanction de match perdu, assortie d'une perte d'un point au classement du championnat de National 1 de la saison 2022-2023, ainsi que la suspension d'un match ferme à l'encontre de M. A, à compter du 12 septembre 2022, est annulée.
Article 2 : La Fédération française de football versera à l'US Avranches Mont-Saint-Michel la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus de la requête de l'US Avranches Mont-Saint-Michel est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Fédération française de football au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l'Union Sportive Avranches Mont-Saint-Michel, au Stade olympique choletais et à la Fédération française de football.
Copie en sera adressée au Comité national olympique et sportif français.
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Delesalle, président,
- M. Pény, premier conseiller,
- M. Doan, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.
Le rapporteur,
A. Pény
Le président,
H. Delesalle
La greffière,
A. Cardon
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 2301119/6-3