Conseil d'État, 9ème Chambre, 14 avril 2022, 446819

Synthèse

  • Juridiction : Conseil d'État
  • Numéro d'affaire :
    446819
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Rejet
  • Publication : Inédit au recueil Lebon
  • Identifiant européen :
    ECLI:FR:CECHS:2022:446819.20220414
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000045588660
  • Rapporteur : M. Nicolas Polge
  • Rapporteur public :
    Mme Céline Guibé
  • Président : M. Frédéric Aladjidi
  • Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL ; SCP BOUTET-HOURDEAUX
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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2020 et 26 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aldini AG demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation des articles R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce ainsi que du troisième alinéa de l'article 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code ; 2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger les dispositions litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ; - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ; - le code de commerce ; - le code de procédure civile ; - la décision du 1er mars 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Aldini AG ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat, - les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Aldini AG et à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la société MBDA France ;

Considérant ce qui suit

: 1. La société de droit suisse Aldini AG, en sa qualité d'actionnaire de la société de droit français Dolphin Intégration, laquelle a fait l'objet d'un jugement arrêtant un plan de cession suite à la mise en œuvre de la procédure dite de " prepack cession " prévue par les articles L. 611-7 et L. 642-2 du code de commerce, a adressé au Premier ministre un recours tendant à l'abrogation des articles R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce, ainsi que du troisième alinéa de l'article 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur son recours formé contre cette décision. 2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 611-7 du code de commerce : " Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi. Il peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d'une mission ayant pour objet l'organisation d'une cession partielle ou totale de l'entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ". Aux termes de l'article L. 642-2 du même code : " I.- Lorsque le tribunal estime que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, il autorise la poursuite de l'activité et il fixe le délai dans lequel les offres de reprise doivent parvenir au liquidateur et à l'administrateur lorsqu'il en a été désigné. / Toutefois, si les offres reçues en application de l'article L. 631-13 ou formulées dans le cadre des démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur désigné en application des articles L. 611-3 ou L. 611-6 remplissent les conditions prévues au II du présent article et sont satisfaisantes, le tribunal peut décider de ne pas faire application de l'alinéa précédent. Lorsque la mission du mandataire ad hoc ou du conciliateur avait pour objet l'organisation d'une cession partielle ou totale de l'entreprise, ceux-ci rendent compte au tribunal des démarches effectuées en vue de recevoir des offres de reprise, nonobstant l'article L. 611-15. L'avis du ministère public est recueilli lorsque l'offre a été reçue par le mandataire ad hoc ou le conciliateur. " Aux termes du III de l'article L. 661-6 du même code : " Ne sont susceptibles que d'un appel de la part soit du débiteur, soit du ministère public, soit du cessionnaire ou du cocontractant mentionné à l'article L. 642-7 les jugements qui arrêtent ou rejettent le plan de cession de l'entreprise. (...) " Aux termes de l'article L. 661-7 de ce code : " Il ne peut être exercé de tierce opposition ou de recours en cassation contre : / (...) 2° Les jugements mentionnés à l'article L. 661-6 et les arrêts rendus en application des I et II du même article (...) ". 3. Aux termes de l'article R. 611-26-2 du code de commerce : " La demande mentionnée à la troisième phrase du premier alinéa de l'article L. 611-7 est accompagnée des éléments suivants : / 1° La demande d'avis adressée aux créanciers participants, qui reproduit les dispositions du premier alinéa de l'article L. 611-7 et du I de l'article L. 642-2 et sur laquelle chaque créancier a mentionné son avis ou, à défaut, un document justificatif de la demande d'avis ; / 2° L'accord du conciliateur pour prendre en charge la mission ; / 3° L'accord du débiteur sur les conditions de rémunération dues au titre de cette mission. / L'ordonnance par laquelle le président fait droit à la demande et détermine ou modifie la mission du conciliateur fixe, conformément aux dispositions de la section V du présent chapitre, les conditions de rémunération de cette mission complémentaire. Elle est notifiée par le greffier au requérant et au conciliateur. (...) ". Aux termes de l'article R. 661-2 du même code : " Sauf dispositions contraires, l'opposition et la tierce opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d'actif, de faillite personnelle ou d'interdiction prévue à l'article L. 653-8, par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision. / Toutefois, pour les décisions soumises aux formalités d'insertion dans un support d'annonces légales et au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. (...) " Aux termes de l'article 583 du code de procédure civile : " Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque. / Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres. (...) " Aux termes du troisième alinéa de l'article 586 du même code: " En matière contentieuse, elle [la tierce opposition] n'est cependant recevable, de la part du tiers auquel le jugement a été notifié, que dans les deux mois de cette notification (...) ". Enfin aux termes de l'article 643 du même code : " Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais (...) de tierce opposition dans l'hypothèse prévue à l'article 586 alinéa 3, (...) sont augmentés de : / (...) / 2. Deux mois pour celles [les personnes] qui demeurent à l'étranger ". 4. La société Aldini AG soutient que les dispositions des articles L. 611-7 et R. 661-2 du code de commerce ainsi que celles du troisième alinéa de l'article 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code, en tenant les actionnaires à l'écart de la procédure de cession des actifs d'une personne morale faisant l'objet d'une procédure préventive et en aménageant un régime d'exercice des voies de recours très strict ne tenant pas compte des délais de distance dont doivent bénéficier les parties demeurant à l'étranger, portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, au principe d'égalité, à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au principe de sécurité juridique. 5. En premier lieu, par sa décision n° 446819 du 1er mars 2021, le Conseil d'Etat a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Aldini AG à l'encontre de l'article L. 611-7 du code de commerce. Or les dispositions de cet article ne sauraient être contestées devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Par ailleurs, les dispositions de l'article R. 661-2 du code de commerce, du troisième alinéa de l'article 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code n'ont pas été prises pour l'application de l'article L. 611-7 du code de commerce, qui n'en constitue pas non plus la base légale. Il suit de là que la société Aldini AG ne peut utilement soutenir que l'article L. 611-7 du code de commerce serait entaché d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité. 6. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 661-2 du code de commerce, auxquelles ne dérogent pas celles du troisième alinéa de l'article 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code, que le délai de la tierce opposition dite "tierce opposition - nullité ", qui demeure ouverte aux actionnaires d'entreprises en difficulté à l'encontre du jugement qui arrête ou rejette un plan de cession, est limité à dix jours à compter de la publication de ce jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, sans que ce délai puisse être augmenté au motif que ces actionnaires demeurent à l'étranger. La sauvegarde des entreprises en difficulté, la préservation de l'activité économique et le maintien de l'emploi, qui répondent à un objectif d'intérêt général, impliquent que des mesures puissent être prises avec célérité et que la durée du délai ouvert pour contester les décisions des tribunaux de commerce statuant sur la situation de ces entreprises soit limité. En outre, eu égard aux informations dont disposent les actionnaires de ces entreprises, aux étapes préalables au prononcé d'un jugement arrêtant ou rejetant un plan de cession ainsi qu'à la circonstance que le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales est immédiatement rendu accessible à tous sur l'internet, le délai de dix jours pour contester un tel jugement, qui commence à courir à compter de sa publication dans ce bulletin, n'est pas susceptible de rendre un tel recours impossible, ni même excessivement difficile pour les intéressés, y compris lorsque ceux-ci résident à l'étranger. Par suite, la société Aldini AG n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article R. 661-2 du code de commerce, du troisième alinéa de l'articles 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code méconnaissent le droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 7. En troisième lieu, l'article R. 661-2 du code de commerce, qui fixe à dix jours le délai d'exercice de la tierce opposition à l'encontre des jugements rendus en matière de difficultés des entreprises, et les articles 586, alinéa 3, et 643 du code de procédure civile, dont il résulte que ce délai n'est augmenté au profit des tiers demeurant à l'étranger que si le jugement contesté leur a été notifié, n'ont ni pour objet d'autoriser l'organisation de la cession partielle ou totale d'une entreprise en difficulté, ni de définir les conditions dans lesquelles un plan de cession, susceptible de porter atteinte aux intérêts des actionnaires, peut être préparé. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaitraient le principe d'égalité, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique au motif que le dispositif dit de " prepack cession " conduirait en cas de cession de l'entreprise en difficulté à priver de toute valeur les actions de cette entreprise, sans garantie pour les actionnaires que leurs intérêts soient préservés, ne peuvent qu'être écartés. 8. Si la société Aldini AG soutient, par ailleurs, que les dispositions de l'article R. 611-26-2 du code de commerce, qui précisent les éléments devant accompagner la demande du débiteur tendant à ce que le conciliateur soit chargé de la mission d'organiser une cession éventuelle de l'entreprise en difficulté dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, relèvent du domaine de la loi, l'obligation de fournir certaines pièces résultant de cet article ne met en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution. Il s'ensuit que ce moyen doit être écarté. 9. Il résulte de ce qui précède que la société Aldini AG n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions des articles R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce ainsi que du troisième alinéa de l'articles 586 du code de procédure civile et de l'article 643 du même code. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

-------------- Article 1er : La requête de la société Aldini AG est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Aldini AG, à la société MBDA France, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de la relance. Délibéré à l'issue de la séance du 24 mars 2022 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat-rapporteur. Rendu le 14 avril 2022. Le président : Signé : M. Frédéric Aladjidi Le rapporteur : Signé : M. Nicolas Polge La secrétaire : Signé : Mme B... A...