Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 13 novembre 2003, 01-14.368

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2003-11-13
Cour d'appel de Rennes (2e Chambre commerciale)
2001-05-23

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, rectifié par arrêt du 6 novembre 2002, que le 10 février 1992, la société Lemaire et la société Lerat ont signé un contrat de concession aux termes duquel la société Lemaire, concédant, accordait à la société Lerat, concessionnaire, le droit de fabriquer et de vendre des farines biologiques sous les marques de la société Lemaire ; qu'en contrepartie de l'exclusivité accordée pour la distribution des produits de marque Lemaire, la société Lerat devait s'approvisionner en emballages et autres supports d'identification auprès de la société Lemaire ou d'un fournisseur agréé et lui verser des redevances ; que par courrier du 12 septembre 1996, la société Lemaire a fait connaître à son concessionnaire qu'elle n'entendait pas renouveler le contrat qui expirait le 18 février 1997 ; que, par acte du 5 août 1997, la société Lemaire a judiciairement réclamé à la société Lerat le paiement de factures impayées, ainsi que des dommages-intérêts en réparation des faits de concurrence déloyale commis à son encontre après l'expiration du contrat ; que, reconventionnellement, la société Lerat a soutenu que la société Lemaire n'avait pas exécuté l'obligation du contrat selon laquelle le niveau des redevances devait être réexaminé en cas de variation d'un certain nombre d'éléments et que les prix étaient restés indéterminés ce qui devait donner lieu à restitution à son profit ;

Sur le premier moyen

, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Lemaire fait grief à

l'arrêt d'avoir rejeté sa demande contre son ancien concessionnaire, en paiement de la somme de 900 833,76 francs correspondant à des redevances dues, en application du contrat, sur la totalité des quintaux de farines biologiques fabriquées ou commercialisées par lui, alors, selon le moyen : 1 / qu'en son article 12, le contrat de concession stipulait que le concessionnaire s'engageait à verser au concédant des redevances calculées sur la totalité des quintaux de farines biologiques fabriquées ou vendues par lui selon des modalités fixées différemment pour les farines Lemaire et pour les autres farines biologiques ; qu'en affirmant qu'en application des articles 1156 et suivants du Code civil, il y avait lieu de constater que les redevances dues par le concessionnaire n'étaient pas assises sur les farines non Lemaire, quand il ressortait de la convention que la redevance était due tant sur la fabrication ou la vente des farines de marque Lemaire que sur celle des autres farines biologiques, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2 / qu'en outre, les factures adressées par le concédant au concessionnaire entre 1992 et 1995 établissaient précisément qu'une redevance était facturée tant sur la fabrication ou la vente des farines de marque Lemaire que sur celle des autres farines biologiques ; qu'en énonçant qu'il résultait de l'ensemble de ces pièces que la redevance n'était pas assise sur la totalité de la production non-Lemaire, y ajoutant ainsi des précisions qu'elles ne comportaient pas, la cour d'appel les a dénaturées en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3 / que la société Lemaire soutenait que son ancien concessionnaire n'expliquait pas pour quelles raisons, après les avoir payées spontanément entre 1992 et le second semestre de l'année 1994, il avait soudainement cessé de lui régler les redevances assises sur l'intégralité des farines biologiques de marque non-Lemaire, notamment celles concernant les cinq clients spécifiques dont le nom était indiqué sur les factures ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions déterminantes, après avoir pourtant constaté que des redevances étaient payées sur la production de farines non Lemaire concernant cinq clients nominativement précisés dans les factures émises entre 1992 et 1995, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

, d'une part, que l'arrêt relève que le contrat de concession de marques laissait à la société Lerat la possibilité de fabriquer et de commercialiser ses propres farines biologiques, constate que l'analyse des factures de redevances montre que celles-ci n'étaient pas assises sur la totalité de la production "non-Lemaire", mais seulement sur les farines de marque Lemaire et Biopain et celles de cinq clients nominativement précisés et observe que la société Lemaire n'avait réclamé à la société Lerat des redevances sur l'ensemble de la production de farine "non Lemaire" que le 28 avril 1997, date à laquelle expirait le contrat de concession ; qu'en l'état de ces constatations rapprochant les différentes clauses du contrat et les documents manifestant l'exécution de celui-ci et dont elle a déduit qu'il n'entrait pas dans la commune intention des parties de soumettre la partie de la production que la société Lerat était autorisée à commercialiser sous sa dénomination sociale dans l'assiette du calcul des redevances, lesquelles étaient la contrepartie de la concession exclusive, la cour d'appel n'a fait qu'interpréter le sens et la portée de la convention litigieuse, sans dénaturation ; Attendu, d'autre part, qu'en relevant que l'analyse des factures de redevances adressées par la société Lemaire à la société Lerat pendant les années 1992 à 1995 montre que celles-ci n'étaient pas assises sur la totalité de la production "non-Lemaire", mais seulement sur les farines de marque Lemaire et Biopain et celles de cinq clients précisés, la cour d'appel n'a pas dénaturé les factures litigieuses ; Attendu, enfin, qu'ayant constaté que la société Lemaire n'a réclamé à la société Lerat des redevances sur l'ensemble de la production de farine "non-Lemaire" que le 28 avril 1997, date à laquelle expirait le contrat de concession, la cour d'appel a répondu pour les écarter, aux conclusions prétendument omises ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen

, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Lemaire fait grief à

l'arrêt d'avoir rejeté son action en concurrence déloyale contre son ancien concessionnaire, alors, selon le moyen : 1 / que la société Lemaire soutenait qu'en violation de l'article 15 du contrat de concession qui précisait que si, après l'expiration des relations contractuelles, le concessionnaire continuait une exploitation commerciale, il ne pourrait se prévaloir de la qualité d'ancien concessionnaire Lemaire, la société Lerat avait, dans son courrier adressé le 1er mars 1997 à ses clients, fait état de sa qualité d'ancien concessionnaire Lemaire ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions l'invitant à constater la faute de l'ancien concessionnaire consistant à avoir transgressé le contrat qui lui imposait un devoir de discrétion à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2 / qu'en outre, le fait de contacter la clientèle en lui proposant, en connaissance de cause, des prix inférieurs à ceux pratiqués par l'ancien concédant suffit à caractériser la faute constitutive de concurrence déloyale, laquelle ne requiert pas la constatation d'une intention de nuire; qu'en déclarant que rien ne permettait d'affirmer que l'ancien concessionnaire s'était rendu coupable de concurrence déloyale, tout en constatant pourtant que dans le courrier qu'il leur avait adressé dès le 1er mars 1997, il avait proposé aux clients des prix inférieurs à ceux pratiqués par son ancien concédant et quoique la volonté de délibérée de nuire ne fût pas exigée pour que la faute constitutive de concurrence déloyale fût caractérisée, omettant ainsi de déduire les conséquences légales de ses propres énonciations, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu

, d'une part, qu'ayant relevé que le courrier du 1er mars 1997 adressé par la société Lerat à ses clients avait pour but de les informer de la résiliation de son contrat de concession et ne comportait aucun terme déceptif à l'encontre de la société concédante, faisant ainsi ressortir que la société Lerat ne se prévalait pas de sa qualité d'ancien concessionnaire, la cour d'appel a répondu, pour les écarter, aux conclusions omises ; Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté par motifs adoptés, qu'il n'est pas démontré que les prix proposés par la société Lerat, inférieurs à ceux de la société Lemaire, résultent d'une vente à perte, et dès lors que le seul fait pour l'ancien concessionnaire, de proposer à la clientèle des produits à un prix moins élevé n'est pas, en lui-même, constitutif de concurrence déloyale, la cour d'appel a pu décider que la preuve d'un comportement déloyal de la société Lerat n'était pas rapportée ; Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen

, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société

Lemaire reproche à l'arrêt de l'avoir déclarée responsable d'un abus dans la fixation du prix des fournitures et d'avoir ordonné en conséquence une expertise pour évaluer le préjudice qu'aurait subi le concessionnaire, alors, selon le moyen : 1 / qu'en son article 10-2, le contrat de concession prévoyait que les parties pourraient se réunir, à l'initiative de l'une delles, chaque fois qu'il serait constaté une variation significative d'un élément constitutif du prix de revient de la farine pour étudier les conséquences de cette variation et que cette réunion aurait lieu en particulier chaque fois qu'il serait constaté une variation de plus de 5 % du prix du blé et de 10 % du prix des autres éléments ; qu'en affirmant que les parties avaient contracté l'obligation de se réunir, à l'initiative de l'une d'elles, pour renégocier les conditions contractuelles, bien que la convention n'eût organisé qu'une faculté de se rencontrer en cas de modification d'un élément constitutif des prix des fournitures, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat de concession en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2 / qu'en déduisant l'obligation de se rencontrer d'une prétendue nécessité d'interpréter la volonté commune des parties en se référant à la stipulation prévoyant des réunions en vue d'améliorer la politique commerciale et promotionnelle des deux sociétés, bien que cette clause fût étrangère à celle applicable en cas de variation d'un élément constitutif du prix de revient de la farine, seule en cause dans le procès actuel, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu

qu'en l'état de la clause litigieuse aux termes de laquelle "les parties pourront se réunir, à l'initiative de l'une d'elles, chaque fois qu'il sera constaté une variation significative d'un élément constitutif du prix de revient de la farine pour étudier les conséquences de cette variation sur l'ensemble des points économiques attachés aux produits. Cette réunion aura lieu en particulier chaque fois qu'il sera constaté une variation de plus de 5 % pour le prix du blé, une variation de plus de 10 % du prix de l'un des éléments suivants: le son, le sel, les emballages, le coût du transport par camion, les taxes sur les céréales...", la cour d'appel, qui a retenu que les parties devraient se réunir chaque fois qu'il serait constaté une variation de plus de 5 % du prix du blé ou de 10 % du prix hors taxe de certains éléments, dont les emballages, n'a fait que procéder, sans dénaturation, à l'interprétation de la clause litigieuse que son ambiguïté rendait nécessaire, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants critiqués par la deuxième branche du moyen ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le même moyen, pris en sa quatrième branche

: Sur la fin de non-recevoir soulevée par la défense :

Attendu que la société

Lerat soutient que le moyen est irrecevable dès lors qu'il critique un chef de décision ordonnant une expertise ;

Mais attendu

que, par arrêt du 6 novembre 2002, la cour d'appel a décidé que l'arrêt attaqué devait être rectifié en ce qu'il devait préciser dans son dispositif "dit que la société Lemaire a commis un abus dans la fixation du prix laissé indéterminé par le contrat" ; qu'il s'en déduit que le moyen est recevable ;

Et sur le moyen

:

Vu

l'article 1591 du Code civil ;

Attendu que pour décider que la société Lemaire avait commis un abus dans la fixation du prix et dire qu'elle devait réparation du préjudice causé, l'arrêt retient

que la société Lemaire n'a jamais donné suite aux demandes répétées de renégociation des conditions contractuelles que lui adressait la société Lerat et que faute d'avoir accepté une renégociation du contrat, la société Lemaire ne peut plus faire état d'aucun prix déterminé et que cette attitude caractérise un abus dans la fixation de prix laissé indéterminé par un contrat cadre ;

Attendu qu'en se déterminant par

de tels motifs, impropres à établir que le manquement par la société Lemaire à son obligation de se réunir avec son cocontractant dans certaines hypothèses aurait eu pour effet de rendre le prix indéterminé et, par cela seulement, sa fixation abusive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du troisième moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que la société Lemaire a commis un abus dans la fixation du prix laissé indéterminé par le contrat, l'arrêt rendu le 23 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ; Condamne la société Etienne Lerat aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Etienne Lerat à payer à la société Lemaire la somme de 1 800 euros ; rejette sa demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille trois.