AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 20/04046 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NCGL
CPAM DU VAL DE MARNE
C/
Société [4]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 24 Avril 2020
RG : 185794
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE D - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 JANVIER 2023
APPELANTE :
CPAM DU VAL DE MARNE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par M. [X] [S] , audiencier muni d'un pouvoir
INTIMEE :
Société [4]
[Adresse 5]
[Localité 2] (LOIRE)
représentée par Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Marty-Bonventre, avocat au barreau de LYON
Maladie professionnelle de Mme [E] [K]
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Juin 2022
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Thierry GAUTHIER, conseiller
- Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article
450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salariée de la société [4] (l'employeur) en qualité de gestionnaire de rayon, Mme [K] (la salariée) a souscrit, le 25 juillet 2016, une déclaration de maladie professionnelle pour un syndrome du canal carpien gauche, accompagnée d'un certificat médical initial du 25 juillet 2016 faisant état d'un « syndrome du canal carpien gauche opéré avec neurolyse du nerf médian par voie endoscopique, persistance douleurs, baisse force motrice. Soins + rééducation en cours », avec une première constatation de la maladie au 19 mai 2016.
Cette maladie a été prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (la caisse) qui, par décision du 22 janvier 2018, après avoir retenu que l'état de santé était consolidé au 30 octobre 2017, a attribué à la salariée un taux d'incapacité permanente de 10%, correspondant à une « séquelle d'un syndrome du canal carpien gauche chez une gauchère, consistant en une douleur du talon de la main gauche et en une diminution de l'abduction et de l'antépulsion du pouce ».
L'employeur a saisi d'un recours le tribunal du contentieux de l'incapacité du Rhône en contestation de la décision prise le 22 janvier 2018 par la caisse et attribuant à la salariée un taux d'incapacité de 10% en raison de la maladie professionnelle déclarée le 25 juillet 2016.
Au 1er janvier 2019, le dossier de la procédure a été transféré au pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, juridiction spécialement désignée.
A l'audience du 10 mars 2020, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces confiée au docteur [D].
Par jugement du 24 avril 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a :
- déclaré recevable le recours formé par l'employeur,
- réformé la décision du 22 janvier 2018 et fixé le taux opposable à l'employeur à 8% à compter de la date de consolidation pour la salariée, victime d'une maladie professionnelle déclarée le 25 juillet 2016
- rappelé que les frais de consultation médicale ordonnée au cours de l'audience sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie,
- dit n'y avoir lieu à autres frais et dépens.
Le jugement lui ayant été notifié le 30 juin 2020, la caisse en a relevé appel, le 23 juillet 2020.
Dans ses conclusions remises au greffe le 30 décembre 2020, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la caisse demande à la cour de:
- la dire recevable et bien-fondée en son appel,
- infirmer le jugement,
A titre principal,
- déclarer irrecevable, pour forclusion, le recours formé par l'employeur en première instance, celui-ci étant tardif,
A titre subsidiaire,
- écarter, comme étant non justifié, l'avis rendu par le docteur [D], médecin expert désigné en première instance,
- adopter les conclusions du docteur [L], son médecin conseil,
- dire et juger que c'est à bon droit qu'elle a évalué à 10% le taux d'incapacité permanente partielle,
- débouter l'employeur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
La caisse fait valoir que :
- le 22 janvier 2018, elle a notifié à l'employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, sa décision d'attribuer à la salariée un taux d'incapacité permanente partielle de 10% ; que l'employeur a réceptionné cette décision le 24 janvier 2018 ainsi qu'elle en justifie et, alors qu'il disposait de deux mois pour contester cette décision, soit jusqu'au 26 mars 2018, celui-ci a cependant formé un recours le 10 avril 2018, soit près de 3 mois après la réception de la décision,
- en outre, le lien entre la notification du 22 janvier 2018 et l'accusé de réception du 24 janvier 2018 est parfaitement établi ; que la notification à l'établissement d'attache de l'employeur, et non au siège social, est parfaitement régulière, de sorte que le recours de l'employeur est donc irrecevable pour cause de forclusion,
- à titre subsidiaire, le taux d'incapacité permanente partielle de 10% doit être confirmé dans la mesure où il constitue une juste appréciation de l'état de santé de la salariée au jour de la consolidation, tandis que le taux d'incapacité permanente partielle de 8% fixé par le tribunal judiciaire de Lyon est injustifié, tant au regard des séquelles conservées par la salariée que des préconisations du barème de référence,
- alors que la salariée était atteinte d'une affection consistante en un 'syndrome du canal carpien', une nouvelle lésion imputable à cette maladie professionnelle est ensuite intervenue; que la date de consolidation a été fixée au 30 octobre 2017, que le médecin conseil a conclu à une véritable limitation fonctionnelle de la main gauche, membre dominant, sans état pathologique antérieur, et d'autant plus préjudiciable chez une salariée travailleuse manuelle de sorte que l'incidence professionnelle est avérée,
- qu'aucun élément ne justifie que le taux de 10% soit abaissé ; que la salariée n'a pu reprendre son travail que très progressivement, un arrêt de travail en mi-temps thérapeutique lui ayant été prescrit, que le rapport médical établi par le médecin consultant du tribunal ne fait pas ressortir les motifs du taux de 8% qu'il propose, que cet avis doit donc être écarté comme étant non-fondé.
Par conclusions déposées au greffe, le 5 janvier 2020, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'employeur demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien-fondé en toutes ses demandes et prétentions,
Y faisant droit,
- juger que le taux de 10% auquel la caisse a fixé la rente d'incapacité permanente partielle attribuée à la salariée en raison de la maladie professionnelle déclarée le 25 juillet 2016 a été surévalué,
- juger que le taux d'indemnisation des séquelles présentées par la salariée imputables à la maladie professionnelle déclarée le 25 juillet 2016 doit être ramené à 8%,
En conséquence,
- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement déféré.
L'employeur fait valoir essentiellement que :
- la caisse prétend qu'il a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité le 10 avril 2018 alors qu'il l'a saisi le 22 mars 2018, ainsi qu'en atteste le tampon du 23 mars 2018 par le service courrier du tribunal du contentieux de l'incapacité qui en a accusé réception,
- en tout état de cause, la caisse a notifié la décision d'attribution à l'établissement employant la salariée, situé à Villiers-sur-Marne, et la mention relative à la juridiction y était erronée puisque la notification y faisait mention du tribunal du contentieux de l'incapacité de Paris, comme étant compétent pour statuer en cas de litige relatif à l'attribution de rente, alors que le siège social de l'entreprise étant situé à Roanne, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Lyon était compétent et non pas celui de Paris,
- le médecin qu'il a mandaté estime que le taux d'incapacité permanente partielle de la salariée, qui présente une gêne fonctionnelle du pouce gauche dominant, a été surévalué, le barème prévoyant un taux de 10% pour un blocage en flexion complète de l'articulation métacarpo-phalangienne qui reste une atteinte plus importante que celle présentée par la salariée, ce qui est confirmé par le médecin consultant désigné par le tribunal, de sorte que le taux d'incapacité permanente partielle doit être ramené à 8%.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité du recours
Selon l'article
R. 434-32, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date de la notification de la décision en litige, la décision motivée est immédiatement notifiée par la caisse primaire par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, avec mention des voies et délais de recours, à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au service duquel se trouvait la victime au moment où est survenu l'accident. Le double de cette décision est envoyé à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail.
Aux termes de l'article
R. 143-7 du même code, alors applicable, le tribunal du contentieux de l'incapacité est saisi des recours par déclaration faite, remise ou adressée au secrétariat du tribunal où elle est enregistrée. Le recours contre la décision de la caisse doit être présenté dans le délai de deux mois à compter de la date de la notification de cette décision.
Et selon l'article
690 du code de procédure civile, la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement.
Il ressort des pièces de la procédure de première instance que la lettre datée du 22 mars 2018 de recours de la société [4], représentée par le cabinet Onelaw, son conseil, qui comporte la référence du recommandé n°«2C 124 233 3665 9 » porte la mention du tampon de sa réception, le 11 avril 2018, par le tribunal du contentieux de l'incapacité.
Cependant, la société produit, en pièce n°5 de son dossier, un accusé de réception du 23 mars 2018 par le tribunal du contentieux de l'incapacité d'un courrier recommandé adressé par le cabinet Onelaw sous la référence «Bricorama France ([K])» portant le même numéro de recommandé «2C 124 233 3665 9 » que celui figurant sur la lettre de recours.
Il peut donc être retenu que la lettre de recours de la société [4] contre la décision en litige a été reçue par le tribunal du contentieux de l'incapacité le 23 mars 2018, ce alors même que la caisse justifie que la société avait accusé réception de la notification de sa décision, le 24 janvier 2018, soit moins de deux mois auparavant.
Formé dans le délai de deux mois de la notification de la décision en litige, le recours de la société [4] est recevable.
Sur le taux d'incapacité
Selon l'article
L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
Ce barème indicatif d'invalidité, annexé à l'article
R. 434-32 du code de la sécurité sociale, en son chapitre 1.1.2 consacré aux atteintes des fonctions articulaires, préconise un taux de 10% pour un blocage de l'articulation métacarpo-phalangienne comme de l'articulation inter-phalangienne du pouce dominant en flexion complète et de 6% pour un blocage en semi flexion ou en extension.
L'incapacité permanente est appréciée en fonction de l'état séquellaire au jour de la consolidation de l'état de la victime, sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs.
En l'espèce, après avoir procédé à l'examen clinique de l'assurée et consulté l'ensemble des certificats et documents médicaux qui lui ont été remis, le médecin conseil du service du contrôle médical a fixé le taux d'IPP à 10% pour une « séquelle d'un syndrome du canal carpien gauche chez une gauchère, consistant en une douleur du talon de la main gauche et en une diminution de l'abduction et de l'antépulsion du pouce ».
Dans l'argumentaire du 6 juin 2019, produit aux débats par la caisse, le médecin conseil du service médical explique qu'à l'examen de la main gauche, le 20 octobre 2017, il est retrouvé une diminution de moitié de l'abduction et de l'antépulsion du pouce, une douleur alléguée à la palpation de la main ainsi qu'une diminution de force au test de l'opposant du pouce et au test du court abducteur du pouce.
Après avoir pris connaissance du rapport d'évaluation des séquelles du médecin conseil, dans son rapport annexé au jugement dont appel, le médecin consultant désigné par le tribunal conclut à un taux de 8%, essentiellement motivé par un manque de précision de l'examen clinique.
Pour rejoindre l'évaluation du taux proposé par le médecin consultant, le médecin mandaté par l'employeur estime que l'examen réalisé par le médecin conseil du service du contrôle médical est incomplet, en ce qu'il n'y a pas d'évaluation précise des différentes articulations du pouce pour un membre dominant, qu'il n'est pas retrouvé d'amyotrophie et que les douleurs sont alléguées, sans notion de prise d'antalgique. Il considère que s'il existe une gêne fonctionnelle du pouce gauche dominant, elle n'atteint pas le blocage en flexion complète pour laquelle le barème prévoit un taux de 10%.
La cour relève que s'il n'existe pas de notion d'état antérieur évoluant pour son propre compte, pour autant, il ne ressort pas des données de l'examen clinique, telles qu'elles sont rapportées, l'existence un blocage en flexion complète de l'articulation métacarpo-phalangienne ou de l'articulation inter-phalangienne du pouce dominant pouvant motiver une évaluation de 10% en référence faite par la caisse au barème, et, alors qu'aux dires mêmes du médecin conseil qui a procédé à l'examen clinique, les douleurs ne sont qu'alléguées, il ne peut en être tenu compte dans l'appréciation des séquelles indemnisables.
La caisse évoque, pour la première fois en cause d'appel, l'incidence socio-professionnelle des séquelles affectant la main dominante chez une femme qui exerce une activité manuelle en invoquant l'arrêt de travail prescrit à l'intéressée en mi-temps thérapeutique du 2 mai au 30 octobre 2017, sans toutefois établir qu'il existe un retentissement professionnel des séquelles à la consolidation du 30 octobre 2017.
Aussi, le jugement est confirmé en ce qu'il a fixé à 8% le taux d'IPP, opposable à l'employeur.
La caisse qui succombe dans ses prétentions est tenue aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE