CIV. 2
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2017
Rejet
Mme FLISE, président
Arrêt n° 147 F-D
Pourvoi n° K 16-13.505
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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Statuant sur le pourvoi formé par
la société Carrosserie technique auto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2015 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre A), dans le litige l'opposant à la société Cabinet Ott, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 4 janvier 2017, où étaient présents : Mme Flise, président, M. Becuwe, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Becuwe, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Carrosserie technique auto, de la SCP Boullez, avocat de la société Cabinet Ott, l'avis de M. Lavigne, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen
unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 novembre 2015), que la société Carrosserie technique auto, réparateur non agréé, invoquant un comportement fautif et abusif de la société Cabinet Ott, expert automobile, pour avoir, lors d'expertises concernant des véhicules qui lui avaient été confiés pour réparation par leurs propriétaires, retenu un tarif horaire inférieur à celui qu'elle applique, de sorte que les factures n'ont été réglées que partiellement par les assureurs et que les clients ont refusé de payer la différence, l'a assignée en réparation de son préjudice ;
Attendu que la société Carosserie technique auto fait grief à
l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que si l'expert automobile mandaté par l'assureur doit veiller à ce que l'assureur ne paie pas plus que ce qui est nécessaire à la remise en état, son refus de prise en charge des surcoûts résultant des tarifs d'un réparateur non agréé par rapport aux tarifs des réparateurs agréés n'est compatible avec le principe de la liberté des prix et de la concurrence qu'à la condition de reposer sur une appréciation objective des prix publics pratiqués par les concurrents voisins non agréés ; qu'en l'espèce, pour estimer que la possibilité dont l'expert avait usé « de réaliser une évaluation différente des tarifs pratiqués par le réparateur » dépositaire du « véhicule endommagé » n'était pas « contraire au principe de la liberté des prix », la cour d'appel s'est bornée à relever que « le montant horaire de la main d'oeuvre » avait « été calculé à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région », dont une majorité pratiquait un tarif oscillant « entre 62 euros et 78 euros HT de l'heure en tarif 3 de carrosserie, soit pour le travail le plus technique », que « le prix moyen de l'heure de main d'oeuvre en carrosserie automobile relevé par l'INSEE mentionné sur le tableau communiqué dans le cadre de la procédure était de 60,39 euros hors taxe en 2012 », et que le « courrier adressé par le cabinet d'expertise Ott aux assurés » précisait que l'estimation était basée sur « un montant compétitif parmi ceux qui seraient facturés par différents professionnels de la région pour une réparation de qualité identique » ; qu'en se fondant sur ces motifs impropres à établir que l'expert, qui avait réalisé sa mission dans un garage non agréé, avait fondé son estimation du montant horaire de la main d'oeuvre sur les prix pratiqués par les concurrents voisins non agréés et ainsi procédé à une appréciation objective des offres respectives des réparateurs en compétition, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles
1382 et
1383 du code civil, ensemble les articles
L. 410-2 et suivants du code de commerce ;
2°/ que, tenu à un devoir d'impartialité, d'objectivité et de loyauté dans la réalisation de sa mission, l'expert automobile chargé par l'assureur d'estimer les coûts de réparation d'un véhicule endommagé déposé par son propriétaire dans un garage non agréé par l'assureur manque à ses devoirs et porte atteinte à l'image commerciale du réparateur non agréé lorsqu'il dissuade l'assuré de s'adresser à ce garage, au risque pour ce dernier d'avoir à conserver, à sa charge, l'écart entre les tarifs du réparateur non agréé auquel il s'est spontanément adressé, dans l'exercice de son libre choix, et un prix estimé compétitif à partir d'un référentiel incluant les tarifs des réparateurs agréés ; qu'en estimant que « l'information obligatoire » donnée en l'espèce par l'expert « aux assurés, sur la différence de remboursement en application de l'article
R. 326-4 du code de la route », ne pouvait constituer « une atteinte fautive à l'image commerciale du professionnel dont le tarif est estimé trop élevé par l'expert », dès lors que l'assuré était « libre de choisir son réparateur », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si le risque pour l'assuré d'avoir à conserver, à sa charge, le surcoût correspondant à l'écart entre les tarifs du réparateur non agréé, dépositaire du véhicule, et un prix estimé compétitif à partir d'un référentiel incluant essentiellement les tarifs des réparateurs agréés par l'assureur n'était pas, par définition, propre à affecter la liberté de choix de l'assuré, et à le dissuader de l'exercer en faveur du garagiste non agréé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles
1382 et
1383 du code civil, ensemble l'article
R. 326-4 du code de la route ;
Mais attendu
qu'ayant retenu que si le réparateur fixe librement ses prix, il appartient à l'expert de se prononcer sur le tarif horaire applicable sans être tenu d'entériner les devis et factures présentés par le réparateur, et que, lorsque l'expertise a lieu dans un garage non agréé, il peut, pour faire jouer la concurrence, se baser sur les prix publics pratiqués par les professionnels voisins, et ayant relevé qu'en l'espèce, l'expert avait calculé le montant horaire de la main-d'oeuvre à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante dont fait état la seconde branche du moyen, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Carrosserie technique auto aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Cabinet Ott la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Carrosserie technique auto
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SARL Carrosserie Technique Auto de toutes ses demandes formées contre la SAS Cabinet Ott ;
Aux motifs que « l'expert désigné par une compagnie d'assurance doit pouvoir évaluer en toute indépendance le coût d'un sinistre automobile ; qu'aux termes de l'article 326-4-I, 1° du code de la route, l'expert automobile a notamment pour activité la détermination de la valeur des dommages et de leur réparation ; qu'il n'est pas chargé de vérifier la situation financière de l'entreprise chargée de le réaliser, ni de tenir compte de ses contraintes économiques ; que l'article 5 du code de déontologie européen de l'expertise prévoit, parmi les missions principales de l'expert, la vérification des éléments de la réparation et de la facturation ; qu'il précise, en son article 10, qu'il doit estimer les dégâts proprement dits, incluant les pièces à remplacer ou à réparer, le prix des pièces, ainsi que le nombre d'heures nécessaires pour effectuer la réparation et le tarif horaire applicable ; que les pièces produites par l'appelante démontrent que le montant horaire de la main d'oeuvre a été calculé à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région ; que les documents versés aux débats démontrent que pour la majorité ils réclament entre 62 euros et 78 euros HT de l'heure en tarif 3 de carrosserie, soit pour le travail le plus technique ; qu'il convient d'observer par ailleurs que le prix moyen de l'heure de main d'oeuvre en carrosserie automobile relevé par l'INSEE mentionné sur le tableau communiqué dans le cadre de la procédure était de 60, 39 euros hors taxe en 2012 ; que la possibilité pour l'expert de réaliser une évaluation différente des tarifs pratiqués par le réparateur auquel le véhicule endommagé a été confié en dépôt n'est pas contraire au principe de la liberté des prix ; que lorsque l'expertise a lieu dans un garage non agréé, comme cela est le cas en l'espèce, l'expert en automobile peut faire jouer la concurrence, en se basant sur les prix publics pratiqués par les professionnels voisins ; qu'il n'a pas pour rôle d'entériner sans vérification les devis et factures présentés par le carrossier ; que le réparateur fixe librement ses prix et que l'assuré demeure pour sa part libre du choix de son réparateur, après avoir été informé du montant fixé par l'expert ; qu'il ne peut être considéré que l'expert a outrepassé les termes de sa mission en retenant un taux horaire inférieur au devis proposé par la société appelante ; que son appréciation n'est pas limitée au nombre d'heures de réparation, mais qu'elle doit comprendre également celle de leur prix unitaire ; que chaque expertise est distincte des autres, compte tenu de la nature et de l'importance des réparations et de la proportion à la main d'oeuvre dans le devis ; qu'il n'y a donc pas lieu de reprocher à l'expert des appréciations différentes selon les véhicules examinés et les sinistres subis par ces derniers ; que l'information obligatoire donnée aux assurés sur la différence de remboursement, en application de l'article
R 326-4 du code de la route, ne peut être constitutive d'une atteinte fautive à l'image commerciale du professionnel dont le tarif est estimé trop élevé par l'expert dès lors que l'assuré a été laissé libre de choisir son réparateur ; que le courrier adressé par le cabinet d'expertise Ott aux assurés expose qu'a été retenu un montant compétitif parmi ceux qui seraient facturés par différents professionnels de la région, pour une réparation de qualité identique et indique l'écart entre son estimation et le devis de l'Eurl Carrosserie Technique Auto; qu'il les informe que l'estimation est communiquée à l'assureur pour apprécier le montant de l'indemnisation ; qu'il précise qu'ils peuvent, en connaissance de cause, donner l'ordre de réparation au réparateur de leur choix; que les termes de cette lettre ne contiennent aucun propos de dénigrement vis-à-vis du réparateur non agréé et n'indiquent pas que ses tarifs sont excessifs; qu'aucune diffusion à des tiers n'est justifiée; qu'au vu de ces éléments aucune faute n'apparaît pouvoir être retenue à l'encontre de l'expert dans l'accomplissement de sa mission; que le réparateur avait la possibilité d'exiger le paiement du montant du devis accepté par les clients ; qu'en l'absence de preuve d'une quelconque publicité sur les écarts de prix imputables à l'expert, le préjudice allégué de ce chef n'est pas démontré ; que la demande en dommages intérêts formée par l'Eurl Carrosserie Technique Auto est en conséquence rejetée » ;
Alors, d'une part, que si l'expert automobile mandaté par l'assureur doit veiller à ce que l'assureur ne paie pas plus que ce qui est nécessaire à la remise en état, son refus de prise en charge des surcoûts résultant des tarifs d'un réparateur non agréé par rapport aux tarifs des réparateurs agréés n'est compatible avec le principe de la liberté des prix et de la concurrence qu'à la condition de reposer sur une appréciation objective des prix publics pratiqués par les concurrents voisins non agréés ; qu'en l'espèce, pour estimer que la possibilité dont l'expert avait usé « de réaliser une évaluation différente des tarifs pratiqués par le réparateur » dépositaire du « véhicule endommagé » n'était pas « contraire au principe de la liberté des prix », la cour d'appel s'est bornée à relever que « le montant horaire de la main d'oeuvre » avait « été calculé à partir des prix pratiqués par les professionnels de la région », dont une majorité pratiquait un tarif oscillant « entre 62 euros et 78 euros HT de l'heure en tarif 3 de carrosserie, soit pour le travail le plus technique », que « le prix moyen de l'heure de main d'oeuvre en carrosserie automobile relevé par l'INSEE mentionné sur le tableau communiqué dans le cadre de la procédure était de 60,39 euros hors taxe en 2012 », et que le « courrier adressé par le cabinet d'expertise Ott aux assurés » précisait que l'estimation était basée sur « un montant compétitif parmi ceux qui seraient facturés par différents professionnels de la région pour une réparation de qualité identique » ; qu'en se fondant sur ces motifs impropres à établir que l'expert, qui avait réalisé sa mission dans un garage non agréé, avait fondé son estimation du montant horaire de la main d'oeuvre sur les prix pratiqués par les concurrents voisins non agréés et ainsi procédé à une appréciation objective des offres respectives des réparateurs en compétition, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles
1382 et
1383 du code civil, ensemble les articles
L. 410-2 et suivants du code de commerce ;
Alors, d'autre part, en tout état de cause, que tenu à un devoir d'impartialité, d'objectivité et de loyauté dans la réalisation de sa mission, l'expert automobile chargé par l'assureur d'estimer les coût de réparation d'un véhicule endommagé déposé par son propriétaire dans un garage non agréé par l'assureur manque à ses devoirs et porte atteinte à l'image commerciale du réparateur non agréé lorsqu'il dissuade l'assuré de s'adresser à ce garage, au risque pour ce dernier d'avoir à conserver, à sa charge, l'écart entre les tarifs du réparateur non agréé auquel il s'est spontanément adressé, dans l'exercice de son libre choix, et un prix estimé compétitif à partir d'un référentiel incluant les tarifs des réparateurs agréés ; qu'en estimant que « l'information obligatoire » donnée en l'espèce par l'expert « aux assurés, sur la différence de remboursement en application de l'article
R 326-4 du code de la route », ne pouvait constituer « une atteinte fautive à l'image commerciale du professionnel dont le tarif est estimé trop élevé par l'expert », dès lors que l'assuré était « libre de choisir son réparateur », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si le risque pour l'assuré d'avoir à conserver, à sa charge, le surcoût correspondant à l'écart entre les tarifs du réparateur non agréé, dépositaire du véhicule, et un prix estimé compétitif à partir d'un référentiel incluant essentiellement les tarifs des réparateurs agréés par l'assureur n'était pas, par définition, propre à affecter la liberté de choix de l'assuré, et à le dissuader de l'exercer en faveur du garagiste non agréé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles
1382 et
1383 du code civil, ensemble l'article
R 326-4 du code de la route.