Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 7 juillet 2022 et le 17 juillet 2024, M. A B, représenté par Me Bertrand, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 11 février 2022 par laquelle le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a rejeté sa demande tendant à la prise en charge financière de sa scolarité à l'Institut de formation des cadres de santé (IFCS) de l'AP-HP ;
2°) d'enjoindre à l'AP-HP de réexaminer sa demande tendant à cette prise en charge financière ;
3°) de condamner l'AP-HP à lui verser une somme de 228 000 euros au titre du préjudice financier, et une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance.
Il soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît le droit à bénéficier d'actions de formation, garanti par les dispositions des articles 1er, 2, 6 et 7 du décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de l'AP-HP de financer cette formation lui a causé un préjudice financier et moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 juin 2024, le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés à l'appui des conclusions à fin d'annulation n'est fondé, que les conclusions indemnitaires sont irrecevables en l'absence de demande indemnitaire préalable, et qu'en tout état de cause, aucune faute ne peut être imputée à l'AP-HP.
Par ordonnance du 21 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n°2008-824 du 21 aout 2008 ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Errera,
- les conclusions de M. Coz, rapporteur public,
- et les observations de Me Bertrand, pour M. B, présent.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B, technicien de laboratoire affecté au sein du laboratoire d'immunologie cellulaire du groupe hospitalo-universitaire (GHU) AP-HP Sorbonne Université, rattaché à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), a sollicité la prise en charge financière de sa scolarité à l'Institut de formation des cadres de santé (IFCS) de l'AP-HP, où il a été admis le 2 juin 2020. Cette demande a été rejetée par le GHU Sorbonne Université par une décision du 26 juin 2020, puis par une décision de l'AP-HP du 9 octobre 2020. M. B a sollicité un report de formation, qui lui a été accordé. Par un courrier du 14 juin 2021, M. B a de nouveau demandé à son employeur la prise en charge financière de sa formation pour l'année 2021-2022. Sa demande a été rejetée par une décision du 15 juin 2021, motif pris de ce que son projet d'évolution professionnelle n'avait pas été validé. Par un courrier en date du 28 juin 2021, M. B a formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision de refus de financement, et a également sollicité l'examen de son dossier en commission administrative paritaire. Par un courrier en date du 7 septembre 2021, l'AP-HP a informé M. B de ce que sa contestation relative au refus de financement de sa formation serait examinée lors de la réunion de la commission administrative paritaire (CAP) du 28 septembre 2021. Lors de sa séance du 28 septembre 2021, la CAP n° 6 de l'AP-HP a émis un avis défavorable à la demande de financement présentée par M. B. M. B a alors sollicité un second report de sa scolarité qui lui a été accordé. Par un courrier en date du 11 février 2022, la direction des ressources humaines du GHU AP-HP Sorbonne Université a informé M. B de sa décision de suivre l'avis de la CAP et de refuser d'assurer le financement de sa formation au titre de la promotion professionnelle. Par un courrier notifié le 10 mars 2022, M. B a formé un recours gracieux à l'encontre de ce refus. Du silence conservé par l'AP-HP est née une décision implicite de rejet. M. B demande au tribunal d'annuler la décision de refus de financement en date du 11 février 2022 et de condamner l'AP-HP à l'indemniser au titre des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 22 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais repris à l'article
L. 421-1 du code général de la fonction publique : " Le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie est reconnu aux fonctionnaires. ". L'article 1er du décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige, dispose que : " La formation professionnelle tout au long de la vie comprend principalement les actions ayant pour objet : () / 3° De proposer aux agents des actions de préparation aux examens et concours et autres procédures de promotion interne ; / 4° De permettre aux agents de suivre des études favorisant la promotion professionnelle, débouchant sur les diplômes ou certificats du secteur sanitaire et social dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé () ". L'article 2 de ce même décret dispose que : " L'accès des agents à des actions de formation professionnelle est assuré : / 1° A l'initiative de l'établissement dans le cadre du plan de formation mentionné au chapitre II du présent décret et dans le cadre des périodes de professionnalisation prévues au chapitre IV ; / 2° À l'initiative de l'agent, avec l'accord de son employeur, dans le cadre du compte personnel de formation dans les conditions fixées par l'article 22 quater de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et le décret n° 2017-928 du 6 mai 2017 et dans le cadre des actions de préparation aux examens et concours mentionnées au chapitre V ; / 3° A l'initiative de l'agent dans les conditions définies aux chapitres VI et VII ". Selon l'article 7 de ce décret : " Les agents bénéficient, sur leur demande, des actions du plan de formation, sous réserve des nécessités de fonctionnement du service. Ils peuvent, dans l'intérêt du service et après avoir été consultés, être tenus de suivre les actions prévues aux 1° et 2° de l'article 1er / L'accès à l'une des formations relevant du plan de formation est de droit pour l'agent n'ayant bénéficié, au cours des trois années antérieures, d'aucune formation de cette catégorie. Cet accès peut toutefois être différé d'une année au maximum en raison des nécessités du fonctionnement du service après avis de l'instance paritaire compétente. / Il ne peut être opposé un deuxième refus à un agent demandant à bénéficier au titre du plan de formation d'une action relevant du 3° de l'article 1er qu'après avis de la commission administrative paritaire compétente ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 6 dudit décret dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le plan de formation de l'établissement est établi chaque année selon les modalités définies à l'article 37. Il détermine les actions de formation initiale et continue organisées par l'employeur ou à l'initiative de l'agent avec l'accord de l'employeur relevant des 1°, 2°, 3°, 4° et 5° de l'article 1er. Il prévoit leur financement ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " Les agents qui suivent une formation inscrite au plan de formation de l'établissement bénéficient, pendant leur temps de travail, du maintien de leur rémunération () ". L'article 10 de ce décret prévoit que l'établissement finance les actions inscrites dans le plan de formation en prenant en charge le coût pédagogique, la rémunération des stagiaires en formation, leurs déplacements et leur hébergement. Le décret du 21 août 2008 ne prévoit pas la prise en charge par l'établissement du coût pédagogique des formations suivies par les agents à leur initiative, à l'exception de la mise en œuvre du droit individuel à la formation. Aux termes de l'article 37 dudit décret : " Un document pluriannuel d'orientation de la formation des agents est élaboré dans chaque établissement et soumis pour avis au comité technique d'établissement. Ce document d'orientation est fondé sur l'analyse de l'évolution des effectifs, des emplois, des compétences et des missions de l'établissement. Il porte sur les priorités, les objectifs et les moyens de la formation professionnelle des agents au regard de ces évolutions. Il prend également en compte l'analyse de la situation comparée des hommes et des femmes et l'accès de tous les agents à la formation. Dans le cadre ainsi défini, le chef d'établissement arrête tous les ans le plan de formation, après avis du comité technique d'établissement qui se réunit, à cet effet, au cours du dernier trimestre précédant la période couverte par ce plan () ". Il résulte de ces dispositions que l'existence d'un plan de formation au sein d'un établissement hospitalier implique que ses agents disposent d'un droit à suivre les actions de formation qui y sont inscrites. Ce droit s'exerce sous réserve, d'une part, de l'adéquation de la demande de l'agent avec les objectifs et moyens du plan et, d'autre part, de l'intérêt du service à la date où est formulée la demande. Pour apprécier l'intérêt du service, l'administration peut notamment tenir compte de l'utilité que présente la formation envisagée pour le développement de la carrière de l'agent et de la capacité de celui-ci à exercer des fonctions correspondantes.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motivation :
4. Aux termes de l'article
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir () ". Aux termes de l'article
L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". La prise en charge des frais de scolarité ne constitue pas un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir au sens des dispositions précitées de l'article
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, et n'entre dans aucune des autres hypothèses de motivation obligatoire des décisions administratives individuelles défavorables mentionnées à l'article précité. Le refus de prise en charge par l'AP-HP du financement de la formation de M. B n'avait donc pas à être motivé. Le moyen, qui est inopérant, doit ainsi être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré du vice de procédure :
5. Le moyen soulevé par M. B et tiré de ce qu'il n'aurait pas été invité à présenter ses observations devant la commission administrative paritaire doit être écarté comme inopérant, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposant une telle obligation.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation :
6. Pour rejeter la demande de prise en charge financière présentée par M. B, l'AP-HP s'est fondée, comme cela ressort en particulier de la note de synthèse fournie à la CAP dans la perspective de la séance de cette dernière le 28 septembre 2021, et du procès-verbal de cette séance, sur le motif tiré de ce que le projet professionnel de l'agent n'avait pas fait l'objet d'une validation de la part de sa hiérarchie. L'AP-HP expose, dans ses écritures en défense, que la prise en charge financière d'une formation suppose, d'une part, une validation du projet professionnel par l'encadrement de l'agent et, d'autre part, que l'agent ait exercé des fonctions en tant que faisant fonction de cadre de santé (FFCS) afin de permettre à sa hiérarchie d'évaluer ses aptitudes à l'exercice de telles fonctions. L'AP-HP soutient que, dans le cas de M. B, aucune de ces conditions n'était remplie.
7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'historique des démarches que M. B a entreprises en lien avec le concours de l'IFCS, que si l'intéressé avait reçu un avis favorable de sa hiérarchie lorsqu'il s'est présenté aux épreuves de sélection pour l'admission à l'IFCS aux sessions de 2017 et de 2019, au titre desquelles il n'a pas été admis, il n'avait toutefois pas reçu d'avis favorable lorsqu'il s'est présenté à la session organisée au titre de l'année 2020. En effet, si M. B verse au dossier le courrier électronique du 27 janvier 2020 qu'il a adressé à la cadre paramédicale du département médico-universitaire de biologie, génomique médicales (DMU BioGeM), et énonçant le projet professionnel qu'il entendait présenter " en cas de succès à l'épreuve d'admissibilité de la sélection pour l'admission à l'Institut des cadres de santé de l'AP-HP ", il ne ressort pas des pièces du dossier que sa hiérarchie ait donné un avis favorable à cette démarche. Au contraire, l'absence de réponse formalisée à cette manifestation de l'intention de M. B de se présenter au concours doit être interprétée comme un refus de la hiérarchie de valider ce projet. Il ressort également des pièces du dossier que M. B a été reçu, le 4 juin 2020, par la cadre paramédicale et la cadre supérieure adjointe du DMU BioGeM, qui lui ont, à cette occasion, rappelé les règles et les critères d'attribution des financements au titre de la promotion professionnelle, à savoir :
- la validation du projet de l'agent par l'encadrement de proximité, l'encadrement supérieur et la direction des soins ;
- la condition tenant à la nécessité de s'être vu proposer un poste de faisant fonction de cadre de santé ;
- une subordination du financement à la condition que l'évaluation de la période d'exercice en tant que faisant fonction de cadre de santé soit favorable.
Il ressort également des pièces du dossier que M. B a été informé, à cette occasion, de la non-validation de son projet professionnel par sa hiérarchie. Ces précisions lui ont à nouveau été apportées au cours d'un entretien du 15 juin 2020 avec la directrice des soins, puis d'un entretien du 8 février 2021 avec la cadre paramédicale et la cadre supérieure adjointe du DMU BioGeM. Dans ces conditions, et alors que M. B n'apporte aucun élément de nature à établir l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le service en refusant de valider son projet de formation professionnelle et en ne le mettant pas en mesure d'exercer en qualité de faisant fonction de cadre de santé, le moyen tiré de l'existence d'une telle erreur ne peut qu'être écarté.
8. En revanche, le " comportement et positionnement professionnel inadapté " imputé à M. B, évoqué par l'administration et qui aurait fait obstacle à ce que l'intéressé se voie proposer d'exercer des fonctions de faisant fonction de cadre de santé, ne ressort pas des pièces du dossier. Toutefois, l'administration aurait pris la même décision en ne se fondant que sur le motif tiré de ce que le projet professionnel de l'agent n'avait pas été validé par sa hiérarchie.
9. Enfin, si M. B fait état de ce que d'autres agents du DMU BioGeM ayant également réussi le concours de l'IFCS lors de la session 2020, mais moins bien classés que lui, se seraient vu confier des fonctions de cadre de santé, il n'apporte aucun élément de nature à établir, d'une part, que ces agents auraient bénéficié de la prise en charge de leur formation par l'AP-HP, ni, d'autre part, que le profil de ces agents, à supposer qu'ils aient bénéficié d'une telle prise en charge, correspondait moins que le sien aux besoins de recrutement futurs de son service. Dans ces circonstances, et quelles que puissent être, par ailleurs, les qualités professionnelles manifestées par M. B dans l'exercice de ses fonctions, le directeur général de l'AP-HP n'a pas, en rejetant sa demande de prise en charge financière, entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de l'adéquation de cette demande avec les objectifs et moyens du plan de formation et de l'intérêt du service.
Sur les conclusions indemnitaires :
10. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute imputable à l'AP-HP, les conclusions présentées par M. B tendant à l'indemnisation du préjudice financier, du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant de l'illégalité alléguée de la décision attaquée ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
11. L'AP-HP n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. B puisse obtenir le remboursement de ses frais liés au litige. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que l'intéressé ait exposé des dépens à l'occasion de l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Sorin, président,
M. Errera, premier conseiller,
Mme Benhamou, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2025.
Le rapporteur,
signé
A. ERRERALe président,
signé
J. SORINLa greffière,
signé
M.-C. POCHOT
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2/2-