Cour d'appel de Rennes, Chambre 9, 14 septembre 2022, 21/05448

Synthèse

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Texte intégral

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT

N° N° RG 21/05448 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R7A7 Société [2] C/ CPAM DU MORBIHAN Copie exécutoire délivrée le : à : Copie certifiée conforme délivrée le: à: RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE RENNES ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2022 COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre, Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère, Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère, GREFFIER : Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé DÉBATS : A l'audience publique du 18 Mai 2022 devant Madame Aurélie GUEROULT, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ; DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR: Date de la décision attaquée : 09 Décembre 2019 Décision attaquée : Jugement Juridiction : Tribunal de Grande Instance de VANNES - Pôle Social Références : 17/00064 **** APPELANTE : LA SOCIÉTÉ [2] [Adresse 1] [Adresse 1] représentée par Mme [I] [E] en vertu d'un pouvoir général INTIMÉE : LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU MORBIHAN [Adresse 4] [Adresse 4] [Adresse 4] [Adresse 4] représentée par Mme [U] [O] en vertu d'un pouvoir spécial EXPOSÉ DU LITIGE Le 21 septembre 2016, la société [2] (la société) a déclaré un accident du travail concernant M. [N] [B], salarié en tant que manutentionnaire et mis à disposition de la société [3]. Le certificat médical initial, établi le 20 septembre 2016, fait état d'une lombalgie vers L5 avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 23 septembre 2016. Le 29 septembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan (la caisse) a pris en charge d'emblée l'accident au titre de la législation professionnelle. Par lettre du 25 octobre 2016, la société a saisi la commission de recours amiable de l'organisme, laquelle par décision du 16 décembre 2016 a confirmé l'opposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge de l'accident survenu le 19 septembre 2016 au titre de la législation professionnelle. Le 10 janvier 2017, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vannes, contestant cette décision explicite de rejet. Par jugement du 9 décembre 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Vannes, a : - rejeté la demande de la société ; - condamné la société aux dépens. Par déclaration adressée le 16 janvier 2020, la société a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 26 décembre 2019. Par ordonnance du 15 juillet 2021, le magistrat chargé de l'instruction de l'affaire a prononcé sa radiation. Le 23 juillet 2021, la société a sollicité sa réinscription au rang des affaires en cours devant la cour. Par ses écritures parvenues au greffe le 26 juillet 2021, auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la société demande à la cour de : - recevoir la société en son appel et le déclarer bien-fondé ; - infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Vannes (sic) le 9 décembre 2019 ; Et statuant à nouveau : - déclarer inopposable à l'égard de l'employeur la décision de prise en charge de l'accident du 19 septembre 2016 déclaré par M. [B] ; - débouter la caisse de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société. Par ses écritures parvenues au greffe le 19 janvier 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de : - rejeter l'ensemble des prétentions de la société ; - confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 décembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Vannes ; - condamner la société aux dépens. Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS

DE LA DÉCISION I- Sur le caractère professionnel de l'accident L'article L.411-1 du code de la sécurité sociale dispose que : Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise. Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle ci. Il appartient à la caisse, substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l'employeur, de rapporter la preuve de la survenance d'une lésion conséquence d'un événement survenu au temps et au lieu du travail. S'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes. (Soc. 8 octobre 1998 pourvoi n° 97-10.914). Le 21 septembre 2016, la société a déclaré l'accident du travail concernant M. [B], en mentionnant les circonstances suivantes : Date : 19 septembre 2016 ; Heure : 9 heures ; Circonstances détaillées de l'accident : selon les informations de l'entreprise utilisatrice - selon les dires de M. [B], il était en train de soulever une pile de caisses dans la zone des machines à laver - il se serait bloqué le dos ; Siège des lésions : dos ; Nature des lésions : douleurs. Accident connu de l'employeur le 20/09/2016 à 8 H30 - décrit par la victime. La [3], entreprise utilisatrice, a transmis les informations suivantes à la caisse ; Date 19/09/2016 Heure : 9 heures Horaires de travail de la victime le jour de l'accident : de 4 heures 30 à 12 heures Lieu de l'accident : la criée 1- Zone des machines à laver Circonstances de l'accident : le travailleur intérimaire soulevait une pile de caisses et s'est bloqué le dos siège des lésions : le dos Nature des lésions : Douleurs ; Accident connu le 20 septembre 2016 à 9 heures par l'employeur utilisateur. La société prétend que M. [B] venait d'être informé du protocole de sécurité de l'entreprise utilisatrice, à savoir de prévenir immédiatement le chef d'équipe de tout incident/ accident et se rendre à l'infirmerie, de sorte que sa déclaration tardive remet en cause la survenance d'un accident au temps et lieu du travail. Mais outre le fait que la société ne justifie pas de l'existence même de ce protocole, il y a surtout lieu de retenir que : - l'entreprise utilisatrice décrit l'accident en précisant les horaires de travail et les circonstances précises de celui-ci notamment s'agissant du lieu. - l'employeur et l'entreprise utilisatrice ont aussi été respectivement informés dès le lendemain, à 8 heures 30 et à 9 heures, soit dans un temps très proche de l'accident et non tardivement. - le certificat médical initial a été établi le 20 septembre 2016 par le docteur [T], soit également le lendemain de l'accident - la lombalgie vers L 5 que ce médecin a constatée est parfaitement compatible et cohérente avec les circonstances décrites de l'accident et la lésion figurant à la déclaration d'accident du travail, soit la douleur au dos. La société ne peut soutenir utilement que le salarié a continué à travailler pendant 3 heures après l'accident dès lors que s'agissant d'une douleur, le salarié a pu penser qu'elle allait s'estomper au cours de la journée, ce qui n'a finalement pas été le cas. L'intensité progressive de la douleur n'enlève rien au caractère soudain de son apparition. Elle ne peut également prétendre pour conclure qu'il n'existe aucun fait générateur, que le salarié a ressenti une douleur au dos en manipulant une caisse, geste banal et anodin dans le cadre de son activité de manutentionnaire, ce d'autant que sa fiche de poste (d'ailleurs non produite) implique la bonne connaissance des gestes et postures de manutention, et qu'il n'a fait état d'aucun geste brusque, choc soudain et violent. La qualification d'accident du travail ne dépend pas de la lésion dont est atteint le salarié mais des conditions dans lesquelles elle est survenue. Dès lors qu'elle apparaît de manière soudaine, toute lésion caractérise un accident visé à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, même si le geste incriminé ne fait que déclencher un épisode aigu d'un état persistant, ce seul fait ne suffisant pas à enlever aux lésions leur caractère professionnel (Soc., 15 novembre 1990, pourvoi n° 89-10.028). Un accident étant caractérisé par une lésion soudaine, il importe peu qu'il ne soit pas possible de déterminer un fait accidentel précis à l'origine de celle-ci (2e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 19-13.852), que la cause de la lésion demeure inconnue (2e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n°15-29.365, et 15-27.215) ou que la cause de la lésion soudaine soit la conséquence de mouvements répétitifs. (2e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-26.842). Cette extension de la notion d'accident ne remet pas en cause la distinction avec la maladie caractérisée par une lésion à évolution lente. Le critère de distinction demeure le caractère soudain ou progressif de l'apparition de la lésion, peu important l'exposition répétée au même fait générateur (2e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-26.842 et 2e Civ., 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-30.352). En outre l'employeur, et même si cet élément n'empêche pas les contestations ultérieures, n'a émis aucune réserve dans la déclaration qu'il a fait parvenir à la caisse, ni même après. Enfin l'obligation incombant à l'organisme social, en application de l'article L.441-3 du code de la sécurité sociale, de faire procéder aux constatations nécessaires dès qu'il a eu connaissance d'un accident du travail, ne saurait faire obstacle, motif tiré par la société de l'insuffisance de l'enquête menée, au jeu de la présomption d'imputabilité dans les conditions rappelées ci-dessus. Dès lors que les déclarations de la victime sont corroborées par des éléments objectifs, il convient de retenir que la caisse établit par des présomptions graves, précises et concordantes la matérialité de l'accident survenu au temps et au lieu du travail, dont a été victime M. [B], peu important l'absence de témoin, de sorte que la présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer. Il incombe à l'employeur, une fois acquise la présomption d'imputabilité, de la renverser en établissant qu'une cause totalement étrangère au travail est à l'origine de la lésion. A cet égard l'existence d'une telle cause étrangère ne saurait s'induire de la durée de l'arrêt de travail de 358 jours, ni de la seule affirmation de l'existence d'un état pathologique préexistant, affirmation qui n'est corroborée par aucun élément médical, la société se contentant d'affirmer que la littérature médicale et les statistiques de la CNAMS sur l'année 1976, qu'elle ne produit d'ailleurs même pas aux débats, indiquent que les lombalgies, dorsalgies et cervicalgies sont un problème de santé publique global dont les causes extra professionnelles sont multiples. Le caractère professionnel de l'accident est donc avéré. II- Sur le respect du principe du contradictoire La société soutient que la caisse ne pouvait faire l'objet d'une reconnaissance d'emblée alors qu'elle ne disposait pas d'éléments suffisants lui permettant d'apprécier la matérialité de l'accident, ce qui écarte de plein droit la présomption d'imputabilité ; qu'une enquête devait être menée ; qu'elle n'a cependant pas été interrogée par la caisse comme l'article R 441-11 l'y oblige ; qu'en outre le dossier n'a pas été confiée au médecin conseil. La cour fait sienne la motivation des premiers juges rendue au visa des articles R 441-10 et R 441-11 du même code dans leur version applicable à l'espèce. Il y a lieu de rajouter que dès lors que l'accident déclaré s'est déroulé au temps et sur le lieu du travail et qu'il n'était pas fait état de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, la caisse, pouvait décider de prendre en charge l'accident d'emblée. Le moyen tiré du non-respect du principe du contradictoire a été à juste titre rejeté par les premiers juges. Il convient en conséquence de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions. III- Sur les dépens S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019. Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens. En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS

: La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions, Y ajoutant : DIT opposable à la société [2] la décision de la caisse primaire d'assurance du Morbihan du 29 septembre 2016, de prise en charge de l'accident de M. [B] intervenu le 19 septembre 2016 au titre de la législation sur les risques professionnels ; CONDAMNE la société [2] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018. LE GREFFIER LE PRÉSIDENT