TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GAUTIERI ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 68610/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
14 décembre 2010
DÉFINITIF
11/04/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 c) de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gautieri et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Guido Raimondi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 68610/01) dirigée contre la République italienne et dont cinq ressortissants de cet État, Mme Antonia Gautieri, Mme Maria Gautieri, M. Donato Gautieri, M. Giuseppe Gautieri et Mme Rosa Gautieri (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 avril 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 19 octobre 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence litigieuse n'était pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle avait donc enfreint le droit au respect des biens des requérants (Gautieri et autres c. Italie, no 68610/01, § 54, 19 octobre 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants sollicitaient en voie principale la restitution du terrain. De plus, ils demandaient le versement d'une indemnité pour non-jouissance du terrain, sans toutefois en chiffrer le montant. En voie subordonnée, ils sollicitaient le versement de 60 420 EUR chacun, somme correspondant à la valeur du terrain au moment de l'occupation, plus intérêts et réévaluation. Les requérants sollicitaient en outre une indemnité pour dommage moral et le remboursement des frais encourus dans la procédure devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état quant à la violation de l'article 1 du Protocole no 1, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 80, et point 4 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n'aboutissent à un tel accord.
6. Le 8 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d'évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d'expertise avant le 16 juillet 2007.
7. Lesdits rapports d'expertise ont été déposés dans le délai imparti.
EN DROIT
8. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
9. Se basant sur l'expertise demandée par la Cour, les requérants sollicitent le versement d'une somme de 1 415 339 EUR correspondant à la valeur actuelle du bien ainsi qu'à la valeur du bâtiment sis sur leur terrain.
10. Le Gouvernement s'y oppose et estime qu'en tout état de cause la somme réclamée par les requérants est excessive, étant donné que le tribunal leur a reconnu une somme égale à la valeur marchande du terrain en 1984.
11. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
12. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
13. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
14. La Cour observe que les requérants ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale de leur terrain, réévaluée et assortie d'intérêts à compter de la date de la perte de la propriété, soit le 17 juillet 1984 (voir paragraphe 13 de l'arrêt au principal). Selon elle, les intéressés ont ainsi déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d'indemnisation suscités.
15. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants conjointement 5 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
16. Les requérants demandent la somme de 30 000 EUR chacun.
17. Le Gouvernement s'y oppose et considère cette somme excessive.
18. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
19. Statuant en équité, la Cour accorde aux requérants conjointement 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
20. Avant l'arrêt sur le fond, les requérants demandaient, justificatifs à l'appui, le remboursement des frais encourus dans la procédure devant la Cour, à concurrence de 13 958,35 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA) inclues. Dans les observations sur la satisfaction équitable, les requérants demandent 30 000 EUR pour la procédure devant la Cour et 14 309 EUR pour le frais de l'expertise demandée par la Cour.
21. Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas étayé leur demande et qu'en tout état de cause la somme réclamée est excessive.
22. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
23. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 15 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
24. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président