CJUE, Conclusions de l'avocat général Gulmann, 15 septembre 1992, C-177/91
Mots clés
Tarif douanier commun · Position 30.04 et 22.08 · Gouttes d'aubépine. · produits · position · produit · médicament · classement · douanier · tarif · ressort · gouttes · préparation · discrimination · principal · vente · boissons
Synthèse
Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-177/91
Date de dépôt : 08 juillet 1991
Titre : Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.
Rapporteur : Díez de Velasco
Avocat général : Gulmann
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1992:343
Texte
Avis juridique important
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61991C0177
Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 15 septembre 1992. - Bioforce GmbH contre Oberfinanzdirektion München. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Tarif douanier commun - Position 30.04 et 22.08 - Gouttes d'aubépine. - Affaire C-177/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-00045
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Cette affaire concerne le classement d' un extrait d' aubépine dans le tarif douanier commun. L' affaire a été déférée à la Cour par le Bundesfinanzhof qui souhaite obtenir une interprétation du tarif douanier commun pour pouvoir dire si le produit en cause doit être classé dans la position 30.04, qui comprend les médicaments, ou, en cas de réponse négative, dans la position 22.08, qui comprend les boissons spiritueuses (1).
2. La requérante au principal, Bioforce GmbH, a contesté le renseignement tarifaire contraignant donné par la défenderesse au principal, l' Oberfinanzdirektion Muenchen, concernant le produit "gouttes d' aubépine" qui est un extrait d' aubépine additionné d' alcool (45,9 % vol.) et que Bioforce GmbH importe de la Suisse. Le produit est présenté comme devant être utilisé: "pour le traitement du coeur et pour favoriser l' irrigation du coeur ... facilitant l' activité des cellules du muscle cardiaque, ce qui permet une meilleure alimentation des artères coronaires". Les autorités douanières allemandes ont refusé de classer ce produit dans la position 30.04 et l' ont classé dans la position 22.08.
Interprétation de la position 30.04 du tarif douanier commun
3. La première question concerne l' interprétation de la position 30.04 aux fins du classement du produit décrit ci-dessus.
La notion de "médicaments préparés à des fins thérapeutiques ou prophylactiques"
4. Le chapitre 30 du tarif douanier commun comprend les produits pharmaceutiques. Les positions 30.03 et 30.04 concernent les "médicaments préparés à des fins thérapeutiques ou prophylactiques". La distinction entre les deux positions n' est pas importante dans la présente espèce et il est constant que c' est l' interprétation de la position 30.04 qui importe. Cette dernière position comprend les
"médicaments ... constitués par des produits mélangés ou non mélangés, préparés à des fins thérapeutiques ou prophylactiques présentés sous forme de doses ou conditionnés pour la vente au détail".
Il ressort du point 1 a) des notes introductives au chapitre 30 que ce chapitre ne comprend pas les
"aliments diététiques, aliments enrichis, aliments pour diabétiques, compléments alimentaires, boissons toniques et eaux minérales".
Ces produits relèvent d' autres positions tarifaires qui comportent une description correspondant à leurs qualités objectives. Par exemple, les boissons spiritueuses destinées à maintenir l' organisme en bonne santé relèvent, conformément au point 14 des notes explicatives relatives au système harmonisé (2), de la position 22.08.
Cette distinction entre les médicaments et les préparations destinées à maintenir l' organisme en bonne santé délimite le champ d' application du chapitre 30 par rapport aux autres positions du tarif douanier. Cette distinction suffit à montrer que la notion de médicament au sens du tarif douanier ne couvre que les préparations utilisées pour prévenir ou traiter une maladie déterminée, alors que la notion de médicament ne couvre pas les préparations qui, parce qu' elles visent à maintenir un bon état de santé en général, ont un champ d' application plus large et donc un effet qui n' est pas bien défini.
Cette façon de comprendre la notion de médicament au sens du tarif douanier est également confirmée par les termes mêmes de la position 30.04. L' utilisation des termes "prophylactique" et "thérapeutique" suppose forcément que l' effet prophylactique ou thérapeutique est bien défini, et notamment que cet effet concerne une maladie déterminée. On ne peut raisonnablement parler de l' effet préventif ou curatif d' une préparation que lorsque la maladie en cause est bien définie.
En conséquence, pour savoir si une préparation relève de la notion de "médicament" au sens du tarif douanier, il faut déterminer si, d' après les connaissances scientifiques disponibles, il est bien établi que la préparation est destinée à un usage prophylactique ou thérapeutique, c' est-à-dire si la maladie concernée par cette préparation est bien définie et si l' effet préventif ou curatif de la préparation vise spécifiquement la maladie en question.
Conformément à la jurisprudence de la Cour (3), les critères pour en décider résident dans les caractéristiques objectives du produit en cause. Cette solution va dans l' intérêt de la sécurité juridique, d' une part, et, d' autre part, elle facilite les contrôles douaniers ce qui permet également à l' administration de réduire les délais comme les frais.
L' importance de la présentation du produit
5. Bioforce GmbH et la Commission sont d' accord sur le fait que, par sa forme et son conditionnement (emballage, description, posologie, récipient, etc.), le produit en cause se présente comme un médicament.
Il ressort du libellé même de la position 30.04 que le produit concerné doit être présenté sous forme de doses ou conditionné pour la vente au détail. Conformément au point 1 b) des notes explicatives du système harmonisé en ce qui concerne la position 30.04, cela comprend les médicaments qui en raison de leur emballage et surtout de la présence d' indications particulières quant aux propriétés du produit montrent clairement qu' ils sont destinés, sans autre conditionnement, à la vente directe à l' utilisateur.
Ainsi, le classement d' un produit dans la position 30.04 peut dépendre de sa présentation, conformément aux règles pour la vente au détail, mais il est clair que la présentation d' un produit ne suffit pas en soi pour que ce dernier soit considéré comme un médicament. Faire de la présentation d' un produit un critère décisif de son classement tarifaire pourrait conduire à ce qu' une présentation particulière du produit suffise pour entraîner son classement dans une position tarifaire, même si ses caractéristiques objectives ne correspondent pas aux critères fixés dans la position tarifaire pertinente. Ce résultat serait contraire au principe de la sécurité juridique et pourrait entraîner une discrimination arbitraire.
L' argument selon lequel le produit "gouttes d' aubépine" est couvert par la législation allemande relative aux médicaments et admis par le Bundesgesundheitsamt
6. Bioforce GmbH fait valoir qu' il convient d' accorder une importance décisive au fait que le produit "gouttes d' aubépine" est reconnu comme un médicament par la législation allemande relative aux médicaments.
7. Il y a plusieurs raisons impératives de rejeter cet argument. C' est ce qu' imposent d' emblée les considérations générales relatives au chapitre 30 dans les notes explicatives de la nomenclature combinée, aux termes desquelles:
"Pour le classement dans ce chapitre, n' a pas de valeur déterminante la description d' un produit comme médicament dans la législation communautaire, ... dans la législation nationale des États membres ou dans toute pharmacopée".
C' est, par ailleurs, à juste titre que la Commission souligne que la notion de médicament consacrée dans la directive 65/65/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (4) est différente de celle qui figure dans le tarif douanier, du fait que, pour protéger la santé publique, la directive soumet une gamme relativement large de produits au système de contrôles fixé dans la législation relative aux médicaments. Ainsi, cette directive couvre également des produits qui, par leur désignation, se présentent comme des médicaments; or, comme nous l' avons dit, la désignation des produits n' est pas une caractéristique qui peut en soi servir de critère décisif pour le classement tarifaire. Comme l' a établi la Cour dans l' arrêt du 30 novembre 1983, Van Bennekom (5), la directive tend à préserver les consommateurs, non seulement des produits qui peuvent avoir des effets nocifs ou toxiques, mais également de divers produits utilisés en lieu et place des remèdes adéquats. La position 30.04 du tarif douanier ne couvre, en revanche, que des produits qui sont en fait destinés à un usage thérapeutique ou prophylactique.
Il serait contraire au principe de sécurité juridique qui implique un classement tarifaire en fonction des propriétés objectives du produit de faire dépendre ce classement des considérations sur la base desquelles un produit est qualifié de médicament par la législation nationale pertinente. La directive 65/65/CEE accorde aux autorités nationales une certaine marge d' appréciation pour déterminer les produits qui seront couverts par la réglementation interne et il est possible que le même produit soit considéré comme un médicament dans un État membre et non pas dans un autre. Cela pourrait entraîner des différences dans le classement des produits, en fonction de la reconnaissance ou non d' un produit en tant que médicament, selon les États membres.
La discrimination alléguée à l' encontre des produits phytothérapeutiques
8. Bioforce GmbH fait valoir que le classement du produit "gouttes d' aubépine" en dehors de la position 30.04 constituerait une atteinte au principe d' égalité de traitement, car un tel classement ferait subir une discrimination aux produits phytothérapeutiques par rapport aux produits synthétiques (obtenus par la chimie).
Il importe sur ce point de souligner qu' il n' appartient pas à la Cour de se prononcer en l' espèce sur le point de savoir si les produits phytothérapeutiques en tant que tels peuvent être considérés comme des médicaments au sens du tarif douanier, mais seulement de dire si, d' après les connaissances disponibles, les qualités objectives du produit "gouttes d' aubépine" sont de nature à imposer son classement dans la position 30.04. Pour la classification dans cette position, il n' est pas déterminant de savoir si un produit est fabriqué à partir de substances de telle ou telle sorte. Les critères décisifs sont les effets du produit en ce qui concerne le traitement de la maladie. Un médicament composé sur la base de plantes devra être classé dans la position 30.04, tout autant qu' un médicament synthétique utilisé en prophylaxie ou en thérapie.
C' est pourquoi l' argument de Bioforce GmbH selon lequel une classification du produit "gouttes d' aubépine" dans une position tarifaire autre que la position 30.04 représenterait une discrimination illicite est dénué de fondement.
La question de savoir si le produit "gouttes d' aubépine" est un médicament au sens de la position 30.04
9. Il ressort des connaissances disponibles que le domaine d' application principal du produit "gouttes d' aubépine" est constitué par les troubles cardiaques dégénératifs de notre époque et surtout les états qui ne peuvent pas être considérés comme de véritables maladies, mais où il existe bien une diminution de la capacité cardiaque due à l' âge. Ainsi, le produit semble destiné aux fonctions cardiaque et circulatoire en tant que telles. C' est ce qui ressort également de la description de la fonction du produit qui est de soigner le coeur, de favoriser l' irrigation de cet organe et de stimuler l' activité cellulaire du muscle cardiaque, améliorant ainsi le fonctionnement des artères coronaires. Ces explications visent à montrer que le produit a un effet globalement bénéfique pour l' état de santé général, spécialement pour les fonctions cardiaque et circulatoire, dans des états qui ne peuvent pas être considérés comme des maladies bien définies mais plutôt comme la manifestation d' une dégénérescence générale de ces fonctions, notamment pour des raisons d' âge.
On peut donc dire que le domaine d' application du produit "gouttes d' aubépine" est large, ce qui caractérise la phytothérapie "douce" dont relèvent les gouttes d' aubépine. On ne peut considérer comme établi que le produit est dirigé contre une maladie déterminée et, de même, l' effet du produit n' est pas suffisamment spécifique. En conséquence, le produit ne peut être qualifié de médicament destiné au traitement prophylactique ou thérapeutique d' une maladie déterminée.
Ainsi, les caractéristiques objectives des "gouttes d' aubépine" ne répondant pas aux critères fixés dans la position 30.04, cette préparation ne peut être classée dans ladite position.
Interprétation de la position 22.08 du tarif douanier commun
10. La seconde question du Bundesfinanzhof porte sur le point de savoir si, au cas où le produit "gouttes d' aubépine" ne relèverait pas de la position 30.04, il convient de le classer dans la sous-position 22.08.90.59.
11. La position 22.08 du tarif douanier commun couvre les produits suivants:
"alcool éthylique non dénaturé d' un titre alcoométrique volumique de moins de 80 % vol.; eaux-de-vie, liqueurs et autres boissons spiritueuses; préparations alcooliques composées des types utilisés pour la fabrication des boissons".
La sous-position 22.08.90.59 couvre
"les autres boissons spiritueuses présentées en récipients d' une contenance n' excédant pas 2 litres".
Dans son arrêt du 26 mars 1981, Ritter (6), la Cour a établi que la notion de boisson au sens du tarif douanier comprend
"tout liquide propre à la consommation humaine et destiné à cet usage, sans égard à la quantité absorbée ou aux fins particulières auxquelles peuvent servir divers types de liquides consommés".
Dans cet arrêt, la Cour a précisé que la portée de cette notion doit être déterminée en fonction de critères objectifs et contrôlables et ne saurait donc dépendre de facteurs purement subjectifs et variables, comme la manière de consommer un produit ou le but de son absorption. Ainsi, on ne saurait accorder d' importance au fait que le produit "gouttes d' aubépine" est destiné à être consommé sous forme de gouttes, pas plus qu' au fait que le produit est consommé en raison de son effet bénéfique sur l' organisme. Ce dernier élément ressort également d' ailleurs des notes explicatives du système harmonisé. Conformément au point 14 de ces notes, la position 22.08 comprend
"les boissons spiritueuses, parfois désignées sous le nom de compléments alimentaires, destinées à maintenir l' organisme en bonne santé".
12. La requérante au principal a fait valoir que le produit "gouttes d' aubépine" ne relève pas de la position 22.08, l' alcool contenu dans la préparation n' étant pas caractéristique du produit, mais constituant seulement un adjuvant, un excipient, un conservateur et un support des principes actifs.
On ne peut accorder de valeur à cet argument. Comme nous l' avons dit, seules les caractéristiques objectives du produit doivent entrer en ligne de compte pour le classement tarifaire. Indépendamment du rôle de l' alcool et du fait que l' alcool caractérise ou non le produit, il est patent que ce produit a une teneur en alcool de 45,9 % vol. On ne peut donc le classer dans les positions du chapitre 22 qui couvrent les boissons non alcoolisées. Il ressort du point 1, sous d), des observations préliminaires du chapitre 13 du tarif douanier qui couvrent, entre autres, les extraits de plantes, que la teneur en alcool de la préparation exclut son classement dans la position 13.02.
13. Ainsi, les caractéristiques objectives de la préparation justifient son classement dans la position 22.08 puisqu' il s' agit d' un liquide alcoolisé propre à la boisson et destiné à cet usage. Plus précisément, il convient de classer la préparation dans la position 22.08.90.59 - "autres boissons spiritueuses présentées en récipients d' une contenance n' excédant pas 2 litres".
Conclusion
14. Nous proposons en conséquence à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la manière suivante:
"Il convient d' interpréter le tarif douanier commun en ce sens qu' un produit tel que les 'gouttes d' aubépine' (un extrait d' aubépine d' une teneur en alcool de 45,9 % vol.), utilisé comme tonique, ne doit pas être classé dans la position 30.04 mais dans la sous-position 22.08.90.59."
(*) Langue originale: le danois.
(1) Les questions concernent le tarif douanier commun tel qu' il a été publié en annexe au règlement (CEE) n 2886/89 de la Commission, du 2 août 1989, modifiant l' annexe I au règlement (CEE) n 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 282, p. 1).
(2) Conformément à la jurisprudence de la Cour, les notes explicatives comportent des éléments importants d' interprétation permettant de préciser ou d' expliciter la portée des diverses positions ou sous-positions tarifaires. Nous renvoyons à cet égard à l' arrêt du 8 mai 1974, Osram (183/73, Rec. p. 477), et à l' arrêt du 26 février 1980, Hako-Schuh (54/79, Rec. p. 311).
(3) Arrêt du 25 mai 1989, Weber (40/88, Rec. p. 1395), ainsi que les arrêts cités par l' avocat général M. Tesauro dans ses conclusions du 19 avril 1989 (point 3, Rec. p. 1403).
(4) JO L 369, p. 17.
(5) 227/82, Rec. p. 3883.
(6) 114/80, Rec. p. 895.