Tribunal administratif de Grenoble, 3ème Chambre, 31 mai 2024, 2105056

Mots clés
harcèlement • préjudice • réparation • requérant • rapport • requête • condamnation • diffamation • injures • menaces • rejet • requis • réticence • soutenir • torts

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Grenoble
  • Numéro d'affaire :
    2105056
  • Nature : Décision
  • Rapporteur : M. Lefebvre
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Résumé

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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juillet 2021 et 1er mars 2023, M. B A E, représenté par Me Kummer, demande au tribunal : 1°) d'annuler la décision implicite du 13 juin 2021 par laquelle le président de l'Université Grenoble Alpes (UGA) a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et sa demande indemnitaire relatives au harcèlement moral dont il a été victime ; 2°) d'enjoindre à l'université de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir ; 3°) de condamner l'Université Grenoble Alpes à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du harcèlement moral dont il a été victime ; 4°) de mettre à la charge de l'Université Grenoble Alpes la somme de 1 800 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative. Le requérant soutient que : - il a fait l'objet d'une mise à l'écart de toute l'équipe de recherche contrairement à ses autres collègues de l'équipe de chimie théorique ; - il fait l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport aux autres enseignants caractérisé notamment par sa mise à l'écart hors des équipes de recherche, le refus de lui confier la supervision d'une thèse, la suppression de son nom et de ses articles du site internet du laboratoire de chimie moléculaire ; - ce harcèlement a eu pour conséquence la dégradation de ses contions de travail, une pénalisation dans ses recherches ce qui est à l'origine d'une préjudice moral évalué à 3 000 euros ; - malgré ses alertes l'UGA ne l'a pas accompagné et a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par des mémoires en défense enregistrés les 15 septembre 2022 et 13 septembre 2023, l'université Grenoble Alpes, conclut au rejet de la requête. L'université fait valoir que : - M. A E n'a pas été mis à l'écart de l'équipe ; qu'elle a cherché des solutions permettant à l'intéressé d'intégrer un nouveau laboratoire en géologie suite à la dissolution du laboratoire auquel il appartenait ; qu'il a été proposé à l'intéressé de poursuivre en qualité de chercheur indépendant et de bénéficier de l'accès aux ressources du laboratoire ; - un diagnostic psycho social a été confié à un organisme extérieur qui a conclu que la mobilité accompagnée était la solution la plus appropriée ; - il n'y a pas eu de rupture d'égalité de traitement entre M. A E et les autres enseignants, l'intéressé disposant des ressources nécessaires pour poursuivre ses recherches au même rythme que les années précédentes ; - M. A E n'établit aucun fait susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement, il ne peut prétendre à la réparation d'un préjudice ; - le requérant n'apporte aucun élément permettant de démontrer une menace, violence, voies de fait, injure, diffamation ou outrage qui justifierait l'octroi d'une protection fonctionnelle. Vu la demande préalable indemnitaire ; Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Doulat, - les conclusions de M. Lefebvre, rapporteur public, - et les observations de Me Kummer représentant M. A E.

Considérant ce qui suit

: 1. M. B A E est enseignant chercheur au sein du département de chimie moléculaire de l'UGA depuis le 1er septembre 2002. Estimant avoir été victime de harcèlement moral par les membres de la direction du laboratoire, il demande la protection fonctionnelle et la réparation de son préjudice moral. Sur les conclusions à fin d'indemnisation : En ce qui concerne les faits de harcèlement 2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. () ". Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " () Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race () ".. 3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. 4. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. 5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. 6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A E appartenait à l'équipe chimie théorique, intégrée au laboratoire du département de chimie moléculaire et dirigée par Mme C. Cette équipe a été dissoute le 1er janvier 2017 en raison de dissentions internes. Alors qu'il n'est pas allégué que le requérant serait à l'origine de ces difficultés relationnelles, il n'est pas contesté par l'UGA que M. A E n'a pas été réintégré au sein de la nouvelle équipe " spectrométrie, interactions et chimie thorique " qui s'est créée en 2019 au sein du laboratoire du département de chimie moléculaire avec les anciens membres de l'équipe chimie théorique, ni plus récemment au sein de l'équipe " électrochimie moléculaire et photochimie Redox " créée en 2022. Il n'est pas sérieusement contesté par l'UGA que M. A E n'a pas été convié aux réunions préparatoires à la création de ces différentes équipes. Si l'UGA fait valoir qu'elle a engagé des démarches afin de faciliter l'intégration de l'intéressé dans une nouvelle équipe sur le thème de la géologie au sein d'un autre laboratoire, elle n'apporte aucune explication quant à l'isolement effectif de M. A E au sein de son laboratoire. L'UGA ne saurait davantage se prévaloir du diagnostic psycho social qu'elle a confié à un cabinet extérieur alors que ce document n'est pas produit et qu'elle reconnaît elle-même ne pas avoir suivi l'ensemble de ses préconisations et plus particulièrement celle de créer une équipe composée du requérant et de M. D au sein du laboratoire du département de chimie moléculaire. 7. En deuxième lieu, M. A E soutient qu'il a fait l'objet d'un traitement moins favorable que les autres enseignants chercheurs. S'il fait valoir qu'au cours des années 2014 à 2016 il n'a pas pu encadrer d'étudiant en thèse, il n'était pas titulaire de l'habilitation à diriger des recherches. De même, il n'établit ni mesures défavorables dans la gestion de ses budgets, de ses commandes ou plus globalement dans l'accès aux ressources de l'établissement, ni faire l'objet d'une présentation moins visible au sein de l'organigramme. En revanche, la disparition non contestée par l'UGA des articles de M. A E sur le site internet du laboratoire de chimie moléculaire, est de nature à traduire, en l'absence d'explications sur ce point de l'UGA, un traitement inégalitaire de l'intéressé. 8. Par suite, il résulte de tout ce qui précède que M. A E produit des éléments de fait caractérisant son isolement au sein du laboratoire auquel il appartient et un traitement moins favorable que les autres enseignants chercheurs. Ces faits qui se sont déroulés sur plusieurs années sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. 9. Si l'UGA, reconnaît une dégradation de l'ambiance de travail au sein du laboratoire avec la réticence de certains enseignants à travailler ensemble, elle reste très laconique sur la nature réelle de ces dissentions et n'allègue pas que l'isolement de M. A E serait justifié par des considérations étrangères à tout harcèlement. Dès lors, à supposer même que les services de l'université aient œuvrés afin de trouver une solution pour permettre à M. A E d'intégrer un nouveau laboratoire, les faits précités sont constitutifs de harcèlement moral de nature à engager pour faute la responsabilité de l'UGA. En ce qui concerne le lien de causalité 10. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement des échanges de mails, des attestations et du rapport de visite médicale que l'isolement dont M. A E a fait l'objet au sein de son laboratoire lui a causé une souffrance morale. Il existe un lien direct entre ce préjudice moral et les faits de harcèlement dont il a été victime qu'il appartient à l'UGA de réparer. En ce qui concerne la réparation du préjudice 11. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral en condamnant l'UGA à verser au requérant une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice. Sur les conclusions en annulation du refus d'octroi de la protection fonctionnelle et en injonction : 12. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 précité. Aux termes de l'article 11 de la même loi : " I. - A raison de ses fonctions () le fonctionnaire () bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. () IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée () ". Des agissements de harcèlement moral sont de ceux qui peuvent permettre, à l'agent public qui en est l'objet, d'obtenir la protection fonctionnelle prévue par ces dispositions. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce. 13. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment détaillés, M. A E est fondé à soutenir que la protection prévue par les dispositions précitées aurait dû lui être accordée au regard des faits en cause. Par suite, la décision implicite par laquelle l'UGA a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle doit être annulée. 14. L'annulation implique d'enjoindre au président de l'UGA d'accorder à l'intéressé le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Sur les frais liés au litige : 15. Aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ; 16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'UGA la somme de 1 500 euros, à verser au requérant, sur le fondement des dispositions précitées.

D E C I D E :

Article 1er : l'UGA est condamnée à verser à M. A E une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du harcèlement moral dont il a fait l'objet. Article 2 : La décision implicite par laquelle l'UGA a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle au profit de M. A E est annulée. Article 3 : Il est enjoint au président de l'UGA d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. A E dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Article 4 : L'UGA est condamnée à verser à M. A E une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. F E et à l'Université Grenoble Alpes. Délibéré après l'audience du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient Mme Triolet, présidente, M. Doulat, premier conseiller, M. Callot, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2024. Le rapporteur, F. DOULAT La présidente, A. TRIOLET La greffière, J. BONINO La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.